Le parti socialiste des années quatre-vingt, de Pertini à Craxi
Résumés
Le parti socialiste italien (PSI) est peut-être le parti qui incarne le mieux l’évolution et les contradictions de la société italienne des années 1980. Cet article analyse cette mutation politique et anthropologique à travers le portrait croisé des deux personnalités marquantes de la période, le président de la République Sandro Pertini et le secrétaire du parti, puis président du Conseil, Bettino Craxi. Né en 1896, Pertini appartient à la génération de l’antifascisme et des pères fondateurs de la République italienne, génération qui disparaît pendant ces années. Né en 1934, Craxi représente en revanche les succès et les excès de ce qu’on appelle la “Milano da bere”, qui sera emportée par les scandales financiers révélés par l’enquête “Mains propres”. L’article s’achève par un examen de l’héritage politique et symbolique de Pertini et Craxi, respectivement à dix et à vingt ans de leur disparition.
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Mots-clés :
parti socialiste italien, PSI, Bettino Craxi, Sandro Pertini, président du Conseil, président de la République, République italienne, Mains propresKeywords:
Italian Socialist Party, Bettino Craxi, Sandro Pertini, Prime Minister, President of the Republic, Italian Republic, Clean HandsParole chiave:
Partito socialista italiano, PSI, Bettino Craxi, Sandro Pertini, presidente del consiglio, presidente della Repubblica, Repubblica italiana, Mani puliteTexte intégral
- 1 Voir les réflexions de Vittorio Foa dans B. Pellegrino, L’eresia riformista, Milan, Guerini e assoc (...)
- 2 Parmi les exceptions notables, signalons G. Galli, Storia orgogliosa del socialismo italiano, Milan (...)
- 3 « L’Archivio del socialismo italiano » se trouve à Florence, à la Fondation Turati. D’autres fonds (...)
1Depuis la chute du Mur de Berlin, l’histoire de l’Italie républicaine a été souvent analysée, de manière rétrospective, comme un affrontement entre deux grands partis, la démocratie chrétienne (DC) et le parti communiste italien (PCI). Dès lors, le rôle joué par le parti socialiste italien (PSI) est souvent passé sous silence1. Ce phénomène peut s’expliquer par le fait que, depuis 1994, la mouvance socialiste s’est dispersée aux quatre coins de l’échiquier politique, et ne survit qu’à l’état de diaspora. Sur le plan historiographique, on peut aussi remarquer le faible nombre des travaux qui ont été consacrés, dans les dernières années, au parti de Nenni et de Craxi2. Cela n’est pas sans rapport avec le fait que, contrairement aux archives de la DC et du PCI, celles du PSI ne sont pas encore à la disposition des chercheurs3. Il n’en reste pas moins que le PSI est peut-être le parti qui incarne le mieux l’évolution et les contradictions de la société italienne des années 1980. Dans les pages qui suivent, nous analyserons cette évolution – cette mutation anthropologique, pourrait-on dire – à travers le portrait croisé des deux personnalités marquantes de la période, le président de la République Sandro Pertini et le secrétaire du parti, puis président du Conseil, Bettino Craxi.
2Quand les années quatre-vingt commencent-elles pour le PSI ? On serait tenté de retenir la date du 1er janvier 1980, qui coïncide avec la disparition de Pietro Nenni, qui fut son leader pendant plus de trente ans. Notre point de départ sera pourtant l’année 1976. Les élections législatives du 20 juin sont un échec retentissant pour le PSI, qui atteint son minimum historique (9,8 % des voix). Le secrétaire, Francesco De Martino, est acculé à la démission. Lors du congrès extraordinaire organisé à l’hôtel Midas (12 juillet 1976), la « génération des quadragénaires » prend le pouvoir. Le dauphin de Nenni, Bettino Craxi (né en 1934), l’emporte sur Claudio Signorile, qui représente la gauche de Riccardo Lombardi. Quelques jours plus tôt, le 4 juillet 1976, le grand antifasciste Sandro Pertini a quitté la présidence de la Chambre (poste qu’il occupait depuis 1968). Né en 1896, il a alors presque quatre-vingts ans : sa carrière politique semble arrivée à son terme.
- 4 A. Giovagnoli, Il Caso Moro, Una tragedia repubblicana, Bologne, Il Mulino, 2005, p. 77-189.
- 5 Afin de respecter la loi non écrite prévoyant une alternance entre un président démocrate-chrétien (...)
- 6 Cité par G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, ouvr. cité, p. 199. Comme l’on sait, l’a (...)
3Deux ans plus tard (le 8 juillet 1978), Pertini est pourtant élu à la présidence de la République, dans une Italie marquée par le double traumatisme de l’assassinat d’Aldo Moro et de la démission du président Giovanni Leone. Pendant les cinquante-cinq jours de l’enlèvement de Moro, Pertini et Craxi ont adopté des attitudes radicalement opposées. Le premier refuse le principe d’une négociation avec les terroristes (« Je ne veux pas assister pour la seconde fois à l’enterrement de la démocratie » dit-il, en faisant référence à la période fasciste), tandis que le second évolue progressivement vers des positions favorables à une négociation avec les Brigades rouges4. Après la mort de Moro, jusque-là pressentie pour succéder à Leone à l’échéance du mandat présidentiel, la démocratie chrétienne se retrouve sans candidat. Dès le mois de mars 1978, Craxi a affirmé avec force que la présidence de la République devait revenir à un socialiste5 et qu’il refuserait toute candidature issue d’un autre parti. Le leader du PSI met en avant des personnalités comme le commissaire européen Antonio Giolitti ou le juriste Giuliano Vassalli. Le 2 juillet, il lance un ballon d’essai, en présentant la candidature de Pertini. L’ancien président de la Chambre comprend le piège et se retire aussitôt ; il déclare que « dans l’intérêt du pays, [le président] doit être l’expression de l’arc constitutionnel qui représente l’unité nationale6 ». Ce sera le coup de maître de Pertini, souvent présenté comme un politicien naïf, mais qui apparaîtra après coup comme l’artisan de sa propre élection. Lors des tours suivants, les veto croisés font tomber Giolitti et le républicain La Malfa. En dépit de son âge, Pertini devient le candidat idéal pour sortir de l’impasse : il s’agit bien d’un socialiste, mais le plus éloigné des positions de Craxi. Le 9 juillet 1978, il est élu au 16e tour par 83 % des grands électeurs (832 sur 995), ce qui permet à chaque parti ou presque de revendiquer le mérite de sa victoire.
- 7 Pietro Nenni, Giorgio Amendola et Luigi Longo meurent en 1980, Ferruccio Parri en 1981, Riccardo Lo (...)
- 8 Après la Libération, Vittorio Craxi est vice-préfet de Milan.
- 9 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, Milan, Mondadori, 2006, p. 624.
- 10 A. Tatò, Caro Berlinguer, Note e appunti riservati di Antonio Tatò a Enrico Berlinguer (1969-1984), (...)
4Quels sont alors les rapports entre les deux personnalités socialistes ? Né presque quarante ans avant Craxi, Pertini appartient à la génération de l’antifascisme et des pères fondateurs de la République, qui disparaît en grande partie pendant les années 19807. Ami du père de Craxi, l’avocat Vittorio, du fait de leur participation commune à la Résistance8, Pertini connaît Bettino depuis son enfance et l’a toujours considéré comme un jeune homme prétentieux. De son côté, Craxi aura parfois tendance à considérer le chef de l’État comme un vieillard gâteux, dont il admire cependant le courage et l’engagement. De même, les deux hommes sont très différents par leur positionnement politique. Pertini joue un rôle tout à fait marginal dans l’appareil socialiste et ressent plutôt une certaine sympathie pour le parti républicain (PRI), en particulier pour La Malfa et Spadolini. Son plus proche collaborateur au Quirinal, Antonio Maccanico, vient des rangs de ce parti et, à en croire Massimo Pini, est nommé « per fare un dispetto a Craxi9 ». Les notes d’Antonio Tatò10, le plus proche conseiller d’Enrico Berlinguer, montrent également la fréquence des contacts entre Pertini et le secrétaire du parti communiste.
- 11 Le mot « laïque » indiquant les partis de la majorité à l’exception de la démocratie chrétienne.
- 12 C’est l’interprétation de L. Zanetti, Pertini sì, Pertini no, Milan, Feltrinelli, 1985 et, plus réc (...)
- 13 A. Candiard, « Le PCI et le PSI au début des années 1990 : métamorphose et enterrement », dans P. C (...)
5Plus à gauche que Craxi, le chef de l’État est favorable au maintien de la « solidarité nationale », c’est-à-dire l’alliance entre DC et PCI. L’échec de cette formule marque le début d’une longue période d’instabilité. Dans un premier temps, Pertini s’efforce de trouver une alternative à la DC afin de débloquer le système italien. Cela passe d’abord par la nomination d’un président du Conseil laïque11. Dans un second temps, le chef de l’État aurait peut-être souhaité favoriser la participation du PCI au gouvernement, voire une alliance PSI-PCI12. La stratégie politique de Craxi est tout à fait opposée : en manifestant un anticommuniste virulent, il souhaite tourner la page du compromis historique afin de sortir le PSI de la tenaille où l’enferment DC et PCI. Pour reprendre l’expression d’Adrien Candiard, les socialistes se trouvaient entre Charybdes et Scylla : en s’alliant au PCI, ils risquent d’être satellisés et de ne jamais revenir au pouvoir ; en choisissant l’alliance avec la DC, ils perdent leur identité de parti ouvrier et les voix de l’électorat populaire13.
- 14 Voir A. Manzella, Il tentativo La Malfa : tra febbraio e marzo 1979, nove giorni per un governo, Bo (...)
- 15 Pertini dira que la boutade de Craxi est une « goujaterie » (« una cafonata ») (M. Pini, Craxi, una (...)
- 16 C’est ce qu’Antonio Ghirelli a défini comme la « commedia degli equivoci ». Pertini avait convoqué (...)
- 17 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 152-153.
- 18 « Maccanico dice che si passa immediatamente al laico, ma che è una “sceneggiata” obbligatoria per (...)
- 19 Pour un aperçu des relations entre Craxi et Pertini en 1979, voir M. Pini, Craxi, una vita, un’era (...)
- 20 « L’incarico a Craxi l’ha dato un po’ a malincuore », A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 128- (...)
- 21 Décision à laquelle sont favorables à la fois Pertini et Craxi.
- 22 A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 144.
- 23 Voir les mémoires de R. Gardner, Mission Italy, Milan, Mondadori, 2004.
6En janvier 1979, le PCI quitte la majorité, provoquant la chute du quatrième gouvernement Andreotti. Sans consulter les partis, Pertini tente un coup de poker, en désignant le républicain Ugo La Malfa14. Craxi commente ce choix en disant que Pertini montre ses préférences pour les hommes politiques de son âge15. Au bout de neuf jours, La Malfa doit jeter l’éponge, à cause notamment de l’opposition de ce même Craxi. Après une série de malentendus16, Andreotti forme un nouveau gouvernement en charge des affaires courantes avant la dissolution des Chambres. Les élections anticipées du 3 juin 1979 voient une faible progression du PSI, qui atteint 9,6 % des voix. À la surprise générale, le 9 juillet 1979, Pertini convoque Craxi pour le charger de former le gouvernement. Craxi, qui était alors en vacances, se précipite au Quirinal en jeans, se fait gronder par Pertini qui lui intime l’ordre d’aller se changer, puis revient au palais présidentiel pour accepter la désignation. Le chef de l’État aurait commenté : « Quell’inconsciente ha accettato senza batter ciglio, alzando le braccia per la gioia17. » Pertini a-t-il réellement cru que Craxi allait réussir dans sa tentative ou s’agit-il, avant tout, d’une « mise en scène18 » ? Puisque le leader socialiste s’est opposé à la désignation des républicains La Malfa et Visentini, le chef de l’État le place devant ses responsabilités et le met au défi de former un gouvernement19. Ce faisant, il veut l’obliger à choisir la position du parti entre l’alliance à gauche et l’hypothèse centriste. On comprend donc qu’il a effectué cette nomination à contrecœur, peut-être même dans le but d’en empêcher le succès20. Deux semaines plus tard (24 juillet 1979), Craxi jette l’éponge et remet son mandat. En définitive, le démocrate-chrétien Francesco Cossiga prête serment le 4 août 1979. Son gouvernement est faible, mais il adopte cependant la décision d’installer les euromissiles sur la base sicilienne de Comiso21. Après de nouveaux vents de crise, en décembre 1979, Pertini et Maccanico estiment nécessaire d’élargir l’assise de la coalition, en associant au pouvoir les communistes22. Ils font une démarche auprès de l’ambassadeur américain, Richard Gardner, afin de convaincre le président Carter de la nécessité d’un gouvernement d’union nationale. L’ambassadeur leur répond que ce n’est pas possible au moment où l’on s’apprête à installer les euromissiles23.
- 24 Sur la loge P2, voir entre autres M. Teodori, P2: la controstoria, Milan, Sugarco, 1986. Voir égale (...)
- 25 Alberto Teardo venait de démissionner de la présidence de la région Liguria pour se présenter aux é (...)
- 26 En italien, una associazione a delinquere. Message de fin d’année, 22 décembre 1981.
- 27 Pertini aurait même déclaré : « Quello [Teardo] non fatemelo incontrare, a quello la mano non la st (...)
- 28 Les socialistes piduistes exclus du parti (comme Fabrizio Cicchitto), y sont réintégrés les années (...)
- 29 « Credo che l’iniziativa dei magistrati liguri sia una volgare strumentalizzazione politico-elettor (...)
7Après deux gouvernements Cossiga, un autre démocrate-chrétien, Arnaldo Forlani, accède au pouvoir en octobre 1980. Un an plus tard, son gouvernement doit remettre sa démission en raison du scandale de la loge maçonnique P224. Les socialistes sont à leur tour impliqués dans cette affaire : sur les listes confisquées au domicile de Licio Gelli, on trouve les noms de plusieurs députés du PSI, dont Fabrizio Cicchitto et Enrico Manca. Pire encore, on découvre que le président du Banco Ambrosiano, Roberto Calvi, a versé 3,5 millions de dollars sur un compte suisse appartenant à Silvano Larini, un homme de confiance de Craxi. Il s’agit du célèbre « Conto Protezione », dont on allait reparler en 1993. Déjà mis en cause dans le cadre de l’affaire de la loge P2, le socialiste Alberto Teardo est arrêté le 14 juin 1983 dans celui d’une affaire de pots-de-vin25. Devant les scandales réitérés touchant le PSI, les réactions de Pertini et de Craxi sont tout à fait opposées. Avant même l’ouverture de la commission d’enquête parlementaire, le chef de l’État n’hésite pas à définir la P2 comme une « association de malfaiteurs26 » et écarte un certain nombre de fonctionnaires de l’entourage présidentiel. Deux ans plus tard, il manifeste sa colère à l’égard de Teardo, qui a fait toute sa carrière dans la circonscription de Savone, dont Pertini était le député. Un communiqué du Quirinal annonce même que, depuis deux ans, le chef de l’État avait rompu tout rapport avec la fédération socialiste de cette province27. De son côté, Craxi cherche à minimiser l’importance de l’affaire P228, mais il réagit de manière violente lorsque Teardo est arrêté, à la veille des élections législatives. Le 20 juin 1983, il accuse les juges de s’être livrés à une « véritable agression » dans le cadre d’une « vulgaire instrumentalisation politico-électorale29 ». Avec le recul, ces phrases semblent inaugurer le leitmotiv de la « magistrature politisée » que l’on entendrait si souvent dans les décennies suivantes…
- 30 « Sandro mi detesta. Però vuole passare alla storia come il presidente che ha portato a Palazzo Chi (...)
- 31 « [Craxi], pur criticabile, antipatico […], rimane il meno peggio dei socialisti: non sono certo mi (...)
8À la suite de l’affaire P2, la DC renonce de manière momentanée à la présidence du Conseil. Pertini est donc en mesure de nommer le républicain Giovanni Spadolini. Le 28 juin 1981, celui-ci est la première personnalité laïque, depuis 1945, à diriger le gouvernement italien. Cela couronne la stratégie poursuivie depuis 1979, même si le chef de l’État n’aurait pu imposer sa volonté sans le désistement préalable de la démocratie chrétienne. Le gouvernement Spadolini est soutenu par la DC, le PSI, le PRI, le PSDI et le PLI. En deux ans, la solidarité nationale a donc cédé le pas au pentapartisme, et cette formule politique domine la vie politique italienne jusqu’au début des années 1990. Après dix-huit mois d’exercice du pouvoir, Spadolini est cependant acculé à la démission. Après un intermède Fanfani, Pertini doit procéder une nouvelle fois à une dissolution anticipée. Les élections du 26 juin 1983 sont marquées par une remontée du PSI, qui passe de 9,8 % à 11,4 %. Ayant essuyé une lourde défaite, le secrétaire de la DC, Ciriaco De Mita, propose de son propre chef que son parti cède la présidence du Conseil aux socialistes. Encore une fois, Pertini éprouve des sentiments mélangés. Il aurait sans doute préféré choisir une autre personnalité laïque (Bruno Visentini) ou un démocrate-chrétien pour éviter que Craxi n’arrive à la tête du gouvernement. Le secrétaire du PSI avoue alors : « Sandro me déteste, mais il veut rester dans l’histoire comme le président qui a nommé le premier socialiste à Palazzo Chigi… Il préférerait n’importe qui d’autre, mais malheureusement, je suis le seul socialiste qu’il puisse nommer30. » Il faut préciser que le chef de l’État n’apprécie pas non plus outre mesure les autres membres de la direction du parti. Dans une note adressée à Berlinguer, Antonio Tatò rapporte des propos que Pertini aurait tenus en juin 1983 : « même si [Craxi] est critiquable, antipathique […], il reste le moins pire des socialistes : les Martelli, les Formica, les De Michelis, les Signorile ne sont certainement pas meilleurs que lui31 ».
- 32 Sans oublier que Pertini a eu 87 ans en septembre 1983.
- 33 Pertini a déclaré avoir personnellement choisi trois présidents du Conseil (Cossiga, Forlani et Spa (...)
- 34 Le journaliste Giorgio Bocca a ainsi reproché à Craxi sa volonté de « moderniser le pays avec une c (...)
- 35 Ibid., p. 263.
9Le 4 août 1983, Bettino Craxi devient ainsi le premier président du Conseil issu du PSI. Les photos de la prestation de serment ne montrent pas seulement l’image de deux socialistes au sommet de l’État ; elles symbolisent aussi un passage de relais entre deux générations. En effet, on peut estimer qu’à partir de 1983, Pertini ne joue plus quasiment aucun rôle sur la scène politique32, alors qu’il a eu une influence non négligeable entre 1979 et 198233. Il n’en reste pas moins que, dans les deux dernières années du septennat (1983-1985), les rapports entre le chef de l’État et le président du Conseil ne sont pas toujours faciles. Le style des deux hommes est parfaitement opposé. Pertini rappelle maintes fois son bref passé de manœuvre du bâtiment lors de son exil en France, tandis que les médias mettent en évidence son style de vite spartiate. De son côté, Craxi fréquente les milieux de la mode, de la finance et du marketing, que l’on commence à appeler, paraphrasant un slogan publicitaire, la « Milano da bere ». En assumant parfaitement la proximité avec les yuppies et le monde du spectacle – les milieux « bling-bling » dirait-on aujourd’hui – il fait entrer au Comité central du PSI l’actrice Sandra Milo et de célèbres couturiers, tels Trussardi ou Krizia34. Le socialiste Rino Formica a parlé à ce propos d’une « cour de nains et de danseuses », tandis que le ministre des Affaires étrangères, Giulio Andreotti, a déclaré être parti en Chine « con Craxi e i suoi cari ». On ne saurait imaginer style plus éloigné de celui de Pertini, qui paie de sa poche ses déplacements privés en avion, et reproche au directeur général de la Rai d’avoir signé un contrat de plusieurs milliards de lires avec l’animatrice Raffaella Carrà, « dilapidant ainsi l’argent des contribuables35 ».
- 36 Ibid., p. 277.
10Sur le plan politique, Craxi affiche un anticommunisme sans complexe, tandis que Pertini appelle de ses vœux un retour au compromis historique. En février 1984, lors des funérailles d’Andropov, il profite de la présence simultanée de Berlinguer et d’Andreotti pour leur dire : « Mettetevi d’accordo voi due! Non ne posso più di quello là36! » Le 11 juin 1984, Enrico Berlinguer est victime d’une attaque cérébrale pendant un meeting électoral à Padoue. Pertini, qui se trouve déjà sur place, est présent lors des dernières heures du leader communiste, puis en ramène la dépouille mortelle dans l’avion présidentiel. Une semaine plus tard, le PCI arrive en tête aux élections européennes, recueillant pour la première (et dernière) fois davantage de suffrages que la DC. Les médias estiment que l’attitude de Pertini lui a fait gagner au moins 1 % de voix supplémentaires. Le vice-secrétaire du PSI, Claudio Martelli, reproche alors à Pertini d’avoir, « même inconsciemment, aidé le PCI ». Le vieux président répond aussitôt que si Craxi et Martelli voulaient se suicider sur la tombe de Juliette et de Roméo, il serait heureux de ramener leurs dépouilles dans l’avion présidentiel !
- 37 Le contenu de cette lettre est rapporté par la Repubblica du 25 janvier 1985.
- 38 Corriere della Sera, 29 janvier 1985.
11Un nouvel accrochage a lieu dans les derniers mois du septennat, en janvier 1985. Lors d’une visite à Paris, le ministre socialiste De Michelis s’est brièvement entretenu avec l’ancien leader de Potere Operaio, Oreste Scalzone, réfugié en France. Le 24 janvier, Pertini envoie à Craxi une lettre privée demandant la démission de De Michelis. Le lendemain, le président du Conseil monte au Quirinal pour rencontrer le chef de l’État, puis déclare à la presse qu’aucune lettre n’avait été envoyée37. Quelques jours après, Pertini invite Craxi au « respect de la vérité » et signifie à De Michelis que lui n’aurait jamais serré la main à un terroriste condamné par la justice italienne. Pour calmer le jeu, De Michelis présente des excuses au président, tandis que Craxi publie un article élogieux sur Pertini qui a « été, tout au long de sa vie, un défenseur de la démocratie et de la liberté38 ». Ces épisodes illustrent bien l’attitude des socialistes à l’égard de « leur » président : il s’agit d’un personnage peu commode, qui les met souvent dans l’embarras, mais qu’il serait contreproductif de critiquer. Par ailleurs, les relations entre Craxi et Pertini ne sont pas toujours aussi tendues. De manière générale, Craxi a compris, comme les autres socialistes, que la popularité de Pertini est une ressource politique non négligeable et se montre souvent avec lui à l’occasion de voyages et d’inaugurations.
12Une fois examinés les rapports politiques et générationnels entre les deux socialistes, on peut se demander quel a été le bilan de leur action respective. De toute évidence, il est difficile de mesurer l’influence directe d’un président de la République qui, selon les termes de la Constitution, n’exerce pas le pouvoir exécutif. Encore aujourd’hui, le souvenir de Sandro Pertini reste lié à quelques moments forts de sa présidence, toujours très présents dans l’imaginaire collectif : l’enthousiasme manifesté lors de la victoire de l’équipe nationale de football à la Coupe du Monde de 1982 ; le discours dénonçant le retard des secours après le tremblement de terre en Irpinie (1980) ; la présence aux côtés d’Alfredino Rampi, un enfant tombé au fond d’un puits, et qui y trouve la mort.
13Les années 1980 sont marquées par une longue série de deuils nationaux : en 1981, Pertini constatait déjà que depuis le début de son mandat, il n’avait fait « qu’aller à des enterrements ». D’après nos décomptes, il aurait participé à pas moins de vingt-huit enterrements de victimes de la mafia et du terrorisme rouge ou noir. Sa présence est particulièrement significative aux obsèques suivant l’attentat à la gare de Bologne (2 juin 1980). La cérémonie est un chemin de croix pour les hommes politiques, conspués par la foule qui leur crie « Assassins, assassins ! ». L’arrivée du président de la République est au contraire saluée par les applaudissements et contribue à ramener le calme. Lors de ces cérémonies, Pertini prononce parfois des discours, comme aux funérailles du syndicaliste Guido Rossa (1979) et à l’usine Italsider de Tarente (1980) où il invite les ouvriers à « chasser les terroristes des usines » et à ne pas céder à la tentation de la violence. Par son extraordinaire popularité, le chef de l’État a rapproché la population de l’institution présidentielle. En 1985, 80 % des Italiens auraient souhaité sa reconduction, en dépit de son âge très avancé (89 ans). Au cours de ces années si difficiles, son grand mérite fut de canaliser le mécontentement populaire, tout en réaffirmant l’importance des valeurs démocratiques. S’il est difficile d’évaluer avec précision la portée de ses interventions, il paraît évident qu’elles ont contribué à la défaite du terrorisme d’extrême gauche.
- 39 Éditorial de Bettino Craxi dans L’Avanti! du 25 février 1990.
14Pertini meurt à Rome le 24 février 1990, date qui coïncide avec le 56e anniversaire de Craxi ; ce dernier lui rend un vibrant hommage dans l’Avanti!, en saluant le courage du militant antifasciste et du combattant pour la liberté39.
- 40 Entre 1983 et 1987, le taux d’inflation passe de 12,3 % à 5,2 %.
- 41 Come l’on sait, le Concordat avait été signé en 1929 par Mussolini et le cardinal Gasparri.
15Le bilan de l’action de Bettino Craxi est beaucoup plus controversé, qu’il s’agisse de ses quatre années à la présidence du Conseil (1983-1987) ou de la période du « CAF » (acronyme désignant l’alliance entre Craxi, Andreotti et Forlani) entre 1989 et 1992. Au début des années 1980, le secrétaire du PSI adopte deux mots d’ordre, « decisionismo » et « governabilità » : la capacité de prendre des décisions et d’assurer le gouvernement du pays. Au cours de cette période, l’Italie retrouve en effet une stabilité inconnue depuis les années 1950 : le premier cabinet Craxi établit un record de longévité (trois ans), qui n’est battu qu’en 2005 par le deuxième gouvernement Berlusconi. L’opinion publique apprécie cette stabilité qui tranche avec la « crise permanente » de la décennie précédente : en 1987, le PSI atteint son sommet historique avec 13,8 % des voix. Pendant les quatre années du gouvernement Craxi, l’Italie renoue par ailleurs avec une forte croissance. Elle bénéficie à la fois d’une conjoncture favorable sur le plan international, d’une politique économique expansive (avec un fort investissement public) et d’une baisse spectaculaire de l’inflation40. Le « decisionismo » de Craxi est notamment illustré par le décret du 14 février 1984, qui supprime l’échelle mobile des salaires, mécanisme structurellement inflationniste. Le parti communiste fait du maintien de ce dispositif l’un de ses chevaux de bataille et recueille les signatures nécessaires à l’organisation d’un référendum. Mettant tout son poids dans la balance, Craxi annonce qu’en cas de défaite, « il démissionnera dans la minute ». Le 10 juin 1985, il sort vainqueur de cette épreuve de force, car les partisans du rétablissement de l’échelle mobile n’obtiennent que 45,7 % des voix. Un an plus tôt, il a remporté un autre succès de taille : la révision du Concordat régissant les rapports entre l’État et l’Église41 était en chantier depuis 1967 ; après de longues négociations, Craxi et le cardinal Casaroli (représentant le Saint-Siège) signent le nouveau Concordat (18 février 1984). Dans les mois suivants, sont également signées des ententes avec les confessions minoritaires.
- 42 Ce fut notamment le cas de De Gasperi, Scelba, Segni, Fanfani ou Andreotti.
- 43 Entretien avec Valdo Spini, le 12 novembre 2010.
- 44 Voir B. Olivi et A. Giacone, L’Europe difficile, Paris, Gallimard, 2007, p. 204-210.
16En politique étrangère, la mémoire collective a surtout retenu l’épisode de Sigonella (10-11 octobre 1985) : un commando de terroristes palestiniens, dirigé par Abu Abbas, a détourné l’Achille Lauro, célèbre navire de croisière, en assassinant lâchement le passager américain, et juif, Leon Klinghoffer, jeté par-dessus bord avec son fauteuil roulant. Craxi négocie la reddition du commando, transporté en hélicoptère sur la base militaire de Sigonella : les marines américains, accourus sur place pour arrêter les terroristes, en sont empêchés par les carabiniers italiens et, quelques heures plus tard, Abu Abbas et ses hommes sont libérés. L’affaire, qui frappe vivement les esprits, a certes une importance symbolique : depuis la fin de la guerre, les hommes politiques italiens accédaient au rang de « statista » (homme d’État) par une visite à Washington où ils faisaient allégeance à l’allié américain42 en se montrant plus atlantistes que lui. Désormais, la perspective est renversée. Craxi est la première personnalité italienne à devenir un « homme d’État » en s’opposant au gouvernement des États-Unis. Il n’en reste pas moins que, sur le plan international, l’affaire de Sigonella n’est qu’un épiphénomène : au-delà de l’assassinat abject de Leon Klinghoffer (que Craxi ignorait peut-être au moment de la négociation avec Abu Abbas43), la libération des terroristes n’a eu aucun effet sur la cause palestinienne. Par la suite, Abu Abbas ne joue plus aucun rôle au sein de l’OLP : réfugié dans l’Irak de Saddam Hussein, il y trouve la mort en 2005. Il est donc étonnant que les historiens italiens, faisant preuve d’un certain « provincialisme », aient donné tant d’importance à l’affaire de Sigonella, passant souvent sous silence le véritable exploit de Craxi, à savoir la manière dont il présida le Conseil européen de Milan (1985) : sur conseil du diplomate Renato Ruggiero, il osa bousculer les traditions établies et fit procéder à un vote au sein du Conseil ; mise en minorité, Margareth Thatcher ne put s’opposer à la convocation de la conférence intergouvernementale qui aboutit à la signature de l’Acte Unique et à une relance de la construction européenne44.
- 45 P. Milza, Histoire de l’Italie, Paris, Fayard, 2005, p. 980.
- 46 En 1992, la dette publique représente 118 % du PIB.
- 47 Par référence aux « boat people » du Cambodge et du Vietnam, le BOT étant les bons du Trésor italie (...)
- 48 Pendant la période 1983-1987, plus d’une centaine de décrets présentés par le gouvernement ne sont (...)
17Sur le plan économique, la période craxienne coïncide avec un retour du pays sur la scène internationale. Ayant accédé, bien que de manière éphémère, au rang de 5e puissance industrielle du monde (dépassant le Royaume-Uni), l’Italie attire l’attention des médias étrangers. Dans le contexte de la révolution néo-libérale reaganienne et thatchérienne, « la relative faiblesse de l’État italien – écrit Pierre Milza – qui avait en d’autres temps fait les beaux jours des chroniqueurs, devenait du coup un modèle de souplesse et un indicateur de modernité45 ». Le revers de la médaille est le laxisme en matière budgétaire. Contrairement au principe selon lequel il convient de réduire les déficits pendant les années de croissance, Craxi laisse filer la dette publique, qui représente déjà 70 % du PIB en 1983 et atteint 92 % en 1987. Bien entendu, il n’en est pas le seul responsable de cette dérive, qui se poursuit pendant les années du « CAF » (1989-1992) et mène le pays au bord du gouffre46. Il est toutefois étonnant qu’un leader loué pour ses qualités de « décideur » n’ait pas consacré à la dette l’attention qu’il a accordée au problème de l’inflation. Cela a de multiples causes : le désir de conserver le soutien des épargnants italiens (qu’on appelle bientôt les « Bot people47 »), la concurrence du PCI qui impose de coûteuses politiques sociales, la fragilité des coalitions parlementaires qui empêche la prise de décisions à long terme48. Cependant, ce laxisme a de lourdes conséquences sur la croissance : les Italiens paient l’euphorie et les dépenses inconsidérées des années 1980 par deux décennies de cures d’austérité et de stagnation économique.
- 49 Voir G. Acquaviva et L. Covatti, La «Grande riforma» di Craxi, Venise, Marsilio, 2010.
- 50 Cette hypothèse est aussi défendue par Giuliano Amato dans une série d’articles publiés, à partir d (...)
- 51 Comme l’ont montré les tentatives néo-gaullistes de Randolfo Pacciardi et d’Edgardo Sogno, voir le (...)
- 52 Consulter les réflexions, encore pertinentes, de M. Duverger, La Monarchie Républicaine – ou commen (...)
- 53 À savoir, les parlementaires de la majorité qui votent contre le gouvernement lors de votes au scru (...)
- 54 Si le nombre de votants n’atteint pas 50 % + 1, le référendum est nul.
18On retrouve la même ambiguïté sur le plan institutionnel. Dès la fin des années 1970, Craxi annonce une « Grande réforme49 » visant à accroître la governabilità par un renforcement des pouvoirs de l’exécutif et l’élection directe du chef de l’État50. Ce faisant, il brise le tabou de la République présidentielle, jusque-là assimilée à une nouvelle forme de fascisme51. Sans aucun doute, il a eu l’intuition des tendances que, dans les années suivantes, on voit à l’œuvre dans la plupart des démocraties occidentales52. Il n’en reste pas moins que le vrai réformateur n’est pas celui qui met en avant une idée, mais celui qui arrive à la faire adopter. À cet égard, le bilan de Craxi se résume à une seule innovation, la suppression du vote secret au Parlement, qui permet de réduire les embuscades des « francs-tireurs53 ». Après 1989, Craxi s’allie aux représentants des courants les plus modérés de la DC (Andreotti et Forlani), perdant ainsi son élan réformateur. Il s’oppose notamment aux référendums de 1991 et 1993, qui prévoient respectivement l’abandon des préférences multiples sur les bulletins de vote et l’abrogation de la proportionnelle. En 1991, il invite même les électeurs à déserter les urnes et à se rendre à la mer (« andare al mare54 »). Cet appel se retourne contre lui et contribue certainement à la victoire des promoteurs du référendum. Il apparaît ainsi que la réputation d’un « Craxi réformateur » est largement usurpée : dans la première partie de la période examinée, il est le « précurseur » de réformes jamais réalisées, même si la responsabilité en incombe à toute la classe politique ; au début des années 1990, il représente même un frein pour ceux qui désirent alors corriger les défauts du parlementarisme italien.
- 55 « Tutti sanno che buona parte del finanziamento politico è irregolare o illegale […]. Non credo che (...)
- 56 La Stampa, 15 janvier 2010.
- 57 Sentence prononcée le 12 novembre 1996.
- 58 Sentence prononcée le 20 avril 1999. D’autres procès étaient encore en cours au moment de sa mort.
- 59 Voir l’interview de Rino Formica dans La Stampa du 28 décembre 2010.
- 60 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 592.
19Le point le plus controversé de la carrière de Craxi est bien entendu son implication dans le financement occulte de son parti, qu’il revendique avec panache lors du discours tenu le 3 juillet 1992 à la Chambre des députés : « Tout le monde sait qu’une bonne partie du financement public est irrégulier ou illégal […]. Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un dans cet hémicycle qui puisse se lever et prêter un serment dans un sens opposé à ce que j’affirme : tôt ou tard, les faits se chargeraient de le démentir55. » En effet, aucun parlementaire n’osa se lever et cet « acte manqué » écrit la journaliste Barbara Spinelli, « demeure la honte des politiques et de toute une classe dirigeante56 ». Ce discours, qui tranche avec l’attitude passive des leaders démocrates-chrétiens, a un effet majeur sur l’image de Craxi qui, aux yeux de l’opinion, incarne désormais la corruption de la partitocratie italienne. Le 11 février 1993, il démissionne de son poste de secrétaire de PSI. Le 29 avril, la Chambre des députés vote contre la levée de son immunité parlementaire. Le lendemain, une petite foule l’attend à la sortie de sa résidence romaine, l’hôtel Raphaël, pour lui lancer des pièces de monnaie à la figure : cet épisode, que Craxi lui-même considère comme un véritable lynchage, marque de facto la fin de sa carrière politique. Le leader socialiste ne se représente pas aux élections de 1994 et, sous le coup d’un mandat d’arrêt, se réfugie à Hammamet (Tunisie) en mai. Ayant épuisé toutes les voies de recours, il est condamné à 5 ans et 6 mois de réclusion pour l’affaire Eni-Sai57 et à 4 ans et 6 mois pour les détournements lors de la construction du métro de Milan58. De manière générale, sa fuite en Tunisie est considérée comme une erreur, y compris par des socialistes comme Rino Formica59, surtout lorsqu’on songe au destin judiciaire, relativement clément, de la plupart des personnalités impliquées dans « Tangentopoli ». De son côté, Craxi se considère comme un « exilé politique » jusqu’à sa mort, survenue à Hammamet le 19 janvier 2000. À cet égard, il est significatif que Craxi ait comparé son destin à celui du « presidente partigiano », rappelant que Pertini avait passé douze ans en prison pour lutter contre le fascisme et « qu’il pourrait lui arriver quelque chose de semblable60 ».
- 61 « Non può dunque venir sacrificata al solo discorso sulle responsabilità dell’on. Craxi sanzionate (...)
- 62 La condamnation de Craxi a eu lieu sur la base de témoignages apportés dans le cadre d’autres procè (...)
- 63 Pour reprendre les mots du magistrat Gerardo D’Ambrosio : « Su Craxi non esistono prove di arricchi (...)
- 64 Voir à ce propos La Stampa du 15 janvier 2010.
20Il est indiscutable que ces événements judiciaires ont eu une influence sur le souvenir laissé par celui qui fut, pendant dix-sept ans, le leader indiscuté du parti socialiste. Dans un message adressé à Anna Craxi, à l’occasion des dix ans de la disparition de son mari, le président Napolitano a écrit que « le jugement de la stature de M. Craxi en tant que leader politique et homme de gouvernement ne peut pas être [limitée] à la question de ses responsabilités, sanctionnés par la voie judiciaire61 ». Même les proches de l’ancien président du Conseil ne remettent pas en cause la réalité des affaires de pots-de-vin. Craxi ne fut pas la victime innocente d’une erreur judiciaire. Ils insistent en revanche sur les anomalies du procès (défini comme un « processo speciale »), d’ailleurs reconnues en décembre 2002 par un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme62. Dans un pays où les fautes individuelles sont souvent effacées par les responsabilités collectives et l’indulgence qui s’ensuit (« Tutti colpevoli, tutti innocenti »), Craxi est ainsi devenu le leader qui a « payé » pour toute la classe politique. Dès lors, le débat s’est focalisé sur l’emploi des sommes recueillies illégalement par les partis. La plupart de ceux qui tendent à justifier les affaires de pots-de-vin mettent en avant la croissance spectaculaire du « coût de la politique » pendant les années 1980, en établissant une distinction entre ceux qui « volaient pour eux-mêmes » et ceux qui « volaient pour leur parti ». Si certains cas d’enrichissements personnels sont avérés parmi certains dirigeants du PSI, dans celui de Craxi le mobile semble être uniquement de nature politique63. On a aussi fait valoir qu’une partie du financement illégal était reversé aux dissidents d’Europe de l’Est et aux mouvements d’Amérique latine (en particulier l’opposition à Pinochet au Chili64), pour permettre au PSI de mener certaines actions dans le cadre d’une politique étrangère parallèle à celle du gouvernement.
- 65 « L’azione di Craxi fu in realtà un singolarissimo impasto di intuizioni giuste e coraggiose, di sp (...)
21Sans entrer dans ce débat, la question qui se pose à l’historien concerne la possibilité de dissocier la dimension politique des aspects judiciaires qu’elle comporte. En d’autres termes, peut-on juger l’action de Craxi en faisant abstraction des « affaires » ? Comme l’écrit la journaliste Barbara Spinelli, « la corruption ne fut pas un élément inessentiel de telle action, mais un élément constitutif de sa politique65 ». D’un point de vue économique, le « coût de la politique » se répercute en effet sur les entreprises et le contribuable, provoquant une perte de compétitivité et une baisse de la qualité du service public. Selon une statistique souvent mise en avant, à la fin des années 1980, pour construire un kilomètre de lignes de métro il fallait 192 milliards de lire à Milan, alors qu’il n’en fallait que l’équivalent de 45 à Hambourg. Plus encore, légitimer le financement occulte des partis en le distinguant de l’enrichissement personnel revient à accepter une distorsion attribuant, de facto, aux grands partis (et notamment à ceux du gouvernement) des possibilités d’action bien supérieures à celles des petits partis (et à l’opposition), ce qui sape l’un des principes fondamentaux de la démocratie, à savoir l’égalité des partis dans la compétition électorale.
- 66 P. Fassino, Per passione, Milan, Rizzoli, 2003.
- 67 Voir l’interview de P. Fassino dans La Stampa du 31 décembre 2009 : « Bettino fu un capro espiatori (...)
- 68 « Interpretò meglio di ogni altro uomo politico come la società italiana stava cambiando. » Voir l’ (...)
22Dès lors, la réhabilitation récente de Craxi reflète avant tout la mauvaise conscience de la classe politique. Cette tendance s’est particulièrement illustrée chez les héritiers de l’ex-PCI. En 2003, le secrétaire des démocrates de gauche (DS), Piero Fassino, écrit dans son livre de mémoires, Per passione66, que l’ancien président du Conseil a été un « bouc émissaire », jugement répété dans une interview récente67. En 2008, le premier président du parti démocrate (PD), Walter Veltroni, déclare pour sa part que Craxi avait compris « mieux que n’importe quel autre homme politique comment la société italienne était en train d’évoluer68 », phrase qui sonne plutôt comme un aveu des limites du PCI de Berlinguer. Au-delà de la question de la sincérité de ces prises de position, cette réhabilitation posthume répond avant tout à une volonté de récupération politique : à gauche, on cherche à capter l’héritage politique de Craxi, tandis qu’à droite, le sort de l’exilé d’Hammamet légitime le combat contre la magistrature.
23Au-delà des désaccords ponctuels, les rapports complexes entre Sandro Pertini et Bettino Craxi semblent renvoyer à des clivages plus profonds, reflétant l’évolution du parti socialiste. Pour le chef de l’État, le PSI reste un parti de travailleurs, qui revendique ses racines prolétariennes. De son côté, Craxi n’est pas sans s’inspirer du néo-libéralisme de Ronald Reagan et de Margareth Thatcher. Il peut compter sur le soutien de la grande industrie lombarde et de la « Troisième Italie » du Nord-Est, marquée par la petite entreprise familiale, que l’on retrouve plus tard dans l’électorat de la Ligue et de Forza Italia. Le secrétaire du PSI trouve aussi des appuis dans les classes moyennes et supérieures (cadres, milieux du spectacle, de la mode et de la finance). Cela montre la mutation sociologique du PSI au cours des années 1980 : il est de moins en moins ouvrier et de plus en plus lié aux catégories socioprofessionnelles du secteur tertiaire.
- 69 La base militante (et l’opposition interne du parti) a souvent reproché à Nenni et à De Martino, ho (...)
24L’image même du parti change au cours de ces années. Jusqu’aux années 1970, les dirigeants du PSI, issus en grande partie de la Résistance, ont une réputation d’intégrité qui va de pair avec une certaine naïveté politique69. Pertini est le dernier de cette génération à exercer des fonctions institutionnelles. À la fin des années 1970, le PSI est aussi un parti criblé de dettes, ce qui explique les besoins de financement à l’origine des affaires ENI/Petromin et des liens ambigus avec la loge P2 à travers le « Conto Protezione ». Après la mise au jour de ces scandales, les dirigeants du parti sont désormais perçus comme des affairistes, beaucoup plus habiles sur le plan politique (en témoigne la carrière politique de Craxi) mais plus douteux sur le plan moral. D’où une blague de la fin des années 1980 – bien avant l’opération « Mains propres » : un socialiste demande à un autre : « On va prendre un café ? », et la réponse est : « À qui ? ».
- 70 Enquête réalisée par l’institut de sondages Demos, le Corriere della Sera du 27 septembre 2004.
- 71 Sondage effectué le 4 janvier 2010 sur un échantillon de 500 personnes, La Stampa du 6 janvier 2010
25Je terminerai par quelques mots sur l’héritage des deux personnages. La première remarque concerne leur popularité. D’après un sondage réalisé en juin 200470, Pertini était l’homme politique italien le plus admiré du xxe siècle. Il n’en va pas de même pour Craxi. Lorsqu’en décembre 2009, le maire de Milan, Letizia Moratti, proposa de donner son nom à une rue ou un jardin public, un sondage montra que 65 % des Italiens y étaient opposés71.
- 72 Une fois élu à la présidence de la République, Pertini renonça à reprendre la carte du PSI, pour ma (...)
26La deuxième remarque porte sur les effets de cette popularité. Dans le cas de Pertini, elle semble avoir rejailli davantage sur l’institution qu’il représentait que sur son ancien parti72. En dépit de l’écroulement du système politique entre 1992 et 1993 et le retour en force de l’antipolitica (antipolitique), la présidence de la République demeure aujourd’hui encore la plus populaire des institutions italiennes. De ce point de vue, l’héritage du secrétaire du PSI a été beaucoup moins durable. Élu comme un primus inter pares en 1976, il avait en effet progressivement accru son empreinte sur le parti qui, dès lors, s’identifiait à sa personne. La gauche du parti avait d’abord cherché à lui opposer des personnalités telles que Claudio Signorile et Antonio Giolitti mais, après l’échec de ceux-ci, elle s’était ralliée à lui. De congrès en congrès, il était désormais sans rival et son investiture avait lieu par acclamations au cours de « conventions » spectaculaires inspirées du modèle américain. Cette personnalisation à outrance est certainement l’un des éléments qui ont permis au PSI de sortir de sa longue crise, mais elle aura aussi des conséquences négatives quand Craxi, impliqué dans l’opération « Mains propres », a fini par incarner à lui seul toutes les dérives de la partitocratie. Le verdict est sans appel aux élections de 1994 : le PSI ne recueille que 2,2 % des suffrages. En liant les destinées de son parti à celles de sa personne, Craxi a permis au PSI d’atteindre son apogée en 1987, mais il en a également provoqué la disparition moins d’une décennie plus tard.
- 73 Voir notamment S. Pertini, Discorsi parlamentari 1946-1976, Bari-Rome, Laterza, 2005 ; S. Caretti e (...)
- 74 A. Gandolfo, Il Giovane Pertini: da Stella a Nizza (1896-1929), Gênes, Ferrari, 2002.
- 75 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité.
- 76 S. Colarizi et M. Gervasoni, La cruna dell’ago. Craxi, il PSI e la crisi della Repubblica, Bari-Rom (...)
- 77 Holding regroupant les trois chaînes de télévision (Canale 5, Retequattro, Italia 1) propriété de l (...)
27Ma dernière remarque sera de nature historiographique. Sur le plan institutionnel, il existe à la fois une Fondation Craxi, qui a largement ouvert ses archives, et une Association nationale Sandro Pertini à Florence, qui applique la règle de consultation des 50 ans. Au-delà des commémorations et des recueils de textes et de discours73, Pertini est un personnage oublié par les historiens. Après les nombreux ouvrages publiés au cours du septennat, il n’existe aucun travail d’ensemble sur le « presidente partigiano », même s’il convient de signaler l’ouvrage d’Andrea Gandolfo sur le « jeune Pertini74 ». En revanche, deux biographies ont été consacrées à Craxi, l’une par son ancien collaborateur Massimo Pini75, l’autre par les historiens Marco Gervasoni et Simona Colarizi76. Sur le plan filmographique, l’émission La storia siamo noi a consacré un long documentaire à la vie de Pertini. De son côté, Mediaset77 a produit un film sur Craxi, diffusé en 2009 à une heure de grande écoute : la seconde moitié de ce film est consacrée tout entière à « Tangentopoli », conformément à la clé de lecture berlusconienne qui fait de Craxi une victime du supposé complot judiciaire de l’opération « Mains propres ».
- 78 En particulier la « loi Mammì » du 6 août 1990.
- 79 Interview accordée par Silvio Berlusconi à l’hebdomadaire The Spectator le 27 août 2003.
- 80 Sur la continuité entre Craxi et Berlusconi, voir entre autres P. Flores d’Arcais, Il ventennio pop (...)
28On ne saurait conclure ce portrait croisé sans un mot sur le personnage qui dominera la vie politique des vingt années suivantes. Les liens entre Craxi et Berlusconi sont trop connus pour devoir être explicités ici : rappelons simplement le rôle joué par le leader socialiste pour que le gouvernement approuve des lois au bénéfice de l’empire audiovisuel du « Cavaliere78 ». En revanche, je livrerai un détail inédit au sujet de Pertini. Lorsqu’on parcourt le journal de la présidence de la République, on découvre que la dernière personne que le président italien a reçu au Quirinal pendant son septennat n’est autre que… ce même Silvio Berlusconi. Comment aurait réagi le vieux leader antifasciste, s’il avait pu entendre, en 2003, le président du Conseil expliquer que Mussolini envoyait ses opposants « in vacanza al confino79 » ? En tout état de cause, l’évolution du PSI au cours des années 1980 permet d’expliquer qu’une partie de ses anciens dirigeants, souvent les plus jeunes et les plus liés à Craxi, ait rejoint par la suite les rangs de Forza Italia et du parti de la Liberté80.
Notes
1 Voir les réflexions de Vittorio Foa dans B. Pellegrino, L’eresia riformista, Milan, Guerini e associati, 2010.
2 Parmi les exceptions notables, signalons G. Galli, Storia orgogliosa del socialismo italiano, Milan, Tropea, 2001 et, côté français, F. d’Almeida, Histoire et politique, en France et en Italie : L’exemple des socialistes, 1945-1983, Rome, École française de Rome, 1998. Pour une analyse rétrospective de la période 1976-1994, voir également V. Spini, Il grano e il loglio dell’esperienza socialista (1976-2006), Rome, Editori Riuniti, 2006.
3 « L’Archivio del socialismo italiano » se trouve à Florence, à la Fondation Turati. D’autres fonds importants pour comprendre l’histoire du PSI sont déposés à la Fondation Nenni et à la Fondation Craxi.
4 A. Giovagnoli, Il Caso Moro, Una tragedia repubblicana, Bologne, Il Mulino, 2005, p. 77-189.
5 Afin de respecter la loi non écrite prévoyant une alternance entre un président démocrate-chrétien et un président issu d’un parti laïc. Voir G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, Tarquinia, Nuove Edizioni Ebe, 2007, p. 197.
6 Cité par G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, ouvr. cité, p. 199. Comme l’on sait, l’arc constitutionnel inclut les partis ayant voté pour la constitution de 1948, c’est-à-dire tous sauf les monarchistes et les néo-fascistes du MSI.
7 Pietro Nenni, Giorgio Amendola et Luigi Longo meurent en 1980, Ferruccio Parri en 1981, Riccardo Lombardi en 1984, Giuseppe Saragat en 1988.
8 Après la Libération, Vittorio Craxi est vice-préfet de Milan.
9 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, Milan, Mondadori, 2006, p. 624.
10 A. Tatò, Caro Berlinguer, Note e appunti riservati di Antonio Tatò a Enrico Berlinguer (1969-1984), Turin, Einaudi, 2003.
11 Le mot « laïque » indiquant les partis de la majorité à l’exception de la démocratie chrétienne.
12 C’est l’interprétation de L. Zanetti, Pertini sì, Pertini no, Milan, Feltrinelli, 1985 et, plus récemment, celle de G. Di Capua, Dieci Presidenti, Dieci Repubbliche, ouvr. cité (voir le chapitre « Sandro Pertini, Repubblica alternativista », p. 191-242).
13 A. Candiard, « Le PCI et le PSI au début des années 1990 : métamorphose et enterrement », dans P. Caracciolo (dir.), Refaire l’Italie, l’expérience de la gauche libérale (1992-2001), Paris, Rue d’Ulm, 2009, p. 271-301.
14 Voir A. Manzella, Il tentativo La Malfa : tra febbraio e marzo 1979, nove giorni per un governo, Bologne, Il Mulino, 1980.
15 Pertini dira que la boutade de Craxi est une « goujaterie » (« una cafonata ») (M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 149).
16 C’est ce qu’Antonio Ghirelli a défini comme la « commedia degli equivoci ». Pertini avait convoqué au Quirinal l’ancien-chef de l’État Saragat, Andreotti et La Malfa, puis proposé à Andreotti de le désigner en choisissant Saragat et La Malfa comme vice-présidents du Conseil. Voir A. Ghirelli, Caro Presidente, Due anni con Pertini, Milan, Rizzoli, 1981 (chap. ix).
17 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 152-153.
18 « Maccanico dice che si passa immediatamente al laico, ma che è una “sceneggiata” obbligatoria per dare un minimo di soddisfazione ai partitini e a Craxi, ma che non può risolversi che in un buco nell’acqua e l’incarico tornerà a uno della DC. Chi sia, però, lui non lo sa ancora perché c’è l’incertezza nella DC e in Pertini », dans A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 99.
19 Pour un aperçu des relations entre Craxi et Pertini en 1979, voir M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 152.
20 « L’incarico a Craxi l’ha dato un po’ a malincuore », A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 128-129.
21 Décision à laquelle sont favorables à la fois Pertini et Craxi.
22 A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 144.
23 Voir les mémoires de R. Gardner, Mission Italy, Milan, Mondadori, 2004.
24 Sur la loge P2, voir entre autres M. Teodori, P2: la controstoria, Milan, Sugarco, 1986. Voir également les mémoires d’Arnaldo Forlani, Potere discreto, Venise, Marsilio, 2009, p. 206-211.
25 Alberto Teardo venait de démissionner de la présidence de la région Liguria pour se présenter aux élections législatives. L’enquête a ensuite révélé qu’il avait accumulé un patrimoine de 19 milliards de lires.
26 En italien, una associazione a delinquere. Message de fin d’année, 22 décembre 1981.
27 Pertini aurait même déclaré : « Quello [Teardo] non fatemelo incontrare, a quello la mano non la stringo. » Cité par M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 229.
28 Les socialistes piduistes exclus du parti (comme Fabrizio Cicchitto), y sont réintégrés les années suivantes.
29 « Credo che l’iniziativa dei magistrati liguri sia una volgare strumentalizzazione politico-elettorale. È in questo modo che si tocca il fondo dell’uso disinvolto dei poteri giudiziari. Sarà difficile ai magistrati spiegare le ragioni di urgenza che li hanno indotti a prendere provvedimenti restrittivi nell’imminenza delle elezioni. Le spiegazioni sono assolutamente evidenti: siamo oggetto di questa forma di vera e propria aggressione. Sono indignato perché non vedo una base di giustizia in iniziative di questo genere che rispondono ad uno spirito di faida personale e politica. » (Déclaration de Bettino Craxi à l’ANSA, le 19 juin 1983.)
30 « Sandro mi detesta. Però vuole passare alla storia come il presidente che ha portato a Palazzo Chigi il primo socialista… Preferirebbe qualunque altro a me, ma purtroppo il solo socialista a cui può dare l’incarico sono io. » Cité par M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 233.
31 « [Craxi], pur criticabile, antipatico […], rimane il meno peggio dei socialisti: non sono certo migliori di lui i Martelli, i Formica, i De Michelis, i Signorile. » Cité par A. Tatò, Caro Berlinguer, ouvr. cité, p. 287.
32 Sans oublier que Pertini a eu 87 ans en septembre 1983.
33 Pertini a déclaré avoir personnellement choisi trois présidents du Conseil (Cossiga, Forlani et Spadolini). Si ce n’est pas tout à fait vrai, il n’en reste pas moins qu’il a écarté des candidats (comme le secrétaire de la DC, Flaminio Piccoli) et mis son veto à des nominations ministérielles. Voir l’interview de Francesco Cossiga dans La Stampa du 6 juin 2001.
34 Le journaliste Giorgio Bocca a ainsi reproché à Craxi sa volonté de « moderniser le pays avec une compagnie de chanteurs, d’architectes et de financiers ». Cité par M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 447.
35 Ibid., p. 263.
36 Ibid., p. 277.
37 Le contenu de cette lettre est rapporté par la Repubblica du 25 janvier 1985.
38 Corriere della Sera, 29 janvier 1985.
39 Éditorial de Bettino Craxi dans L’Avanti! du 25 février 1990.
40 Entre 1983 et 1987, le taux d’inflation passe de 12,3 % à 5,2 %.
41 Come l’on sait, le Concordat avait été signé en 1929 par Mussolini et le cardinal Gasparri.
42 Ce fut notamment le cas de De Gasperi, Scelba, Segni, Fanfani ou Andreotti.
43 Entretien avec Valdo Spini, le 12 novembre 2010.
44 Voir B. Olivi et A. Giacone, L’Europe difficile, Paris, Gallimard, 2007, p. 204-210.
45 P. Milza, Histoire de l’Italie, Paris, Fayard, 2005, p. 980.
46 En 1992, la dette publique représente 118 % du PIB.
47 Par référence aux « boat people » du Cambodge et du Vietnam, le BOT étant les bons du Trésor italien.
48 Pendant la période 1983-1987, plus d’une centaine de décrets présentés par le gouvernement ne sont pas approuvés par le Parlement, à cause de la présence de « francs tireurs » à l’intérieur même de la majorité.
49 Voir G. Acquaviva et L. Covatti, La «Grande riforma» di Craxi, Venise, Marsilio, 2010.
50 Cette hypothèse est aussi défendue par Giuliano Amato dans une série d’articles publiés, à partir de 1979, dans la revue socialiste Mondoperaio.
51 Comme l’ont montré les tentatives néo-gaullistes de Randolfo Pacciardi et d’Edgardo Sogno, voir le « schéma de renouveau politique » de Licio Gelli et de la loge P2.
52 Consulter les réflexions, encore pertinentes, de M. Duverger, La Monarchie Républicaine – ou comment les démocraties se donnent des rois, Paris, Robert Laffont, 1974.
53 À savoir, les parlementaires de la majorité qui votent contre le gouvernement lors de votes au scrutin secret.
54 Si le nombre de votants n’atteint pas 50 % + 1, le référendum est nul.
55 « Tutti sanno che buona parte del finanziamento politico è irregolare o illegale […]. Non credo che ci sia nessuno in quest’aula […] che possa alzarsi e pronunciare un giuramento in senso contrario a quanto affermo, perché presto o tardi i fatti si incaricherebbero di dichiararlo spergiuro. » Discours de Bettino Craxi à la Chambre des députés, le 3 juillet 1992.
56 La Stampa, 15 janvier 2010.
57 Sentence prononcée le 12 novembre 1996.
58 Sentence prononcée le 20 avril 1999. D’autres procès étaient encore en cours au moment de sa mort.
59 Voir l’interview de Rino Formica dans La Stampa du 28 décembre 2010.
60 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité, p. 592.
61 « Non può dunque venir sacrificata al solo discorso sulle responsabilità dell’on. Craxi sanzionate per via giudiziaria la considerazione complessiva della sua figura di leader politico e di uomo di governo. » On trouve le texte de la lettre du président Napolitano dans La Stampa du 19 janvier 2010.
62 La condamnation de Craxi a eu lieu sur la base de témoignages apportés dans le cadre d’autres procès, alors que les témoins (Cusani, Molino et Ligresti) n’ont pas été entendus lors du sien. La CEDH a cependant reconnu que les juges ont agi en conformité au droit italien de l’époque. Voir l’arrêt de la Cour et les commentaires du magistrat Francesco Saverio Borrelli dans La Stampa du 19 janvier 2010.
63 Pour reprendre les mots du magistrat Gerardo D’Ambrosio : « Su Craxi non esistono prove di arricchimento personale. La sua molla era la politica. Anche lui è vittima del meccanismo perverso. » (Interview publiée dans le Corriere della Sera du 24 février 1996.)
64 Voir à ce propos La Stampa du 15 janvier 2010.
65 « L’azione di Craxi fu in realtà un singolarissimo impasto di intuizioni giuste e coraggiose, di spregio profondo della politica, di intreccio tra politica e mondo degli affari, di uso spregiudicato di mezzi finanziari illeciti. La corruzione non fu un dettaglio inessenziale ma un suo torbido elemento costitutivo. » (B. Spinelli, « La memoria inutile », La Stampa, 24 janvier 2010.)
66 P. Fassino, Per passione, Milan, Rizzoli, 2003.
67 Voir l’interview de P. Fassino dans La Stampa du 31 décembre 2009 : « Bettino fu un capro espiatorio ».
68 « Interpretò meglio di ogni altro uomo politico come la società italiana stava cambiando. » Voir l’article « Veltroni su Craxi: innovò più di Berlinguer » dans le Corriere della Sera du 15 juillet 2008.
69 La base militante (et l’opposition interne du parti) a souvent reproché à Nenni et à De Martino, hommes irréprochables sur le plan personnel, d’avoir cédé aux exigences de la démocratie chrétienne.
70 Enquête réalisée par l’institut de sondages Demos, le Corriere della Sera du 27 septembre 2004.
71 Sondage effectué le 4 janvier 2010 sur un échantillon de 500 personnes, La Stampa du 6 janvier 2010.
72 Une fois élu à la présidence de la République, Pertini renonça à reprendre la carte du PSI, pour marquer sa volonté d’être au-dessus des partis. Après la fin de son mandat, il a siégé au Sénat dans le groupe « mixte », regroupant les indépendants et les non-inscrits à un groupe politique.
73 Voir notamment S. Pertini, Discorsi parlamentari 1946-1976, Bari-Rome, Laterza, 2005 ; S. Caretti et M. Degl’Innocenti, Sandro Pertini, combattente per la libertà, Rome, Pietro Lacaita, 1996.
74 A. Gandolfo, Il Giovane Pertini: da Stella a Nizza (1896-1929), Gênes, Ferrari, 2002.
75 M. Pini, Craxi, una vita, un’era politica, ouvr. cité.
76 S. Colarizi et M. Gervasoni, La cruna dell’ago. Craxi, il PSI e la crisi della Repubblica, Bari-Rome, Laterza, 2006.
77 Holding regroupant les trois chaînes de télévision (Canale 5, Retequattro, Italia 1) propriété de la famille Berlusconi.
78 En particulier la « loi Mammì » du 6 août 1990.
79 Interview accordée par Silvio Berlusconi à l’hebdomadaire The Spectator le 27 août 2003.
80 Sur la continuité entre Craxi et Berlusconi, voir entre autres P. Flores d’Arcais, Il ventennio populista. Da Craxi a Berlusconi, Rome, Fazi, 2006.
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Référence papier
Alessandro Giacone, « Le parti socialiste des années quatre-vingt, de Pertini à Craxi », Cahiers d’études italiennes, 14 | 2012, 47-64.
Référence électronique
Alessandro Giacone, « Le parti socialiste des années quatre-vingt, de Pertini à Craxi », Cahiers d’études italiennes [En ligne], 14 | 2012, mis en ligne le 15 septembre 2013, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/354 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.354
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