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Le Jardin du Trocadéro : un arboretum dans le parc de Saint-Cloud

The Jardin du Trocadéro: an arboretum in the Parc de Saint-Cloud
Pauline Choulet

Résumés

Le jardin anglais du Trocadéro a été créé par la volonté de Louis XVIII en 1824 pour servir de parc privé aux Enfants de France. Dès sa création, il y a la volonté d’en faire un véritable arboretum : il est alors planté de nombreuses essences d’arbres et d’arbustes rares et exotiques. De plus, les principes de composition du jardin du Trocadéro correspondent à ceux énoncés par les traités de la première moitié du XIXe siècle concernant la composition des parcours, des masses végétales, des points de vue, des couleurs et du mouvement. Sous le Second Empire, il connaît d’importantes transformations afin de le mettre au goût de l’époque, avec la création d’un lac. Il s’agit de la dernière grande transformation du jardin, car, depuis la seconde moitié du XXe siècle, il n’y a plus de projets d’entretien sur le long terme, qui se fait coup par coup. Cependant, de nombreuses essences remarquables composent toujours le Trocadéro qui conserve sa fonction d’arboretum.

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Texte intégral

  • 1 Hélène Sueur, Saint-Cloud, le domaine, Paris, Caisse nationale des monuments et des sites/Editions (...)

1Sur la volonté de Louis XVIII est créé, en 1824, un jardin anglais servant de parc privé aux Enfants de France et conçu comme un arboretum. Situé sur le coteau de Montretout, dans la partie nord-est du parc de Saint-Cloud, il possède une place privilégiée à proximité de l’ancien château. À la réalisation de ce jardin, le parc de Saint-Cloud est alors principalement connu pour les aménagements en jardin à la française d’André Le Nôtre, intervenu après le rachat du domaine par Louis XIV en 1658 pour son frère, Philippe, duc d’Orléans, dit Monsieur. Le parc est alors fréquenté par la cour qui admire sa splendeur. Sophie de Hanovre écrit à son propos en 1679 dans ses Mémoires que le jardin de Monsieur est « le plus beau du monde tant par la situation que pour les eaux1 ». Après plusieurs changements de propriétaires et les divers événements politiques du XIXe siècle, le domaine redevient une demeure royale à la chute de l’Empire en 1815, lorsque la France restaure la royauté. Louis XVIII va peu y résider, mais il remet tout de même en état le château et le parc et y fait quelques aménagements, dont la création du jardin du Trocadéro. Celui-ci diffère complètement des autres réalisations du parc puisqu’il prend la forme d’un jardin paysager composé de prairies gazonnées et de bosquets d’arbres, traversés par des allées sinueuses. Le centre du jardin forme la plus grande prairie, dominée par un pavillon de forme carrée, et plusieurs pelouses s’articulent autour d’elle en petits îlots dessinés par des chemins sinueux en anneaux. Une grande variété de végétation est plantée sous forme de massifs, de groupes d’arbres ou d’arbres isolés ou détachés. Elle est composée de nombreuses essences variées et exotiques d’arbres et d’arbustes tels que des cèdres, séquoias, magnolias, sophoras… Enfin, des allées rectilignes, déjà existantes, encadrent le jardin et forment ses limites, ainsi qu’un mur construit à la limite ouest, le séparant nettement du reste du parc et lui conférant un caractère intime. Ainsi, le jardin du Trocadéro est fermé physiquement et visuellement de l’extérieur. Seul, dans la limite est, une zone de filtre a été créée par des petits îlots de pelouse plantés à différentes distances les uns des autres d’arbres isolés, formant un bosquet paysager comme un espace de transition entre le jardin et la ville.

  • 2 Ce travail a été effectué en 2015 dans le cadre d’un mémoire d’étude de Master 1 et mériterait donc (...)

2Conçu pour le repos et la promenade, mais aussi comme un lieu pédagogique, le jardin du Trocadéro est contemporain d’autres réalisations d’arboretum, tels celui des Barres ou celui de la Vallée-aux-Loups. Ainsi, ce travail recontextualise le jardin du Trocadéro dans l’histoire de l’art des jardins, autant qu’il situe sa création au sein du domaine de Saint-Cloud. Pour cette partie, les archives du domaine et des ouvrages de référence sur la question, tels que ceux d’Hélène Sueur et de Florence Austin-Montenay, ont été une aide précieuse. Pour son étude actuelle, des entretiens avec les personnes chargées de l’entretien du parc de Saint-Cloud ainsi que l’examen d’études menées sur le sujet par le domaine lui-même ou par GRAHAL, ont permis de faire un état des lieux de la question aujourd’hui2.

Fig. 1.

Fig. 1.

Étienne Allegrain (att.), Vue cavalière du château et du parc de Saint-Cloud vers 1675, 1675-1677, huile sur toile, 314 cm x 386 cm, Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 743.

© BnF / Gallica

L’arboretum du jardin du Trocadéro

  • 3 Florence Austin-Montenay, Saint-Cloud une vie de château, Genève, Vögele, 2005, p. 172.

3Louis XVIII, veuf et sans enfants, assure la continuité de la dynastie des Bourbons par son frère - le futur Charles X - et ses descendants, ses petits-neveux et nièces, Mademoiselle, Louise d’Artois, née en 1819, et Henri d’Artois, duc de Bordeaux, né en Septembre 1820. Ce dernier est appelé « l’enfant du miracle » car son père, le duc de Berry, avait été assassiné sept mois plus tôt par un bonapartiste désireux de voir s’éteindre la dynastie des Bourbons3. Ce jardin est donc un présent pour les Enfants de France. Louis XVIII meurt le 16 septembre 1824, avant son achèvement, mais il a le temps de le nommer « jardin du Trocadéro » en honneur de la victoire de son autre neveu, le duc d’Angoulême, dans la ville espagnole du même nom en 1823.

  • 4 Marie-Hélène Bénetière, Jardin : vocabulaire typologique et technique, Paris, Éditions du patrimoin (...)
  • 5 Cereghini, Zamuner, Etude de requalification du jardin du Trocadéro, vol. I, Ministère de la cultur (...)

4C’est dans ce contexte qu’en 1824 est confiée à l’architecte Maximilien Joseph Hurtault la mission de réaliser un jardin destiné aux plaisirs des Enfants de France. Durant l’année 1824, ce dernier meurt et il revient à Eugène Dubreuil, architecte du roi à Saint-Cloud, de poursuivre son projet. Par son emplacement et sa topographie, c’est un lieu privilégié au caractère intime, qui se prête bien au repos et à la promenade. Mais s’ajoute à cela la volonté d’en faire un arboretum, composé sur le modèle des jardins anglais. Il s’agit d’un parc botanique spécialisé dans la présentation et l’étude des végétaux ligneux, soit d’arbres et d’arbustes, présentant un intérêt scientifique, destinés à l’étude, la collection et la diffusion4. Il est planté dès son origine de nombreuses essences d’arbres et d’arbustes rares et exotiques. Ainsi, sa fonction d’arboretum en fait également un lieu pédagogique destiné à l’éducation et à la formation botanique de ses destinataires. Cela s’inscrit dans une époque au cours de laquelle le goût pour les jardins botaniques se développe grandement. Il est donc le reflet d’un intérêt général : le jardin du Trocadéro est contemporain de l’éclosion des premières sociétés d’horticulture, dont la première date de 1827, mais aussi de nouvelles revues spécialisées et des premiers marchés de fleurs5. Les pépinières de Paris possèdent déjà de nombreuses espèces importées, ce qui facilite l’obtention d’essences exotiques pour des jardins tels que celui du Trocadéro. Les premiers jardins botaniques apparaissent au milieu du XVIe siècle pour des études scientifiques, de classification et de médecine, d’espèces nouvellement découvertes et importées, où l’on abandonne l’aspect esthétique. Le travail d’identification des plantes et de leur classification est facilité par l’adoption généralisée au XVIIIe siècle de la nomenclature binomiale de Carl Von Linné, un botaniste suédois. À partir de là, les sociétés savantes se multiplient et l’on se met à rechercher des plantes exotiques et rares. Cet engouement pour l’exotisme atteint son apogée au XIXe siècle, avec la grande collection de plantes exotiques du château de Malmaison, rassemblée par Joséphine de Beauharnais afin de retrouver la richesse botanique de son île natale, la Martinique. De nombreux progrès techniques sont aussi faits dans l’acclimatation et la multiplication des essences nouvellement importées, comme la création des serres qui a beaucoup servi au développement des plantes exotiques sur nos sols. Ces études et ces progrès techniques se font en parallèle du perfectionnement des bateaux à vapeur, qui a favorisé et accéléré le commerce des végétaux rares et exotiques, grâce à des échanges plus rapides avec l’Amérique, l’Asie et le Moyen-Orient. En diminuant le temps de trajet, les chances de garder les plantes vivantes jusqu’à leur arrivée ont été augmentées. De ce fait, les jardins botaniques et les arboretums deviennent des lieux de présentation et d’étude scientifique pour l’horticulture ornementale, avec par exemple en France, le Jardin des Plantes de Paris ou l’Arboretum des Barres dans le Loiret.

  • 6 Idem, ibidem, p. 32.
  • 7 Id., ibid., p. 32.
  • 8 Id., ibid., p. 32.

5Le contexte est donc favorable à la création du jardin du Trocadéro, qui est conçu comme un « herbier vivant6 ». À sa création, il a été compté 240 essences différentes. La végétation est faite de différentes natures de plantes (arbres forestiers, arbres verts, arbrisseaux, plantes grimpantes, arbustes, plantes de terre de bruyères, arbres fruitiers), qui elles-mêmes sont représentées par un grand nombre d’essences différentes. Parmi les espèces très diversifiées du jardin, certaines sont des essences exotiques nouvellement introduites et acclimatées, d’autres sont des essences nouvellement découvertes et étudiées par les botanistes, et d’autres encore sont choisies pour leurs valeurs décoratives, avec une recherche pour des effets colorés et parfumés tout au long de l’année. On parle pour cette époque d’arboretum, du fait de la richesse de la palette végétale. Parmi ces curiosités scientifiques, il y a de nouveaux arbres aux feuillages décoratifs comme des frênes : le Fraxinus excelsior « atrovirens » et le Fraxinus excelsior « aurea »7. Quant aux essences exotiques, elles sont représentatives de l’ouverture sur le monde8 : elles viennent du Liban, de Chine, du Japon, de Corée, d’Amérique centrale, d’Amérique du Nord… Ce sont des Cèdres du Liban, des Mûriers de Chine, des Sophoras du Japon, des Frênes d’Amérique… Leurs vocations sont à la fois pédagogiques, scientifiques et esthétiques.

  • 9 Étude GRAHAL, Domaine de Saint-Cloud, étude historique et archéologique : rapport intermédiaire, le (...)

6Les arbres d’ornement composent les plus importantes unités de végétation. Ces arbres se retrouvent dans les massifs, les groupes et les bosquets. Certains, pour mettre en valeur leur aspect esthétique, sont placés en arbre isolé ou détaché afin de mettre en évidence leur port ornemental et exotique. Parmi ces arbres, les feuillus sont choisis pour leur port et leur feuillage décoratif par leur découpage et leur couleur, d’autres pour leur floraison et leur fructification ; quant aux conifères, ils constituent les seuls groupes verts en hiver. Aussi, de nombreuses essences d’arbustes ont été choisies pour augmenter la palette chromatique et étaler les floraisons dans le temps afin d’obtenir le maximum d’effets colorés et parfumés sur l’année. La très grande richesse de la palette végétale du jardin du Trocadéro à sa création est attestée par les nombreuses livraisons de plantations de 1823, 1826, 1828 et 1841. À la même époque, les mêmes plantes sont livrées pour tout le parc de Saint-Cloud, excepté les pins et les cyprès, mais à une échelle plus réduite. En effet, le nombre d’essences différentes est plus important au jardin du Trocadéro : pour 98 essences d’arbres forestiers présentes à Montretout, il y en a seulement 71 pour tout le parc de Saint-Cloud9. Cela montre bien l’importance de la végétation dans ce jardin, rassemblant dans un espace réduit et conçu à l’échelle des Enfants de France, une diversité d’essences plus grande encore que celle des espèces du parc de Saint-Cloud, constituant ainsi un patrimoine paysager et botanique.

La mode des jardins irréguliers du XIXe siècle

7La visée esthétique du jardin du Trocadéro apparaît également dans sa composition qui reprend les concepts à la mode du XIXe siècle. La richesse et la diversité de sa palette végétale s’articulent selon les principes de composition des jardins irréguliers décrits dans les traités de la première moitié du XIXe siècle. Ils veulent donner l’illusion de formes naturelles, alors que rien n’est laissé au hasard. Ainsi, des théoriciens et des architectes écrivent sur la meilleure manière de composer son jardin pour obtenir le résultat le plus naturel possible. Parmi les plus remarqués de ces traités on trouve ceux de Gabriel Thouin (1754-1829), Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins, John Claudius Loudon (1783-1843), Traité de la composition et de l’exécution des jardins d’ornement, Amédée Viart (1809-1868), Le jardiniste moderne… Largement illustrés de plans de jardins types, ils servent de modèle aux architectes et aux paysagistes du début du XIXe siècle. À cette époque, en ce qui concerne l’art des jardins, la théorie est réellement appliquée dans toutes les nouvelles créations et transformations de parcs et de jardins déjà existants. Le jardin du Trocadéro n’échappe pas à cette règle, puisque l’on retrouve dans ses principes de composition ceux énoncés dans les traités.

  • 10 Gabriel Thouin, Plans raisonnés de toutes les espèces de Jardins, Paris, La Bibliothèque des Introu (...)
  • 11 Idem, Ibidem, p. 47.

8En ce qui concerne le tracé des parcours, il est défini à l’époque par deux types de chemin : le chemin de ceinture et les chemins secondaires. Les traités définissent le chemin de ceinture comme celui « qui tourne autour de la Propriété, en observant de l’allonger le plus qu’il est possible, et lui donner un contour agréable10 ». Quant aux chemins secondaires, ils créent des parcours à l’intérieur du jardin, formant des liaisons entre le chemin de ceinture et les différents éléments constitutifs du paysage. Ces principes sont adoptés dans le jardin du Trocadéro, où les limites sont aussi traitées de façon à être dissimulées par la végétation de manière harmonieuse et décorative : par des bandes végétales, des lisières et un bosquet paysager. Le système de points de vue du jardin correspond également aux définitions des traités, puisque les plus importants partent du bâtiment principal, le pavillon de repos des Enfants de France. Ainsi sont créées des perspectives hiérarchisées permettant une expérience variée du jardin au cours de la promenade, ménageant plusieurs effets de surprises, des découvertes et différentes atmosphères au sein du même jardin. Thouin rappelle : « Le Bâtiment principal doit avoir des Points de Vue agréables sur le Jardin, pour engager à la promenade11 ».

Fig. 2.

Fig. 2.

Maison du Roi, Intendance des Bâtiments de la Couronne - Château de Saint-Cloud, Parc de Saint-Cloud- Pavillon projeté, 23 mars 1826, A.N.F21 3581, no 30 Trocadéro.

9La végétation est quant à elle composée des principales unités récurrentes dans cette première moitié du XIXe siècle : les arbres détachés, les arbres isolés, les groupes d’arbres, les massifs d’arbres et les massifs d’arbres et d’arbustes. Ces unités de végétation sont toujours organisées selon certains principes, c’est par exemple le cas de la composition des groupes d’arbres du Trocadéro qui respecte ceux énoncés dans le traité de Christian Cay Lorenz Hirschfeld :

  • 12 Christian Cay Lorenz Hirschfeld, Théorie de l’art des jardins, Tome II, Leipzig, 1781, p. 43.

10« En composant des groupes, il faut principalement être attentif à mettre ensemble des arbres qui se conviennent. Les arbres à feuilles s’accordent le mieux avec leurs semblables ; il en est de même des arbres conifères et des résineux. Il faut même prendre garde à la nature du feuillage. »12

11Ainsi, chaque groupe d’arbres du jardin est entièrement composé soit de feuillus soit de conifères. De même pour le bosquet paysager, bien qu’étant un élément original au jardin du Trocadéro, nous pouvons retrouver dans les traités des descriptions d’espaces ressemblantes :

  • 13 Amédée Viart, Le jardiniste moderne, Paris, Pichard, 1827, pp. 30, 31.

12« Des arbres isolés, plantés à différentes distances et dans diverses directions, peuvent occuper de grands espaces, et par le rapport visible qu’ils ont entre eux former une espèce de composition qui ne ressemble ni à un bois, ni à un bocage mais qui porte un caractère distinctif de grandeur et qu’on pourrait nommer masse d’arbres isolés. Ils servent aussi à encadrer avec grâce des lacs et des pelouses, en évitant toute régularité dans leurs dispositions13. »

  • 14 G. Thouin, op. cit, note 10.

13La place donnée à la végétation n’est pas non plus laissée au hasard : sous la forme de massifs, elle est positionnée autour des allées et surtout aux croisements (appelés têtes de massif), comme l’explique Thouin dans son ouvrage14. Les principes de composition et les éléments du couvert du jardin du Trocadéro sont donc bien caractéristiques de leur époque.

  • 15 Cereghini, Zamuner, op. cit. note 5, vol. I, p. 32.

14Enfin, il possède également les nouveaux critères de mouvements et de couleurs des jardins de la première moitié du XIXe siècle. Les arbres sont plantés en massifs, en bosquets ou isolés, ce qui donne du mouvement à l’ensemble en évitant la répétition de plantations similaires. Les formes ne sont pas géométriques, elles se veulent naturelles, fluides, aucun élément n’est semblable. Quant aux couleurs et textures, elles font l’objet d’une véritable recherche esthétique de la part de Hurtault : les 240 essences de végétaux permettent d’étaler et de superposer différents effets de floraison, de couleur, de feuillage des arbres et arbustes en continu sur toute l’année. Les périodes les plus remarquables sont le printemps et l’automne. Pour les arbustes d’ornement, on a cherché à étaler les floraisons sur le printemps et l’été, soit d’avril à août, afin d’enrichir la gamme chromatique de cette période en continu15. Les couleurs qu’ils offrent sont diverses : blanc, jaune, rose, violet, orange, rouge… Les arbres et les arbustes, répartis en massifs, permettent en fonction de leurs couleurs, de donner tout au long d’une promenade diverses atmosphères au jardin du Trocadéro, mais également de créer des changements d’ambiances en fonction des saisons. Ce jardin possède donc des particularités communes aux autres créations de la même époque, concernant la composition des parcours, des masses végétales, des points de vue, des couleurs et du mouvement.

Le jardin du Trocadéro sous le Second Empire

  • 16 Idem, ibidem, p. 5.

15Le jardin décrit ci-dessus est celui correspondant à la première phase de travaux de création et d’agrandissement, s’étalant de 1824 à 1829. Ensuite, il faut attendre le Second Empire pour que de nouveaux changements soient apportés au jardin du Trocadéro. Il s’agit alors de sa plus importante modification depuis sa création : la réalisation d’un lac, en 1858-1859. Le lac du Trocadéro, aussi dit le « grand réservoir », est une sécurité en cas d’incendie du château, car il approvisionne les pompes en eau16. Il prend place au milieu de la plus grande pelouse située dans le centre du jardin avec deux petits cours d’eau, l’un qui s’étend vers l’angle nord-est, et l’autre vers l’angle sud-ouest du jardin. Ces deux petites rivières accentuent l’aspect pittoresque de l’ensemble. De plus, le pavillon, initialement placé dans la partie privée du coteau de Montretout pour Mademoiselle, est transporté en face du lac. Il est renommé le Pavillon Turc. Autour de ces deux nouveaux éléments s’organisent de nouvelles plantations d’arbres isolés et de massifs de fleurs, ainsi que de nouveaux points de vue internes au jardin.

Fig. 3.

Fig. 3.

Eugène Dubreuil, Palais de St Cloud. Projet d’établissement de Rivières et d’un Lac dans le Jardin de Montretout [Projet non exécuté], 445 cm x 650 cm, SCD-ARCH-B2. arch. Domaine national de Saint-Cloud t. 7-8.

© Reproduction Pascal Lemaître / CMN

  • 17 Pierre-André Touttain, Haussmann : Artisan du Second Empire, Créateur du Paris moderne, Paris, Libr (...)
  • 18 Horace Walpole, L’Art des jardins modernes, traduction du duc de Nivernois, 1785, p. 60.

16Ces changements correspondent toujours aux goûts de l’époque, suivant la volonté de Napoléon III de faire de Paris une capitale moderne, selon son projet appelé son « grand dessein17 », qui se met en place entre 1853 et 1870. Il le réalise avec Georges Eugène Haussmann en l’articulant autour de trois grandes volontés : améliorer la circulation en développant des transports en commun à Paris et des chemins de fer dans toute la France ; percer de larges avenues dans Paris afin de faciliter la circulation et éviter les barricades et les émeutes ; créer des espaces verts pour les promenades des Parisiens. Pour ce dernier point, il a été fortement influencé par les parcs et jardins anglais lors de son exil à Londres. À Paris, il fait réaménager les bois de Boulogne et de Vincennes, et des parcs sont créés dans la ville, tels que les parcs des Buttes-Chaumont et de Montsouris à la place d’anciennes carrières, ainsi que vingt-quatre squares. Ces parcs sont clairement construits dans le goût des jardins anglais du XVIIIe siècle. Ils en reprennent les aménagements faussement naturels ponctués de constructions et de points de vue. En effet, ce sont les créateurs anglais qui, dans un premier temps, ont souhaité s’affranchir des règles de conception italiennes et françaises, afin de réaliser des jardins aux formes imitant celles de la nature. On voit alors le jardin comme une représentation de la nature, il en reprend les formes avec des allées sinueuses curvilignes, des arbres qui semblent se répandre de manière aléatoire, un paysage vallonné, des étangs et des rivières. Ainsi, ce rejet de la régularité s’applique également aux pièces d’eau, qui prennent alors un rôle primordial dans la composition des jardins. L’écrivain anglais Horace Walpole, écrivait à ce propos : « Adieu les canaux, les bassins circulaires, les cascades tombant sur un escalier de marbre, cette absurde magnificence des jardins italiens et français18. » Les parcours permettent au promeneur de faire des découvertes et d’apprécier plusieurs points de vue, selon les éléments qui composent le jardin.

17En France, avec les réalisations du Second Empire, l’eau est présente dans de nombreux jardins et parcs privés ou publics alors créés. Ainsi, le jardin du Trocadéro garde la trace, aujourd’hui encore, de cette importante période pour l’art des jardins où l’eau devient l’élément principal. La création de son lac entraîne des changements dans les plantations des arbres de la grande pelouse, qui soulignent désormais les bords du lac. Quant au système des points de vue, il est aussi modifié : ceux partant du pavillon vers la zone de filtre sont maintenant « ralentis » au niveau du lac par les reflets de l’eau. Le rôle de l’eau est donc bien primordial dans la composition des jardins, allant jusqu’à déterminer l’organisation des parcours, de la végétation et des points de vue.

  • 19 Cereghini, Zamuner, op. cit. note 5, vol. I, p. 33.
  • 20 Idem, ibidem, p. 33.

18Le Second Empire correspond aussi à la dernière importante campagne de replantation du jardin du Trocadéro, créant un épaississement de la végétation. D’ailleurs, l’âge de certains arbres encore présents autour du lac aujourd’hui, laisse penser qu’ils ont été plantés durant le Second Empire, comme les hêtres d’environ 150 ans19. Il n’existe pas de plan de plantation pour cette époque, mais des listes d’arbres et d’arbrisseaux demandés aux Pépinières du Palais de Versailles pour les plantations des jardins et parcs de Saint-Cloud et de Villeneuve l’Étang de 1861 à 1876, indiquent que les mêmes essences qu’à la création du jardin ont dû être demandées, ainsi que de nouvelles espèces, avec une tendance pour les feuillages panachés et ornementaux : Acer negundo acerioïdes variegata alba (Érable negundo), Ligustrum ovalifolium, variété du Japon (Troène à feuilles ovales)20… Cette tendance suit celle des nouveaux espaces verts publics de Paris.

L’arboretum comme patrimoine

  • 21 Id., ibid., p. 33.

19Les principes de base de la composition du jardin et de son entretien ont évolué en fonction du contexte politique et socio-économique21, ainsi que des différents propriétaires du domaine. En fonction de ces derniers, le jardin du Trocadéro, tout comme le parc de Saint-Cloud dans son ensemble, a connu des périodes plus ou moins fastueuses d’entretien ou de déclin. Par ailleurs, après le Second Empire, se succèdent plusieurs périodes de déclin : sous l’occupation prussienne après la défaite de Napoléon III en 1870, le domaine de Saint-Cloud connaît de nombreuses dégradation ; puis l’entretien du jardin cesse durant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale ; la tempête de décembre 1999 causa également d’importantes pertes. Ainsi, depuis le XXe siècle l’entretien des plantations n’est plus planifié sur le long terme et se fait ponctuellement ; s’ajoute à cela l’absence de document écrit concernant l’évolution des plantations. Le jardin est alors seulement maintenu en état, avec quelques nouvelles plantations au milieu du XXe siècle afin de renouveler sa palette végétale. Tout cela a entraîné des modifications des unités végétales, transformant du même coup légèrement sa composition originelle, à l’exemple de la ceinture végétale qui a connu beaucoup de pertes : la disparition partielle de la lisière végétale dans la partie sud-ouest et la disparition totale du bosquet paysager à l’est, aujourd’hui majoritairement constitué de pelouses, sur lesquelles seuls quelques arbres sont plantés, laissant une vue ouverte sur l’extérieur et inversement sont à souligner. De ce fait, la ceinture végétale perd son rôle d’écrin qui isole physiquement et visuellement le jardin du Trocadéro du reste du parc, et son caractère intime disparaît donc quelque peu. Quant aux massifs d’arbres et d’arbustes, on constate un épaississement général de la végétation, principalement dans la partie ouest du jardin, où elle paraît plus sauvage et rétrécit les allées. Enfin, la richesse de la palette végétale perd aussi de sa diversité, aucune plantation d’arbre n’ayant eu lieu depuis longtemps, alors que certains sujets remarquables arrivent en fin de vie.

  • 22 Information recueillie dans les fiches descriptives de l’inventaire départemental des arbres remarq (...)

20Cependant, la richesse botanique du jardin du Trocadéro reste exceptionnelle, composée encore aujourd’hui de nombreuses essences remarquables22 qui lui permettent de conserver sa fonction d’arboretum. Parmi ces arbres remarquables, certains le sont pour leurs dimensions comme le Thuya plicata (Thuya géant de Californie) qui mesure 17 mètres de haut et 22 mètres d’envergure ou le Fraxinus ornus (Frêne à fleurs), qui pour un arbre de petite taille atteint 15 mètres de haut et 17 mètres d’envergure, phénomène rare d’Île-de-France, ce qui en fait le plus gros de la région ; d’autres sont remarquables pour leur ancienneté comme les trois Fagus sylvaticapururea (Hêtre pourpre) et le Cedrus libani (Cèdre du Liban), tous plantés en 1850 vers le lac ; ou encore ils peuvent être intéressants pour leur rareté comme le Picea smithiana (Épicéa de l’Himalaya, de Morinda), espèce qui préfère pousser en altitude mais qui a tout de même réussi à bien s’acclimater dans le jardin.

  • 23 Cette partie correspond à l’état des recherches de l’auteur pour le mémoire d’étude sur le même suj (...)

21Actuellement23, l’entretien de la végétation du jardin du Trocadéro consiste principalement à la taille des arbres et des bosquets et à la tonte des pelouses, ainsi qu’au nettoyage des allées. Ce manque d’attention pose la question de la fragilité du patrimoine végétal, qui est un patrimoine vivant, nécessitant donc un constant entretien. Cependant, le jardin n’est pas laissé à l’abandon, aujourd’hui considéré comme un jardin historique, il fait l’objet d’une double protection : le 3 mars 1923, il est protégé en tant que site classé, et depuis le 9 novembre 1994, il est également classé au titre des monuments historiques. Le Domaine National de Saint-Cloud possède également depuis février 2005 le label « Jardin remarquable ». De plus, il continue de susciter l’intérêt puisque depuis les années 1990 plusieurs études concernant son histoire et son état actuel ont été réalisées, comme une étude historique et archéologique faite par le Groupe de Recherche Art Histoire Architecture et Littérature (GRAHAL) en 1991 et une étude de requalification, menée par E. Cereghini et M.-H. Zamuner et demandée par le Ministère de la culture, en 1993. Encore en 2015 a débuté la réalisation d’un plan de gestion du Domaine National de Saint-Cloud par le Centre des monuments nationaux. Cette étude fondée sur toutes les saisons des jardins, avec pour objectif une gestion écologique, le bon entretien du patrimoine horticole et la mise en valeur de l’accueil du public, devrait mettre à jour une idée des problématiques du parc, dans la perspective de définir un programme de travaux en fonction des priorités, ainsi qu’un plan de plantation. Cela donne une note optimiste pour l’avenir de ce jardin d’une grande richesse historique et botanique, avec la volonté de préserver son état originel et sa vocation d’arboretum.

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Notes

1 Hélène Sueur, Saint-Cloud, le domaine, Paris, Caisse nationale des monuments et des sites/Editions du patrimoine, 1998, p. 11.

2 Ce travail a été effectué en 2015 dans le cadre d’un mémoire d’étude de Master 1 et mériterait donc d’être mis à jour. Voir Pauline Choulet, L’arboretum du parc de Saint-Cloud (le Jardin du Trocadéro) : son histoire, son évolution et sa gestion actuelle, Mémoire d’étude, École du Louvre, 2015.

3 Florence Austin-Montenay, Saint-Cloud une vie de château, Genève, Vögele, 2005, p. 172.

4 Marie-Hélène Bénetière, Jardin : vocabulaire typologique et technique, Paris, Éditions du patrimoine, 2000, p. 44.

5 Cereghini, Zamuner, Etude de requalification du jardin du Trocadéro, vol. I, Ministère de la culture, Domaine national de Saint-Cloud, octobre 1993, p. 10.

6 Idem, ibidem, p. 32.

7 Id., ibid., p. 32.

8 Id., ibid., p. 32.

9 Étude GRAHAL, Domaine de Saint-Cloud, étude historique et archéologique : rapport intermédiaire, le jardin de Montretout et l’allée du point de vue, Service National des travaux, décembre 1991, p. 24.

10 Gabriel Thouin, Plans raisonnés de toutes les espèces de Jardins, Paris, La Bibliothèque des Introuvables, 2004, p. 47.

11 Idem, Ibidem, p. 47.

12 Christian Cay Lorenz Hirschfeld, Théorie de l’art des jardins, Tome II, Leipzig, 1781, p. 43.

13 Amédée Viart, Le jardiniste moderne, Paris, Pichard, 1827, pp. 30, 31.

14 G. Thouin, op. cit, note 10.

15 Cereghini, Zamuner, op. cit. note 5, vol. I, p. 32.

16 Idem, ibidem, p. 5.

17 Pierre-André Touttain, Haussmann : Artisan du Second Empire, Créateur du Paris moderne, Paris, Librairie Gründ, 1971, p. 38.

18 Horace Walpole, L’Art des jardins modernes, traduction du duc de Nivernois, 1785, p. 60.

19 Cereghini, Zamuner, op. cit. note 5, vol. I, p. 33.

20 Idem, ibidem, p. 33.

21 Id., ibid., p. 33.

22 Information recueillie dans les fiches descriptives de l’inventaire départemental des arbres remarquables recensés par le Conseil Général des Hauts-de-Seine, 2015.

23 Cette partie correspond à l’état des recherches de l’auteur pour le mémoire d’étude sur le même sujet datant de 2015. Voir Pauline Choulet, op. cit. note 2.

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Table des illustrations

Titre Fig. 1.
Légende Étienne Allegrain (att.), Vue cavalière du château et du parc de Saint-Cloud vers 1675, 1675-1677, huile sur toile, 314 cm x 386 cm, Musée des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 743.
Crédits © BnF / Gallica
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/21939/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 373k
Titre Fig. 2.
Légende Maison du Roi, Intendance des Bâtiments de la Couronne - Château de Saint-Cloud, Parc de Saint-Cloud- Pavillon projeté, 23 mars 1826, A.N.F21 3581, no 30 Trocadéro.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/21939/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 480k
Titre Fig. 3.
Légende Eugène Dubreuil, Palais de St Cloud. Projet d’établissement de Rivières et d’un Lac dans le Jardin de Montretout [Projet non exécuté], 445 cm x 650 cm, SCD-ARCH-B2. arch. Domaine national de Saint-Cloud t. 7-8.
Crédits © Reproduction Pascal Lemaître / CMN
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/docannexe/image/21939/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 662k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Pauline Choulet, « Le Jardin du Trocadéro : un arboretum dans le parc de Saint-Cloud »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 01 juillet 2022, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/21939 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cel.21939

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Auteur

Pauline Choulet

Diplômée en 2016 du Master professionnel de Régie des œuvres de l’École du Louvre, Pauline Choulet a rédigé deux mémoires de recherche dans le cadre de ses études : « Portraits et autoportraits de femmes des années 1900 à 1940 » et « L’Arboretum du parc de Saint-Cloud (le Jardin du Trocadéro) : son histoire, son évolution et sa gestion actuelle ». Régisseure d’œuvres d’art depuis 2016 (Cnap, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, musée Carnavalet…), elle travaille actuellement au musée Rodin.
Pauline Choulet graduated from the professional master’s degree in art management at the École du Louvre in 2016. She wrote two research papers as part of her studies: “Portraits et autoportraits de femmes des années 1900 à 1940” and “L’Arboretum du parc de Saint-Cloud (le Jardin du Trocadéro) : son histoire, son évolution et sa gestion actuelle”. She has been a museum registrar since 2016 (including stints at the Cnap, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon and the Musée Carnavalet) and is currently working at the Musée Rodin.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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