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1Ce quatrième numéro des Cahiers d’études italiennes, le deuxième de la série « Filigrana », est la contribution de notre Centre de recherche et de notre Université aux célébrations du septième centenaire de la naissance de Francesco Petrarca. Il a son origine dans une journée d’études, consacrée à « Pétrarque et le pétrarquisme », qui a été organisée à l’université Stendhal, avec le soutien de l’Istituto italiano di cultura de Grenoble, le 2 décembre 2004. Les contributions de Claude Perrus, Serge Stolf et Jean-Yves Vialleton, que l’on lira dans ce volume, furent prononcées en cette occasion. D’autres chercheurs, spécialistes de Pétrarque et du pétrarquisme, qui collaborent avec notre centre, nous ont rejoints pour ce numéro thématique.

2Dans l’ensemble des contributions rassemblées ici, deux domaines d’études acquièrent un relief particulier : les œuvres latines de Pétrarque et le pétrarquisme. L’étude de l’œuvre latine de Pétrarque a en France une longue tradition remontant à des savants comme Pierre de Nolhac. Après une éclipse en faveur du poète en langue vulgaire, ces études ont récemment connu un renouveau, grâce notamment aux remarquables projets éditoriaux des « Belles Lettres » (édition des Lettres familières et des Lettres de la vieillesse) et de l’éditeur Jérôme Million de Grenoble (édition, entre autres, de l’Africa, du De otio religioso, du De ignorantia, du De remediis utriusque fortune, des Invectives et des Sine nomine) qui mettent à la disposition des lecteurs français d’excellentes éditions bilingues commentées de ces textes fondateurs de l’humanisme européen.

3Quant au pétrarquisme, il a longtemps souffert d’un certain discrédit parmi les lecteurs, mais aussi parmi les chercheurs, qui le considéraient comme un cas d’imitation poétique, certes importante pour l’histoire littéraire, mais souvent stérile et, au fond, sans grande valeur esthétique. Depuis une vingtaine d’années, une nouvelle notion d’intertextualité, plus dynamique, qui ne se limite pas à identifier des sources, mais qui s’interroge sur les modalités et les enjeux de la réécriture et du dialogue des textes, a enrichi les études littéraires. Ce renouvellement des méthodes critiques a également profité au pétrarquisme. Nous sommes devenus plus sensibles aux innombrables inflexions et nuances de la longue histoire de l’imitation de Pétrarque, et de nombreuses recherches ont démontré que le rapport des pétrarquistes à leur modèle est plus riche qu’il n’y parait ; plus riche, plus complexe et parfois plus ambigu qu’un concept simple d’imitation ne le laisserait supposer. Le pétrarquisme ne se limite pas à l’emprunt de vers, de formules et d’images, ou l’imitation d’un certain « style », mais le rapport avec Pétrarque intéresse la culture littéraire et les conceptions poétiques de ces auteurs dans leur ensemble. Par ailleurs on voit toujours plus nettement combien l’inspiration pétrarquiste est inséparable de l’imitation d’autres auteurs, antiques ou modernes ce qui a ouvert de nombreuses nouvelles perspectives de recherche.

4Dans ce volume, les deux articles consacrés au Pétrarque latin et les quatre contributions sur le pétrarquisme sont précédés par une étude de Claude Perrus sur le Chansonnier. Elle analyse la structure du recueil à partir de sa construction, à savoir de son histoire rédactionnelle qui fut, comme on le sait, longue et tourmentée. Cette approche permet de rendre compte de la spécificité d’un recueil qui est à la fois systématique et ouvert, qui se présente comme un ensemble cohérent et structuré pour mieux laisser transparaître les contradictions et les conflits dont il est le témoignage. C’est dans la construction textuelle que l’on peut comprendre l’évolution et la dynamique de l’incessante recherche de Pétrarque, une recherche qui est, comme le démontre bien Claude Perrus, à la fois poétique et personnelle.

5L’étude de Florence Bistagne sur le Secretum contient un recensement systématique, dans le prologue et le premier livre du traité, des emprunts aux auteurs latins, sous forme de citations, d’allusions ou de réminiscences. Par ce biais, l’article offre un aperçu éclairant et novateur des modalités de l’écriture de Pétrarque, et ouvre de nouvelles perspectives quant à l’orientation philosophique du traité et à son rapport avec la culture antique. À la lumière de cette enquête intertextuelle, l’article nous invite à nous interroger sur le rôle que jouent, dans le traité, les réminiscences de la poésie antique, mais également sur la place qu’occupent respectivement les deux grandes voix de la philosophie morale antique, Cicéron et Sénèque.

6Avec l’article de Maria-Cristina Panzera nous passons au Pétrarque épistolier et narrateur. L’analyse du célèbre De insigni obedientia et fide uxoria, traduction-remaniement de la dernière nouvelle du Décaméron (et à l’origine, comme on le sait, de l’immense fortune européenne de l’histoire de la patiente Griselda) est ici envisagée, dans la lignée des recherches italiennes les plus récentes, dans son cadre original, à savoir le livre XVII des Lettres de la vieillesse. La lecture contrastive du texte de Pétrarque et de son modèle permet de décrire deux façons fondamentalement différentes de présenter un même récit, mais aussi de dégager deux différentes conceptions de la nouvelle, du rôle du narrateur et du rapport avec le public. Cette approche débouche sur une nouvelle interprétation du texte de Pétrarque et montre comment il met l’allégorie chrétienne au service d’une représentation du destin de l’intellectuel.

7La première des quatre contributions sur le pétrarquisme concerne une œuvre peu connue, mais significative, le Sogno di Parnaso de Lodovico Dolce. Ce poème, publié en 1532, se révèle dans l’analyse de Donatella Donzelli comme un exemple particulièrement éclairant des procédés de réécriture chez les auteurs pétrarquistes. L’étude intertextuelle détaillée permet de reconstruire la façon dont Dolce construit son poème comme un véritable montage de citations, conçu comme un hommage à Pétrarque, mais aussi aux imitateurs de Pétrarque, dans la mesure où de nombreux éléments proviennent des auteurs pétrarquisants du xve et xvie siècles, comme Sannazare et l’Arioste. Mais le travail de réécriture concerne également la Comédie de Dante, œuvre dont l’imitation se croise par ailleurs avec celle d’un texte de Pétrarque dont l’importance pour les poètes de la Renaissance reste à explorer dans toute sa richesse : les Triomphes.

8Serge Stolf, pour sa part, offre une exploration nouvelle du « pétrarquisme » des Rime de Michel-Ange. L’étude systématique de la présence du Chansonnier au niveau des thèmes et des images aussi bien qu’au niveau de la langue, du style et de la métrique, débouche sur une comparaison entre deux écritures, mais aussi entre deux façons de concevoir la poésie. À travers le relevé des emprunts à Pétrarque, l’article redonne vie à ce qui fut un véritable dialogue de Michel-Ange avec son modèle et révèle, dans la comparaison, deux sensibilités poétiques et spirituelles différentes.

9La contribution de Jean-Yves Vialleton offre une synthèse nouvelle et originale sur la présence de Pétrarque dans la culture littéraire française du xvie siècle. À partir des remarques, souvent polémiques, que les auteurs de l’époque consacrent à Pétrarque et à la mode pétrarquisante dans les lettres françaises, l’article reconstruit un vaste débat poétique qui a comme point d’articulation implicite ou explicite le poète italien. L’anti-pétrarquisme, loin d’être un simple rejet du poète italien, implique une réflexion complexe et riche sur la passion telle que la représente la littérature et sur ce que doit être la poésie d’amour. Des textes bien connus de Ronsard et d’autres poètes du xvie siècle reçoivent ainsi un éclairage nouveau dans l’analyse de Jean-Yves Vialleton.

10L’article de Irena Prosenc est consacré à une époque postérieure, le romantisme, et à un pays, proche de l’Italie, mais dont nous connaissons mal la littérature, la Slovénie, mais la présence de Pétrarque y est toujours vive et multiforme. L’analyse des références à l’œuvre de Pétrarque chez le poète romantique France Pre£eren dégage l’importance de ce modèle pour l’essor de la poésie en langue slovène, et analyse la façon dont Pétrarque sert de référence dans la réflexion sur le statut du poète dans la société et sur la nature de la poésie d’amour. L’article soulève, en perspective, une multitude de questions qui sont autant de suggestions pour de futures recherches sur la place de Pétrarque dans les littératures européennes de toutes les époques : sur son importance pour le romantisme européen par exemple (et il faudrait revenir, à ce sujet, sur le rôle joué par les frères Schlegel), et plus généralement sur Pétrarque comme modèle littéraire, mais, pour ainsi dire, aussi idéologique, pour une poésie et une langue littéraire nationales dans les différents pays européens.

11Les nouveautés qui émergent des contributions ici réunies prouvent, s’il en était besoin, que, loin d’être épuisée, l’étude de l’œuvre de Pétrarque et de l’influence qu’elle a exercée sur les littératures européennes du Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne, ouvre chaque jour de nouveaux horizons.

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Pour citer cet article

Référence papier

Johannes Bartuschat, « Présentation »Cahiers d’études italiennes, 4 | 2006, 5-8.

Référence électronique

Johannes Bartuschat, « Présentation »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 4 | 2006, mis en ligne le 15 octobre 2007, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/609 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.609

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Auteur

Johannes Bartuschat

Université Stendhal - Grenoble 3

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