D’un antipode à l’autre, trajectoire de trois sculptures architecturales kanak
Résumés
Cet article s’attache à retracer la provenance et la destinée de trois éléments d’architecture kanak, collectés par le pasteur Rey Lescure en 1931-1932 sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie, pour le compte du Musée d’ethnographie du Trocadéro (MET) à la demande de Paul Rivet et Georges-Henri Rivière, alors à la tête du musée. Ils y acquirent le statut « d’objets-témoins » avant que le responsable des collections océaniennes, Charles van den Broek, décide de les utiliser comme monnaie d’échange en 1938-1939, au moment où le MET devient Musée de l’Homme. Il convient avec Serge Brignoni, un artiste surréaliste suisse installé à Paris, de les lui céder avec une autre sculpture contre six objets mélanésiens. Les sculptures kanak, qui intéressent leur nouveau propriétaire surtout pour leur valeur esthétique, intègrent alors une importante collection « d’art nègre ». Aujourd’hui conservées au Museo delle Culture Extraeuropee qui abrite la collection de l’artiste à Lugano en Suisse, elles retrouvent finalement un écrin muséal. À travers la biographie singulière de ces objets, nous analyserons les changements de statut des œuvres et les intérêts différents qu’elles suscitent au fil du temps, depuis leur création en Nouvelle-Calédonie jusqu’à leur exposition à Lugano en passant par Paris.
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Mots-clés :
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- 1 Courrier électronique de Günther Giovannoni, conservateur au Museo delle Culture de Lugano, à Marie (...)
- 2 Cet article s’inscrit dans la continuité de notre mémoire de recherche de l’École du Louvre, qui s’ (...)
1Retracer la provenance et l’histoire des objets de musée amène parfois à mettre au jour des destinées peu communes. C’est le cas de trois sculptures architecturales kanak (fig. 1) collectées par Philippe Rey Lescure (1897-1978) en Nouvelle-Calédonie pour le compte du Musée d’Ethnographie du Trocadéro (MET). Entrées dans les collections nationales françaises en 1932, elles se retrouvent pourtant aujourd’hui dans les collections du Museo delle Culture (MUSEC) de Lugano. Arrivées sans aucune documentation, leur lien avec le MET et la mission Rey Lescure était totalement ignoré des responsables scientifiques du MUSEC1. Après un conséquent travail en archives publiques et privées, il nous a donc semblé important de retracer ici leur trajectoire2.
2Au fil de la biographie singulière de ces œuvres, nous tenterons de préciser les grands moments de leur existence et de saisir les différents désirs qu’elles ont pu éveiller chez chacun de leurs propriétaires. Cette étude de cas permet par ailleurs de percevoir l’intérêt croissant suscité par la sculpture kanak durant l’entre-deux-guerres et la concurrence qui existait à cette époque, aussi bien sur le terrain que sur le marché de l’art, pour en acquérir.
Figure 1.
Anonymes, Sculptures architecturales kanak, fin XIXe-début XXe siècle, bois de houp peint, H : 129 cm, 242 cm et 129 cm, Lugano, MUSEC-Museo delle Culture de Lugano, n° d’inventaire Oc.Mel.7.006, Oc.Mel.7.007, Oc.Mel.7.008.
© FCM/MUSEC, Lugano. The Brignoni Collection
Création et usage kanak (tournant du XXe siècle – 1931-1932)
- 3 Francesco Paolo Campione (éd.), La Collezione Brignoni, Milan, edizioni Mazzotta, 2007, vol. 2, p. (...)
3Les trois œuvres dont il est question voient le jour en Kanaky-Nouvelle-Calédonie, probablement à la fin du XIXe siècle ou au début du XXe siècle, période à laquelle les Grandes cases traditionnelles qu’elles ornent cessent progressivement d’être produites. Il s’agit plus précisément d’une applique latérale de porte (inv. Oc.Mel.7.006), d’une flèche faîtière quasiment complète (inv. Oc.Mel.7.007) et d’une autre plus lacunaire (inv. Oc.Mel.7.008). Elles sont sculptées chacune dans un seul morceau de bois, identifié dans le catalogue de la collection du MUSEC comme du bois de houp (Montrouziera cauliflora)3, essence la plus utilisée traditionnellement. Leur surface a été recouverte, de manière plus ou moins étendue selon la sculpture, de pigments ocres rouges et noirs.
4L’applique de porte ressemble à une planche sculptée en léger relief mesurant environ 1,30 m de haut pour 50 cm de large. Dans son tiers supérieur, un visage se détache, tandis que le reste de sa surface est couvert de motifs de chevrons. Elle devait posséder un pendant, les appliques étant disposées par deux, de part et d’autre de l’unique entrée de la Grande case. Techniquement, elles servent à maintenir plaquées les gaulettes, sorte de cerclages entourant les parois de la case, qui elles-mêmes tiennent le revêtement des parois. Le percement situé à son sommet permettait ainsi de la fixer à la panne sablière de la case alors que sa partie basse était insérée dans le sol. Son état de conservation est bon, mis à part quelques éclats à sa surface et la dégradation de son extrémité inférieure, plus abîmée du fait de son contact prolongé avec la terre.
5Les flèches faîtières ont quant à elles une forme effilée et se divisent en trois parties : le pied, qui vient se ficher au sommet du toit conique de la Grande case, une partie centrale ornée notamment d’un visage et une aiguille sommitale sur laquelle des conques étaient enfilées. Les deux flèches sont dans des états de complétude très différents. En effet, si aucune n’a conservé de conques sur son aiguille, l’une possède ses trois parties (Oc.Mel.7.007) – aux extrémités toutefois légèrement écourtées – et mesure un peu plus de 2,40 m, quand l’autre (Oc.Mel.7.008) se résume à sa partie centrale et mesure un peu moins de 1,30 m. Une fois fixées au sommet de la case, les flèches faîtières terminent la toiture et en garantissent l’étanchéité. Le pied de la flèche disparait alors dans la charpente tandis que les parties hautes se détachent en silhouette sur le ciel. L’effet devait être particulièrement saisissant pour l’exemplaire dont les motifs centraux sont les plus découpés.
- 4 Roger Boulay, La Maison kanak, Marseille, éditions Parenthèses, ORSTOM, collection Architectures tr (...)
- 5 Cat. d’exp. Kanak, l’art est une parole, sous la direction d’Emmanuel Kasarhérou et Roger Boulay, M (...)
6Les appliques latérales de porte et les flèches faîtières sont les éléments les plus emblématiques des Grandes cases kanak et de leur décor sculpté4. Si, comme nous l’avons vu, elles possèdent un rôle architectural, elles ont également un rôle symbolique important. Au sein de cette architecture de la Grande case, qui porte en elle toute la symbolique de la société kanak traditionnelle et de l’organisation d’une chefferie5, celles-ci évoquent en effet les défunts, les ancêtres. À noter que les motifs utilisés sont liés à un clan. Se rattachant ainsi à l’identité, la flèche faîtière est devenue de manière plus contemporaine le symbole de tout le peuple kanak. L’une d’elle, imaginaire, figure d’ailleurs au centre du drapeau de Kanaky sous forme de silhouette noire.
- 6 R. Boulay, op. cit. note 4, p. 97.
- 7 Id., ibid., p. 112.
7Seuls des chefs de haut rang pouvaient susciter la construction d’une Grande case portant un tel décor. Les sculpteurs mobilisés pouvaient être aussi bien des membres du clan du chef que ceux d’un clan allié, plus ou moins éloigné géographiquement6. Ces hommes étaient alors choisis pour leur renommée et leur talent. Les troncs de houp utilisés étaient récupérés dans les forêts de la chaîne centrale de l’île une fois les arbres naturellement tombés au sol7. Pour les mettre en forme, les sculpteurs kanak utilisaient des herminettes, avec des lames en pierre, généralement de la serpentine, ou plus récemment avec des lames en métal. Il faudrait analyser les traces d’outils subsistantes, notamment au dos de l’applique de porte, pour pouvoir conclure sur l’outillage utilisé ici.
8Lorsque le chef pour qui la Grande case avait été érigée décédait, les sculptures qui la décoraient pouvaient suivre des destinées variées. Le plus souvent, elles étaient arrachées ou subissaient des destructions rituelles par les membres du clan maternel du défunt, ce qui pourrait expliquer dans notre cas les quelques éclats présents sur l’applique de porte. D’autres fois, les sculptures étaient simplement emportées et remises à l’oncle utérin du chef ou devenaient des objets d’échange et circulaient entre les différents clans et cases. Leurs circulations, ajoutées à celles des sculpteurs, expliquent que leur attribution à une région précise soit difficile suivant le seul critère du style.
9Probablement associées originellement à des Grandes cases et des chefferies différentes, les trois sculptures aujourd’hui au MUSEC n’avaient que peu de chance de poursuivre un jour un destin commun, qui plus est hors de la Grande Terre de Nouvelle-Calédonie. La collecte effectuée par Rey Lescure au début des années 1930 en décida autrement.
Collecte pour le compte du Musée d’ethnographie du Trocadéro (1931-1932)
10La « mission Rey Lescure » commanditée par le MET se déroule sur cinq ans, entre 1929 et 1933, alors que le pasteur Philippe Rey Lescure est missionnaire dans la vallée de la Houaïlou, sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie. Rien ne prédestinait ce pasteur alors âgé d’une trentaine d’année et présent sur la Grande Terre depuis 1924 à devenir un collaborateur du MET. Pourtant, grâce à l’intermédiaire de son oncle, le pasteur et ethnologue Maurice Leenhardt (1878-1954), il est devenu un homme providentiel pour Paul Rivet (1876-1958) et Georges-Henri Rivière (1897-1985), alors à la tête de l’institution.
- 8 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 K58c (non numérisé), Impression sur la collection de Nlle Calédo (...)
- 9 Fritz Sarasin, Ethnographie des Kanak de Nouvelle-Calédonie et des îles Loyauté (1911-1912), Paris, (...)
- 10 Archives du MBQ-JC, dossier 2 AM 1 K24e (DA000487/18306), Adresses intéressantes, juillet 1929.
11Tout débute probablement lorsque Georges-Henri Rivière, en poste depuis seulement quelques mois, fait appel à Maurice Leenhardt au début du mois de juillet 1929 pour connaître ses impressions sur les collections kanak du MET. Ses remarques pointent les forces et les faiblesses de celles-ci8. Le bilan concernant les sculptures architecturales est clair : il n’y a « pas assez de grandes pièces, dans le genre de celles que Sarasin a rapportées ». Il est fait ici référence aux sculptures collectées par les zoologues suisses Fritz Sarasin (1859-1942) et Jean Roux (1876-1939) lors de leur séjour de 15 mois en Nouvelle-Calédonie de 1911 à 1912 pour la section ethnographique du musée de Bâle. Ils avaient en effet collecté un grand nombre d’objets, dont des faîtages et des appliques latérales de porte, et publièrent à leur retour une vaste somme de connaissances issue de leurs observations dans les volumes Nova Caledonia. Maurice Leenhardt connaît particulièrement bien cette collection car il était alors pasteur en Nouvelle-Calédonie et avait été un des collaborateurs de Sarasin et de Roux sur place9. Dès lors, l’ambition de Rivière et de Rivet d’enrichir les collections kanak se double de celle d’égaler, voire de surpasser, la collection kanak de Bâle, probablement la plus riche au monde à cette époque. Leenhardt fournit par ailleurs à Rivière une liste de huit personnes susceptibles d’aider le musée à pallier les lacunes identifiées10. C’est sur ce document que figure pour la première fois le nom de Philippe Rey Lescure dans les archives du musée.
- 11 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 K82d (non numérisé), Courrier de Rivière à Rey Lescure, 13 juill (...)
- 12 Id., Courrier de Rey Lescure à Rivière, 8 septembre 1929.
12Georges-Henri Rivière ne tarde pas à contacter Philippe Rey Lescure. Le 13 juillet 1929, il lui présente rapidement dans un courrier dactylographié le projet de rénovation du musée, les lacunes mises en évidence par son oncle et sa demande de collaboration. Sans nommer un musée en particulier, le sujet de la compétition muséale autour de l’acquisition de pièces kanak est abordé comme un argument de poids par Rivière : « Le Musée d’ethnographie restauré se doit de présenter au public une belle collection de Nlle Calédonie, tout au moins égale à celles qu’on peut admirer dans certains musées étrangers11. » Rey Lescure saisit la référence et répond : « Je sais que la science est universelle, mais aller à Bâle pour voir des collections de colonies françaises qu’il serait élémentaire de posséder chez nous est fâcheux12. » Il assure donc à Rivière qu’il fera « ce qui est en [son] pouvoir pour [les] satisfaire et contribuer pour [sa] part à l’intérêt de [leurs] collections ». Concernant les sculptures architecturales, il prévient tout de même qu’« il y a longtemps que les indigènes ne fabriquent plus de poteaux et de flèches de cases, [que] celles que l’on peut trouver sont des anciennes – elles n’en ont d’ailleurs que plus de valeur – mais plus ou moins bien conservées ».
13Les divers courriers échangés nous permettent de dégager les multiples intentions de la direction du MET pour lancer cette mission : compléter les typologies d’objets déjà présentes dans la collection pour qu’elle devienne la plus représentative possible de la culture matérielle kanak, surpasser en nombre et en qualité les autres collections européennes et, comme souvent à l’époque, « sauver » les derniers témoignages du passé avant leur disparition.
14Une fois lancée, la collecte se poursuit jusqu’en 1933, date à laquelle Rey Lescure est muté à Tahiti. Le poste qu’il occupe au sein de la station missionnaire de Do Néva facilite ses déplacements. Il a en effet la charge du contrôle des églises réparties sur l’ensemble de l’île. Cette mobilité ainsi que sa maîtrise d’une des langues locales lui donnent une importante connaissance du territoire et de ses habitants et favorisent sans aucun doute la réussite de sa collaboration avec le MET.
- 13 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 A4 (DA000026/28960), Courrier de Rivière à Rey Lescure, 6 décemb (...)
15Bien que coordonnée à longue distance, par courrier, et réalisée par un novice, cette mission répond à la majeure partie des attentes des commanditaires et reste l’unique collecte scientifique d’objets menée en Nouvelle-Calédonie par un musée national français. Au total, Rey Lescure envoie 200 lots depuis la Nouvelle-Calédonie, qu’il s’agisse d’objets ou de clichés photographiques. Parmi les objets, nous dénombrons trente sculptures architecturales, dont onze flèches faîtières et sept appliques latérales de porte, trois réductions de poteaux ou de case et huit photographies montrant des cases (fig. 2) ou des éléments d’architectures. À une époque où il était très difficile de se procurer certaines pièces, le nombre des objets envoyés, leur qualité ainsi que le coût très faible de leur collecte, ne peuvent que réjouir les commanditaires. Georges-Henri Rivière réagit ainsi à l’envoi où figurent les trois pièces qui nous concernent : « Je vous félicite très sincèrement pour l’admirable activité que vous déployez en faveur de notre section néo-calédonienne. M. Leenhardt procède actuellement à l’ouverture de votre dernier envoi et il est réellement enthousiasmé par son contenu13. »
Figure 2.
Anonyme, Photographie d’architecture kanak prise lors de la mission Rey Lescure, 1929-1933, Tirage sur papier baryté monté sur carton, H : 15,8 cm ; L : 11,9 cm, Paris, MQB-JC, no d’inventaire PP0034401.
© MQB-JC.
- 14 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 G2e (DA000285/15246), Rapport A, 14 janvier 1932, p. 9.
16Grâce à cette mission, le musée a pu compléter ses collections en procédant directement à une collecte de terrain et non en achetant des pièces sur le marché de l’art. Dans un rapport daté de janvier 1932, la direction explique pourquoi elle souhaite privilégier ce type d’enrichissement pour le musée : « Acheter sur le marché d’art les objets ethnographiques est une solution aussi coûteuse que peu scientifique, à laquelle néanmoins il faut parfois se rallier. Combien préférable, pendant qu’il en est temps encore, de faire procéder à une récolte directe sur le terrain, soit par des chargés de mission, soit par des sédentaires rompus aux disciplines ethnographiques. Ainsi seulement les provenances présentent des caractères de certitude et les pièces sont accompagnées d’une documentation qui en décuple le prix14. »
17L’intérêt de la collection réunie tient en particulier à sa documentation. Une grande partie de la correspondance entre Rey Lescure et le MET est ainsi conservée au Museum National d’Histoire Naturelle dans sa version papier et au Musée du quai Branly – Jacques Chirac dans sa version numérisée. Outre des informations générales sur l’organisation de la mission, la consultation de ces archives nous a permis de trouver quelques éléments supplémentaires concernant la provenance des objets, notamment sur les trois sculptures aujourd’hui conservées à Lugano. Nous apprenons ainsi, sur la liste où Rey Lescure détaille le contenu de l’envoi dont elles font partie (fig. 3), que l’applique de porte provient de Touho et la flèche faîtière portant le no 104 de la liste et inventoriée sous le no 32.55.104 de Ponérihouen. Ces deux localités se trouvent le long de la côte est de la Grande terre, tout comme la station missionnaire de Do Néva, située près de Houaïlou. Ponérihouen se trouve à environ 45 km au nord-ouest de Do Néva et Touho à environ 100 km dans la même direction. Le transport de ces grandes sculptures a donc pu se faire par voie fluviale plutôt qu’en empruntant les routes de la région, uniquement accessibles à cheval à l’époque.
Figure 3.
Extrait de la liste des objets envoyés par Rey Lescure lors son deuxième envoi au MET parmi lesquels figurent les trois sculptures kanak (nos 89, 103 et 104), 4 mai 1932, Paris, Archives du MQB-JC, D001164/35994.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / image musée du quai Branly - Jacques Chirac
- 15 En 2013, ces archives privées étaient conservées chez la nièce du pasteur, Mme Geneviève Taupier-Lé (...)
- 16 Philippe Rey Lescure, La Sève monte, 1922-1933, La Force, tapuscrit non publié, 1958, p. 182.
18Au sein des archives privées de Rey Lescure, nous avons trouvé : des documents officiels, des photographies, quelques ouvrages autographes dédicacés à sa famille et trois tapuscrits autobiographiques. Ces trois volumes, considérés ici comme ses mémoires, racontent son ministère en Nouvelle-Calédonie (1922-1933), son retour sur cette île lors d’un voyage en 1961 et son ministère à Tahiti (1933-1957)15. Si Rey Lescure n’y fait guère allusion à ses collectes, il y mentionne néanmoins celle de Touho ainsi : « Je vais mi cheval mi bateau à Tuho où on me signale des malades et des objets intéressants pour le Musée du Trocadéro16. » Son entreprise de collecte était donc bien connue et certaines personnes lui indiquaient des pièces à aller voir en conséquence. Nous ignorons qui lui tenait lieu d’informateur et à quelles cases spécifiques appartenaient ces sculptures. Néanmoins, l’indication de la provenance géographique de deux des trois pièces est une précision assez rare pour être relevée.
- 17 P. Rey Lescure, op. cit. note 16, p. 185.
19D’après les dates figurant sur les courriers échangés avec le MET, Rey Lescure aurait collecté les trois pièces entre le 20 décembre 1930, date du précédent envoi, et le 4 mai 1932, date du courrier annonçant leur expédition. Elles pourraient même avoir été stockées à la station missionnaire avant le 24 février 1932, date d’un important cyclone, selon les propos tenus par Alice Rey Lescure : « Nous avons pris tous les immenses poteaux de cases prêts à être envoyés au Trocadéro et les avons mis contre la porte (des idoles ont participé à notre salut). Après deux essais la porte est demeurée close17. »
- 18 Archives du MQB-JC, Dossier de collection « 71.1932.55 (Rey Lescure) » (D001164/35997), Courrier de (...)
- 19 Archives du MQB-JC, dossier dossier 2 AM 1 A4 (DA000023/28839), Courrier de la Direction à Rey Lesc (...)
20Une fois réunis, début mai 1932, les objets sont envoyés vers Nouméa avec 123 autres répartis en deux caisses. Ils y restent bloqués un mois18 avant d’être finalement affrétés vers Paris aux frais de la colonie19. Après cinq mois passés en caisse, le MET en accuse bonne réception le 17 octobre. Ils entament alors leur nouvelle existence d’objets de musée, aux antipodes de leur lieu de création et d’usage.
La vie au musée (1932-1939)
21Les envois de Rey Lescure contribuent non seulement à l’enrichissement des collections kanak du musée mais aussi au renouvellement des salles d’exposition dans le contexte de la réorganisation, de la modernisation et de la rénovation du MET impulsées par la nouvelle Direction. Rapidement, une exposition est envisagée pour valoriser ces nouvelles acquisitions. Plusieurs fois repoussée pour donner le temps nécessaire à Rey Lescure d’envoyer de nouvelles caisses d’objets, elle est finalement inaugurée le 19 janvier 1934 sous le titre « Ethnologie de la Nouvelle Calédonie ». Le commissaire n’est autre que Maurice Leenhardt et le parti pris se veut résolument ethnologique. Il n’y a pas de place laissée à l’exotisme, pourtant très en vogue à l’époque et largement mis en avant à l’Exposition coloniale de 1931. Les objets sélectionnés ont le rôle d’objets-témoins et permettent d’illustrer un pan précis de la culture dont ils sont issus. L’idée est de rendre compte des activités kanak dans tous les domaines au travers de la culture matérielle. Des photographies, des descriptions et des réductions complètent leur présentation dans un but didactique. Nous ignorons si les trois objets dont il est question ici font partie de ceux sélectionnés par Leenhardt, aucune liste d’œuvres ne nous étant parvenue. En tout cas, ils ne figurent pas sur les deux seules photos retrouvées de l’événement (fig. 4).
Figure 4.
Anonyme, Vues de l’exposition « Ethnographie de la Nouvelle-Calédonie » et de la salle d’Océanie du MET, janvier 1934, Paris, MQB-JC, nos d’inventaire PP0001346 et PP0001460.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / image musée du quai Branly - Jacques Chirac
- 20 Voir, par exemple : Archives du MQB – JC, dossier 2 AM 1 K34e (DA002032/19423), Lettre de Rivière à (...)
- 21 André Delpuech, Christine Laurière et Carine Peltier-Caroff (dir.), Les Années folles de l’ethnogra (...)
22L’exposition dure environ quatre mois. Une fois celle-ci terminée et les prêts rendus à leur propriétaire20, elle est adaptée sous une forme réduite au sein du parcours permanent. Que les objets qui nous occupent soient ou non exposés à ce moment-là, leur situation doit probablement demeurer la même jusqu’à la fermeture définitive du MET qui intervient à la fin du mois d’août 193521. Le musée entame alors une période de travaux de trois ans pour rouvrir en juin 1938 dans un nouveau bâtiment, sous le nom de Musée de l’Homme. Le musée se métamorphose une dernière fois en 2006 avec la création du Musée du quai Branly – Jacques Chirac (MQB – JC) qui réunit les collections du Musée de l’Homme et du Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie. Sans les aléas de l’histoire, l’ensemble des objets collectés par Rey Lescure aurait donc dû appartenir successivement aux collections du MET, puis du Musée de l’Homme et enfin du MQB – JC. Il en alla toutefois autrement pour certains objets aujourd’hui absents des collections. Alors que la plupart ont été perdus ou détruits, le cas des sculptures qui nous intéressent est tout autre, et pour le moins singulier.
Objets d’échange (1939)
- 22 Archives du Musée de l’Homme, dossier de collection 71.1939.52 (D000801), Document attestant l’écha (...)
23Après avoir été conservées pendant sept ans dans les collections nationales françaises, les trois sculptures kanak deviennent monnaie d’échange. Le 12 mai 1939, un courrier signé Brignoni (fig. 5) atteste que son auteur a « reçu du Musée de l’Homme, à titre d’échange, les objets portant les nos 61.235, 32.55.89, 32.55.104, 32.55.10322. »
Figure 5.
Courrier de Brignoni attestant d’un échange d’œuvres avec le MET, 12 mai 1939, Paris, Archives du MQB-JC, D000801.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / image musée du quai Branly - Jacques Chirac
- 23 Inventaire du musée de l’Homme, catalogue no 26, nos d’enregistrement 61 231 à 61 249 (D000549/2912 (...)
24Les trois derniers numéros d’inventaire sont bien ceux des sculptures kanak alors que le no 61.235 serait, selon un inventaire, une « idole en moelle végétale23 » de Nouvelle-Guinée allemande. En échange, le musée reçoit six objets provenant de l’île de Nouvelle-Guinée (fig. 6) : un bouclier de danse de la Baie de Cenderawasih (aujourd’hui no d’inventaire 71.1939.52.3 D), un charme de guerre et un flotteur de pêche des îles de l’Amirauté (71.1939.52.1 D et 71.1939.52.2 D), une figure malanggan de Nouvelle-Irlande (71.1939.52.4 D), une sculpture féminine des îles Tami (71.1939.52.5 D) et une spatule à chaux des îles Trobriand (71.1939.52.6 D). Le musée choisit des objets de plus petites tailles que ceux qu’il cède – d’où le plus grand nombre d’objets entrants –, et jusqu’alors absents de ses collections. Seule la spatule à chaux ne vient pas combler un manque, le musée en possédant déjà au moins dix en 1939.
Figure 6.
Anonymes, Objets de la collection Brignoni (flotteur de pêche, bouclier de danse, sculpture cérémonielle Aalaggan, charme de guerre) reçus en échange par le Musée de l’Homme en 1939 (début XXe siècle), H : 32 à 80 cm, Paris, MQB-JC, nos d’inventaire 71.1939.52.1 D, 71.1939.52.2 D, 71.1939.52.3 D, 71.1939.52.4 D, 71.1939.52.5 D, 71.1939.52.6 D.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / image musée du quai Branly - Jacques Chirac c) musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / Claude Germain.
25Le musée de l’Homme réalise ainsi un échange stratégique pour l’enrichissement des typologies de ses collections en tirant parti du nombre important de sculptures architecturales kanak données par Rey Lescure. Probablement considérées comme faisant doublon avec d’autres de meilleures qualités, ces trois œuvres devaient se trouver en réserves pour que le conservateur consente à les échanger. Pour ce qui est de la provenance de ses collections, nous pouvons en revanche aujourd’hui considérer que le musée est perdant puisque qu’il cède des sculptures documentées (nom du collecteur, date et lieu de collecte) au profit d’objets dont nous ne savons rien.
- 24 Pour plus d’approfondissement sur cette question, lire : Gilles Bounoure, « La question des “doublo (...)
- 25 Voir la sous-série I.3 : Département Océanie – Musée de l’Homme (Paris) – [MH. Laboratoire d’ethnol (...)
26Si, aujourd’hui, un objet de musée national est soumis au principe d’inaliénabilité, le contexte de l’entre-deux-guerres était beaucoup plus permissif, notamment concernant l’échange de « doublons24 ». Ce n’est qu’au sortir de la Seconde Guerre mondiale, notamment en réaction aux pertes qu’elle occasionna, que l’on prit conscience de la nécessité de protéger les collections épargnées et que la pratique des échanges se raréfia. L’exemple de 1939 n’est donc a priori pas illégal mais témoigne d’une pratique révolue. Ceci étant dit, échanger avec un particulier semble assez rare au regard des archives. La plupart des autres échanges répertoriés au sein du département Océanie du Musée de l’Homme concernent des échanges avec des institutions ou entre musées25. Nous relevons ainsi la présence de onze échanges d’objets concernant ce département et sur ces derniers un seul échange avec un particulier, celui de Brignoni. Les autres sont effectués avec des musées français et européens, l’Indish Institut d’Amsterdam et le gouvernement australien.
- 26 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, artista e collezionista il viaggio silenzioso / artist and c (...)
- 27 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, p. 205.
27Le particulier impliqué dans cet échange est Serge Brignoni (1903-2002), un artiste suisse féru d’« art nègre » et possesseur d’une très riche collection. C’est en France, où il vit entre fin 1923 et 1940, qu’il découvre et se prend de passion pour les arts dits « primitifs ». Il y débute sa carrière de connaisseur seulement quelques mois après son arrivée à Paris. Il achète alors des objets dénichés aux puces ou chez de petits antiquaires pour les revendre à des marchands, des artistes ou des collectionneurs afin de s’assurer un revenu complémentaire26. Puis, vers 1926, il commence à constituer sa propre collection. La grande qualité formelle des pièces qu’il choisit atteste de son goût exigeant. D’abord attiré par l’art cycladique puis par l’art africain, il oriente ensuite ses achats vers des pièces océaniennes et plus spécifiquement mélanésiennes. Ce changement serait dû, entre autres raisons, à la découverte des collections océaniennes du musée de Bâle en 1932, couplée à sa rencontre avec l’ethnologue Paul Wirz (1892-1955) qui, revenant d’un terrain en Papouasie-Nouvelle-Guinée, lui aurait procuré quelques pièces27.
- 28 Cat. d’exp. Nouvelle-Irlande. Arts du Pacifique Sud. Sous la direction de Mickael Gunn et Philippe (...)
- 29 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, p. 209.
- 30 Traduction personnelle depuis l’anglais. Id., ibid., note 26, p. 205.
28Pour accroître et améliorer sa collection, il n’est pas rare que Serge Brignoni négocie avec des musées ; il est même coutumier du fait. Il entretient des contacts avec les principaux musées d’ethnographie d’Europe, auxquels il vend28, achète et échange des objets29 : « Les principaux pourvoyeurs de Brignoni [en art ethnique] sont les marchands, petits collectionneurs, galeries, antiquaires, et autant que possible, les musées, notamment suisses et allemands, qui vendaient une partie de leurs œuvres pour couvrir les frais de leurs expéditions ethnographiques30. » Le musée avec lequel il aurait effectué le plus d’échanges et d’achats n’est autre que l’Ethnological Museum de Bâle (aujourd’hui Museum der Kulturen) qui l’avait éveillé à l’art océanien. Rappelons que ce musée possède une collection d’art kanak très importante héritée des collectes de Sarasin et Roux, qui a peut-être alimenté le désir de Brignoni de posséder lui aussi des sculptures architecturales kanak.
- 31 Van den Broek est alors en poste depuis 1937, peu après son retour de l’expédition très médiatisée (...)
- 32 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, pp. 207, 209.
29Si l’on ignore précisément comment s’est établi le contact entre Brignoni et le Musée de l’Homme, Brignoni semble avoir rencontré le conservateur des collections océaniennes, Charles van den Broek d’Obrenan31, préalablement à l’échange. Les deux hommes auraient en effet collaboré à la création des salles d’Océanie du nouveau Musée de l’Homme avant son ouverture au public32. Nous pouvons raisonnablement penser que c’est à ce moment-là que Brignoni repère les trois sculptures kanak et tombe sous leur charme. Il y voit probablement aussi l’occasion d’acquérir des « incontournables » de l’art mélanésien. Les flèches faîtières et les appliques de porte sont en effet les objets kanak les plus recherchés des collectionneurs avec les masques de deuilleurs et les haches cérémonielles.
Pièces de la collection Brignoni (1939-1985)
30Les trois sculptures kanak collectées par Rey Lescure quittent donc une collection publique nationale pour intégrer une collection privée de grande renommée en 1939. Serge Brignoni était en effet très reconnu dans le milieu des arts du Pacifique pour sa collection, son œil et son réseau. Son activité de marchand « d’art nègre » et de collectionneur l’occupe d’ailleurs quasiment autant que celle d’artiste.
- 33 Id., ibid., p. 207.
- 34 Id., ibid., p. 207.
31La composition de sa collection évolue avec le temps. Alors qu’il débute celle-ci dans les années 1920 et achète de manière assez compulsive, il devient plus exigeant et plus sûr de ses goûts à partir des années 193033. Dès lors, il sélectionne avec une grande attention ses achats, qui se font, de fait, plus rares. Ses préférences vont vers les productions provenant des régions de Bornéo et de Nouvelle-Guinée, et plus précisément de la région du Sepik, de Maprik et de Nouvelle-Irlande34. Par ailleurs, il acquiert presque exclusivement des sculptures, généralement en bois. Comme la plupart de ses amis surréalistes, il est particulièrement sensible à la valeur esthétique des objets et ne s’intéresse que peu aux informations ethnographiques et historiques qui y sont rattachées. Il n’a d’ailleurs transmis quasiment aucune information en ce sens aux héritiers de sa collection à Lugano.
- 35 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, p. 207.
32Une fois entrées dans la collection Brignoni, les trois sculptures kanak demeurent quelques temps avec l’artiste à Paris jusqu’à son départ contraint en 1940 à cause de la guerre. Ce dernier rentre alors en Suisse grâce à un train mis à disposition par son gouvernement en laissant derrière lui sa production artistique et sa collection d’art d’Afrique et d’Océanie. Alors que la première est presque entièrement détruite par une crue de la Seine, la seconde demeure à l’abri, dans un entrepôt douanier sous protection suisse. Au sortir de la guerre, Brignoni parvient à récupérer sa collection et à la déplacer à Berne, où il vit avec son épouse35.
Retour au musée (1985-aujourd’hui)
- 36 Id., ibid., p. 209.
33Vers l’âge de 80 ans, Serge Brignoni commence à réfléchir à l’avenir de sa collection. D’abord tenté de la scinder pour en faire profiter plusieurs musées suisses, il choisit finalement de la donner, intégralement, à la ville de Lugano. L’accord est signé le 25 novembre 1985 et le Museo delle Culture Extraeuropee est créé pour l’accueillir. Installé dans une villa néo-classique rénovée, l’Heleneum, il ouvre ses portes le 23 septembre 198936. Le musée change ensuite de nom en 2007 pour devenir le Museo delle Culture, puis en 2017 pour prendre celui de MUSEC-Museo delle Culture. Il déménage cette même année dans la Villa Malpensata au cœur du centre ville.
- 37 Données extraites de la base IPKD par Marianne Tissandier début janvier 2024 et de l’inventaire en (...)
34Après avoir passé plus de 45 ans en mains privées, les sculptures kanak réintègrent donc une collection muséale publique. Au MUSEC, le fonds Brignoni se compose d’environ 600 œuvres. L’art de Nouvelle-Calédonie y est comparativement très peu représenté par rapport à l’art de l’île de Nouvelle-Guinée. La publication de ce fonds par les chercheurs du Musée en 2013 nous renseigne sur les œuvres kanak présentes dans la collection de l’artiste à la fin de sa vie. S’y trouvent, en plus des trois sculptures architecturales, une sculpture à planter (Oc.Mel.7.001), trois masques de deuilleur (Oc.Mel.002-004), une massue (OC.Mel.005) et une gourde clissée (Oc.Mel.7.009), soit un total de neuf objets. Les pièces collectées par Rey Lescure sont donc les seules grandes sculptures architecturales présentes. D’autres ont cependant transité par sa collection, comme en témoignent une applique de porte et deux flèches faîtières aujourd’hui conservées au MARKK, le Museum am Rothenbaum. Kulturen und Künste d’Hambourg, sous les numéros 47.33 :2, 47.33 :3 et 47.33 :4. D’après l’Inventaire du Patrimoine Kanak Dispersé (IPKD), ces objets proviendraient en effet de la collection Brignoni et seraient entrés dans les collections du MARKK après guerre, en 194837.
35Ainsi, le passage des trois œuvres kanak par la collection Brignoni marque leur reconnaissance esthétique, mais aussi le moment où celles-ci perdent le peu d’informations historiques qui leur étaient rattachées.
36De la Nouvelle-Calédonie à la Suisse en passant par la France, les trois sculptures kanak dont il a été question ici ont suscité divers désirs et ont été le support de nombreux discours, qu’ils soient ethnographiques ou esthétisants. En moins d’une soixantaine d’années, elles ont fait partie d’une architecture traditionnelle kanak d’importance, de collections publiques française et suisse et d’une collection privée d’artiste. Bien qu’il reste encore quelques détails à éclaircir dans leur biographie, comme par exemple si elles ont un jour été exposées au MET, la mise en relation de leur collecte par Rey Lescure en 1931-1932 avec leur présence aujourd’hui au MUSEC de Lugano a permis de reconstituer une grande partie de leurs vies et des dynamiques qui les ont orientées.
37L’ironie veut ainsi que ces trois sculptures architecturales, acquises par un musée français en partie pour répondre à la suprématie des collections suisses dans le domaine, poursuivent actuellement leur existence au sein des collections de Lugano, en Suisse.
Notes
1 Courrier électronique de Günther Giovannoni, conservateur au Museo delle Culture de Lugano, à Marie Adamski, le 7 août 2013.
2 Cet article s’inscrit dans la continuité de notre mémoire de recherche de l’École du Louvre, qui s’est attaché à retracer la provenance et la destinée d’environ 200 objets kanak, collectés par Rey Lescure pour le MET. Voir : Marie Adamski, Destin des objets ethnographiques collectés par le pasteur Philippe Rey Lescure (1897-1978). Une collection d’objets kanak et polynésiens dispersée, mémoire de Master 2 de l’École du Louvre, sous la direction de MM. Emmanuel Kasarhérou et Philippe Peltier. Voir aussi l’article : Marie Adamski, « La mission Rey Lescure (1929-1933). Une collecte méconnue du musée d’Ethnographie du Trocadéro », Journal de la Société des Océanistes, vol. 152, 2021, URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/jso.12461.
3 Francesco Paolo Campione (éd.), La Collezione Brignoni, Milan, edizioni Mazzotta, 2007, vol. 2, p. 136.
4 Roger Boulay, La Maison kanak, Marseille, éditions Parenthèses, ORSTOM, collection Architectures traditionnelles, 1990, p. 95.
5 Cat. d’exp. Kanak, l’art est une parole, sous la direction d’Emmanuel Kasarhérou et Roger Boulay, Musée du quai Branly, du 15 octobre 2013 au 26 janvier 2014, Paris, Actes sud / Musée du quai Branly, 2013, p. 87.
6 R. Boulay, op. cit. note 4, p. 97.
7 Id., ibid., p. 112.
8 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 K58c (non numérisé), Impression sur la collection de Nlle Calédonie (visite de M. Leenhardt), signé Rivière, 6 juillet 1929.
9 Fritz Sarasin, Ethnographie des Kanak de Nouvelle-Calédonie et des îles Loyauté (1911-1912), Paris, Ibis Press, 2009 [1929], p. 12.
10 Archives du MBQ-JC, dossier 2 AM 1 K24e (DA000487/18306), Adresses intéressantes, juillet 1929.
11 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 K82d (non numérisé), Courrier de Rivière à Rey Lescure, 13 juillet 1929.
12 Id., Courrier de Rey Lescure à Rivière, 8 septembre 1929.
13 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 A4 (DA000026/28960), Courrier de Rivière à Rey Lescure, 6 décembre 1932.
14 Archives du MQB-JC, dossier 2 AM 1 G2e (DA000285/15246), Rapport A, 14 janvier 1932, p. 9.
15 En 2013, ces archives privées étaient conservées chez la nièce du pasteur, Mme Geneviève Taupier-Létage et son époux M. Hubert Taupier-Létage à Quintenas (Ardèche). Depuis leur décès, respectivement en 2017 et en 2015, nous ignorons où elles se trouvent.
16 Philippe Rey Lescure, La Sève monte, 1922-1933, La Force, tapuscrit non publié, 1958, p. 182.
17 P. Rey Lescure, op. cit. note 16, p. 185.
18 Archives du MQB-JC, Dossier de collection « 71.1932.55 (Rey Lescure) » (D001164/35997), Courrier de Rey Lescure à Rivière, le 24 novembre 1932.
19 Archives du MQB-JC, dossier dossier 2 AM 1 A4 (DA000023/28839), Courrier de la Direction à Rey Lescure, 28 juin 1932.
20 Voir, par exemple : Archives du MQB – JC, dossier 2 AM 1 K34e (DA002032/19423), Lettre de Rivière à Mme Durand, 31 mai 1934.
21 André Delpuech, Christine Laurière et Carine Peltier-Caroff (dir.), Les Années folles de l’ethnographie : Trocadéro 28-37, Paris, Muséum national d’Histoire naturelle, 2017, pp. 912, 913.
22 Archives du Musée de l’Homme, dossier de collection 71.1939.52 (D000801), Document attestant l’échange Brignoni, 12 mai 1939. Il se peut, dans une moindre mesure, que la date soit en fait mai 1938, car le document porte les deux dates par inadvertance du rédacteur. Toutefois, l’année 1939 semble plus probable et se retrouve dans l’inventaire.
23 Inventaire du musée de l’Homme, catalogue no 26, nos d’enregistrement 61 231 à 61 249 (D000549/29123).
24 Pour plus d’approfondissement sur cette question, lire : Gilles Bounoure, « La question des “doublons” océaniens au musée de Berlin et ailleurs, d’après le livre récent de Markus Schindlbeck, Gefunden und Verloren », Journal de la Société des Océanistes, vol. 135, 2012, pp. 257-264, URL : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/jso.6736.
25 Voir la sous-série I.3 : Département Océanie – Musée de l’Homme (Paris) – [MH. Laboratoire d’ethnologie] – Administration, gestion et mouvement des œuvres – Prêts, dépôts et échanges – Échanges.
26 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, artista e collezionista il viaggio silenzioso / artist and collector the silent journey. Sous la direction de Francesco Paolo et Nicoletta Ossanna Cavadini Campione, Centro Culturale Chiasso m.a.x.museo de Chiasso et Museo delle Culture de Lugano, du 28 septembre 2013 au 19 janvier 2014, Milan, Silvana Editoriale, 2013, p. 203.
27 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, p. 205.
28 Cat. d’exp. Nouvelle-Irlande. Arts du Pacifique Sud. Sous la direction de Mickael Gunn et Philippe Peltier, Musée du quai Branly, exposition du 2 avril 2007 au dimanche 8 juillet 2007, Paris / Milan, Musée du quai Branly / 5 Continents, 2007, p. 268 : il est ainsi avéré qu’il vendit un masque de Nouvelle-Irlande au Linden-Museum de Stuttgart (S. 40141).
29 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, p. 209.
30 Traduction personnelle depuis l’anglais. Id., ibid., note 26, p. 205.
31 Van den Broek est alors en poste depuis 1937, peu après son retour de l’expédition très médiatisée qu’il avait menée dans le Pacifique à bord de La Korrigane.
32 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, pp. 207, 209.
33 Id., ibid., p. 207.
34 Id., ibid., p. 207.
35 Cat. d’exp. Serge Brignoni, 1903-2002, op. cit. note 26, p. 207.
36 Id., ibid., p. 209.
37 Données extraites de la base IPKD par Marianne Tissandier début janvier 2024 et de l’inventaire en ligne du MARKK : https://markk-hamburg.de/files/media/2020/06/MARKK-OZ-ab-1921.pdf.
Haut de pageTable des illustrations
Titre | Figure 1. |
---|---|
Légende | Anonymes, Sculptures architecturales kanak, fin XIXe-début XXe siècle, bois de houp peint, H : 129 cm, 242 cm et 129 cm, Lugano, MUSEC-Museo delle Culture de Lugano, n° d’inventaire Oc.Mel.7.006, Oc.Mel.7.007, Oc.Mel.7.008. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-1.png |
Fichier | image/png, 1,3M |
Titre | Figure 2. |
Légende | Anonyme, Photographie d’architecture kanak prise lors de la mission Rey Lescure, 1929-1933, Tirage sur papier baryté monté sur carton, H : 15,8 cm ; L : 11,9 cm, Paris, MQB-JC, no d’inventaire PP0034401. |
Crédits | © MQB-JC. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-2.png |
Fichier | image/png, 1,0M |
Titre | Figure 3. |
Légende | Extrait de la liste des objets envoyés par Rey Lescure lors son deuxième envoi au MET parmi lesquels figurent les trois sculptures kanak (nos 89, 103 et 104), 4 mai 1932, Paris, Archives du MQB-JC, D001164/35994. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 270k |
Titre | Figure 4. |
Légende | Anonyme, Vues de l’exposition « Ethnographie de la Nouvelle-Calédonie » et de la salle d’Océanie du MET, janvier 1934, Paris, MQB-JC, nos d’inventaire PP0001346 et PP0001460. |
Crédits | © musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / image musée du quai Branly - Jacques Chirac |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 135k |
Titre | Figure 5. |
Légende | Courrier de Brignoni attestant d’un échange d’œuvres avec le MET, 12 mai 1939, Paris, Archives du MQB-JC, D000801. |
Crédits | © musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. GrandPalaisRmn / image musée du quai Branly - Jacques Chirac |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 193k |
Titre | Figure 6. |
Légende | Anonymes, Objets de la collection Brignoni (flotteur de pêche, bouclier de danse, sculpture cérémonielle Aalaggan, charme de guerre) reçus en échange par le Musée de l’Homme en 1939 (début XXe siècle), H : 32 à 80 cm, Paris, MQB-JC, nos d’inventaire 71.1939.52.1 D, 71.1939.52.2 D, 71.1939.52.3 D, 71.1939.52.4 D, 71.1939.52.5 D, 71.1939.52.6 D. |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 68k |
Titre | Figure 7. |
Légende | Anonyme, Serge Brignoni dans son atelier à Berne, photographie, 1975. |
Crédits | © FCM/MUSEC, Lugano |
URL | http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/30113/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 604k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Marie Adamski, « D’un antipode à l’autre, trajectoire de trois sculptures architecturales kanak », Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 22 | 2024, mis en ligne le 23 mai 2024, consulté le 01 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/30113 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11w6l
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