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Actualités du Centre de Recherche

Formes de la ruine

Retour sur une exposition et ses laboratoires
François-René Martin et Hélène Zanin

Texte intégral

  • 1 J’en ai assuré la direction, avec le concours de Pierre Wat, Gabrielle Andries, Pascale Cugy, Chiar (...)
  • 2 Alain Schnapp, Une histoire universelle des ruines. Des origines aux Lumières, Paris, Éditions du S (...)

1L’exposition Formes de la ruine qui s’est tenue au Musée des Beaux-Arts de Lyon de décembre 2023 à mars 2024 est venue clore un long cycle de séminaires, qui se sont tenus entre 2014 et 2016, à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et de 2020 à 2023 à l’École du Louvre. Un des propos principaux de ces séminaires1 était d’explorer les problèmes liés à la définition et l’interprétation des ruines aux XIXe, XXe et XXIᵉ siècles. Car il faut le dire d’emblée, ces séminaires avaient pour point de départ le livre alors en préparation d’Alain Schnapp, professeur honoraire à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Une histoire universelle des ruines. Des origines aux Lumières (Paris, Éditions du Seuil, 2020)2. Dans cet ouvrage, l’auteur entendait donner à la notion de ruines une signification plus ample et transculturelle, permettant d’élargir le domaine aux cultures extra-occidentales. Mais Alain Schnapp avait décidé très tôt d’arrêter sa vaste enquête au seuil de la Révolution française. D’une certaine façon, les deux projets ont avancé parallèlement, l’ouvrage, dans ses idées principales, ayant donné une trame au séminaire qui cependant ne s’est pas contenté d’apporter une matière manquante mais fut le lieu de réflexion sur les motifs théoriques qui, depuis le livre en cours d’écriture, ont fini par informer à la fois le séminaire et l’exposition.

2Dans cette longue préparation, un séminaire de recherche, organisé du 27 au 31 mars 2023 en partenariat avec le musée des Beaux-Arts de Lyon, l’École du Louvre et la Fondation des Treilles, fut l’occasion de réfléchir sur quelques questions fondamentales. Le principe des séminaires des Treilles est le suivant : la Fondation des Treilles, créée par Anne Gruner-Schlumberger, accueille dans son domaine situé dans le Haut-Var, quinze chercheurs qui pourront travailler et échanger pendant une semaine sur une question. Qu’il s’agisse du cadre idyllique de la fondation, de la temporalité de l’échange, plus étendue que celle des colloques ordinaires, de l’effet de concentration que permet un dialogue entre un nombre limité de participants, toutes les conditions étaient réunies pour faire émerger quelques questions cruciales.

3Dans sa conférence inaugurale des Treilles, Alain Schnapp est revenu sur l’ambition de son Histoire universelle des ruines et son refus d’une définition stricte de la ruine. Objet polyédrique incarnant des rapports complexes au passé, la ruine doit se comprendre, selon Alain Schnapp, comme un vaste champ conceptuel traversé de tensions : 1) mémoire et oubli ; 2) nature et culture ; 3) matériel et immatériel ; 4) présent et futur sont les grandes polarités qui structurent ce champ. Alain Schnapp est revenu sur ces problèmes lors du séminaire des Treilles : la ruine telle qu’il l’entend est une notion et non un concept. Une notion c’est-à-dire la représentation que chacun peut se faire de manière plus ou moins définie de la ruine, ou même de façon intuitive, sous la forme d’un champ de tensions et non une construction nette, à la fois homogène et parfaitement exclusive. Cette approche correspond à ce que l’historien de l’art a traité dans les différents essais qui ont préparé L’Histoire universelle des ruines. Si elle correspond donc à la trame des textes elle constitue un défi pour qui veut la transporter dans l’espace d’une exposition. Or étrangement, la salle permet des expériences où les objets et les textes s’agencent de manière complexe, ce que les pages d’un livre ne permettent pas de visualiser d’une manière aussi nette. On pourrait même soutenir que l’exposition donne davantage de force à ces différentes polarités et les nuances qui s’y déploient que ne le permet l’espace du livre et notamment de la double-page. Dans celles-là, les polarités correspondent généralement à des états extrêmes, opposés et exclusifs, là où une salle peut se concevoir comme un espace de tensions où les objets peuvent cumuler des propriétés contradictoires ou se placer à l’intérieur d’un champ d’opposition et non sur ses limites.

4Les intervenants ont par la suite développé ces notions à partir d’objets, de périodes et de méthodologies différentes, déclinant des études de cas, des réflexions sur les mediums, des analyses de dispositifs muséologiques et urbains, des analyses typologiques et sémantiques. Plusieurs questionnements communs et thématiques ont émergé, dans les discussions qui suivaient les différentes communications.

5Alain Schnapp (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) « Une histoire universelle des ruines ». Questions.

6Gérard Bruyère (Musée des Beaux-Arts de Lyon), Geneviève Galliano (Musée des Beaux-Arts de Lyon) « L’antiquarianisme lyonnais au miroir de la ruine visible ou invisible : aqueducs, théâtres et amphithéâtre, autel de Rome et d’Auguste ».

7Anne Ritz-Guilbert (École du Louvre) « Des ruines chez François-Roger de Gaignières ».

8Sarah Héquette (École du Louvre/École pratique des hautes études) « Ruines de la féodalité. Réflexion autour des destructions d’armoiries monumentales en Touraine».

9Sylvie Ramond (Musée des Beaux-Arts de Lyon/École normale supérieure [LSH] de Lyon) « Les formes de la ruine » Présentation du projet d’exposition.

10Éric Pagliano (Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France [C2RMF]) « La métaphore de la ruine dans les processus de création graphique et dans les modes de présentation des dessins ».

11Des ruines dans l’art contemporain (visioconférences)

12Marc Desgrandchamps, Thomas Lévy-Lasne (artistes).

13François-René Martin (École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris/École du Louvre) « Des promesses de durée. Les temporalités des ruines contemporaines ».

14Chiara Vitali (École du Louvre/Musée des Beaux-Arts de Lyon) « Vivre au milieu des ruines ».

15Isabella Archer (École du Louvre/Université de Poitiers) « Exposer les ruines dans le musée. Problématiques contemporaines ».

16Zoé Marty (Musée d’art moderne de Saint-Étienne) « Sara Dienes : l’artiste et l’archéologue ».

17Rémi Hadad (Institute of Archaeology Londres) « Habiter les ruines dans le Proche-Orient ancien et néolithique ».

18Nathan Schlanger (École des Chartes) « Les ruines de Fukushima ».

19François-René Martin (École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris/École du Louvre) et Hélène Zanin (École du Louvre) « Conclusions ».

20Dans notre conclusion, nous avons tenté de dégager quelques thématiques différentes des grandes notions déclinées par Alain Schnapp, comme autant de sous-motifs qui se trouvaient dans plusieurs des communications : 1) la société hantée « par le devenir ruine » ; 2) la question de la « bonne » ruine, de la ruine exemplaire ; 3) les ruines comme refus de la monumentalité – l’anti monumentalité des ruines constituées comme des traces faibles, des geste dérisoire, de simples inscriptions ; 4) les simulacres de ruines, les fausses ruines ; 5) la ruine comme métaphore, singulièrement dans les discours contemporains sur le capitalisme ; 6) vivre au milieu de la ruine, ou encore le soin apportée aux ruines ; 7) les temporalités des ruines ; 8) les ruines instantanées ; 9) la destruction des ruines ou les « ruines de ruines » ; 10) L’artiste comme archéologue ; 11) le passage de l’antiquarianisme à l’anthropologie.

21L’exposition Formes de la ruine dont le commissariat était assuré par Alain Schnapp et Sylvie Ramond, s’est nourrie de tous ces séminaires pour préparer à la fois la sélection des œuvres demandées en prêt et le catalogue de l’exposition. Un comité scientifique fut mis en place, constitué des deux commissaires de l’exposition, de Gérard Bruyère, Geneviève Galliano, pour le Musée des Beaux-Arts de Lyon, Matthieu Lelièvre, pour le Musée d’art contemporain, Pierre Wat, Christian Joschke, Yves Le Fur, François-René Martin, assistés par Chiara Vitali et Zoé Marty. La sélection des œuvres finalement retenues fut présentée dans les deux niveaux des espaces dévolus par le musée des beaux-arts de Lyon aux expositions temporaires, ainsi qu’au dernier niveau dans trois salles où sont ordinairement présentées les œuvres du XXᵉ siècle.

  • 3 Voir A. Schnapp, Sylvie Ramond (dir.), Formes de la ruine, cat. exp., Paris, Liénart, Lyon, Musée d (...)
  • 4 Martin Treml, Sabine Flach, Pablo Schneider (éds.), Warburgs Denkraum. Formen, Motive, Materialen, (...)

22L’exposition fut conçue dans l’idée qu’un développement chronologique n’avait pas de raison, dès lors qu’il fallait représenter des cultures infiniment variées et que le principe même de la réflexion était d’ordre anthropologique, sans pour autant que l’histoire comme schème de succession d’œuvres ne disparaisse tout à fait. De salle en salle, les quatre grandes thématiques ont pu se déployer, les œuvres ou objets les plus anciennes entrant en résonnance avec des propositions contemporaines. Chaque section était introduite par un long texte livrant un abrégé de la polarité à l’œuvre, rédigé par Alain Schnapp et l’un(e) ou l’autre des auteurs du catalogue3. Là encore, le principe ne consistait pas à opérer des rapprochements simplement formels ni à l’inverse des collisions, mais bien des espaces dans lesquelles les différentes œuvres pouvaient entrer en relation, sans qu’il n’y ait du reste dans nombre de salles un ordre de succession des œuvres à suivre. À la lettre l’exposition constituait un espace de pensée (Denkraum), selon le terme d’Aby Warburg4.

  • 5 « Ruines de ruines. Matérialité et immatérialité des ruines dégradées », sous la dir. de Peter Geim (...)

23Un tel projet, qui mobilisa si l’on additionne toutes les participations, plus d’une centaine de spécialistes et autant d’artistes vivants, appelle évidemment des prolongements. Une de suites se trouve dans les deux sessions portant sur les « Ruines de ruines », au 36ᵉ Congrès international d’histoire de l’art qui s’est tenu à Lyon, du 23 au 28 juin 20245.

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Notes

1 J’en ai assuré la direction, avec le concours de Pierre Wat, Gabrielle Andries, Pascale Cugy, Chiara Vitali.

2 Alain Schnapp, Une histoire universelle des ruines. Des origines aux Lumières, Paris, Éditions du Seuil, 2020.

3 Voir A. Schnapp, Sylvie Ramond (dir.), Formes de la ruine, cat. exp., Paris, Liénart, Lyon, Musée des Beaux-Arts, 2023.

4 Martin Treml, Sabine Flach, Pablo Schneider (éds.), Warburgs Denkraum. Formen, Motive, Materialen, Munich, Fink Verlag, 2014.

5 « Ruines de ruines. Matérialité et immatérialité des ruines dégradées », sous la dir. de Peter Geimer, François-René Martin, Pierre Wat, 26 juin 2024.

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Pour citer cet article

Référence électronique

François-René Martin et Hélène Zanin, « Formes de la ruine »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 22 | 2024, mis en ligne le 26 juin 2024, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/33523 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11w6x

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Auteurs

François-René Martin

Coordinateur du Centre de Recherche de l’École du Louvre

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Hélène Zanin

Post-doctorante au Centre de Recherche de l’École du Louvre

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