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Texte intégral

1Ce numéro des Cahiers d’études italiennes est consacré à la Divine Comédie de Dante Alighieri dont on célèbre le septième centenaire de la mort survenue en exil, à Ravenne, le 14 septembre 1321. Les huit études qui le composent se penchent sur les figures féminines du poème et sur une notion large de genre qui prend en compte la question de la relation entre le féminin et le masculin. Celle‑ci, passée au cœur de nos préoccupations, n’était nullement absente à l’époque de Dante, et c’est ce qu’entend souligner le titre choisi, Personaggi femminili e categoria di genere nella Commedia dantesca.

2Si les personnages féminins sont loin d’être massivement présents dans la Comédie, notamment au niveau du nombre de répliques prononcées — pensons par exemple au peu de vers que le poète accorde à Pia de’ Tolomei (Purg. V) ou à Francesca (Inf. V) —, ils figurent dans chacun des cantiques, jouant des rôles et incarnant des valeurs et des significations variés. La figure de la Vierge, « parfait modèle pénitentiel » (Stefano Prandi), est emblématique de cette fonctionnalité du personnage dantesque et plus particulièrement féminin.

3Malgré la diversité des approches et des problématiques abordées, les études reposent sur un socle méthodologique commun qui garantit la cohérence et l’unité de l’ensemble. Ce socle est le concept de personnage fictionnel, « narratif », selon la terminologie utilisée par Alberto Casadei. C’est par ce biais‑là, en effet, que les auteurs parviennent à relativiser le poids de l’énorme quantité de gloses et de commentaires qui, depuis le xive siècle, se sont accumulés autour de la Divine Comédie, et notamment autour des personnages historiques, ou présumés tels, du poème. Peu importe l’identité historique de Pia (Francesco Bausi), de Matelda (Alberto Casadei) ou encore de certaines figures de saintes qui reviennent dans différentes parties du poème, ce qui compte est leur « fonction narrative et symbolique » (Giuseppe Ledda), autrement dit la manière dont Dante a réutilisé, transformé, synthétisé et traduit en personnages et en images poétiques les informations réelles ou légendaires dont il disposait. Cette prise de distance par rapport à la critique antérieure, dont aucun des auteurs ne met en doute l’importance, est reconnue pratiquement par tous comme étant une condition indispensable pour renouveler le regard porté sur le poème de Dante et partir à la découverte de nouvelles significations d’un épisode, d’un personnage, voire d’une expression énigmatique.

4Trois études assurent le relais entre ce qui précède et une contribution qui s’interroge sur une expression mettant en cause la femme dans un passage de l’Enfer non encore élucidé de manière satisfaisante.

5Dans la première est relativisée l’emphase portée par la critique sur l’émotion de Dante-personnage vis-à-vis du sort tragique de Francesca (Inf. V) et prônée en revanche l’insistance sur le caractère exemplaire de l’épisode en tant que mise en garde contre une lecture non réfléchie et trop complaisante de la littérature romanesque traitant d’amour (Marcello Ciccuto). Il est encore question de valeur exemplaire dans une seconde étude, qui traite de la vision de la « femmina balba » (« bègue ») (Purg. XIX, v. 7‑33) et par là de la représentation répugnante du corps féminin que Dante a tirée de la production médicale médiévale au caractère fortement misogyne afin de dénoncer l’horreur de la luxure et de la passion, graves menaces, à ses yeux, pour le salut vers lequel doit tendre la bonne littérature (Natascia Tonelli). Valter Leonardo Puccetti, qui a conçu et coordonné ce beau numéro de la revue, se penche sur la difficulté qu’éprouve Dante à concilier sa vision idéale de la femme, intermédiaire entre la terre et le Ciel, avec les catégories éminemment humaines de mémoire et d’oubli auxquelles doivent se mesurer certains de ses personnages féminins, non seulement en Enfer et au Purgatoire, mais encore au Paradis. Rejoignant ainsi Francesco Bausi et Stefano Prandi, l’auteur conclut que Dante parvient « à dépasser certains automatismes misogynes » propres à son époque et à sa vision politique, en choisissant de s’identifier à ces figures qui ne se conformèrent pas à un idéal féminin que seule la Vierge pouvait réaliser.

6Enfin, deux spécialistes respectivement de littérature et de numismatique font converger leurs compétences en vue de déceler le sens caché derrière le syntagme « femmine da conio » (Inf. XVIII, v. 67). Comme le remarquent les auteures de cette contribution originale, la signification générale de l’expression et son contexte d’utilisation renvoient l’image d’un monde féroce où les femmes sont utilisées comme « marchandise d’échange » pour des mariages économiquement avantageux ou pour obtenir les faveurs des puissants. L’usage du mot « conio », terme technique renvoyant à l’instrument de forme cylindrique utilisé pour marquer les pièces de monnaie, se charge d’une indiscutable connotation sexuelle et obscène sur laquelle les commentateurs anciens de Dante ne se sont pas attardés, puisque, selon les auteures, elle leur paraissait aussi transparente qu’aux lecteurs du Moyen Âge. Par cette analyse se trouve renouvelée l’interprétation d’un passage problématique et en même temps confirmé le goût bien connu de Dante pour l’utilisation d’images parlantes aptes à rendre visible et concret l’acte sous-jacent à l’expression (Sebastiana Nobili et Lucia Travaini).

7Ces études de huit spécialistes d’envergure internationale — neuf, si l’on considère qu’une contribution a été écrite à deux mains — offrent à travers le prisme dantesque une image complète et percutante de la femme au Moyen Âge. Une image à première vue peu nuancée, caractérisée par une grande ambivalence puisque le féminin y est considéré à la fois comme la source du péché de luxure qui mène à la damnation et comme l’intermédiaire entre la terre et le divin. Nous ne pouvons que nous réjouir d’accueillir dans les Cahiers d’études italiennes un ensemble de travaux qui montrent combien dans la présentation des personnages féminins, Dante poursuit son but d’une poésie pour le salut tout en utilisant des images propres à frapper la sensibilité et l’esprit du lecteur.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patrizia De Capitani, « Avant-propos »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 33 | 2021, mis en ligne le 01 octobre 2021, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/9360 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.9360

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Auteur

Patrizia De Capitani

Université Grenoble Alpes
patrizia.bertrand@univ-grenoble-alpes.fr

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