Texte intégral
- 1 S. C. da Siena, Le Lettere, D. U. Meattini (éd.), Milan, Edizioni Paoline, 1997, p. 1207. Les référ (...)
- 2 La datation de cette lettre reste en effet incertaine : pour Dupré Theseider, elle remonterait au m (...)
- 3 Cf. S. C. da Siena, Lettere di S. Caterina da Siena, vergine domenicana, commenté par M. L. Ferrett (...)
- 4 Les Mantellate, par référence à leur manteau noir, sont un groupe de pénitentes siennoises du xive (...)
1« Voglio in Cristo Gesù, che vi riposiate in sul polpito de la croce » : telle est l’injonction que Catherine de Sienne adresse au frère dominicain Bartolomeo Dominici dans la lettre T1981, envoyée à Asciano lors du Carême de 1372 ou 13732. Né en 1343, Bartolomeo Dominici est de quatre ans plus jeune que Catherine et promis à une brillante carrière dans l’ordre dominicain. Il sera en effet successivement nommé bachelier au couvent Sainte-Catherine de Pise, lecteur au couvent de Santa Maria Novella de Florence, prieur de San Domenico à Sienne dès 1379, provincial romain en 1388 et pour finir évêque en Morée3. À l’époque où Catherine lui adresse la lettre T198, Bartolomeo Dominici est l’un de ses confesseurs et on peut s’étonner non seulement du ton injonctif sur lequel elle s’adresse à lui avec ce « voglio », mais aussi de la présomption qui transparaît dans l’image du « polpito ». Cette image, qui renvoie à la chaire sur laquelle monte le prédicateur pour faire son sermon, fait en effet explicitement référence à la vocation de frère prêcheur de Dominici et à l’exercice de sa mission de prédicateur. Or, lorsqu’elle écrit cette lettre T198, Catherine n’est âgée que de vingt-cinq ans et elle n’est pas une moniale dominicaine au sens propre, mais une simple Mantellata, statut qu’elle gardera d’ailleurs jusqu’à sa mort et qui correspond à celui de tertiaire dominicaine avant la lettre4. Nous sommes donc en présence d’une jeune laïque qui enseigne la prédication à un prédicateur.
- 5 Sur le statut de Tommaso di Antonio da Siena, dit Caffarini, cf. Il Processo Castellano…, T. Centi (...)
- 6 On connaît le rôle de l’architecture urbaine comme support de mémorisation dans les stratégies util (...)
- 7 Sur la question de la dictée des lettres, cf. R. Fawtier, Sainte Catherine…, vol. II, ouvr. cité, p (...)
2Cette posture n’est pas inhabituelle chez Catherine : on la retrouve non seulement dans les autres lettres du cycle d’Asciano qu’elle adresse à Dominici (T105, T200, T204, T208), mais aussi dans une série de missives envoyées à ses confesseurs dominicains : Tommaso della Fonte à la même époque, puis Raymond de Capoue à partir de 1374, et au frère Tommaso Caffarini5. Par ailleurs, cette image de la chaire montre que Catherine adapte son discours à son destinataire : non seulement elle choisit une métaphore appropriée à sa vocation, mais elle emploie aussi des techniques oratoires propres aux prédicateurs. D’une part, elle procède à la construction d’une image mentale qui joue sur un mécanisme de visualisation, en s’appuyant sur un imaginaire urbain6. D’autre part, elle amplifie la portée de son discours par des procédés auditifs, ici les assonances et allitérations (« vi riposiate in sul polpito »). Cette rhétorique de l’oralité caractérise du reste très naturellement ces lettres que Catherine n’écrivait pas de sa main, mais qu’elle dictait à ses secrétaires, selon l’usage de l’ars dictandi7.
3Il semble donc que les procédés rhétoriques des frères prêcheurs soient intégrés dans l’écriture de Catherine et on peut se demander quel rapport cette jeune laïque entretient avec la prédication dominicaine : d’où tient-elle ces techniques ? Comment les transfère-t-elle dans un discours écrit ? Quelle représentation se fait-elle de la mission du prédicateur ? Enfin, en quoi cela nous renseigne-t-il sur la circulation du discours entre prédicateurs et laïcs au sein de la cité ? Telles sont les questions auxquelles nous tenterons de répondre, d’abord sous l’angle général, puis plus particulièrement à la lumière des lettres adressées au dominicain Bartolomeo Dominici.
4L’écriture de Catherine nous apparaît comme encadrée par la prédication dominicaine que l’on retrouve en amont de son œuvre, à l’origine même de sa culture, puis en aval, comme véhicule de diffusion de ses lettres.
- 8 Cette hypothèse, réfutée comme trop improbable par Robert Fawtier (R. Fawtier, Sainte Catherine de (...)
5C’est auprès des prédicateurs dominicains que Catherine acquiert en grande partie sa culture, tout d’abord en écoutant les prédications qui se tiennent à l’église dominicaine de San Domenico, dans le quartier de Fontebranda où se trouve la maison familiale des Benincasa. C’est dans cette église que Catherine suit l’office, en particulier avec les Mantellate auxquelles une chapelle de l’édifice est dédiée. La question de la formation de Catherine auprès des Mantellate soulève le problème complexe de la date à laquelle elle entre dans ce groupe. L’hypothèse, autrefois exclue, d’une prise en charge très jeune, dès l’âge de six ans, a en effet été récemment reconsidérée par Giovanna Murano8.
- 9 Cf. G. Petrocchi, Il sentimento religioso all’origine della lingua italiana. Storia religiosa del T (...)
- 10 Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), ouvr. cité, p. 219-220.
6La prédication se pratique alors à San Domenico sous la surveillance d’un Lecteur. Cette charge importante au sein de l’ordre avait été occupée à Sienne par Jacopo Passavanti lui-même, avant qu’il ne soit nommé à Rome, puis à Florence où il meurt en 13579. Il est assez probable que les prédicateurs de San Domenico utilisent son œuvre, Specchio di vera penitenza, pour préparer leurs propres sermons, à une époque où Catherine était déjà âgée de dix ans. On retrouve en effet dans ses lettres plusieurs réminiscences de Passavanti, mises en lumière par Eugenio Dupré Theseider dans son édition critique des lettres10. Tel est, par exemple, le cas dans la lettre T181, avec l’image de la pierre ferme et stable qu’est Jésus, opposée à la poussière dispersée par le vent :
- 11 T181 à Nicolò da Osimo, p. 240.
[…] scrivo a voi nel prezioso sangue suo, con desiderio di vedervi una pietra ferma, fondato sopra la dolce pietra ferma Cristo Gesù. / Sapete che la pietra e lo edifizio che fusse posto e fatto sopra la rena o sopra la terra, ogni piccolo vento o piova che venga el dà a terra. Così l’anima che è fondata sopra le cose transitorie di questa tenebrosa e caduca vita, che passano tosto come el vento, e come polvere che si pone al vento11.
- 12 J. Passavanti, Lo Specchio di vera penitenzia, Florence, J. e L. Ciardetti, 1821, p. 234, cité dans (...)
Dupré a rapproché cet extrait d’un passage du Specchio di vera penitenza de Passavanti : « Dice San Gregorio: chi raguna tutte l’altre virtù sanza l’umilità, è come colui che porta la polvere al vento12. » Cet exemple montre comment Passavanti, qui reprend lui-même un passage de Grégoire le Grand, devient indirectement pour Catherine un passeur des notions de patristique qui émaillent les écrits de la jeune tertiaire.
- 13 G. Petrocchi, ouvr. cité, p. 666-667.
7Giordano da Pisa (mort en 131113) apparaît lui aussi comme un probable passeur de Grégoire le Grand vers Catherine, en particulier pour la fameuse formule de suscription qu’elle emploie dans ses lettres : « Io Caterina, serva e schiava dei servi di Gesù Cristo. » Cette expression est calquée sur la formule de suscription des papes eux-mêmes (« servus servitorum Dei »), une formule inaugurée par Grégoire, puis conservée par ses successeurs. Comme le montre la lettre T109, Catherine est parfaitement consciente de l’origine grégorienne de la formule de suscription pontificale qu’elle a adoptée :
- 14 T109 all’abate Berengario di Lezat nunzio apostolico, p. 236.
[…] Come buono pastore seguitarà le vestigie del maestro suo, sì come faceva quello santo e dolce Gregorio e gli altri che ‘l seguiro, che, essendo e’ maggiori, erano e’ minori; non volevano essare serviti, anzi servire spiritualmente e temporalmente, più co’ la buona vita che co’ le parole14.
- 15 G. da Pisa, Prediche sulla Genesi: recitate in Firenze nel 1304 dal beato f. Giordano dell’ordine d (...)
L’explication que donne ici Catherine apparaît en fait comme la dilatation d’une référence de Giordano da Pisa dans ses Prediche sulla Genesi, réminiscence identifiée elle aussi par Dupré : « Santo Gregorio puose nome ai papi, non papi, ch’è a dire: signore del mondo, ma: servo dei servi di Dio15. »
- 16 D’autres filtres ont joué un rôle important dans la transmission des anciennes sources chrétiennes (...)
8Ces deux exemples de réminiscences illustrent la manière dont Passavanti et Giordano da Pisa ont probablement été utilisés par les prédicateurs que Catherine écoutait à San Domenico. Ces exemples nous renseignent aussi sur le rôle de passeurs de la patristique que les frères prêcheurs jouent alors auprès de leur auditoire de laïcs16.
- 17 S. C. da Siena, Le lettere di S. Caterina da Siena, ridotte a miglior lezione, e in ordine nuovo di (...)
9L’influence des prédicateurs comme passeurs de la patristique pour l’interprétation de certains passages de la Bible s’exerce aussi lors des entretiens directs de Catherine avec ses confesseurs et disciples dominicains tels Tommaso della Fonte (parent par alliance des Benincasa), Bartolomeo Dominici, Raymond de Capoue ou Tommaso Caffarini. Elle a sans aucun doute eu avec eux de nombreuses discussions, dont il ne reste aucune trace, mais dont on imagine la teneur d’après une lettre que lui adresse Caffarini en 1374-1375. Il s’agit de l’une des rares missives adressées à Catherine qui soit parvenue jusqu’à nous17. Caffarini y éclaircit les doutes de sa correspondante sur un terme biblique du psaume cxxx (« adlattatus » ou « ablattatus ») :
- 18 Ibid., p. 53-59, en particulier p. 54.
Come sapete, parlando io con voi quandi fui con frate Simone, infra l’altre cose mi dimandasti se quello verso de salmo: Domine non est exaltatum cor meum, sicut adlattatus sanza el b, o sicut ablattatus col b, ed io vi risposi che poteva essere che dicesse adlattatus sanza el b, che tanto vuol dire quanto persona che si diletta o notrica di latte […] Poi pensando sopra di ciò e legiendo nel salterio trovai che dice pure ablattatus col b, che tanto vuol dire quanto persona che s’è levato dal latte e riceve el saldo e perfetto cibo. Ancora lessi in Agustino sopra el salterio, e trovai che esso disse similmente, e fa sopra tutto el salmo una esposizione […]18.
Suit une longue exposition, par Caffarini, du commentaire d’Augustin au sujet du psaume cxxx. Catherine avait donc raison et sa compréhension du terme « ablactatus » au sens de « sevré », et non allaité comme le proposait Caffarini, trouve un écho on ne peut plus autorisé chez Augustin lui-même.
10Comme on peut le voir, non seulement Catherine se nourrit de la culture des dominicains de son entourage, mais elle stimule à son tour leur réflexion par la finesse de ses questions et de sa pensée. À ce titre, la lettre de Caffarini illustre bien la circulation d’idées entre Catherine et les prédicateurs dominicains de son entourage. Conscients de la richesse et de la solidité doctrinale de sa pensée, ils vont travailler à la diffusion de son œuvre. C’est ainsi que les lettres seront bientôt proposées comme modèle aux prédicateurs qui constituent le lectorat cible de la grande compilation manuscrite des epistole de Catherine. Dans ce sens, la prédication dominicaine se retrouve aussi en aval de l’écriture de Catherine.
- 19 Sur Caffarini et le scriptorium vénitien, cf. l’introduction de Silvia Nocentini à Raimondo da Capu (...)
- 20 Il s’agit des manuscrits S2 et S3 conservés à Sienne (Biblioteca Comunale, T II 2 et T II 3). Pour (...)
11Depuis Venise où il a été nommé, Caffarini devient le promoteur infatigable du culte de Catherine après sa mort. Il œuvre à la fois en vue de sa canonisation, mais aussi pour la fondation du Tiers Ordre dominicain. Pour servir cette double entreprise, il peut s’appuyer sur un outil ad hoc : le scriptorium vénitien de SS. Giovanni e Paolo, l’église du couvent dominicain de Venise19. Ce scriptorium devient ainsi pendant plusieurs années l’atelier de compilation, de reproduction et d’illustration des œuvres de Catherine, et en particulier de ses lettres. C’est de là que sont issus les deux gros volumes enluminés d’épîtres, conservés aujourd’hui à Sienne20.
12Supervisée par Caffarini, cette grande compilation des lettres correspond à une refonte totale des deux principales collections précédentes. Dans ces collections, Neri et Maconi, les secrétaires de Catherine, avaient globalement procédé par juxtaposition des petits recueils antérieurs. Pour sa grande compilation, Caffarini opte en revanche pour un classement des lettres par catégories de destinataires et accompagnées de notes marginales.
- 21 T354 à Madonna Pentella, p. 662.
- 22 E. Dupré Theseider, « Il problema critico… », art. cité, p. 202.
- 23 Sur l’importance de Caffarini dans l’initiation du Processo Castellano, et plus largement sur les r (...)
13La destination précise de ces volumes est mal documentée. Sont-ils destinés aux juges en canonisation appelés à examiner tous les témoignages confirmant la sainteté de Catherine ? Les notes marginales ne semblent pas le confirmer. Tel est par exemple le cas pour un passage de la lettre T354 : « […] Constante e perseverante, infine all’ultimo che elli ebbe rimessa la sposa che gli fu data, de l’umana generazione, nelle mani del Padre etterno21. » En marge de ces lignes, Caffarini souligne la réminiscence d’un verset de l’Évangile : « Quando disse: In manus tuas &22. » Il s’agit d’une référence à Luc 23, 46 : « Et clamans voce magna Iesus ait: “Pater, in manus tuas commendo spiritum meum”; et haec dicens exspiravit. » On voit mal Caffarini signalant ce genre d’écho biblique aux juges en canonisation, experts en théologie. Il y a en revanche un type de public, moins instruit que les juges, et auquel ces notes pourraient être destinées : ce sont les prédicateurs qui jouent par ailleurs un rôle déterminant dans la diffusion du culte de Catherine23.
- 24 Cette note marginale (mss S2, c. 116 B) est reproduite par E. Dupré Theseider, « Il problema critic (...)
- 25 « Per quam clare probatur ipsam dignam esse nomine sanctitatis et ecclesia dei militante, ex quo to (...)
14À travers ses notes marginales, Caffarini tisse ainsi un réseau d’intertextualité, non seulement biblique, mais également avec l’hagiographie catherinienne, reproduite elle aussi au sein du scriptorium vénitien. Certaines notes font en effet écho à des épisodes de la vie de Catherine, comme la conversion du condamné pérugin Toldo à l’article de la mort, ou la survie miraculeuse de Catherine lors de la révolte des Ciompi à Florence, par exemple : « In ista epistola narratur per virginem, quamvis non explicite, quando voluit occidi prope Florentiam &c. de quo extense habetur in legenda prolixa, capitulo ultimo24. » Dans ce cas, la note marginale de Caffarini renvoie précisément au chapitre final de la Legenda major de Raymond de Capoue25. Cette note, qui souligne les avantages du chapitre récapitulatif de la Legenda major, traduit bien le souci de Caffarini de cibler des outils de diffusion efficaces et simples à utiliser par des lecteurs moins avertis que les juges en canonisation.
- 26 T272 à Raimondo da Capua, p. 1164.
- 27 Cette note marginale (mss S2, c. 110) est citée par « Il problema critico… », art. cité, p. 197.
- 28 L’authenticité de ce post-scriptum a été remise en cause par Fawtier, selon lequel il s’agirait d’u (...)
- 29 A. Volpato, « Tra Sante profetesse e santi dottori: Caterina da Siena », dans E. Schulte van Kessel (...)
15Dans d’autres notes enfin, Caffarini attire l’attention des lecteurs sur le profil lettré de Catherine, comme pour ce passage de la lettre T272 : « Questa lettera, e un’altra che io ve ne mandai, ò scritte di mia mano in su l’Isola della Rocca […]26. » En marge de ce post-scriptum relatif au don miraculeux de l’écriture reçu par Catherine à la Rocca di Tentennano, Caffarini note : « Hic apparet qualiter miraculose hec virgo scribere didicit et scripsit27. » L’authenticité de ce post-scriptum n’est plus débattue aujourd’hui, car son assise philologique dans la tradition manuscrite des lettres est particulièrement solide28. Il est indéniable, en revanche, que la capacité de Catherine à écrire de sa propre main a longtemps fait débat, dans la mesure où il ne reste aucun autographe de la sainte. Raymond de Capoue n’en fait pas état dans la Legenda major, préférant sans doute mettre en avant un profil de prophétesse illettrée29. Quelques années plus tard en revanche, Caffarini insiste désormais sur le profil lettré de Catherine, qu’il propose aux prédicateurs de développer dans leurs sermons en s’appuyant sur la collection de lettres mises à leur disposition.
16Ainsi les epistole catheriniennes constituent-elles pour les prédicateurs un réservoir de contenu et de forme, devenant même parfois de véritables petits traités de prédication, comme en témoignent les lettres du cycle d’Asciano destinées à Bartolomeo Dominici.
17Bartolomeo Dominici est envoyé à Asciano au printemps 1372 ou 1373, pour prêcher le Carême. A-t-il été envoyé contre son gré dans cette contrée située à mi-chemin entre Sienne et Montepulciano ? Entre les lignes des cinq lettres que lui adresse alors Catherine, on comprend que son enthousiasme était en tout cas modéré…
- 30 T200, p. 1210 : « Volentieri sarei venuta, se Dio l’avesse conceduto — sì per l’onore suo e recrea (...)
- 31 T105, p. 1199-1200.
18Dans les faits, Dominici nous apparaît lié à un petit groupe de fidèles catheriniens qui se forme autour de lui : Simone da Cortona, autre dominicain envoyé avec lui à Asciano, le prêtre Beringhieri degli Arzocchi ainsi que des laïcs, comme le poète Neri di Landoccio Pagliaresi et le noble Luigi Gallerani. Catherine aurait voulu les rejoindre pour les encourager dans leurs progrès spirituels et leurs œuvres de conversion sur la population d’Asciano, mais elle en est empêchée à la fois par le mauvais temps et par des problèmes de santé30. Reportant sa venue « visible », elle les assure de sa présence « invisible » dans la lettre T105 : « Del venire costà invisibilemente, io el fo per continua orazione, a voi e a tutto ’l popolo; visibilemente, quanto sarà possibile a me di fare, e quanto Dio volrà31. » Cette présence par la prière se double d’une présence par l’écriture, à travers une série de lettres qu’elle leur adresse individuellement, tel saint Paul soutenant à distance par ses épîtres les chrétiens des églises primitives. Dans cette correspondance, Catherine accompagne non seulement chacun de ses disciples, mais elle essaie d’essaimer sur tout le territoire d’Asciano qu’elle tente d’évangéliser par personnes interposées. C’est ainsi que Catherine commence à diffuser sa parole par l’intermédiaire de ses correspondants, en particulier par la bouche du prédicateur dominicain Bartolomeo Dominici qui apparaît comme le porte-voix tout désigné à cette mission.
- 32 « Exclues du ministère de la parole au sein de l’Église, [les femmes et surtout les laïques] s’en e (...)
- 33 Luc 22, 15 : « Desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum. »
- 34 T208, p. 1214.
- 35 Ibid.
19Exclue, en tant que femme, du ministère de la parole dans l’Église, Catherine parvient ainsi à prêcher aux habitants d’Asciano par prédicateur interposé32. Cette attitude est particulièrement palpable dans la plus longue des lettres du cycle, la T208. Écrite à la veille de Pâques, cette épître s’articule autour de la compréhension et de l’application d’un verset de l’Évangile, Luc 22, 15 : « J’ai ardemment désiré manger cette pâques avec vous avant de souffrir33. » C’est ainsi qu’elle écrit à Dominici : « “Con desiderio io ò desiderato di fare Pasqua con voi in prima ch’io muoia”: questa è la Pasqua ch’io voglio che noi facciamo, di vederci a la mensa dell’Agnello immaculato, che è cibo mensa e servidore34. » Progressivement, le discours de Catherine se focalise sur l’image de la table : « In su questa mensa sono e’ frutti de le vere e reali virtù; ogni altra mensa è senza frutto, e questa è con perfetto frutto, ché dà vita35. » Dans cette métaphore filée de la mensa, le vin n’est pas servi dans des calices, mais il jaillit à même la table-autel, telle une source vive sortant d’un rocher ou d’une fontaine, selon la représentation traditionnelle du Christ comme viva fons :
Questa è una mensa forata, piena di vene che germinano sangue, e tra gli altri v’à uno canale che gitta sangue e acqua mescolato con fuoco; l’occhio che si riposa in su questo canale, gli è manifestato el segreto del cuore36.
20Ce dispositif de canaux relève du domaine hydraulique et renvoie à une technique fluviale à connotation horticole (germinano). Cependant, comme souvent dans la prose catherinienne, le choix d’une image très concrète, matérielle, apparemment ancrée dans la vie quotidienne, n’est pas l’indice d’une culture populaire, mais il dérive au contraire de sources savantes. Tel est le cas pour l’image du canal, d’origine vétérotestamentaire, Ecclésiastique 24, 30-31 :
- 37 Si 24, 41-42 : « Ego quasi trames aquæ immensæ de fluvio / et sicut aquæductus exivi in paradisum. (...)
Et moi je suis un canal issu d’un fleuve
Comme un cours d’eau conduisant au Paradis
J’ai dit : « Je vais arroser mon jardin
Et irriguer mes parterres37. »
21Doit-on déduire de cette réminiscence que Catherine avait un accès direct à l’ensemble de l’Ancien Testament ? S’il est certain qu’elle connaissait les Psaumes, les images de l’Ecclésiastique ont pu parvenir jusqu’à elle par l’intermédiaire de Giordano da Pisa, chez qui l’image du canal est justement associée au prédicateur, comme on le lit dans ce passage des Tre prediche :
- 38 Giordano da Pisa, Tre prediche inedite corredate di opportune notizie e pubblicate per cura di Enri (...)
Il predicatore […] il pastore è a modo del canale, che non ha acqua da se, ma dalla fonte, e così il pastore è come il canale, che la Scrittura entra per lui dalla fonte della Scrittura e versa al popolo38.
22Cette même image du canal se retrouve encore sous la plume de Catherine dans la lettre T127 à Dominici et Caffarini, frère prêcheur lui aussi :
El canale è uperto e versa, sì che vedendo che noi aviamo bisogno di fornire la navicella dell’anima nostra, andiamo a fornirla ine, a quello dolcissimo canale, cioè el cuore e l’anima e ’l corpo di Gesù Cristo. Ine trovaremo versare con tanto affetto che agevolemente potaremo empire l’anime nostre39.
23Notons cependant que, pour Catherine, et à la différence de Giordano da Pisa, le canal n’est pas l’image du prédicateur, mais celle du Christ lui-même. Tout comme l’image christique plus connue du pont, le canal renvoie chez Catherine à la fonction de liaison, d’intermédiaire remplie par le Christ « tramezzatore ». Par-delà cette nuance, l’image du canal conserve toutefois chez Catherine la connotation positive que lui confère la tradition rhétorique dominicaine. Tel n’est pas le cas dans la tradition bénédictine par exemple, comme le montre ce passage de Bernard de Clairvaux :
- 40 B. Claraevallensis, Sermones In Cantica Canticorum, Patrologia Latina, J. P. Migne, vol. 183, c. 86 (...)
Si vous êtes sage, vous serez semblable au bassin, non au canal d’une fontaine. Le canal répand l’eau au dehors presque en même temps qu’il la reçoit, mais le bassin ne se répand que quand il est plein […]. Nous en avons aujourd’hui beaucoup dans l’Église qui ressemblent au canal, et peu qui ressemblent au bassin. Ceux par qui les eaux du ciel découlent sur nous ont tant de charité qu’ils veulent répandre la grâce avant d’en être remplis. Plus disposés à parler qu’à écouter, ils sont pressés d’enseigner ce qu’ils n’ont pas appris, et désirent avec ardeur commander aux autres lorsqu’ils ne savent pas encore se gouverner eux-mêmes40.
24Cette image du trop-plein et du débordement de la Parole des clercs vers les laïcs existe bel et bien chez Catherine, mais elle s’exprime par une tout autre image, plus provocante, celle du vomissement provoqué par l’ivresse, que l’on retrouve dans la lettre T208 à Dominici :
Fate come colui che molto beie, che perde sé medesimo e non si vede, e se ’l vino molto gli diletta, anco ne beie più, e intanto che, riscaldato lo stomaco dal vino, nol può tenere e sì ’l bomica fuore. Veramente, figliuolo, che in su questa mensa troviamo questo vino — cioè el costato uperto del Figliuolo di Dio […]. E scalda tanto l’uomo, che gitta sé fuore di sé, e quinci viene che non può vedere sé per sé, ma sé per Idio, e Dio per Idio, e ’l prossimo per Idio. E quando egli à bene beiuto, egli el gitta sopra el capo de’ fratelli suoi: à imparato da colui che in mensa continuamente versa, non per sua utilità ma per nostra41.
- 42 Psaume 104 (103), 15 : « Le vin qui réjouit le cœur de l’homme » ; cf. aussi Ecclésiastique 40, 20 (...)
- 43 Dans d’autres lettres de Catherine, le vomissement des péchés correspond à l’image plus traditionne (...)
Dans ce passage, le buveur n’est pas connoté de manière négative. L’image proposée est au contraire celle d’une ivresse bienfaisante et d’un vin qui met en joie, dans le sillage de la tradition vétérotestamentaire où le « bonum vinum lætificat cor hominis42 ». À cette tradition, Catherine conjugue ici de manière inattendue l’image du vomissement pour exprimer l’idée que l’ardeur et la charité reçues du Christ par le prédicateur doivent ensuite être reversées, vomies sur son auditoire, en l’occurrence les laïcs qui assistent aux prédications de ce Carême. Le vomissement devient alors une image positive de débordement, de surabondance43. Comme le dit en substance Bernard de Clairvaux à travers l’image du bassin, il faut d’abord être soi-même rempli de la Parole divine pour la reverser ensuite aux autres. Dans la lettre de Catherine, ce précepte s’applique plus particulièrement au rapport que le prédicateur dominicain doit entretenir avec son public de laïcs.
25Cette thématique se retrouve dans les cinq épîtres du cycle d’Asciano destinées à Dominici : la lettre programme (T198) et ses approfondissements ultérieurs (T204, T208, T105, T200). Dans la lettre programme, Catherine fixe l’objectif spirituel du frère prêcheur, avoir l’éloquence enflammée des Apôtres : « Con desiderio di vedere in voi tal fortezza e abbondanzia e plenitudine dello Spirito santo sì come venne sopr’a discepoli santi, acciò che potiate cresciare e fruttificare in voi e nel prossimo vostro la dolce parola di Dio44. » À l’exemple des disciples du Christ, cette force surnaturelle liée à la présence de l’Esprit saint, doit se manifester en particulier par une parole enflammée :
Allora escivano le parole di loro, come el coltello esce affocato de la fornace: con questo caldo fendevano e’ cuori degli uditori e cacciavano le dimonia; perduti loro medesimi, non vedevano loro: solo la gloria e l’onore di Dio e la salute nostra.
Così voi, dolcissimo mio figliuolo, vi prego, e voglio in Cristo Gesù, che vi riposiate in sul polpito de la croce: ine al tutto perdiate e aneghiate voi medesimo con lo insaziabile desiderio, traendo l’afocato coltello45.
- 46 Isaïe 49, 2 : « Il a fait de ma bouche une épée tranchante. »
- 47 Apocalypse 1, 16 : « De sa bouche sort une épée acérée à double tranchant » ; Apocalypse 19, 15 : « (...)
- 48 T204, p. 1213.
26La parole enflammée des Apôtres et du prédicateur s’exprime à travers l’image biblique de l’« affocato coltello », le glaive de feu qui désigne la parole divine. Cette image de la bouche comme « épée tranchante » se trouve déjà dans la tradition vétérotestamentaire46. Dans l’Apocalypse elle devient d’abord l’« épée acérée à double tranchant » qui sort de la bouche du Christ apparu à Jean (Ap 1, 16), puis à la fin du combat eschatologique, l’épée qui « frappe les nations » (Ap 19, 15), celle qui tue ceux qui sont marqués du signe de la bête (Ap 19, 21)47. Cette épée est donc l’image d’une parole destinée à la conversion des infidèles. Il ne s’agit pas là d’une conversion par les armes, que désignerait une épée au sens propre, sortie de sa gaine, mais d’une conversion par la puissance de la parole, ce glaive de feu sorti de la bouche. Convertir par la parole, telle est bien pour Catherine la mission du prédicateur envoyé à Asciano, considéré précisément comme une terre infidèle dans la lettre T204 : « Fate ragione d’essare tra uno popolo infedele e scomunicato, pieno d’iniquità48. » Il s’agit là de l’enjeu même de la mission du dominicain qui doit veiller au Salut des laïcs. C’est pour les « convertir » qu’il a été envoyé à Asciano, comme le suggère Catherine dans la lettre T200 :
Con desiderio di vedere in voi adempita quella parola che disse el nostro Salvatore a’ discepoli suoi: «Voi sete luce del mondo, e ‘l sale de la terra».
Così desidera l’anima mia con grandissimo desidero che voi siate quello figliuolo alluminato del lume e calore de lo Spirito santo, condito col sale del vero conoscimento e sapienzia, sì che cacciate con perfetta sollecitudine el peccato e’ dimoni de le tenebrose anime de le creature49.
Ainsi, les âmes des convertis sont-elles la nourriture que doivent rechercher les prédicateurs et les clercs :
E così si dilettarà del cibo del quale Dio si dilettò: essare mangiatore e gustatore dell’anime. Questo è uno cibo di tanta dolcezza e soavità che ingrassa l’anima, e d’altro non si può dilettare. E dicovi ch’e’ vostri denti debili saranno qui fortificati, sì che potrete mangiare e’ bocconi grossi e piccoli50.
À l’exemple de Paul et de Moïse, les prédicateurs doivent s’exposer à tous les risques pour sauver ces âmes, lui écrit-elle dans la lettre T204 :
Ben mi pare che Pavolo si specchiasse in questo occhio e ine perdesse sé; e riceve tanta larghezza ched e’ desidera e vuole essare scomunicato e partito da Dio perli fratelli suoi. Era inamorato Pavolo di quello che Dio s’innamorò; vede che la carità non offende né riceve confusione.
Moisè guardò all’onore di Dio, e però voleva essere cacciato del libro de la vita prima che ‘l popolo avesse morte51.
27La mission des prédicateurs implique donc de se mêler aux laïcs. C’est là une spécificité des ordres mendiants, dont les membres ne vivent pas retirés dans des monastères ou dans des déserts (comme le désert alpin de Chartreuse), mais bien dans des couvents implantés aux portes de la cité médiévale dans laquelle ils sont amenés à œuvrer. Ils ne vivent pas complètement coupés du monde, mais dans le monde, parmi les laïcs aux attentes spirituelles desquels ils sont justement censés répondre, compensant ainsi la défaillance du clergé séculier. De ce fait, ils sont amenés à fréquenter les laïcs, ce qui n’est pas sans poser problème au pauvre Dominici, semble-t-il…
28Il ne nous reste aucune des lettres envoyées par Dominici à Catherine et nous ne pouvons que faire des hypothèses sur les raisons de sa réticence à se mêler aux laïcs d’Asciano. De quoi se plaignait-il au juste ? Se montrait-il seulement impatient de repartir ? De se retrouver dans une plus grande ville ? Ou avait-il des griefs particuliers contre les habitants de cette contrée ? Son malaise est cependant palpable entre les lignes des réponses de Catherine qui lui écrit dans la lettre T200 : « Mettetevi virilmente a fare ogni cosa: e cacciare le tenebre e fondare la luce, non raguardando a la vostra debilezza, ma pensate per Cristo crocifisso potere ogni cosa52. » S’il est impossible de cerner précisément le problème, on perçoit cependant un décalage entre Dominici et son public. Peut-être s’agit-il simplement du trac de l’orateur ? Ou de moqueries dont il aurait été l’objet lors de ses prédications, comme peut le suggérer ce passage de la réponse de Catherine dans la lettre T208 :
Noi che mangiamo a la mensa, conformandoci col cibo, facciamo quello medesimo, non per nostra utilità, ma per onore di Dio e per la salute del prossimo: per questo sete mandato. Confortatevi, ché questo fuoco vi darà la voce e tollaravi la fiocaggine53.
29La « fioccaggine » de Dominici doit-elle être interprétée comme de la timidité, ou peut-il au contraire s’agir d’une sorte de démotivation, d’indifférence face à un public lui-même insensible ? Un passage de la lettre T105 ferait plutôt pencher vers une forme de mépris de la part de Dominici envers les laïcs :
Con desiderio di vedervi con ardentissimo desiderio, e profonda umilità e sollecitudine, a ricevare el re nostro, che viene a noi umile, e mansueto siede sopra l’asina.
O inestimabile diletta carità, oggi confondi la superbia umana, a vedere che tu, re de’ re […], vieni umiliato sopra la bestia, cacciato con tanto vitoperio! Vergogninsi coloro che cercano gli onori e la gloria del mondo; levisi, figliuolo mio carissimo, el fuoco del santo desiderio, e sia privato d’ogni freddezza; salga sopra l’asina de la nostra umanità54.
30On peut en effet se demander pourquoi Catherine condamne ici l’orgueil, sachant que généralement aucune allusion n’est gratuite dans ses lettres. Dominici se serait-il plaint auprès d’elle d’un public mal dégrossi, pour qu’elle ait ainsi besoin de lui rappeler le sens de l’ânesse sur le dos de laquelle le Christ entre dans Jérusalem ? En d’autres termes, pourrait-il s’agir du sentiment de supériorité du prédicateur urbain dans cette campagne du Val d’Orcia ?
31Quelle qu’en soit la cause, la réticence de Dominici envers son public de laïcs a bien été perçue par Catherine qui lui conseille au contraire, dans la lettre T204, de ne pas les éviter :
Fate ragione d’essare tra uno popolo infedele e scomunicato, pieno d’iniquità: convienvi per forza d’amore participare con loro, ch’io vi fo sapere che a questo modo participarete con la carità e non con loro, cioè l’amore ch’avete alla salute loro. Ché se el vostro conversare fusse con amore proprio o diletto che ne traeste — o spirituale o temporale — che fusse fuore di questa fame, sarebbe da fuggire e temere la loro conversazione. Levate adunque ogni amaritudine ristrettiva55.
Mandò el dolce Verbo incarnato del Figliuolo suo a ricomprare ell’uomo e trarlo di servitudine; e ‘l Figliuolo corre e dassi all’obrobio de la croce, e a conversare co’ peccatori e publicani scomunicati, e con ogni maniera di gente, però che a la carità non si può ponare legge né misura56.
32Fréquenter les laïcs (« partecipare con loro ») et, à l’instar du Christ, ne pas fuir la conversation avec les pécheurs (« conversare co’ peccatori »), telle est la règle que Catherine donne au prédicateur en ce temps de Carême. Là encore il convient de bien mesurer la teneur de ce conseil de la part de Catherine qui, dans d’autres cas, proscrit radicalement la conversation avec les laïcs, comme quand elle écrit à sa nièce moniale Eugenia :
- 57 T26 a suora Eugenia, sua nipote nel monasterio di santa Agnesa di Montepulciano, p. 819-820.
Quando gli ospiti passano, e dimandasserti alle grati, statti nella pace tua e non v’andare […] stammi salvatica come uno riccio […] e così è la verità, che le conversazioni, col perverso vocabolo de’ divoti e delle divote, guastano l’anime e i costumi e osservanzie delle religioni57.
33De la même manière, Catherine déconseille à ses disciples laïcs de Florence de fréquenter ceux qui ne sont pas convertis comme eux, comme dans la lettre T190 à Francesco di Pipino et sa femme Agnesa :
La vostra conversazione sia sempre con quelli che temono e amano Dio in verità. […] Voglio dunque che a questo abbiate una grande avvertenzia, di sempre conversare con i servi di Dio, e serve; e gli altri fuggire come fuoco. E non vi fidate mai di voi dicendo: «Io son forte e non temo che questi mi faccia cadere». Non così, per l’amore di Dio58.
- 59 Ce souci d’adaptation du discours à son destinataire est justement commun au genre épistolaire et à (...)
34Ces exemples montrent bien que le conseil que Catherine donne au frère prêcheur n’est pas valable pour d’autres vocations religieuses. Une fois de plus, nous voyons comment Catherine adapte son discours à chacun de ses destinataires59. Ici, son conseil s’applique spécifiquement au prédicateur dont la mission repose justement sur la relation avec les laïcs de son auditoire.
35Au terme de cette réflexion, nous pouvons revenir sur la citation de laquelle nous sommes partis : « Voglio in Cristo Gesù, che vi riposiate in sul polpito de la croce. » Ce conseil adressé à Bartolomeo Dominici résume bien l’idée que Catherine cherche à faire passer dans l’ensemble des lettres qu’elle lui écrit à Asciano pendant le Carême. Adaptant son discours à son destinataire, elle fait de la Croix l’image de la chaire du frère prêcheur. Le « polpito » renvoie bien à la chaire sur laquelle le prédicateur se tient debout, et non assis (l’image de la « cattedra » étant réservée dans ses lettres aux maîtres). S’appuyant sur le mobilier de l’architecture religieuse urbaine, Catherine construit, dans la mémoire de son correspondant, une image mentale amenée à se réactiver quotidiennement, mais désormais chargée du sens spirituel qu’elle a élaboré pour lui au fil de ses cinq lettres.
36Ainsi le « polpito della croce » devient-il une image synthétique qui rappelle à la fois la parole du Christ, l’Évangile, et l’exemple silencieux, mais criant qu’il donne sur la Croix : celui du sacrifice pour le Salut des hommes. C’est l’exemple que suivirent les Apôtres (« essi salsero in sul polpito della affocata croce60 »). Il s’agit donc d’une formule qui désigne en même temps une parole et un acte. Or, c’est précisément cette double voie que Catherine indique à Dominici : non seulement œuvrer pour la Salut des laïcs d’Asciano, être le sel de cette terre à évangéliser par la parole enflammée des Apôtres, mais aussi leur apporter la Parole, être ce canal qui achemine la Parole divine, la reverser et la vomir sur les fidèles. Pour ce faire, Dominici doit se remplir lui-même de cette Parole, de l’exemple du Christ et de la force que lui confère la foi dans sa propre mission. À ce titre, la formulation choisie par Catherine est très significative : « vi riposiate », au sens de prendre appui, force et confiance, et non « saliate in sul pulpito », comme on aurait pu l’attendre (et comme elle le dit des Apôtres). Car il ne s’agit donc pas de monter en chaire comme un prédicateur arrogant qui pontifie, qui domine son public — vaine gloire qui peut-être menace tout prédicateur —, mais au contraire, sous la plume de cette jeune laïque, d’une invitation à l’humilité, en montant sur sa chaire, comme le Christ sur le dos de l’ânesse.
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Bibliographie
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Notes
S. C. da Siena, Le Lettere, D. U. Meattini (éd.), Milan, Edizioni Paoline, 1997, p. 1207. Les références aux lettres de Catherine renverront toutes à cette édition. L’édition Meattini reprend la numérotation des lettres introduite par Niccolò Tommaseo. C’est à cette numérotation que nous ferons aussi référence dans notre notation (T198, T208, etc.). Cette numérotation reflète l’ordonnancement chronologique des lettres que Tommaseo est le premier éditeur à avoir proposé (S. C. da Siena, Le lettere di S. Caterina da Siena, ridotte a miglior lezione, e in ordine nuovo disposte, N. Tommaseo (éd.), 4 vol., Florence, Barbèra, 1860). Pour les citations des lettres, nous reproduisons en revanche la leçon d’Antonio Volpato dans son édition numérique (S. C. da Siena, Opera omnia, Testi e concordanze, CD-Rom, Pistoia, Provincia Romana dei Frati Predicatori, Centro Riviste, 2002). Dans l’attente de la publication prochaine de l’édition critique complète des lettres par l’Istituto Storico Italiano per il Medio Evo (ISIME), et bien qu’elle soit dépourvue d’introduction et de notes, cette édition numérique est la seule à ce jour à présenter l’intégralité des lettres revues d’après les sources manuscrites. L’excellente édition critique d’Eugenio Dupré Theseider, dotée en outre d’un riche apparat de notes consacrées à l’intertextualité catherinienne, est hélas incomplète et ne comporte que quatre-vingt-huit lettres (Epistolario di Santa Caterina da Siena, E. Dupré Theseider (éd.), vol. I, Rome, Tipogr. del Senato, 1940).
La datation de cette lettre reste en effet incertaine : pour Dupré Theseider, elle remonterait au mois de mars 1372 ou d’avril 1373, sachant qu’elle est nécessairement antérieure au Carême 1374 car Dominici se trouve alors à Pise en qualité de bachelier du Studium dominicain (Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), ouvr. cité, p. 23, n. 1 et p. 82, n. 1). Pour Fawtier, cette lettre pourrait même remonter au Carême 1371, à l’instar des lettres T200 et T204 (R. Fawtier, Sainte Catherine de Sienne. Essai de critique des sources, vol. II : Les œuvres de Catherine de Sienne, Paris, De Boccard, 1930, p. 206-208).
Cf. S. C. da Siena, Lettere di S. Caterina da Siena, vergine domenicana, commenté par M. L. Ferretti, vol. V, Sienne, Tip. S. Caterina, 1918-1930, p. 408 ; Il Processo Castellano, con appendice di Documenti sul culto e la canonizzazione di S. Caterina da Siena, M. H. Laurent (éd.), Milan, Bocca, 1942, p. civ-cvii ; Il Processo Castellano: Santa Caterina da Siena nelle testimonianze al Processo di canonizzazione di Venezia, T. Centi (trad.), Florence, Nerbini, 2009, p. 11, n. 7 ; S. C. da Siena, Le Lettere, D. U. Meattini (éd.), ouvr. cité, p. 1108.
Les Mantellate, par référence à leur manteau noir, sont un groupe de pénitentes siennoises du xive siècle, veuves en général, qui ne vivent pas recluses mais dans leurs propres maisons, et qui se consacrent au soin des malades et des prisonniers, sous la tutelle des dominicains de San Domenico. Ces béguines italiennes sont liées à l’ordre des frères prêcheurs, sans être cependant des moniales, ni encore des tertiaires à proprement parler, puisque le Tiers Ordre dominicain ne sera fondé qu’après la mort de Catherine. À l’époque de Catherine, les Mantellate sont soumises à la règle rédigée par le Maître général des dominicains Muño de Zamora pour un groupe de pénitentes d’Orvieto en 1286 et enrichie en 1321 (A. Vauchez, Catherine de Sienne. Vie et passions, Paris, Éditions du Cerf, 2015, p. 33-35).
Sur le statut de Tommaso di Antonio da Siena, dit Caffarini, cf. Il Processo Castellano…, T. Centi (trad.), ouvr. cité, p. 10, n. 4.
On connaît le rôle de l’architecture urbaine comme support de mémorisation dans les stratégies utilisées par les prédicateurs pour ancrer leurs sermons dans la mémoire de leur public laïc citadin. Sur les stratégies déployées par les prédicateurs dominicains pour exercer les laïcs à la mémorisation, cf. en particulier F. A. Yates, L’art de la mémoire, D. Arasse (trad.), Paris, Gallimard, 1975, p. 63-119, en particulier p. 104.
Sur la question de la dictée des lettres, cf. R. Fawtier, Sainte Catherine…, vol. II, ouvr. cité, p. 1-15 ; Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), ouvr. cité, p. xiii-xxi ; M. Zancan, « Lettere di Caterina da Siena », dans A. Asor Rosa (éd.), Letteratura italiana. Le opere, vol. I : Dalle origini al Cinquecento, Turin, Einaudi, 1992, p. 593-598.
Cette hypothèse, réfutée comme trop improbable par Robert Fawtier (R. Fawtier, Sainte Catherine de Sienne. Essai de critique des sources, vol. I : Les sources hagiographiques, Paris, De Boccard, 1922, p. 140-150, en particulier p. 146, n. 1), repose sur la datation problématique d’une liste de Mantellata où figure Caterina Benincasa. Cette liste est reproduite dans R. Fawtier, Sainte Catherine de Sienne. Essai de critique des sources, vol. I : Les sources hagiographiques, Paris, De Boccard, 1922, p. 234-236. Giovanna Murano a montré depuis qu’il n’est pas à exclure que l’instruction religieuse de certaines jeunes Siennoises ait pu être prise en charge par ce groupe de pénitentes (G. Murano, « “O scritte di mia mano in su l’Isola della Rocca”. Alfabetizzazione e cultura di Caterina da Siena », Reti Medievali Rivista, vol. 18, no 1, 2017, p. 16-19).
Cf. G. Petrocchi, Il sentimento religioso all’origine della lingua italiana. Storia religiosa del Trecento, Messine, Edizione Universitaria, 1961, p. 652.
Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), ouvr. cité, p. 219-220.
T181 à Nicolò da Osimo, p. 240.
J. Passavanti, Lo Specchio di vera penitenzia, Florence, J. e L. Ciardetti, 1821, p. 234, cité dans Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), ouvr. cité, p. 220, n. 3.
G. Petrocchi, ouvr. cité, p. 666-667.
T109 all’abate Berengario di Lezat nunzio apostolico, p. 236.
G. da Pisa, Prediche sulla Genesi: recitate in Firenze nel 1304 dal beato f. Giordano dell’ordine dei predicatori, D. Moreni (éd.), Milan, Giovanni Silvestri, 1839, p. 150, cité dans Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), ouvr. cité, p. 197, n. 11.
D’autres filtres ont joué un rôle important dans la transmission des anciennes sources chrétiennes vers Catherine, comme les Ammaestramenti degli Antichi du dominicain Bartolomeo da San Concordio (1262-1347). Dans ce traité, les préceptes moraux sont étayés par des citations tirées des Anciens et des Pères de l’Église (F. A. Yates, L’art de la mémoire, ouvr. cité, p. 99-103). L’accès de Catherine à la patristique a aussi été favorisé par les volgarizzamenti de Domenico Cavalca, à commencer par sa traduction italienne des Vitæ Patrum, les vies des Pères du désert, dont on sait que c’était le livre de chevet de Catherine : Vite dei santi Padri (D. Cavalca, Vite dei santi Padri, C. Delcorno (éd.), 2 vol., Florence, Sismel, 2009).
S. C. da Siena, Le lettere di S. Caterina da Siena, ridotte a miglior lezione, e in ordine nuovo disposte, P. Misciattelli (éd.), Sienne, Giunti e Bentivoglio, 1913-1923, vol. VI, 1921, p. 53-164.
Ibid., p. 53-59, en particulier p. 54.
Sur Caffarini et le scriptorium vénitien, cf. l’introduction de Silvia Nocentini à Raimondo da Capua, Legenda major, S. Nocentini (éd.), Florence, Sismel Edizioni del Galluzzo, 2013, p. 25-39 ; E. Dupré Theseider, « Il problema critico delle Lettere di santa Caterina da Siena », Bullettino dell’Istituto Storico Italiano e Archivio Muratoriano, Rome, année XII, no 49, 1933, p. 194, n. 1.
Il s’agit des manuscrits S2 et S3 conservés à Sienne (Biblioteca Comunale, T II 2 et T II 3). Pour leur description, cf. R. Fawtier, Sainte Catherine…, vol. II, ouvr. cité, p. 48-50 ; Epistolario…, E. Dupré Theseider (éd.), p. li-liv. Pour l’attribution de ces manuscrits à Caffarini, cf. E. Dupré Theseider, « Il problema critico… », art. cité, p. 193.
T354 à Madonna Pentella, p. 662.
E. Dupré Theseider, « Il problema critico… », art. cité, p. 202.
Sur l’importance de Caffarini dans l’initiation du Processo Castellano, et plus largement sur les rapports entre la prédication dominicaine et la diffusion du culte de Catherine, cf. G. Barone, « Modelli di santità femminile nei processi di canonizzazione fra Trecento e Quattrocento », dans A. Bartolomei Romagnoli, L. Cinelli et P. Piatti (dir.), Virgo digna cœlo, Caterina e la sua eredità, raccolta di studi in occasione del 150o anniversario della canonizzazione di santa Caterina da Siena (1461-2011), Rome, Libreria Editrice Vaticana, 2013, p. 101 ; L. Cinelli, « La canonizzazione di Caterina da Siena: la santa nello specchio dei Frati Predicatori », dans A. Bartolomei Romagnoli, L. Cinelli et P. Piatti (dir.), Virgo digna cœlo, Caterina e la sua eredità, raccolta di studi in occasione del 150o anniversario della canonizzazione di santa Caterina da Siena (1461-2011), Rome, Libreria Editrice Vaticana, 2013, p. 120.
Cette note marginale (mss S2, c. 116 B) est reproduite par E. Dupré Theseider, « Il problema critico… », art. cité, p. 197.
« Per quam clare probatur ipsam dignam esse nomine sanctitatis et ecclesia dei militante, ex quo tot gloriosis triumphis decoratur in ecclesia triumphante. In quo capitulo epilogatur quasi quidquid dictum est supra propter fastidiosos lectores: & ut siquis non potest totam legendam habere, hoc capitulo habito substantiam quasi percipiat totius legendæ. » (Raimondo da Capua, Legenda major, S. Nocentini (éd.), ouvr. cité, p. 406.)
T272 à Raimondo da Capua, p. 1164.
Cette note marginale (mss S2, c. 110) est citée par « Il problema critico… », art. cité, p. 197.
L’authenticité de ce post-scriptum a été remise en cause par Fawtier, selon lequel il s’agirait d’un apocryphe inséré par Caffarini lui-même, pour accréditer sa thèse du don de l’écriture chez Catherine (R. Fawtier, Sainte Catherine…, vol. II, ouvr. cité, p. 326-328). Depuis, ce passage a cependant retrouvé une assise philologique solide avec la découverte à Vienne, par Dupré Theseider, du manuscrit Mo, cette grande collection de Neri di Landoccio Pagliaresi où la lettre figure munie de son post-scriptum (Mo, fos 5r-11r). La complicité de ce secrétaire de Catherine avec Caffarini est en effet à exclure. Notons d’ailleurs que si la lettre entière manque, comme d’autres, dans la grande collection de Maconi, elle figure en revanche, entière, dans tous les autres témoins manuscrits non seulement de la compilation de Caffarini (mss S2, fos 105ra-110rb, mss P4, fos 84va-88rb), mais aussi de la famille Pagliaresi (mss S6, fos 8ra-14rb, mss M, fos 4vb-9rb, mss Ro, fos 197ra-203ra, mss S5, fos 5rb-10rb). Nous tenons à remercier ici Diego Parisi pour sa minutieuse vérification.
A. Volpato, « Tra Sante profetesse e santi dottori: Caterina da Siena », dans E. Schulte van Kessel (dir.), Women and Men in Spiritual Culture, xiv-xvii Centuries, La Hague, Netherlands Govt. Pub. Office, 1986, p. 154-161.
T200, p. 1210 : « Volentieri sarei venuta, se Dio l’avesse conceduto — sì per l’onore suo e recreazione di voi e di me, che grande mi sarebbe stata —; ma perché el tempo è assai corrotto all’acqua, e ‘l corpo mio è molto agravato già più di x dì, intanto che con fadiga la domenica so’ ita a la chiesa, sì che frate Tommasso à avuto compassione di me, e non gli è paruto ch’io sia venuta. Ben che ‘l potere non ci sia stato, farò invisibilemente ciò che io potrò; e pensate che, se Dio l’avesse ordenato ch’io venisse, che io non farei resistenzia a lui né farò. »
T105, p. 1199-1200.
« Exclues du ministère de la parole au sein de l’Église, [les femmes et surtout les laïques] s’en emparent en se réclamant d’une élection divine. Tout en se plaçant sous la direction de confesseurs ou de directeurs de conscience, elles ne tardèrent pas bien souvent à inverser à leur profit cette relation d’autorité, faisant de ces derniers leurs secrétaires et leurs porte-parole. » (A. Vauchez, « Le saint », dans J. Le Goff (dir.), L’homme médiéval, Paris, Seuil, 1989, p. 363.)
Luc 22, 15 : « Desiderio desideravi hoc pascha manducare vobiscum. »
T208, p. 1214.
Ibid.
Ibid.
Si 24, 41-42 : « Ego quasi trames aquæ immensæ de fluvio / et sicut aquæductus exivi in paradisum. / Dixi: “Rigabo hortum meum plantationum / et inebriabo prati mei fructum”. » Remarquons que le terme « canalis » n’apparaît pas dans la Vulgate qui traduit par « trames », plus abstrait. Mais Catherine a pu accéder à une traduction italienne de la Bible comme il en circule à l’époque. Une vérification lexicale ultérieure reste donc à mener dans les vulgarisations de ce type (par exemple La Bibbia volgare secondo la rara edizione del I di ottobre MCCCCLXXI…, ristampata per cura di Carlo Negroni [10 vol.], Bologne, Gaetano Romagnoli, 1882-1887).
Giordano da Pisa, Tre prediche inedite corredate di opportune notizie e pubblicate per cura di Enrico Narducci, Rome, Tip. delle belle arti, 1857, p. 322.
T127, p. 1221.
B. Claraevallensis, Sermones In Cantica Canticorum, Patrologia Latina, J. P. Migne, vol. 183, c. 860 A-B: « Quamobrem, si sapis, concham te exhibebis, et non canalem. Hic siquidem pene simul et recipit, et refundit; illa vero donec impleatur, exspectat; et 0860B sic quod superabundat, sine suo damno communicat, sciens maledictum qui partem suam facit deteriorem. Et ne meum consilium contemptibile ducas, audi sapientiorem me: Stultus, ait Salomon, profert totum spiritum suum simul, sapiens reservat in posterum (Pr xxix, 11). Verum canales hodie in Ecclesia multos habemus, conchas vero perpaucas. Tantæ charitatis sunt per quos nobis fluenta cœlestia manant, ut ante effundere quam infundi velint, loqui quam audire paratiores, et prompti docere quod non didicerunt, et aliis præesse gestientes, qui seipsos regere nesciunt. »
T208, p. 1214-1215.
Psaume 104 (103), 15 : « Le vin qui réjouit le cœur de l’homme » ; cf. aussi Ecclésiastique 40, 20 : « Le vin et les arts mettent la joie au cœur. »
Dans d’autres lettres de Catherine, le vomissement des péchés correspond à l’image plus traditionnelle de la confession, par exemple dans la T272, p. 1159 : « Fanno come ’l cane che, poich’ha mangiato, vomita, e poi per la immundizia sua pone l’occhio sopra ’l vomito, e piglialo, e così imondamente si notrica: così costoro negligenti, posti in tanta tepidezza, hanno vomitato, per timore della pena, e’ fradiciumi de’ peccati per la santa confessione […]. » Cette image du chien retournant à son vomissement se trouve dans l’Ancien et le Nouveau Testament (Proverbes 26, 11 : « Comme le chien revient à son vomissement, le fou retourne à sa folie » ; 2e épître de Pierre 2, 22 : « Le chien est retourné à son propre vomissement »).
T198, p. 1207.
Ibid.
Isaïe 49, 2 : « Il a fait de ma bouche une épée tranchante. »
Apocalypse 1, 16 : « De sa bouche sort une épée acérée à double tranchant » ; Apocalypse 19, 15 : « De sa bouche sort une épée acérée pour en frapper les païens » ; Apocalypse 19, 21 : « Tout le reste fut exterminé par l’épée du cavalier, qui sort de sa bouche. »
T204, p. 1213.
T200, p. 1209.
T200, p. 1209-1210.
T204, p. 1212-1213.
T200, p. 1210.
T208, p. 1215.
T105, p. 1199.
T204, p. 1213.
T204, p. 1211.
T26 a suora Eugenia, sua nipote nel monasterio di santa Agnesa di Montepulciano, p. 819-820.
T190, p. 1581.
Ce souci d’adaptation du discours à son destinataire est justement commun au genre épistolaire et à l’art de la prédication. Sur l’importance du public dans l’ars prædicandi, cf. A. Battistini et E. Raimondi, Le figure della retorica, una storia letteraria italiana, Turin, Einaudi, 1990, p. 25-26. Pour l’ars dictaminis, cf. J. Murphy, La retorica nel Medioevo: una storia delle teorie retoriche da Agostino al Rinascimento, Naples, Liguori, 1988, p. 224-304.
T198, p. 1207.
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