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La vie affective des objets. Sur quelques reliques de l’atelier d’Ingres

The affective life of objects: on relics from Ingres’ studio
Clara Lespessailles

Résumés

Penser l’atelier d’Ingres comme une structure cognitive et sociale, c’est convoquer de facto des liens affectifs multiples comparables à ceux d’une famille et dépassant largement le cadre stricto sensu des collaborations artistiques et des relations professionnelles. Des liens entre personnes se matérialisant aussi dans des œuvres qui cristallisent ces liens, et dans des objets quotidiens et outils de travail chargés en valeur symbolique propre au processus de transmission. L’espace de cet atelier, curieusement dépourvu de toute représentation visuelle connue, apparaît dans l’imaginaire collectif comme un lieu mythique et énigmatique, riche en objets qui sont autant de témoignages matériels des acteurs qui y ont évolué, de l’enseignement qui y a été alloué, des échanges qui s’y sont déroulés. L’atelier ainsi transcendé acquiert une forme d’aura. Il devient un lieu sacré où la dévotion bien connue des élèves pour le maître semble se déplacer aux objets ayant appartenu à ce dernier. La participation à la mythification de l’artiste se manifeste en attribuant ainsi à l’espace de création et aux objets qui s’y trouvent un fétichisme singulier. À travers l’étude de deux cas spécifiques d’« ingraliae » sera mis en avant le rapport de filiation existant entre Ingres et ses élèves par l’intermédiaire d’« objets » à caractère mémoriel et affectif. Le premier de ces objets est un fauteuil ayant appartenu au maître, conservé par Michel Dumas et légué à Claudius Lavergne ; le deuxième objet est un plâtre de la main d’Ingres, moulée sur le vif vers 1840. Une des éditions conservées au musée Rolin d’Autun, est issue d’un don d’Eugène Froment, élève d’Amaury-Duval.

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Texte intégral

1L’univers matériel formé par l’atelier d’Ingres est indissociable des histoires plurielles qui viennent mettre en lumière les liens et structures relationnelles intimes s’y déployant. Penser la biographie des objets qui y sont conservés, échangés et transmis, c’est aussi chercher à définir les sentiments, les affects qui leur sont attribués et mieux envisager leur pouvoir parfois insoupçonné. De différentes natures, ces objets sont engagés dans un processus relevant d’une économie d’échanges occasionnellement fondée sur le don et le contre-don, qui instaure des liens de dépendance entre les individus impliqués. Ces objets, dont la valeur est continuellement « renégociée » en fonction du poids affectif donné, sont autant d’expériences émotionnelles que de manifestations d’identités, favorisant une introspection et une forme d’anamnèse. Reconstituer l’imaginaire attaché aux objets permet de saisir les différentes strates de valeurs mêlant autant réalités que fantasmes et autant désirs qu’angoisses. Cet article se propose d’explorer, à travers les trajectoires de différents objets, le dialogue entre culture matérielle et histoire des émotions à l’œuvre dans cet espace unique.

L’atelier, espace d’échange et de circulation d’objets

2Conforme à la logique propre aux ateliers d’artistes, lieux sacrés par les actions qui s’y déroulent, celui de David se distingue néanmoins des autres par un modèle d’enseignement relevant du don de soi ; cette dimension apparaît d’autant plus marquée en raison des relations étroites qui y sont entretenues. Élève de David, Ingres évolue dans cet espace d’échanges caractérisé par une matière affective puissante qu’il cherche à perpétuer lorsqu’il devient lui-même maître. Dans son atelier, bien qu’ils ne se définissent pas immédiatement comme des dons et contre-dons matériels, ces échanges de matière affective revêtent une dimension immatérielle, se manifestant avant tout à travers son enseignement et son amitié. Le système à l’œuvre fonctionne ainsi à partir de dons du maître initialement disproportionnés auxquels les élèves répondent par des contre-dons d’affection eux-mêmes démesurés. Ce modèle d’échanges se trouve ensuite naturellement transposé dans le domaine matériel.

3En examinant la nature des relations entre Ingres et ses élèves, on s’aperçoit rapidement que l’espace de l’atelier, dont la fonction principale est celle de la transmission orale et matérielle d’un savoir, est aussi un espace où circulent des objets. Dès lors, les liens noués dans l’atelier sont régis par un système d’échange, qui peut relever selon nous du don et du contre-don. Dans les relations entre maîtres et élèves, caractérisées par un schéma de domination unilatérale, il entre parfois de la réciprocité.

  • 1 Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’an (...)
  • 2 Claude Lévi-Strauss, Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, Paris, Presses universitaires de Franc (...)
  • 3 Bruno Karsenti, L’Homme total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Paris, P (...)
  • 4 Igor Kopytoff, « Pour une biographie culturelle des choses : la marchandisation en tant que process (...)
  • 5 Maurice Godelier, L’Énigme du don, Paris, Fayard, 1996, p. 21.

4Le système du don, largement exploré dans le domaine des sciences humaines et sociales, notamment par Marcel Mauss1 puis discuté par Claude Lévi-Strauss2, se définit en fonction d’une dialectique particulière, où l’obligation de donner, recevoir et rendre, génère un paradoxe que Bruno Karsenti a notamment désigné comme la « réciprocité suspendue »3. L’idée étant que le don invite forcément à être rendu et n’est donc pas un acte gratuit, instaurant par conséquent « une chaîne infinie de dons et d’obligations4 ». Comme l’a démontré Maurice Godelier, la force « énigmatique » qui est à l’œuvre dans ce système d’échange établit un double rapport, à la fois de « solidarité » émanant du donneur car il partage ce qu’il est et ce qu’il a, mais aussi de « supériorité » car celui qui reçoit se retrouve endetté en acceptant le don5.

Don pour don

  • 6 Françoise Waquet, Les Enfants de Socrate : filiation intellectuelle et transmission du savoir, xvii(...)
  • 7 Évangile, Matthieu, X, 8.
  • 8 M. Godelier, op. cit. note 5, p. 21.

5Rappelons que le don premier, émanant du maître, correspond à un don absolu, celui de la transmission du savoir. Selon la tradition philosophique fondée sur le modèle de Socrate, l’acte même d’enseigner est en soi désintéressé6  ; le maître transmet son savoir et reçoit en retour, de la part de l’élève reconnaissant, des dons et des cadeaux. Modèle par la suite répandu sous la forme d’un aphorisme biblique « Gratis accepistis, gratis date7 », c’est-à-dire vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement, il interroge dès lors la valeur de certains types de dons. Cette lecture rend l’analyse des rapports entre Ingres et ses élèves plus complexe dans la mesure où le système du don, qui rapproche les individus, les éloigne aussi, par cette dépendance symbolique, cette « dette » virtuelle inévitable8. Ce système permet de saisir l’ampleur de l’univers émotionnel déployé au sein de la structure sociale à laquelle participent le donateur, l’objet donné et le récepteur. Dans notre cas, Ingres livre non seulement son savoir, sa doctrine, ses valeurs mais aussi sa notoriété. En retour, les élèves accordent leur soumission à sa norme, leur respect ainsi que leur fidélité. Mais leurs échanges ne s’arrêtent pas là et tendent à dépasser profondément le cadre strict des questions d’enseignement.

  • 9 Florence Magnot-Ogilvy « L’économie de l’amitié dans la seconde partie des Confessions de J.-J. Rou (...)
  • 10 M. Godelier, op. cit. note 5, p. 22.

6Au cœur de l’interaction entre Ingres et ses élèves, se trouve ainsi un lien essentiel de réciprocité, un attachement sentimental, une confiance et une compréhension qui s’expriment particulièrement à travers les objets donnés, offerts et transmis. Ils s’engagent mutuellement et leur double investissement repose sur un système d’alliances et d’accords tacites, formes de contrats d’amitié. Ce don amical est lui-même régi par un ensemble de pratiques et de traditions propres aux ateliers d’artistes. Outre les diverses marques de considération de leur amitié, Ingres s’implique également dans la vie de ses élèves et se préoccupe sincèrement de leur réussite, les engageant même dans son propre travail. En retour, les élèves soutiennent infailliblement leur maître et le réconfortent. Ces interactions maintiennent la cohésion du groupe et s’interprètent comme une forme d’« économie » de l’amitié9, contribuant ainsi à son bon fonctionnement. Comme l’a souligné Godelier, cette pratique du don entraîne pourtant inévitablement un rapport de force entre les deux parties, instituant ainsi de nouvelles dominations sociales mais aussi affectives ; les relations entre maître et élève étant d’ores et déjà de nature asymétrique car fondées sur un lien hiérarchique indissoluble. Les objets qu’ils s’échangent se trouvent ainsi nécessairement et intimement investis d’un « imaginaire associé au pouvoir10 » et reflètent de manière sous-jacente les rapports de force entre eux.

7Or des échanges protéiformes se déploient dans l’atelier d’Ingres, au-delà de la transmission filiale : les dons et contre-dons s’y réalisent à travers une multitude d’objets.

Des dons comme investissement

Figure 1.

Figure 1.

Coupe des élèves, 1834, cuivre damasquiné, 10,7 x 17 x 11,5 ; socle : 3,5 x 12 x 12 cm, Insc. : Poussin, Raphaël, Michel-Ange, AJ. Ingres ses élèves reconnaissants ; no d’inv. : en cours d’inventaire, Montauban, musée Ingres-Bourdelle.

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  • 11 « Intérieur », Le Constitutionnel, no 333, 30 novembre 1834, p. 3.
  • 12 Valbert Chevillard, Un peintre romantique : Théodore Chassériau (avec une eau-forte de Braquemond), (...)
  • 13 Le Constitutionnel, le 30 novembre 1834, op. cit. note 11, p. 3. Puis texte repris dans Le Moniteur(...)
  • 14 Henry Lapauze, Ingres, sa vie et son œuvre (1780-1867). D’après des documents inédits, Imprimerie G (...)
  • 15 Georges Vigne, Collections du Musée Ingres. II, Ingres : autour des peintures du musée de Montauban(...)
  • 16 Anne Dion-Tenenbaum, Audrey Gay-Mazuel, Revivals, L’historicisme dans les arts décoratifs français (...)
  • 17 Je remercie Anaïs Alchus, conservatrice du patrimoine Arts décoratifs au Musée d’Orsay, pour ses pr (...)
  • 18 Cat. exp., Les élèves d’Ingres, sous la dir. Georges Vigne, Montauban, Musée Ingres, 8 octobre 1999 (...)
  • 19 I. Kopytoff, op. cit. note 4, p. 95
  • 20 Paris, Arch. Nat., MC/ET/XCVII/960, 28 août 1866, Dépôt judiciaire du testament olographe de Jean A (...)

8À la suite de la nomination d’Ingres comme directeur de l’Académie de France à Rome en 1834 et à l’occasion de son départ, un groupe d’élèves « au nombre de quatre-vingts11 » lui a offert une coupe (fig. 1). Ce don collectif, à initiative d’élèves qui allaient bientôt être séparés de leur maître, fait figure à la fois de cadeau d’adieu et de cadeau public, mentionné dans les journaux de l’époque. On ne connaît néanmoins ni le nom des promoteurs qui se sont associés à l’achat ni celui de l’orfèvre l’ayant réalisé. À notre connaissance, l’unique récit fait de l’histoire de la coupe provient de Valbert Chevillard, biographe de Chassériau, qui affirme que les élèves de l’atelier avaient confié à ce dernier, « à leur petit camarade, comme au plus digne, le soin de choisir l’objet et de l’offrir au maître en leur nom12 ». Cette déclaration semble toutefois peu probable, Chassériau n’étant âgé à cette date que de quinze ans. Le raffinement technique et formel de la coupe interroge évidemment sa valeur car les sources la mentionnant la décrivent successivement en argent niellé13, en argent damasquiné d’or14 ou encore en cuivre damasquiné15. L’originalité de ce cadeau réside précisément dans l’utilisation de ces techniques, celles du nielle et du damasquinage, qui s’inscrivent dans un renouveau stylistique à la fin des années 1820 et au début des années 1830, constituant une véritable « redécouverte » des techniques de la Renaissance. Certainement informé de l’émergence de ce courant dans les arts décoratifs (on le sait lié à Aimé Chenavard)16, Ingres pourrait avoir été associé à la conception de la coupe ou avoir mis ses élèves en relation avec l’orfèvre17. Que les élèves aient opté pour ces techniques innovantes et ce vocabulaire formel pourrait aussi faire référence aux périodes de prédilection d’Ingres, signifiées par les inscriptions présentes sur trois des faces de la coupe : Raphaël, Michel-Ange et Poussin. Bien que cette pratique de références aux grands maîtres du passé soit assez commune, cet objet devient néanmoins un support symbolique de la fidélité des élèves à ces figures du passé et un acte d’adhésion, de soumission et de respect envers la doctrine d’Ingres. Objet de délectation, cette coupe est aussi un objet-souvenir, telle une empreinte affective, contenant à la fois les émotions des donneurs mais aussi celles du récepteur. La dédicace « À J. Ingres, ses élèves reconnaissants », inscrite sur la dernière face du socle de la coupe, confirme l’hommage au maître, indice de leur amitié, de leur dévouement et en remerciement des bienfaits reçus. Empreinte matérielle d’un moment de l’art, elle incarne le souvenir d’un temps révolu, celui de l’enseignement d’Ingres18. Les élèves, encore jeunes à cette époque, réalisent ainsi un don qui a valeur d’investissement, cherchant par cet objet symbolique à établir leur notoriété mais aussi à se garantir le patronage d’Ingres, ce dernier assurant leur protection19. Elle contient également l’affection qu’Ingres porte à ses élèves ; il devait la conserver toute sa vie avant de la léguer à la ville de Montauban à sa mort20.

  • 21 H. Lapauze, op. cit. note 14, p. 326.

9Les dons et contre-dons s’enchaînent, le maître ne voulant pas être en reste. C’est ainsi qu’en signe de gratitude l’année suivante, Ingres dessine à leur attention son autoportrait comme l’atteste la mention inscrite « Ingres à ses élèves, Rome 1835 » (fig. 2). Il confie à son ami Luigi Calamatta le soin de graver ce dessin, dont l’interprétation lithographique très fidèle sera largement diffusée à partir de 1839. Le premier tirage, destiné aux élèves d’Ingres, constitue un témoignage de l’affection du maître envers ses jeunes protégés restés à Paris. Manifeste du magistère d’Ingres et de sa relation avec ses élèves selon Lapauze, ce dernier déclare : « C’est le chef d’école qui donna à ses disciples les plus hauts exemples et qui leur imposa son enseignement intégral21. »

Figure 2.

Figure 2.

Ingres, Autoportrait à mi-corps dit aussi : « Autoportrait à l'âge de cinquante-cinq ans », 1834, 29,9 x 21,9 cm, mine de plomb, signé et dédicacé à la mine de plomb en bas au centre : Ingres / à Ses Elèves et localisé et daté à la mine de plomb en bas à droite : Rome 1835 ; n° d’inv. : RF 9. Paris, cabinet des dessins du musée du Louvre.

© GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) / Michel Urtado

  • 22 Monique David-Ménard, La Vie sociale des choses : l’animisme et les objets, Lormont, Le Bord de l’e (...)

10Accoudé et le poing sur la table, le regard pénétrant, Ingres cherche avec cette posture à façonner une image de lui-même empreinte d’autorité. L’œuvre se transforme alors en une sorte d’effigie, un objet à conserver, un mémento d’Ingres et de ses doctrines, une image éternelle du maître qui guide, qui veille et assure sa postérité. Cet acte d’échange entre maître et élèves, utilisé comme prétexte pour mettre en valeur les relations de prestige22, vient confirmer le statut social de chacun.

Le système de don, une tradition d’atelier

11Dans cette économie d’échange, l’intégration du portrait dissimulé du maître semble aussi participer de ce système. Pour exemple, Hippolyte Flandrin introduit discrètement le visage d’Ingres dans plusieurs de ses tableaux, en le représentant notamment sous les traits de saint Léon, dans l’une des frises de l’église de Saint-Vincent-de-Paul, gage de remerciement à son maître qui lui a permis d’obtenir cette commande. Il l’inclut à nouveau dans Saint-Louis faisant bénir l’oriflamme dans l’abbaye de Saint-Denis avant son départ pour la Terre sainte en 1248, dessin conservé à la manufacture de Sèvres. Ces images dissimulées sont autant de modalités de dons visant à consacrer le maître, lui rendre hommage et exprimer ainsi une forme de déférence.

  • 23 F. Waquet, op. cit. note 6, p. 249.

12Une tradition s’est donc forgée dans l’atelier grâce à ce système de don. En grand laboratoire d’échanges, l’atelier d’Ingres se voit envahi de munuscula, terme latin désignant des petits cadeaux spontanés exprimant « un sentiment retenu et discret de reconnaissance23 ». Ces objets peuvent prendre différentes formes, ce sont des tableaux, des dessins, des copies et ils portent chacun en eux la trace émotionnelle du donateur. Ils définissent les rapports entre individus, conditionnent leurs émotions et même le degré d’intimité entre eux.

  • 24 Victor Mottez, Portrait d’Ingres, vers 1858, huile sur panneau, 42,5 × 34 cm, Musée Rolin, Autun, S (...)

13Les nombreux portraits d’Ingres réalisés de son vivant ou de manière posthume par les élèves fournissent un autre exemple d’expressions du don. Derrière ces dédicaces au maître, c’est le désir de le célébrer, de conserver sa mémoire et de s’inscrire d’une certaine façon dans la filiation ingresque. Parmi cette profusion de portraits, aux intentions éminemment flatteuses, ceux réalisés par Victor Mottez, Henri Lehmann ou encore celui attribué à Paul Balze constituent des objets destinés à être gardés précieusement ou échangés au sein du cercle resserré, voire familial, des élèves de l’atelier : celui de Mottez provient de l’atelier d’Amaury-Duval et a été transmis à Eugène Froment, lui-même élève de ce dernier24.

  • 25 Hippolyte Flandrin, Copie d’une Ève, d’après Raphaël, huile sur toile, Montauban, musée Ingres Bour (...)
  • 26 Hippolyte Flandrin, La Guérison du possédé d’après Le Dominiquin, huile sur toile, 40 × 32 cm, Mont (...)
  • 27 Paris, Arch. Nat., MC/RS//253, 26 avril 1867, Inventaire après décès de Jean Auguste Dominique Ingr (...)
  • 28 G. Vigne, op. cit. note 15, p. 139.

14La collection d’œuvres et d’objets appartenant à Ingres révèle également des pièces, pour certaines offertes, qu’il a souhaité conserver. Pour beaucoup, ce sont des copies qui lui sont adressées et qu’il intègre à sa collection telle des archives des travaux de ses élèves favoris. Plusieurs sont de la main d’Hippolyte Flandrin dont la copie d’une Ève d’après Raphaël venant de la chambre de la Signature du Vatican25 ou encore celle d’après un fragment de La Guérison du possédé, fresque du Dominiquin à l’abbaye de Grottaferrata26. La place accordée aux objets dans l’espace révèle la valeur qui leur est attribuée. L’inventaire après-décès27 offre justement un moyen de visualiser les œuvres qu’Ingres détenait, notamment celles de ses élèves. En les disposant ainsi dans ses espaces privés, Ingres confère à ces œuvres une valeur affective et récapitulative. Ces objets détiennent un « droit de cité » dans sa chambre, dans son cabinet et évidemment dans son atelier28. De là, leurs auteurs acquièrent inévitablement un statut singulier, celui de favori et d’élu. Par cette présence « invisible », les frères Flandrin, Balze et Adolf Von Stürler ont le privilège de partager l’intimité d’Ingres, d’appartenir à son cadre quotidien. La filiation est évidente et ces derniers occupent pour toujours la place des préférés.

  • 29 Ils étaient les seuls à bénéficier du tutoiement d’Ingres. Ingres les connaissait depuis leur enfan (...)
  • 30 Charles Demolombe, Traité des successions, Paris, A. Durand, L. Hachette, 1867, p. 691. Cité dans M (...)
  • 31 M. David-Ménard, op. cit. note 22, p. 82.

15La continuité affective se mesure, en contrepartie, par les cadeaux offerts par Ingres à ceux qu’il estime grandement. La série de portraits dessinés de son entourage le plus proche, du cercle intime qu’il côtoie régulièrement, souligne cet attachement personnel. Preuve d’amitié mais aussi à nouveau preuve d’élection, l’absence de certains peut surprendre, à l’instar des frères Balze, pourtant considérés comme ses enfants adoptés29. Ces portraits échangés peuvent aussi constituer « des titres communs à toute l’hérédité30 », comme preuve de leur filiation. Ces divers portraits détiennent alors un « savoir inconscient des alliances » formées au sein de ce cercle intime31, les individus représentés mettant en lumière les réseaux de sociabilité créés au sein de cette sphère.

  • 32 Louis Flandrin, « Deux disciples d’Ingres : Paul et Raymond Balze », Gazette des Beaux-Arts, juille (...)

16Outre les portraits, Ingres offre des œuvres de sa main à certains de ses élèves. À titre d’exemples, il dédicace à Armand Cambon l’une des épreuves de La Naissance de la dernière des muses, comme marque de leur affinité singulière, et remet à Paul Chenavard une photographie de L’Âge d’or réalisée par Marville. Une confidence de Raymond Balze témoigne encore d’autres dons, les cadeaux fortuits du maître : « Il m’a souvent donné des toiles grises abandonnées, pour peindre. Mais connaissant sa disposition à cacher d’anciens ouvrages qui ne lui convenaient plus, j’ai découvert sous la couche de couleur grise […] l’ébauche très avancée d’une Vierge qu’il avait commencée pour l’Empereur de Russie avant celle à l’hostie32. »

  • 33 M. Charpy, op. cit. note 30, p. 482.
  • 34 Ibidem, p. 480.
  • 35 Testament Ingres 1866.
  • 36 Idem., Ibidem, p 488.

17Cette proximité émotionnelle entre maître et élèves génère un autre modèle de don, celui contenu dans les testaments. Comme le montre Manuel Charpy, les testaments donnent une place et une importance croissante aux objets dans la seconde moitié du xixe siècle33. Ces derniers cristallisent les sentiments, les désirs et ambitions que leurs donateurs éprouvent vis-à-vis de leurs nouveaux propriétaires. L’objet légué traduit une forme de passation du pouvoir et une injonction à être conservé en souvenir34. Dans son testament daté de 1866, Ingres lègue « comme souvenir d’amitié et d’estime35 » des œuvres aux frères Balze mais aussi à Armand Cambon, son exécuteur testamentaire, lui-même cousin éloigné du maître. Ingres lègue ainsi des dessins et copies de sa main, certaines d’après Raphaël, précieusement gardées durant toute sa vie, objets censés porter la marque de toute sa vénération pour le maître suprême et perpétuer ainsi sa mémoire. Forme d’écriture autobiographique, le testament devient par les objets qui y sont transmis une affirmation de soi. La « sentimentalisation36 » qui y est à l’œuvre traduit sans doute un désir de construire une famille. Ingres n’ayant pas de descendance voit sa mémoire en danger ; il ressent alors un besoin fort de transmettre matériellement son histoire et une culture familiale à ses élèves, qu’il considère comme ses « enfants ».

L’atelier, objet-lieu

  • 37 L’ensemble contenus en dehors du legs d’Ingres a été intégré aux collections grâce à l’habileté de (...)
  • 38 Dans ses Souvenirs, Amaury-Duval évoque quelques éléments matériels anecdotiques de l’atelier, nota (...)
  • 39 Pierre Wat, Portraits d’atelier. Un album de photographies fin de siècle, Paris, UGA Éditions, 2013 (...)
  • 40 Nathalie Heinich, « Les objets-personnes. Fétiches, reliques et œuvres d’art », dans Bernard Edelma (...)

18L’espace de l’atelier d’Ingres, où se déroule cette histoire matérielle et familiale, doit être envisagé à l’aune d’une réflexion sur ces objets offerts et transmis. À ce jour, aucune trace visuelle de l’atelier d’Ingres ne nous est parvenue, ni en peinture, ni même en gravure, empêchant toute tentative de reconstitution. Quelques rares photographies de tableaux du maître ont été prises dans l’atelier pour être utilisées en tant que reproduction, mais l’espace qui les entoure se réduit à peu37. Les traces écrites étant encore plus rares, elles n’apportent pas plus d’information sur les objets conservés in situ38. L’absence de traces visuelles de l’univers matériel de l’atelier, lieu où devait pourtant s’accumuler un ensemble d’objets, d’images et de récits, crée naturellement un mystère entourant cet espace qui se voit alors envahi d’une aura mythique. Comme l’a noté Pierre Wat, l’atelier reste « le lieu du secret, [où] l’intime se dérobe », c’est un « palais des illusions39. » En maître des lieux, Ingres a, durant toute sa vie, été hanté par sa gloire posthume et, par divers moyens, cherché à orchestrer sa postérité. Dès lors, le mythe fabriqué autour de lui et de son atelier résonne sur les objets qui y sont conservés, ces derniers endossant alors systématiquement une valeur mythique voire transcendante. Que nous n’ayons pas de trace visuelle de l’atelier avec les objets qui s’y trouvaient n’altère en aucune façon leur valeur mythique. Tout ce que le maître a touché, possédé et conservé bascule ainsi dans le régime de valeur de la relique40.

  • 41 I. Kopytoff, op. cit. note 4, p. 89-122.

19Or le lieu lui-même peut s’apparenter à un objet. Igor Kopytoff suggère qu’« en faisant la biographie d’un objet, on peut poser des questions similaires à celles qu’on pose au sujet des gens41 ». Il nous semble possible de faire la biographie d’un lieu selon le même modèle. Soumis à un cycle de vie similaire à celui d’un individu ou d’un objet, l’« objet-lieu » offre également le récit d’une vie affective.

20Dans son livre Ingres, sa vie et ses ouvrages, le biographe Charles Blanc évoque l’atelier d’Ingres et en fournit une description :

  • 42 Charles Blanc, Ingres, sa vie et ses ouvrages, Paris, Jules Renouard Éditeur, 1870, p. 90, 91.

« Sur la muraille opposée étaient suspendues dans leurs cadres deux grandes estampes de Volpato, d’après Raphaël, l’École d’Athènes et la Messe de Bolsène. On peut voir encore aujourd’hui les mêmes estampes à la même place qu’elles ornaient il y a quarante ans, car l’atelier d’Ingres est occupé maintenant par son ancien élève Chenavard, qui, en mémoire de sa jeunesse, a voulu décorer les murs de sa demeure des mêmes gravures dont les avaient décorés son maître. Les âmes fortes inspirent la religion du souvenir : les âmes délicates y sont fidèles42. »

21La correspondance entre Chenavard et Charles Blanc vient confirmer cette information :

  • 43 Marie-Antoinette Grunewald, Chenavard et son temps, Thèse de doctorat, Histoire de l’art, Paris, Pa (...)

« Je termine en ce moment mon volume sur Ingres, car je n’ai pas fait moins d’un petit volume. Dieu sait si vous m’avez manqué, vous qui en savez tant sur le sujet ! J’ai raconté mon séjour dans l’atelier que vous occupez, ou plutôt que vous n’occupez plus, rue des Marais-Saint-Germain, et plusieurs fois j’ai parlé de vous […]43. »

  • 44 Pierre Sanchez, Xavier Seydoux, Les Catalogues des Salons, Tome VI (1852-1857), Paris, Échelle de J (...)
  • 45 Plan, 1930, p. 161-164. Le 10 décembre, dans la lettre qu’il adresse à Constantin, Ingres précise q (...)

22À partir de 1853, Chenavard semble en effet résider au 3 rue des Beaux-Arts44, adresse qui selon Charles Blanc, correspond à une sortie de l’ancien atelier des élèves d’Ingres, situé au 11 rue des Marais-Saint-Germain45. Investir cet ancien atelier interroge ainsi les liens entretenus entre Chenavard et son ancien maître et en particulier avec le lieu dans lequel il a débuté sa formation d’artiste. Mais, outre cette indication essentielle, Charles Blanc insiste également sur la volonté de l’ancien élève de conserver inchangé, le lieu de son apprentissage. L’attachement profond de Chenavard pour cet espace apparaît dans une lettre à Charles Blanc :

  • 46 M.-A. Grunewald, op. cit. note 43, tome 3-3, Correspondance (lettres dans l’ordre chronologique), L (...)

« Je ne sais si je t’ai déjà annoncé que je suis sur le point de transborder mon bataclan dans la maison voisine qu’habite la jeune Berthe. C’est pour moi un atroce souci et aussi une vraie peine de quitter cet atelier où j’ai passé trente ans de ma vie46. »

  • 47 Stephanie Downes, Sally Holloway, Sarah Randle, Feeling Things: Objects and Emotions through Histor (...)
  • 48 M. Charpy, op. cit. note 30, p. 463.
  • 49 Jules et Edmond de Goncourt, Manette Salomon, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven, 1868, p. 193.
  • 50 Sur ces gravures, François-René Martin, Le jeune Ingres et Raphaël (1789-1820). Mythologies, Mémoir (...)

23Ce lieu devient plus que l’expression d’un souvenir, il est le point de départ d’une histoire personnelle. Lieu de sa formation, il convoque, comme le rappelle l’auteur, la « mémoire de sa jeunesse » et représente aussi un moment primordial de sa vie d’artiste, lié à un sentiment de nostalgie47. Si habiter dans cet atelier permet à Chenavard de construire « une expérience intime du temps48 », garder intacts les objets de l’atelier correspond aussi à la volonté de conserver, de contrôler une image d’authenticité du lieu et de le rendre incorruptible et perpétuel. En lieu dépositaire de la mémoire d’Ingres, il traverse le temps et devient une empreinte spatiale et temporelle. Paul Chenavard, à travers cette démarche, participe à la construction de la postérité de son maître en valorisant le lieu magnétique de la création, en l’érigeant comme monument mémorial à la gloire d’Ingres. L’ancien élève contribue, en cela, à la création d’un lieu de culte, d’un lieu de pèlerinage prenant la même valeur que l’objet-relique, et par extension, celle du reliquaire. Les Goncourt, qualifiaient l’atelier de Coriolis de « petit sanctuaire » et évoquaient le « recueillement »49 en ce lieu. Chenavard, de la même façon, désire sanctuariser cet espace devenu écrin précieux des fameuses gravures d’après Raphaël, les conservant religieusement50.

  • 51 Philippe Junod, Chemins de traverse. Essais sur l’histoire des arts, Gollion, Infolio, Collection A (...)
  • 52 Idem., Ibidem., p. 293.

24Reprenant l’idée récurrente au xixe siècle et dans la mythologie de l’atelier d’artiste que cet espace constitue le miroir de l’artiste, son autoportrait51, on saisit l’attachement sentimental de Chenavard à ce lieu, qui incarne le maître in abstentia, ombre invisible mais omniprésente, voire obsédante. Comme le rappelle Philippe Junod à l’égard des objets des ateliers, ils « sont chargés, par une sorte de délégation affective, de suggérer la présence hors champ ou symbolique de l’artiste52 ». Hommage certain au maître, ce geste d’investissement du lieu et de conservation de son état originel peut aussi souligner la volonté de Chenavard de tisser un lien avec son maître, de recréer une relation négligée, oubliée, perdue voire même inexistante.

  • 53 François Flahault, « L’artiste-créateur et le culte des restes. Un regard anthropologique sur l’art (...)

25Considéré comme élève dissident et n’ayant jamais gravité dans le cercle amical et intime d’Ingres, Chenavard apparaît presque, à travers ce récit, comme un élève pénitent, cherchant à s’inscrire dans la filiation ingresque a posteriori. En l’absence du maître, mais en propriétaire des lieux, il est dépositaire d’une puissance d’appropriation qui contribue à l’« actualisation de [son] être53 » favorisant le processus de construction d’une identité sociale et intime. L’investissement de Chenavard dans cet « objet-lieu », évocateur de l’enseignement d’Ingres, met assurément en évidence une filiation forcée et fantasmée de sa part. Ce paradoxe en est d’autant plus saisissant du fait qu’en tant qu’élève « hétérodoxe » et donc en périphérie, il choisit de se placer au centre, dans le foyer que représente l’atelier d’Ingres.

Le fauteuil du maître, un « objet de famille »

  • 54 Lyon, Bibliothèque municipale, fonds Étienne Charavay, Ms. CHARAVAY 336. Lettre publiée dans L’Univ (...)
  • 55 Ibid, p. 3

26Si un lieu comme l’atelier d’Ingres peut engendrer un tel paysage affectif et de telles perspectives dans la filiation entre maître et élèves, qu’en est-il des objets ayant appartenu à ce dernier ? C’est avec le récit de Claudius Lavergne sur l’histoire du fauteuil d’Ingres, qu’il est possible d’y répondre. Dans une lettre adressée à Jean-Marie Bonnassieux, publiée dans L’Univers en 188654, Claudius Lavergne évoquait le souvenir de son ancien condisciple de l’atelier d’Ingres, Michel Dumas. Vantant ses qualités humaines, il déclarait comment cet élève avait su plaire à Delphine Ramel, deuxième épouse d’Ingres, et comment en souvenir de son défunt mari, elle lui avait offert le grand fauteuil d’atelier du maître datant de 1820. L’anecdote se poursuit et délivre tout son intérêt : Dumas a « transmis [à son tour] le grand fauteuil d’atelier du maître55 » à son ami Lavergne. C’est par la nature même de la transaction que cet objet du quotidien a pris le statut d’objet sensoriel et mémoriel. Ce fauteuil incarne parfaitement les glissements de régime de valeur auxquels sont soumis les objets durant leur vie. Objet du quotidien, le fauteuil est passé du singulier à l’extraordinaire, en raison précisément de sa circulation dans un espace social et intime.

  • 56 Thierry Bonnot, L’Attachement aux choses, Paris, CNRS Éditions, coll. « Le passé recomposé », 2014, (...)
  • 57 Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, Presses Universitaires de France, 2016, p (...)

27Objet « en devenir56 », le fauteuil ne prend une existence sociale et symbolique qu’une fois qu’il est utilisé et qu’il s’inscrit dans l’Histoire. Par le changement de contexte auquel il est soumis, se réalise un principe de « réversibilité » de l’objet57, ce dernier remplissant désormais deux fonctions primordiales, utilitaire mais avant tout mémorielle.

28Le fauteuil devenu support de la mémoire est ainsi habité par la présence transcendante du maître disparu. À travers cet objet, le passé vient se greffer au présent et constitue alors le vestige d’un temps mais aussi d’un espace révolu, celui de l’atelier où il était disposé. Par un glissement métonymique, le fauteuil devient une réminiscence d’Ingres. Devenu précieux, il est transmis telle une relique. Cette transmission relève dès lors d’un devoir quasi filial car s’est construit un ensemble d’histoires personnelles autour de l’objet, renvoyant à des souvenirs liés à l’atelier, à la famille qu’il incarne. Le soin accordé par les propriétaires à la transaction met en lumière ce lien, animés par leur désir de définir leur identité et d’assurer la continuité de la descendance.

  • 58 M. Godelier, op. cit. note 5, p. 237.

29Le fauteuil acquiert alors la valeur d’un objet de « famille », celui transmis et circulant uniquement au sein du cercle des proches, préservant ainsi la mémoire familiale. En se référant à la distinction établie par Maurice Godelier, entre objets précieux et sacrés58, le fauteuil, bien que possédant les caractéristiques d’un objet précieux, revêt néanmoins le statut d’objet sacré. Élevé au rang de trésor familial, il a été spécifiquement donné et conservé dans la sphère familiale d’Ingres à cette intention.

Figure 3.

Figure 3.

Paul Flandrin (1811-1902), Ingres conversant avec Hippolyte et Paul Flandrin et Alexandre Desgoffe, plume et encre noire sur papier, folio 16 recto de l'album, H. : 7,8 cm ; L. : 17,2 cm, Lyon, musée des Beaux-Arts de Lyon.

© Lyon MBA – Photo Martial Couderette

  • 59 Henry Havard, L’Art dans la maison, grammaire de l’ameublement, Paris, Rouveyre, 1885, p. 130, cité (...)
  • 60 M. Charpy, op. cit. note 30, p. 209

30L’objet transmis est donc tout sauf ordinaire. Il est le fauteuil de l’atelier du maître, figure d’autorité, respectée et vénérée. Devenant objet métonymique du pater familias, le fauteuil véhicule l’image du trône et de la domination mais aussi celle du confort59. L’unique image connue à ce jour d’Ingres assis dans un fauteuil nous vient d’une caricature de Paul Flandrin dans laquelle le maître trône, entouré d’élèves (fig. 3). Le fauteuil représenté est un fauteuil dit « type voltaire » qui, selon Manuel Charpy, est symbole de stabilité et constitue « la place d’honneur, le poste autoritaire pour celui qui expose l’appareil de sa toute-puissance : l’âge, la position, le caractère et le goût60 ». Un univers du fauteuil infiniment riche existe chez Ingres, sa présence étant omniprésente dans ses œuvres. En tant que portraitiste, il use continuellement de cet objet dans ses toiles et lui attribue même un rôle visuel et narratif tout aussi essentiel que le modèle représenté.

  • 61 F. Flahault, op. cit. note 53, p. 22.
  • 62 Absence du fauteuil dans son testament et son inventaire après-décès.

31Objet rendu unique par son lien avec Ingres, le fauteuil est élevé au statut d’objet de dévotion et acquiert alors un prestige singulier. Doté d’une valeur symbolique nouvelle, le basculement de valeurs s’est inévitablement opéré. De l’« objet-relique » voire à l’« objet-relique de contact », le fauteuil correspond à « ce qui subsiste après la mort (donc un équivalent de l’âme) », « quelque chose qui a traversé l’épreuve de la destruction »61. Pour autant, on ne saurait trop insister sur la méconnaissance de cet épisode, et sur le destin ultérieur du fauteuil. Sa trace s’éteint avec son dernier propriétaire, Claudius Lavergne, aucun document n’attestant son existence postérieure62. L’incertitude concernant sa localisation pose nécessairement la question du renversement des valeurs de régime de l’objet et de sa trajectoire biographique : le fauteuil, au cours de sa transmission, a peut-être, par une série d’opérations effectuées par ses propriétaires, retrouvé sa valeur d’origine, celle d’un objet banal et fonctionnel, un objet utilitaire parmi d’autres.

La main comme empreinte

32Parmi les nombreux objets insolites conservés dans les collections du musée de Montauban, on trouve deux curieux exemplaires du moulage sur nature de la main droite d’Ingres, l’un en plâtre patiné, la main tenant un stylet, l’autre également en plâtre mais sans son instrument (fig. 4 et 5). Le dessin en train d’être tracé sur le socle reproduit le profil de Mme Guyet-Desfontaines, sœur d’Amaury-Duval. Identifié comme un objet singulier, à la fois étrange et pourtant familier par ce qu’il représente, ce moulage ne constitue ni un objet du quotidien, ni une œuvre d’art en soi. Soulevant plusieurs questions relatives au régime de valeur auquel il appartient, il interroge également le modèle de don auquel il est soumis. Sa date de création, le nom de celui qui l’a réalisé, les raisons de sa conception, tout comme les individus l’ayant possédé forment autant d’indices pour mieux concevoir l’univers affectif entourant cet objet.

  • 63 Daniel Ternois, Ingres. Lettres 1841-1867. De L’âge d’or à Homère déifié, 2 vol., éd. D. Ternois, p (...)
  • 64 Idem., Lettres d’Ingres à Gilibert, éd. D. et Marie-Jeanne Ternois, Paris, Honoré Champion, 2005 [I (...)
  • 65 J.-A.-D. Ingres, Portrait de Mme Guyet-Desfontaines, mine de plomb, rehauts de craie blanche, sur p (...)

33Portant la signature « E. G. fecit 1841 » sur le socle, le plâtre a certainement été réalisé par Édouard Gatteaux, graveur, sculpteur de médaille et ami intime d’Ingres. En fidèle défenseur du maître, Gatteaux est l’un de ses principaux confidents œuvrant pour le bien-être et le succès de son ami, preuve en est sa fonction de fondé de pouvoir et par la suite d’exécuteur testamentaire, avec Cambon. La date inscrite évoque le retour d’Ingres à Paris à la fin de son directorat à la Villa Médicis. À cette date, Gatteaux et Marcotte échangent au sujet du moral de leur ami qui traverse des moments difficiles avec les membres de l’Académie63 et qui se voit plus particulièrement sollicité pour ses talents de portraitiste. Désillusion et abattement marquent à cette époque le moral d’Ingres qui n’aspire qu’à devenir peintre d’histoire, alors même que l’année 1841 coïncide de fait avec l’acmé de sa réussite sociale et académique. La réalisation du plâtre peut alors s’interpréter comme une orchestration affective de la part de Gatteaux, un moyen de donner à son ami réconfort et soutien par le biais d’un objet symbolique. Par une action similaire visant à le distraire du chagrin causé par le décès de Madeleine Chapelle, première épouse d’Ingres, Gatteaux est aussi à l’origine de la publication en 1851 des Œuvres de J.-A.-D. Ingres gravées au trait sur acier par Achille Réveil 1800-185064. Toutefois, une commande est probablement à l’origine du plâtre comme le suggère le profil esquissé de Mme Guyet-Desfontaines sur le socle, Ingres ayant été sollicité la même année pour réaliser son portrait65. Si l’objet provient bien d’une commande, sa signification est alors tout autre, sa valeur étant notamment déterminée par le commanditaire même. L’objet devient alors pour son propriétaire, une sorte de trophée, un objet précieux et symbolique tel un trésor. Transformé en curiosité par sa nature, il est destiné à être disposé dans une vitrine et entre ainsi dans une catégorie d’objets insolites et étranges comme il y en a tant chez les collectionneurs.

34Quel que soit l’origine du plâtre, seule une petite édition a été réalisée, comme en témoigne la présence limitée de répliques dans les collections françaises, d’Autun, de Bayonne et de Lille. Le nombre restreint de pièces connues suggère une production vraisemblablement réservée aux proches d’Ingres, élite privilégiée. Créant un effet de rareté, l’objet devient alors objet de convoitise rappelant en cela la tension constante entre l’unique et le multiple. Dès lors, cet objet correspond à un multiple individualisé précisément par sa dévolution qui prend toute sa valeur dès que sont compris les affects de ceux qui le désirent, le manipulent et se l’approprient.

  • 66 Cat. exp., À fleur de peau : le moulage sur nature au xixe siècle, sous la direction d’Édouard Pape (...)
  • 67 Moulage de la main droite de Victor Hugo, 1877, tirage positif en plâtre patiné, 24,5 × 14 × 6,5 cm (...)
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  • 72 G. Didi-Huberman, op. cit. note 70, p. 27.
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  • 75 Autun, musée Rolin ; Bayonne, musée Bonnat ; Un exemplaire était détenu par Degas selon Pierre Caba (...)

35Issu d’une tradition funéraire ancestrale, le moulage sur nature de visage et de main devient une pratique courante au xixe siècle pour célébrer les Grands Hommes66, tels Victor Hugo, Jean-Léon Gérôme ou encore George Sand67 ; cette manie68 résonne assurément avec l’évolution du statut de l’artiste à cette époque69. Le moulage de la main d’Ingres, réalisé en pleine maturité, ne s’inscrit toutefois pas dans la dimension funéraire à laquelle il est habituellement associé70. Au contraire, ce plâtre réalisé au sommet de sa gloire acte finalement, par sa reproductibilité, le désir de postérité mais surtout celui de contrôler son image dès son vivant. Ingres, en acceptant de réaliser ce moulage, est conscient de la fragilité de sa mémoire et s’attache avec crainte à la préservation de son propre souvenir, une préoccupation d’ailleurs partagée chez les artistes de l’époque. Cet objet devient pour lui l’outil d’une autobiographie réflexive71, un objet pivot pour son introspection. En écho à la définition donnée par Georges Didi-Huberman72, ce plâtre est bel et bien une empreinte laissée par Ingres, une trace matérielle censée sécuriser son souvenir et l’inscrire dans une histoire éternelle. Véritable memorabilia, cette main remplit un devoir de mémoire abolissant les frontières temporelles, oscillant entre le temps présent et celui déjà vécu. Fort de cette puissance évocatrice, l’objet est investi de souvenirs dépassant sa simple présence73, convoquant alors un ensemble d’émotions et de sentiments ressentis à son contact. Posséder un tel objet prend ainsi une valeur inestimable, donnant au propriétaire un moyen puissant d’établir un lien avec le maître, de s’approprier son souvenir, sa présence. Ce moulage se voit investi d’un lien inaliénable au maître74. Parmi les exemplaires connus, certains ont appartenu à Amaury-Duval, à Léon Bonnat mais aussi à Edgar Degas75, la main devenant support d’expression de la filiation.

Figure 4.

Figure 4.

Édouard Gatteaux (Paris, 1788-1881), Moulage de la main droite de Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1841, moulage en plâtre patiné, H. cm : 11 ; L. cm : 21 ; Profondeur cm : 15 cm, Montauban, musée Ingres Bourdelle, MI.2008.0.896. Exemplaire réputé être celui provenant de la collection Ingres, sans savoir s’il a intégré les collections au moment du legs, en 1867, ou en moment du don de sa veuve, en 1886.

© Tous droits réservés

  • 76 N. Heinich, op. cit. note 40, p. 103.
  • 77 Idem., ibid., p. 103.
  • 78 Henri Focillon, Vie des formes ; suivi de Éloge de la main, Vie des formes, Paris, Quadrige. Presse (...)
  • 79 Hélène Marraud, Barbara Musetti, Rodin : la main révèle l’homme, Paris, Éditions du musée Rodin, 20 (...)

36Simple fragment du corps à son commencement, la main fonctionne comme réminiscence du corps absent, une copie troublante de la réalité. Comme élément tangible et autonome, cette empreinte incarne le continuum de vie d’Ingres. Elle fournit à son propriétaire la présence constante et rassurante du maître et son statut change, passant du régime de valeur de la relique à celui de fétiche76. Investi d’un pouvoir mystérieux allant au-delà de la filiation, la main représente en effet la renommée d’Ingres, son génie créateur. C’est ce pouvoir que lui attribue son propriétaire et auquel il croit, qui confère à cette main le statut d’objet fétiche77. Support de mémoire de la doctrine ingresque, guide et même porte-bonheur pour son propriétaire, elle se substitue finalement à son enseignement et devient un objet nécessaire et inhérent à la création. Représentée tenant un stylet, médium privilégié du maître, la main est en train de dessiner. Dans un geste immuable et permanent de la création, le génie créateur est présenté à l’œuvre. L’association entre la main et l’instrument résonne en particulier avec le lien qualifié d’amical par Focillon entre la main et l’outil78, l’outil devenant une part inhérente de l’identité du maître. Ce choix de représenter l’acte créateur renvoie une image délibérée d’Ingres en démiurge, doué d’une puissance créative et divine. La main, synthèse de l’image d’Ingres devient une « synecdoque corporelle79 », un autoportrait symbolique qui doit perdurer et exprimer l’irréductibilité du maître.

Figure 5.

Figure 5.

Édouard Gatteaux, Moulage de la main droite de Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1841, Palais des Beaux-Arts de Lille. Exemplaire de la main droite sans stylet, en plâtre, dont la provenance supposée est la collection Gatteaux.

© Palais des Beaux-Arts de Lille / Cliché Ph. Bernard

  • 80 Jean Baudrillard, Le Système des objets. La consommation des signes, « Le système marginal : la col (...)
  • 81 France Nerlich, « La transfiguration de Raphaël. L’année 1833 », Studiolo, Revue de l’Académie de F (...)

37Le fait qu’Ingres ait choisi de conserver cette main tout au long de sa vie avant de la léguer à son musée, révèle l’importance et l’attachement émotionnel singulier qu’il vouait à son univers matériel. L’amour d’Ingres pour les objets s’est manifesté par un besoin quasi maniaque de collecte allant bien au-delà de l’amour des objets qu’il avait en tant que créateur. Comme une « écriture de soi80 », l’importante collection constituée offre un aperçu tangible de ses goûts et de son univers intime. Dès son premier voyage en Italie, Ingres accumule une collection riche d’objets à la fois de délectation mais aussi d’objets de « savoir » qui dépassent la simple curiosité antiquaire et alimentent son « magasin » visuel, mental et matériel dans lequel il puise à l’infini. En véritable fétichiste à l’égard de certains objets, Ingres s’est même procuré, vers 1833, les restes de Raphaël qu’il conservait religieusement dans un reliquaire81. Cette dévotion extrême, reflet des valeurs et des affects qu’il attribue aux objets, s’est semble-t-il transmise à ses élèves, tel un enseignement essentiel à poursuivre. Une part de l’univers affectif d’Ingres ne peut ainsi se comprendre sans l’étude des objets présents dans l’espace de l’atelier. Les objets y sont médiateurs et traducteurs d’émotions propres aux relations sociales et intimes qui s’y déroulent et les quelques exemples analysés permettent d’envisager tant la diversité que la persistance des modes d’échanges entre ces individus. L’histoire matérielle ici abordée a ainsi l’ambition d’enrichir d’une nouvelle facette l’étude de la filiation entre Ingres et ses élèves.

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Notes

1 Marcel Mauss, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’année sociologique, t. 1, 1923-1924, p. 30-186, Presses universitaires de France, Quadrige. Grands Textes, réed. 2007, 248 p.

2 Claude Lévi-Strauss, Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, Paris, Presses universitaires de France, Quadrige. Grands textes, 1950, 56 p.

3 Bruno Karsenti, L’Homme total. Sociologie, anthropologie et philosophie chez Marcel Mauss, Paris, Presses universitaires de France, Quadrige. Grands textes, 1997, p. 347.

4 Igor Kopytoff, « Pour une biographie culturelle des choses : la marchandisation en tant que processus », dans Arjun Appadurai, La Vie sociale des choses. Les marchandises dans une perspective culturelle, trad. de l’anglais par Nadège Dulot, 1986, Dijon, Les Presses du Réel, Œuvres en sociétés, 2020, p. 95.

5 Maurice Godelier, L’Énigme du don, Paris, Fayard, 1996, p. 21.

6 Françoise Waquet, Les Enfants de Socrate : filiation intellectuelle et transmission du savoir, xviie-xxie siècle, Paris, Albin Michel, Bibliothèque Histoire, 2008, p. 245. Voir Nathalie Zemon Davis, Essai sur le don dans la France du xvie siècle, Paris, Le Seuil, 2003, p. 77, 78, trad. de l’anglais par Denis Trierweiler, 2000, p. 19.

7 Évangile, Matthieu, X, 8.

8 M. Godelier, op. cit. note 5, p. 21.

9 Florence Magnot-Ogilvy « L’économie de l’amitié dans la seconde partie des Confessions de J.-J. Rousseau : étude d’un dysfonctionnement du système du don », Revue d’histoire littéraire de la France, vol. 105, no 2, 2005, p. 353-368.

10 M. Godelier, op. cit. note 5, p. 22.

11 « Intérieur », Le Constitutionnel, no 333, 30 novembre 1834, p. 3.

12 Valbert Chevillard, Un peintre romantique : Théodore Chassériau (avec une eau-forte de Braquemond), Paris, Alphonse Lemerre, 1893, p. 13.

13 Le Constitutionnel, le 30 novembre 1834, op. cit. note 11, p. 3. Puis texte repris dans Le Moniteur, 2 déc., p. 2143 ; Journal des artistes, 7 déc. 1834, p. 367 ; L’Artiste, 7 déc. t. VIII, 19e livr., p. 222.

14 Henry Lapauze, Ingres, sa vie et son œuvre (1780-1867). D’après des documents inédits, Imprimerie Georges Petit, 1911, p. 323.

15 Georges Vigne, Collections du Musée Ingres. II, Ingres : autour des peintures du musée de Montauban, Montauban, Musée Ingres, Ville de Montauban, 2007, p. 145.

16 Anne Dion-Tenenbaum, Audrey Gay-Mazuel, Revivals, L’historicisme dans les arts décoratifs français au xixe siècle, Paris, Musée des arts décoratifs, Louvre éditions, 2020 p. 39.

17 Je remercie Anaïs Alchus, conservatrice du patrimoine Arts décoratifs au Musée d’Orsay, pour ses précieuses informations.

18 Cat. exp., Les élèves d’Ingres, sous la dir. Georges Vigne, Montauban, Musée Ingres, 8 octobre 1999-2 janvier 2000 ; Besançon, Musée des beaux-arts et d’archéologie, 29 janvier-8 mai 2000, Montauban, Musée Ingres, Impr. Ateliers du Moustier, p. 10.

19 I. Kopytoff, op. cit. note 4, p. 95

20 Paris, Arch. Nat., MC/ET/XCVII/960, 28 août 1866, Dépôt judiciaire du testament olographe de Jean Auguste Dominique Ingres, fait à Meung-sur-Loire du 28 août 1866, à la suite de son décès survenu en son domicile au 11 quai Voltaire le 14 janvier 1867.

21 H. Lapauze, op. cit. note 14, p. 326.

22 Monique David-Ménard, La Vie sociale des choses : l’animisme et les objets, Lormont, Le Bord de l’eau, 2020, p. 42.

23 F. Waquet, op. cit. note 6, p. 249.

24 Victor Mottez, Portrait d’Ingres, vers 1858, huile sur panneau, 42,5 × 34 cm, Musée Rolin, Autun, S.E. 3.

25 Hippolyte Flandrin, Copie d’une Ève, d’après Raphaël, huile sur toile, Montauban, musée Ingres Bourdelle, inv. 867,86  ; don Ingres 1851.

26 Hippolyte Flandrin, La Guérison du possédé d’après Le Dominiquin, huile sur toile, 40 × 32 cm, Montauban, musée Ingres Bourdelle, Inv. 867, 87 ; legs Ingres 1867.

27 Paris, Arch. Nat., MC/RS//253, 26 avril 1867, Inventaire après décès de Jean Auguste Dominique Ingres dressé entre le 26 avril 1867 et le 12 juin 1868, dans sa maison située au 11 quai Voltaire, où le défunt est mort le 14 janvier 1867, à la requête de sa veuve, Delphine Ramel, en présence de Jacques Édouard Gatteaux, graveur de médailles demeurant au 41 rue de Lille, exécuteur testamentaire du défunt.

28 G. Vigne, op. cit. note 15, p. 139.

29 Ils étaient les seuls à bénéficier du tutoiement d’Ingres. Ingres les connaissait depuis leur enfance par le biais de leur père Joseph Balze.

30 Charles Demolombe, Traité des successions, Paris, A. Durand, L. Hachette, 1867, p. 691. Cité dans Manuel Charpy, Le théâtre des objets. Espaces privés, culture matérielle et identité sociale. Paris, 1830-1914, thèse de doctorat, Histoire, sous la dir. Jean-Luc Pinol, Université de Tours, p. 488.

31 M. David-Ménard, op. cit. note 22, p. 82.

32 Louis Flandrin, « Deux disciples d’Ingres : Paul et Raymond Balze », Gazette des Beaux-Arts, juillet-septembre, t. VI, 1911, p. 154.

33 M. Charpy, op. cit. note 30, p. 482.

34 Ibidem, p. 480.

35 Testament Ingres 1866.

36 Idem., Ibidem, p 488.

37 L’ensemble contenus en dehors du legs d’Ingres a été intégré aux collections grâce à l’habileté de Cambon, l’essentiel de l’atelier étant resté dans les mains de Delphine Ramel. Vigne, coll. Musée Montauban, 2007, p. 104.

38 Dans ses Souvenirs, Amaury-Duval évoque quelques éléments matériels anecdotiques de l’atelier, notamment l’histoire du squelette. Il n’apporte pas plus de précisions.

39 Pierre Wat, Portraits d’atelier. Un album de photographies fin de siècle, Paris, UGA Éditions, 2013, p. 9.

40 Nathalie Heinich, « Les objets-personnes. Fétiches, reliques et œuvres d’art », dans Bernard Edelman, Nathalie Heinich, L’Art en conflits. L’œuvre de l’esprit entre droit et sociologie, Paris, La Découverte, Armillaire, 2002, 102-134.

41 I. Kopytoff, op. cit. note 4, p. 89-122.

42 Charles Blanc, Ingres, sa vie et ses ouvrages, Paris, Jules Renouard Éditeur, 1870, p. 90, 91.

43 Marie-Antoinette Grunewald, Chenavard et son temps, Thèse de doctorat, Histoire de l’art, Paris, Paris IV, tome 3-2, 1983, p. 216. Lettre du 16 juillet 1868, Charles Blanc à Paul Chenavard, Bib. Mun., Fonds Chenavard 5412.

44 Pierre Sanchez, Xavier Seydoux, Les Catalogues des Salons, Tome VI (1852-1857), Paris, Échelle de Jacob.

45 Plan, 1930, p. 161-164. Le 10 décembre, dans la lettre qu’il adresse à Constantin, Ingres précise qu’il habite passage Sainte-Marie, no 11.

46 M.-A. Grunewald, op. cit. note 43, tome 3-3, Correspondance (lettres dans l’ordre chronologique), Lettre de Paul Chenavard à Joseph Guichard, Collection de M. le Sénateur R. Chazelle, s. d. [14 juillet 1875], p. 400, 401.

47 Stephanie Downes, Sally Holloway, Sarah Randle, Feeling Things: Objects and Emotions through History, Oxford, Oxford University Press, 2018. p. 240.

48 M. Charpy, op. cit. note 30, p. 463.

49 Jules et Edmond de Goncourt, Manette Salomon, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven, 1868, p. 193.

50 Sur ces gravures, François-René Martin, Le jeune Ingres et Raphaël (1789-1820). Mythologies, Mémoire inédit, thèse d’habilitation à diriger des recherches, t. I, vol. 1, p. 103.

51 Philippe Junod, Chemins de traverse. Essais sur l’histoire des arts, Gollion, Infolio, Collection Archigraphy. Témoignages, p. 287.

52 Idem., Ibidem., p. 293.

53 François Flahault, « L’artiste-créateur et le culte des restes. Un regard anthropologique sur l’art contemporain », Communications, no 64, 1997, p. 15-53, p. 29.

54 Lyon, Bibliothèque municipale, fonds Étienne Charavay, Ms. CHARAVAY 336. Lettre publiée dans L’Univers, 30 août 1886, p. 3.

55 Ibid, p. 3

56 Thierry Bonnot, L’Attachement aux choses, Paris, CNRS Éditions, coll. « Le passé recomposé », 2014, p. 10.

57 Serge Tisseron, Comment l’esprit vient aux objets, Paris, Presses Universitaires de France, 2016, p. 63.

58 M. Godelier, op. cit. note 5, p. 237.

59 Henry Havard, L’Art dans la maison, grammaire de l’ameublement, Paris, Rouveyre, 1885, p. 130, cité dans M. Charpy, op. cit. note 30, p. 209.

60 M. Charpy, op. cit. note 30, p. 209

61 F. Flahault, op. cit. note 53, p. 22.

62 Absence du fauteuil dans son testament et son inventaire après-décès.

63 Daniel Ternois, Ingres. Lettres 1841-1867. De L’âge d’or à Homère déifié, 2 vol., éd. D. Ternois, préface de Stéphane Guégan, Paris, Honoré Champion, 2016, p. 86.

64 Idem., Lettres d’Ingres à Gilibert, éd. D. et Marie-Jeanne Ternois, Paris, Honoré Champion, 2005 [Ingres-Gilibert 2005]. Lettre d’Ingres à Pauline Gilibert, Lettre no 69, Paris, 26 septembre 1850, note no 5, p. 378.

65 J.-A.-D. Ingres, Portrait de Mme Guyet-Desfontaines, mine de plomb, rehauts de craie blanche, sur papier jaunâtre, 22,1 × 16,6 cm, Bayonne, musée Bonnat. Un échange entre eux est connu grâce à une lettre datée du 18 octobre 1841 dans laquelle il répond à son invitation.

66 Cat. exp., À fleur de peau : le moulage sur nature au xixe siècle, sous la direction d’Édouard Papet, Paris, Musée d’Orsay, 29 octobre 2001-27 janvier 2002 ; Leeds, Henry Moore Institute, 16 février-19 mai 2002 ; Hambourg, Hamburger Kunsthalle, 14 juin-1er septembre 2002 ; Ligornetto, Museo Vela, Office fédéral de la Culture, 14 septembre-17 novembre 2002, Paris, Réunion des musées nationaux, 2001.

67 Moulage de la main droite de Victor Hugo, 1877, tirage positif en plâtre patiné, 24,5 × 14 × 6,5 cm, Paris, musée Carnavalet, S574 et S3618 ; Épreuve en plâtre patiné, 95 × 24 × 12,5 cm signé à la coupure du poignet, J. L. G 1903, Vésoul, musée de Vésoul, 002. II ; Main droite de George Sand, 1847, Auguste Clésinger, 12 × 46,5 × 12 cm, Paris, musée de la Vie Romantique, MVRD89.177.

68 Ce type de production n’est pas dissociable de la « statuomanie » dont parle Maurice Agulhon dans Maurice Agulhon, « La statuomanie » et l’histoire », Ethnologie française, vol. 8, no 2/3, 1978, p. 145-172.

69 N. Heinich, L’Élite artiste : excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Gallimard, Folio Essais, 2018, 501 p. ; F.-R. Martin, « Heur et malheur de l’artiste. Problèmes de souveraineté dans la représentation des vies d’artistes (1780-1820) », Romantismes, vol. 169, no 3, 2015, p. 33-42.

70 Georges Didi-Huberman, La Ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte, Paris, Éditions de Minuit, Collection Paradoxes, 2008, p. 116-118.

71 Janet Hoskins, Biographical Objects. How Things Tell the Stories of Peoples’ Lives, New York, Routledge, 1998, 224 p.

72 G. Didi-Huberman, op. cit. note 70, p. 27.

73 Pablo Cuartas, « Les objets de mémoire ou la ruine au quotidien », Sociétés, vol. 2, n120, 2013, p. 35-47, p. 37.

74 Annette B. Weiner, Inalienable Possessions. The Paradox of keeping-While-Giving, Berkeley, Los Angeles, Oxford, University Press of California Press, 1992, XIII-232 p.

75 Autun, musée Rolin ; Bayonne, musée Bonnat ; Un exemplaire était détenu par Degas selon Pierre Cabane, Monsieur Ingres, Paris, Jean-Claude Lattès, 1989, p. 295.

76 N. Heinich, op. cit. note 40, p. 103.

77 Idem., ibid., p. 103.

78 Henri Focillon, Vie des formes ; suivi de Éloge de la main, Vie des formes, Paris, Quadrige. Presses universitaires de France, 1934, p. 8.

79 Hélène Marraud, Barbara Musetti, Rodin : la main révèle l’homme, Paris, Éditions du musée Rodin, 2005.

80 Jean Baudrillard, Le Système des objets. La consommation des signes, « Le système marginal : la collection », p. 120-150, Paris, Gallimard, 1968, p. 79.

81 France Nerlich, « La transfiguration de Raphaël. L’année 1833 », Studiolo, Revue de l’Académie de France à Rome, no 17, 2021, p. 66-81.

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Table des illustrations

Titre Figure 1.
Légende Coupe des élèves, 1834, cuivre damasquiné, 10,7 x 17 x 11,5 ; socle : 3,5 x 12 x 12 cm, Insc. : Poussin, Raphaël, Michel-Ange, AJ. Ingres ses élèves reconnaissants ; no d’inv. : en cours d’inventaire, Montauban, musée Ingres-Bourdelle.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/32292/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 53k
Titre Figure 2.
Légende Ingres, Autoportrait à mi-corps dit aussi : « Autoportrait à l'âge de cinquante-cinq ans », 1834, 29,9 x 21,9 cm, mine de plomb, signé et dédicacé à la mine de plomb en bas au centre : Ingres / à Ses Elèves et localisé et daté à la mine de plomb en bas à droite : Rome 1835 ; n° d’inv. : RF 9. Paris, cabinet des dessins du musée du Louvre.
Crédits © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) / Michel Urtado
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/32292/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 413k
Titre Figure 3.
Légende Paul Flandrin (1811-1902), Ingres conversant avec Hippolyte et Paul Flandrin et Alexandre Desgoffe, plume et encre noire sur papier, folio 16 recto de l'album, H. : 7,8 cm ; L. : 17,2 cm, Lyon, musée des Beaux-Arts de Lyon.
Crédits © Lyon MBA – Photo Martial Couderette
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/32292/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 31k
Titre Figure 4.
Légende Édouard Gatteaux (Paris, 1788-1881), Moulage de la main droite de Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1841, moulage en plâtre patiné, H. cm : 11 ; L. cm : 21 ; Profondeur cm : 15 cm, Montauban, musée Ingres Bourdelle, MI.2008.0.896. Exemplaire réputé être celui provenant de la collection Ingres, sans savoir s’il a intégré les collections au moment du legs, en 1867, ou en moment du don de sa veuve, en 1886.
Crédits © Tous droits réservés
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/32292/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 67k
Titre Figure 5.
Légende Édouard Gatteaux, Moulage de la main droite de Jean-Auguste-Dominique Ingres, 1841, Palais des Beaux-Arts de Lille. Exemplaire de la main droite sans stylet, en plâtre, dont la provenance supposée est la collection Gatteaux.
Crédits © Palais des Beaux-Arts de Lille / Cliché Ph. Bernard
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/32292/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 29k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Clara Lespessailles, « La vie affective des objets. Sur quelques reliques de l’atelier d’Ingres »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 22 | 2024, mis en ligne le 23 juin 2024, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/32292 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11w6s

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Auteur

Clara Lespessailles

Clara Lespessailles est doctorante à l’École du Louvre et à l’EPHE sous la direction de François-René Martin et d’Isabelle Saint-Martin ; sa thèse a pour sujet : Les primitivismes chez les élèves d’Ingres, entre 1830 et 1860. Des histoires artistiques et affectives italiennes. En explorant à la fois les enjeux de réception, d’appropriation et de transfert artistique que suscite l’art des Primitifs chez ce groupe d’artistes, elle interroge les relations artistiques, sociales mais aussi affectives au sein de l’atelier d’Ingres et vise à améliorer la compréhension du concept plurivoque de « primitivisme » à cette période. Soutenue par la Bourse de la Fondation Étrillard depuis 2021, son travail a été récompensé par un séjour d’études à la Villa Médicis (Bourse Daniel Arasse). Elle est aussi parallèlement à sa thèse, assistante scientifique aux Beaux-Arts de Paris, pour un projet de constitution d’archives orales sur l’histoire des pratiques pédagogiques au sein de l’École des Beaux-arts. Enfin, elle assure depuis 2020 les cours de spécialité « Arts du xixe-début xxe siècle » à l’École du Louvre.
Clara Lespessailles is a doctoral student at the École du Louvre and the EPHE under the supervision of François-René Martin and Isabelle Saint-Martin Primitives among this group of artists, she examines the artistic, social and emotional relationships within Ingres’ studio, and aims to improve our understanding of the ambiguous concept of ‘primitivism’ in this period. Winner of the Fondation Étrillard research grant in 2021, she is also working on her thesis as a curatorial assistant at the École des Beaux-Arts de Paris, on a project compiling oral archives on the history of teaching practices at the École des Beaux-Arts. Since 2020 she has been teaching courses in “nineteenth- and early twentieth-century art” at the École du Louvre.

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