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Introduction

Parcs et jardins historiques, ancrage territorial et mise en scène des demeures aristocratiques aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Stéphanie Celle

Texte intégral

1À l’initiative de deux anciennes étudiantes, Lucie Nottin et Clara Delannoy, un ensemble d’articles issus de recherches sur la thématique des « parc et jardins historiques » est à présent valorisés dans le cadre d’une publication des Cahiers de l’École du Louvre. Cette démarche collective offre l’occasion de revenir sur l’intérêt pédagogique et scientifique du développement, depuis près de dix ans, d’un tel axe d’étude et de recherche en master 1. Cette valorisation va permettre également de partager des apports significatifs à l’histoire de l’art et en particulier de l’architecture, concernant notamment les jardins des hôtels particuliers du VIIe arrondissement de Paris, et les dispositifs paysagers des châteaux de plaisance construits à proximité de la Seine aux XVIIe et XVIIIe siècles.

Intérêt pédagogique et scientifique de la thématique de recherche sur les « parcs et jardins historiques »

2En proposant à des étudiants de l’École du Louvre une thématique de recherche sur les « parcs et jardins historiques », il s’agissait d’ouvrir une nouvelle voie parmi les thématiques de master 1 de l’École, davantage dédiés aux collections muséales qu’aux patrimoines architectural et paysager. Les problématiques d’études proposées sur les « parcs et jardins » l’ont été en prenant appui essentiellement, sur deux corpus cohérents : d’une part, les jardins des hôtels particuliers du VIIe arrondissement et d’autre part, les domaines nationaux situés en Île-de-France et gérés par le Centre des monuments nationaux.

3Amener des étudiantes et des étudiants à réfléchir sur un patrimoine de jardins et de parcs, c’est leur permettre de mieux saisir leur nature « vivante », évolutive et sans cesse renouvelée, qui oblige à poser une définition spécifique de leur authenticité et des enjeux de conservation et de restauration qui leur sont propres. Ainsi, la valeur patrimoniale doit se penser en fonction de l’objet, des connaissances qui l’accompagnent, de sa matérialité et de ses usages. La charte sur les jardins historiques, dite charte de Florence, adoptée en 1982 par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), en dresse les éléments de doctrine.

4 Étudier les jardins des hôtels particuliers permet de mieux saisir l’importance de la notion d’ensembles architecturaux où l’organisation spatiale de la composante bâtie ne s’envisage qu’avec ses prolongements extérieurs, servant d’écrin à son architecture. Pour un château de plaisance, le dispositif paysager l’inscrit de façon stratégique dans le grand paysage en jouant des avantages de la topographie pour faciliter les accès mais aussi voir au loin et être vu en particulier depuis la Seine. Ces analyses sur la structure et le rôle des parcs et jardins historiques sont nourries par les travaux d’historiens de l’art comme Monique Mosser, Françoise Boudon ou Georges Farhat, travaux bien référencés dans les bibliographies des mémoires des étudiantes et des étudiants.

5 En plus des recherches iconographiques systématiques, les sujets d’étude sur les parcs et les jardins invitent à la manipulation formatrice et l’analyse instructive de fonds de cartes et de plans très riches tant par leur nombre que par leur qualité. À ce titre, l’Atlas de Trudaine (levés de 1745 à 1780), la Carte des chasses royales (levés entre 1764 et 1773) sont de précieuses sources pour la connaissance du bassin parisien sous l’Ancien Régime. Il en est de même pour le Plan de Jaillot (1713), le Plan de Turgot (1734-1739) ou le Plan de Deharme (1763) à l’échelle de Paris. De nombreuses cartes et plans anciens sont ainsi présentés dans les annexes des mémoires ci-après cités.

Le corpus des jardins des hôtels particuliers du VIIe arrondissement et ses questions spécifiques

6Les questions relatives aux jardins des hôtels particuliers ont d’abord cherché à mieux qualifier leurs qualités dues à leurs grandes dimensions. En effet, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, l’urbanisation du quartier du faubourg Saint-Germain s’est développé sur des champs, rendant possible la construction de vastes et somptueux hôtels complétés par de profonds jardins d’agrément mais également par des vergers et des jardins potagers. Bien qu’une densification du bâti se soit opérée durant les XIXe et XXe siècles, nous héritons dans le VIIe arrondissement, d’un tissu urbain composé de grands « blocs » regroupant les jardins en cœur d’îlot. Ce sont ces caractéristiques uniques que le secteur sauvegardé du VIIe arrondissement a pour objectif de conserver et valoriser.

7En 2016, le mémoire de Soria Benhamouda (« Étude des jardins en cœur d’îlot urbain au sein du secteur sauvegardé du VIIe arrondissement de Paris ») a permis de mieux suivre l’évolution historique de ces ensembles et de faire un focus sur les jardins de l’Hôtel de Biron. Dans ce cas précis, l’existence, jusqu’au début du XXe siècle, d’un jardin nourricier devant la façade sud du corps de logis, en lieu et place du jardin régulier préexistant, a incité à rechercher les causes d’une transformation aussi radicale. En 2018, le mémoire de Clara Delannoy (« Impact de la Terreur sur l’évolution des jardins des hôtels particuliers du VIIe arrondissement ») a exploré l’hypothèse de la mise en culture des jardins des émigrés sur injonction de l’administration du gouvernement de la convention de septembre 1793. Cette utilisation de la terre intra muros détruisant les parterres des jardins réguliers pour répondre à la famine, a probablement été dans la période post-révolutionnaire un facteur accélérateur du déploiement de jardins à l’anglaise, qui ne peut être entièrement justifié par la seule mode du jardin anglo-chinois, apparue à la fin XVIIIe siècle. Cela reste néanmoins à démontrer.

8 En parallèle, en 2016, le mémoire de Justine Moalic (« Les jardins suspendus et en terrasse des hôtels parisiens du XVIIe et du XVIIIe siècles ») a décrit les origines et les avantages des jardins surélevés sur remblais par rapport au niveau de la rue. Cette typologie, bien illustrée par l’Hôtel Lambert construit dès 1640 par l’architecte Louis Le Vau dans l’Île Saint-Louis, est présente dans le secteur sauvegardé du VIIe arrondissement et exploitée, par exemple, par l’architecte Germain Boffrand pour les constructions en bord de Seine (actuel quai Anatole France), des Hôtels de Beauharnais et de Seignelay respectivement en 1710 et 1713.

Les châteaux de plaisance et la Seine, tirer parti de situations topographiques remarquables

9 Parmi les châteaux de plaisance du bassin parisien, le château de Maisons fait figure de modèle depuis son édification en 1646 par l’architecte François Mansart. L’axe principal de son dispositif paysager, représenté avec précision sur plusieurs cartes du XVIIIe siècle, atteint près de 3 kilomètres et installe le fond de perspective de son jardin sur la rive opposée de la Seine, l’englobant dans son dessin. Dès lors, des questions se posent sur les valeurs d’usage de ce puissant réseau viaire et sur les différents rôles du fleuve au sein du dispositif. Une comparaison avec le canal du château de Vaux-le-Vicomte, construction postérieure, semble pertinente mais reste à préciser. C‘est sur ces questions que Marie Morillon a rassemblé des archives et proposé des éléments de réponse dans son mémoire soutenu en 2016.

10 Dans la continuité de l’étude sur Maisons, Lucie Nottin a recensé et étudié d’autres châteaux et « maisons de plaisance » implantés à la campagne et à proximité de la Seine, avec un dispositif paysager tirant profit de cette situation. Ses recherches développées en master 1 et approfondies en master 2 lui ont permis d’aboutir à la définition d’un corpus de châteaux regroupés sous l’appellation « châteaux de la Seine » dont les typologies dépendent de la topographie du site. Ce travail d’identification et de caractérisation d’un corpus de châteaux et « maisons de plaisance » autour de leurs qualités paysagères particulières a tenu une place importante au sein du groupe du recherche, même si l'auteur, qui occupe actuellement un poste à responsabilités au sein de la direction du château de Miromesnil, a manqué de temps pour produire un article à ce sujet.

11 Les cartes anciennes, comme la Carte des Chasses Royales, témoignent du très grand nombre de « châteaux de la Seine » parfaitement illustrés par la série entre Évry et Ris-Orangis et dont le château de Petit-Bourg, où sont intervenus François Mansart et André Le Nôtre, est le point d’orgue. La grande majorité de ces châteaux et de leurs dispositifs paysagers ont aujourd’hui disparu. En 2021, Andrea Baserga et Jérémie David ont rendu deux mémoires complémentaires révélant les facteurs clés de ces disparitions massives. Le facteur économique est une première cause de désaffection de châteaux trop onéreux bien avant la Révolution française. Plus tard, l’urbanisation, le passage du chemin de fer et l’implantation de sites industriels conjuguent leurs impacts décisifs sur la transformation ou la démolition de ces ensembles monumentaux dans le courant du XIXe et du XXe siècle.

12 Le Domaine national de Saint-Cloud qui, dans ses dispositions passées, appartenait à l’ensemble des « châteaux de la Seine » offre à lui seul de nombreux sujets d’étude grâce à sa vaste étendue de 460 hectares recouvrant différentes interventions paysagères. En 2013, le mémoire d’Alexandra Legros (« Le parc du château de Saint-Cloud : l’intervention de Contant d’Ivry, sa disparition, ses vestiges actuels ») portait sur les cinq remarquables interventions de l’architecte Pierre Contant d’Ivry au milieu du XVIIIe siècle. En 2015, le mémoire de Pauline Choulet retraçait l’histoire de l’arboretum de Saint-Cloud conçu en 1824 pour les Enfants de France. Enfin, en 2022, Solveig d’Aboville a mené une étude de synthèse sur les réseaux et jeux d’eau avec pour but de proposer une analyse critique de la spectaculaire vue cavalière peinte par Étienne Allegrain (1644-1736), représentant le jardin bas de Saint-Cloud du temps de Monsieur, frère du roi.

13 D’autres mémoires d’étudiantes et d’étudiants ont par ailleurs apporté leur tribut à cet axe de recherche sur les « parcs et jardins historiques » : ainsi la monographie détaillant l’intervention de Le Nôtre à Meudon, réalisée en 2020 par Romane Mazzieri, ou l’étude transversale sur la matérialité des parterres des jardins réguliers réalisée en 2017 par Gaspard Lesbegueris.

Des collaborations interdisciplinaires fructueuses et des liens fidélisés avec les services du ministère de la Culture

14 Dans le déroulement de toutes ces années universitaires depuis 2013 et pour le bon suivi de ces travaux sur les « parcs et jardins », des collaborations fructueuses entre architectes-urbanistes de l’État, conservateurs du patrimoine, historiens de l’art et experts se sont mises en place et des relais ont été passés. Ces relations valorisent le tissage riche des liens interdisciplinaires et interservices au sein du ministère de la Culture. Dans ce contexte de publication, je tenais à remercier de leurs apports les collègues et partenaires portant ce même intérêt pour un meilleur partage du patrimoine des « parcs et jardins historiques » et des problématiques scientifiques et techniques qu’il suscite.

15Jusqu’en 2015, j’ai d’abord proposé des sujets d’étude dans le cadre du groupe de recherche dirigé par Isabelle-Pallot Frossard, conservateur général du patrimoine, à laquelle je souhaite témoigner de ma sincère reconnaissance. Par la suite, la direction de ce groupe de recherche m’a été confiée, et en renommant sa thématique « patrimoine architectural et paysager », j’ai souhaité y inscrire pleinement les travaux sur les « parcs et jardins historiques ». À partir de 2020, j’ai proposé à Lucie Nottin ou Clara Delannoy selon les sujets, d’être « personnes ressources » de mémoire de master 1 car toutes deux avaient entre temps approfondi leurs connaissances sur les « parcs et jardins historiques » dans le cadre de leur master 2.

16Selon les sujets également, ont été sollicités pour leurs conseils ou étroites collaborations dans l’accompagnement des travaux, les conservateurs, historiens de l’art ou experts : Nicolas Courtin, Monique Mosser, Jean-François Cabestan, Pascal Liévaux, Séverine Drigeard, Jean-Michel Sainsart, expert parcs et jardins et Gilles Bultez, chef du service des Eaux et Fontaines de Versailles. Qu’ils en soient tous remerciés.

17Plusieurs services du Centre des monuments nationaux et de la DRAC d’Île-de-France ont régulièrement été consultés pour leurs archives et compétences sur les sites étudiés. Parfois ces relations nouées ont conduit à des propositions de stages ou de vacations pour les étudiantes et les étudiants, ce qui représentaient des expériences professionnalisantes en continuité de leurs études. Lucie Nottin a ainsi travaillé au sein de l’administration du Château de Champs-sur-Marne et occupe à présent, un poste de responsabilité au Château de Miromesnil (Normandie).

18Est également à noter la « passerelle » qui s’est aisément établie entre le groupe de recherche de master 1 « patrimoine architectural et paysager » et le master 2 « jardins historiques, patrimoines et paysage » de l’ENSA de Versailles puisque trois étudiantes s’y sont inscrites à la suite de leur master 1 à l’École du Louvre : ce fut notamment le cas de Clara Delannoy qui, à présent, est chargée de programme réseau des Jardins de Noé (association Noé).

19La qualité des mémoires de master 1 sur les « parcs et jardins historiques », les échanges intellectuels et de confiance avec un réseau d’experts et des institutions fidélisés ainsi que l’insertion professionnelle des jeunes diplômés dans le champ du patrimoine architectural et paysager sont des motifs de satisfaction qu’il m’importait de souligner dans cette introduction, avant de laisser place à la plume des alumni de l’École du Louvre.

20Enfin, je souhaiterais également manifester ma sincère reconnaissance au comité de rédaction des Cahiers de l’École du Louvre et notamment à Lauren Launay et Françoise Blanc, pour l’étroit accompagnement assuré auprès des auteurs des articles suivants, jeunes diplômés ou encore étudiants qui ont ainsi réalisé leur premier article scientifique et contribué à cette belle publication collective.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Stéphanie Celle, « Introduction »Les Cahiers de l’École du Louvre [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 27 juin 2022, consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cel/20950 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cel.20950

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Auteur

Stéphanie Celle

Stéphanie Celle est diplômée de l’École nationale d’architecture de Versailles, de l’École de Chaillot et titulaire d’un DEA en archéologie de période historique. Elle a été pensionnaire de l’Académie de France à Rome et lauréate du Richard Morris Hunt Prize. Collaboratrice d’Éric Pallot, architecte en chef des monuments historique de 1993 à 1998, elle a pu acquérir une expérience professionnelle approfondie d’architecte du patrimoine. Stéphanie Celle devient architecte-et-urbaniste de l’État en 2000 et exerce d’abord les fonctions d’architecte des bâtiments de France à Paris de 2001 à 2008. Puis elle intègre la Direction de la maîtrise d’ouvrage du Centre des monuments nationaux en tant que conservatrice d’un ensemble de sites et monuments historiques notamment en Île-de-France. De 2012 à 2016, Stéphanie Celle a été l’adjointe de la directrice du Laboratoire de recherche des monuments historiques. En 2016, elle devient chef du bureau des professions, de la maîtrise d’œuvre et de la commande architecturale au sein du service de l’architecture du ministère de la Culture. Depuis 2018, elle occupe la fonction d’adjointe au sous-directeur de l’enseignement et de la recherche en architecture qui exerce la tutelle sur le réseau des écoles nationales d’architecture et de paysage. En parallèle, Stéphanie Celle dirige à l'École du Louvre le séminaire de master 1 Patrimoine architectural et paysager, auquel ont participé les auteurs et autrices de ce numéro.
Stéphanie Celle is a graduate of the École Nationale d’Architecture de Versailles and the École de Chaillot, and has a DEA in archaeology. She was a resident of the Académie de France in Rome and winner of the Richard Morris Hunt Prize. Having worked with Éric Pallot, chief architect of historic monuments from 1993 to 1998, she has acquired extensive professional experience as a heritage architect. Celle became an architecte-et-urbaniste de l’État in 2000 and first worked as an architecte des Bâtiments de France in Paris from 2001 to 2008. She then joined the Direction de la Maîtrise d’Ouvrage of the Centre des Monuments Nationaux as curator of a group of historic sites and monuments, notably in the Île-de-France region. From 2012 to 2016, Celle was assistant to the director of the Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques. In 2016 she became head of the Bureau des Professions, de la Maîtrise d’Oeuvre et de la Commande Architecturale in the architecture department of the Ministry of Culture. Since 2018, she been deputy director of education and research in architecture, which oversees the network of national schools of architecture and landscape architecture. Celle also oversees the Master 1 architectural and landscape heritage seminar at the École du Louvre, in which the authors of this issue participated.

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