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Le commerce entre l’Italie et l’Orient entre xe et xiiie siècle : nouvelles polarités et reconfiguration des réseaux d’échanges

Italian Trade in Orient between the 10th and the 13th Centuries: New Polarities and Reconfiguration of Trade Networks
Il commercio tra l’Italia e l’Oriente tra i secoli X e XIII: nuove polarità e riconfigurazioni della rete di scambi
Dominique Valérian

Résumés

Il est admis en général que l’expansion des marchands italiens en Orient est le résultat de la seule puissance politique et économique des cités d’Italie du Nord et du développement d’un précapitalisme en Europe. Le rôle de l’Islam dans l’animation du commerce maritime en Méditerranée est souvent considéré comme purement passif, quand il n’est pas vu comme un obstacle. Mais si l’on considère les premiers développements du commerce italien en Méditerranée — principalement d’Amalfi et de Venise —, on constate qu’il se déploie d’abord à l’intérieur de réseaux commerciaux islamiques, principalement à l’intérieur de l’espace fatimide, d’abord en Ifrîqiya puis à la fin du xe siècle en Égypte et en Syrie. Ce n’est qu’à partir du xiie siècle que les marchands italiens sont en mesure de construire leurs propres réseaux et d’imposer leurs villes comme les principaux pôles d’impulsion du commerce méditerranéen.

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Texte intégral

  • 1 C. Cahen, Orient et Occident au temps des croisades, Paris, Aubier, 1983, p. 37-38.
  • 2 M. Balard, Les Latins en Orient. xie-xve siècle, Paris, PUF, 2006, p. 127-146.
  • 3 C. Picard, La mer des califes. Une histoire de la Méditerranée musulmane (viie-xiie siècle), Paris, (...)

1On sait depuis longtemps maintenant que le commerce italien en Orient n’a pas commencé avec les croisades, et s’inscrit au contraire dans un mouvement plus ancien de développement des échanges et de la navigation en Méditerranée et de reprise des relations entre les marchés chrétiens et musulmans1. Les croisades et la création des États latins, avec les privilèges concédés à certaines communes italiennes, ont bien sûr joué un rôle important dans l’essor de ce commerce et dans l’affirmation d’une forme de suprématie italienne, puis latine plus généralement, dans le grand commerce oriental2. De même, la forte expansion de la chrétienté latine trouve ses logiques propres dans les transformations politiques, économiques, sociales voire religieuses de l’Occident. Mais il ne faudrait pas pour autant adopter une vision téléologique et européocentrée, qui interpréterait cette suprématie comme le résultat logique d’une expansion européenne inévitable car inscrite dans le cours de l’histoire, face à un monde musulman dépourvu de capacité à agir et à peser. Cette lecture, qui a longtemps été privilégiée, tend à placer tous les moteurs de l’histoire dans le monde chrétien et à penser ce mouvement d’expansion comme le prélude à la domination coloniale du xixe-xxe siècle, voire de formes plus actuelles de domination de « l’Occident » sur « l’Orient ». Or l’animation commerciale de la Méditerranée, après la crise de l’antiquité tardive, commence avant l’expansion latine et se fait d’abord dans le cadre d’une mer dominée par les puissances musulmanes3. Pour comprendre cette supériorité durable des Italiens en Méditerranée il est donc nécessaire de se placer en amont, quand au xe siècle apparaissent les premiers signes d’échanges d’une certaine envergure entre l’Italie et le monde musulman, avant de suivre leurs évolutions jusqu’au xiie-xiiie siècle, quand la suprématie commerciale italienne est solidement établie en Méditerranée orientale.

2On peut pour cela mettre en évidence deux phases, bien différentes tant par les acteurs du commerce que par les routes maritimes empruntées ou les logiques de réseaux. La première correspond à un premier décollage des relations avec les pays musulmans, principalement à partir de l’Italie du Sud et secondairement de Venise ; la seconde correspond à l’essor, sur une tout autre échelle, du commerce des cités d’Italie du Nord en Méditerranée et au Levant. Le changement n’est cependant pas seulement quantitatif, et la conséquence d’une conjoncture européenne orientée à la croissance, mais il résulte aussi d’un changement radical et durable des réseaux d’échanges en Méditerranée qu’il faut chercher à expliquer.

  • 4 On pense en particulier à Armand O. Citarella, « The Relations of Amalfi with the Arab World before (...)
  • 5 Peu avant 971, des navires vénitiens portant du bois et des armes sont capturés, deux se dirigeant (...)
  • 6 Voir les actes notariés publiés par R. Morozzo della Rocca et A. Lombardo, Documenti del commercio (...)
  • 7 Ibn ayyān, Cronica del califa ‘Abdarramān III an-Nāir entre los años 912 y 942: al-Muqtabis V / (...)
  • 8 S. D. Goitein, « The Unity of the Mediterranean World in the “Middle” Middle Ages », Studia Islamic (...)

3La faiblesse de la documentation pour la première période, du côté chrétien comme musulman, invite à une certaine prudence qui n’a pas toujours été de mise, notamment chez les historiens d’Amalfi4. Elle rend en particulier difficile l’établissement d’une périodisation bien assurée. Pour Venise les informations sont rares, et pendant longtemps le commerce avec les musulmans apparaît surtout à travers les condamnations dont la Sérénissime fait l’objet, de la part de la papauté ou des empereurs byzantins, en raison de la vente de produits interdits aux musulmans5. Mais dans un premier temps ses relations avec l’Orient se font d’abord avec Byzance et notamment Constantinople6. Amalfi montre des relations semble-t-il plus précoces et plus suivies avec le monde musulman, et les sources qui la concernent permettent de suivre une évolution importante de ce commerce. L’aire d’expansion amalfitaine dans les pays d’Islam, pour autant que nos rares documents nous permettent de la délimiter, s’étend presque exclusivement au Maghreb oriental (Ifrîqiya), à l’Égypte et secondairement à la Syrie-Palestine. Il y a bien mention dans la chronique de l’Andalou Ibn Hayyân d’une ambassade à Cordoue en 9427, qui laisse penser à des relations avec l’Espagne musulmane, mais on en ignore l’ampleur. Les Amalfitains s’insèrent alors dans un espace qui a depuis longtemps une grande cohérence à la fois politique et économique depuis l’époque de la conquête musulmane. Si les deux provinces d’Égypte et d’Ifrîqiya sont très tôt séparées politiquement, elles gardent une profonde unité dans l’espace islamique, marquée par des échanges intenses. Au ixe siècle le commerce à la fois maritime et terrestre est régulier entre les deux régions, qui relèvent toutes deux du califat abbasside, et cet espace de relations est étendu sous les Aghlabides à la Sicile conquise par ces derniers. Au siècle suivant la proclamation du califat fatimide chiite en Occident n’interrompt pas les échanges économiques, et la conquête de l’Égypte par les Fatimides en 969 reconstitue et renforce même l’unité de cette région. C’est ce que montrent en particulier les documents de la Geniza, dont beaucoup concernent des Juifs ifrîqiyens, installés en Égypte mais continuant à entretenir des relations suivies avec l’Occident de l’Islam, et construisant des réseaux très structurés autour de ces trois pôles que forment l’Égypte, l’Ifrîqiya et la Sicile8. C’est dans cet « espace de la Geniza », qui est aussi l’espace fatimide, que s’insèrent dans un premier temps les marchands amalfitains, donc dans des réseaux qui trouvent leur logique et leurs pôles d’impulsion dans le monde islamique.

  • 9 D. Valérian, « Amalfi e il mondo musulmano: un laboratorio per le città marinare italiane? », Rasse (...)
  • 10 A. L. Udovitch, « Alexandria in the 11th and 12th centuries. Letters and Documents of the Cairo Gen (...)
  • 11 A. O. Citarella, « The Relations of Amalfi », art. cité, p. 310.
  • 12 107, selon la version d’al-Musabbihi, qui ne précise pas qu’ils sont amalfitains.
  • 13 C. Cahen, « Un texte peu connu relatif au commerce oriental d’Amalfi au xe siècle », Archivio stori (...)
  • 14 A. O. Citarella, « Scambi commerciali fra l’Egitto e Amalfi in un documento inedito della Geniza de (...)
  • 15 Guillaume de Tyr, dans Recueil des historiens des croisades. Historiens occidentaux, t. I, Paris, A (...)
  • 16 R. Morozzo della Rocca et A. Lombardo (éd.), Documenti del commercio veneto dei sec. XI-XIII, Rome, (...)
  • 17 S. M. Stern, « An Original Document », art. cité ; B. Kedar, « Mercanti genovesi in Alessandria d’E (...)
  • 18 M. Amari (éd.), Diplomi arabi del R. Archivio fiorentino, Florence, Le Monnier, 1863, p. 243 (trad. (...)

4Cette dépendance conduit les Amalfitains à s’adapter à l’évolution de ces réseaux, ce que montre la chronologie des témoignages de leur commerce dans le monde musulman, qui s’oriente progressivement vers l’Égypte. Jusque dans la première moitié du xe siècle, en effet, les rares témoignages de leur présence en terre d’Islam concernent tous l’Ifrîqiya — on les trouve à la fois dans les textes latins et arabes, notamment les sources juridiques qui se penchent sur la question de ce commerce avec les infidèles9. Après la conquête de l’Égypte par les Fatimides, les Amalfitains réorientent leur commerce vers l’Orient, principalement l’Égypte et secondairement la Syrie-Palestine. Les documents de la Geniza montrent alors la présence au Caire de Rûms, qui peuvent alors désigner des Byzantins mais aussi des chrétiens latins, qui pourraient être amalfitains, mais aussi vénitiens10. La première attestation précise date de 978, soit moins de dix ans après la conquête fatimide : un certain Leone di Sergio, marchand d’Amalfi, est cité comme absent en raison d’un voyage à Babylone (c’est-à-dire au Caire)11. Une vingtaine d’années plus tard, une communauté amalfitaine est présente dans la capitale fatimide, comme le montre un épisode rapporté par le chroniqueur égyptien Yahyâ d’Antioche : en 996, l’incendie de la flotte égyptienne dans l’arsenal du Caire provoque une émeute de la population qui en rend responsable les marchands amalfitains. 160 d’entre eux sont tués12, et le Dâr Manâk où ils résident et stockent leurs marchandises est livré au pillage. La chronique précise la localisation de cet établissement, dans la rue des dockers (al-Raffâ’in), donc près des quais de Fustât, le premier site fondé par les musulmans qui est resté sous les Fatimides le cœur de la vie économique de la capitale. Il faut l’intervention du vizir copte ‘Isâ b. Nestorius pour que l’émeute soit réprimée et les biens restitués à leurs propriétaires13. Cette présence des Italiens se confirme par la suite, jusqu’à la fin de la période fatimide, notamment à travers les documents de la Geniza qui parlent de la venue de marchands amalfitains — et à l’inverse du commerce de juifs de Fustât à Amalfi, jusqu’au début du xiie siècle14. C’est également à cette époque que les Amalfitains fondent à Jérusalem un hospice pour accueillir les pèlerins chrétiens, en profitant de leurs bonnes relations avec les califes fatimides15. Ils sont progressivement rejoints par les autres nations marchandes italiennes, attirées par la prospérité de l’Égypte, les produits qu’ils pouvaient s’y procurer (notamment l’alun) et le marché que constituait la ville du Caire et la cour. En 1039 une nave vénitienne charge ainsi de l’alun à Alexandrie16. Un document de la Geniza de la fin du xie siècle et une lettre de la chancellerie fatimide des premières années du xiie siècle évoquent la venue de Génois à Alexandrie17. Les Pisans, sont arrivés peut-être un peu plus tard (encore que la rareté des documents pisans conservés incite à la prudence), mais une lettre de 1154 du vizir fatimide à l’archevêque de Pise mentionne la présence d’un fondouk au Caire, signe d’une communauté déjà notable18.

  • 19 Les épices orientales sont notamment transportées par les marchands juifs de l’Égypte vers l’Ifrîqi (...)
  • 20 Au xe siècle le géographe Ibn Ḥawqal rapporte que la fortune des Napolitains provient surtout du li (...)
  • 21 D. Valérian, « Amalfi e il mondo musulmano », art. cité.

5Ce déplacement des intérêts italiens vers l’Orient et plus particulièrement l’Égypte suit celui des centres de gravité de l’espace politique et économique des Fatimides après la fondation d’al-Qâhira. Dans cette première phase de leur expansion les Italiens s’insèrent donc dans des réseaux qui trouvent leur logique et leurs pôles d’impulsion dans le monde musulman. Dans un premier temps, sans doute dès le ixe siècle aghlabide mais aussi pour la période maghrébine des Fatimides, des relations de proximité s’établissent avec Kairouan-Mahdia, qui permettent aux Italiens de venir y acheter des produits maghrébins, mais sans doute également des marchandises en provenance d’Orient, par mer ou par la route libyenne19. La fondation d’al-Qâhira et le déplacement de la cour fatimide en Égypte provoquent une reconfiguration des routes commerciales au sein de l’espace musulman, à laquelle s’adaptent les Italiens, qui se rendent directement à Alexandrie puis au Caire pour aller chercher notamment les épices orientales. On note aussi pour cette période le rôle majeur des acteurs économiques du monde islamique, les juifs particulièrement visibles grâce aux documents de la Geniza, mais aussi les musulmans, peut-être des chrétiens, actifs sur toutes les routes internes au monde de l’Islam mais présents aussi parfois dans les ports italiens20. Cette première phase permet enfin aux Italiens d’expérimenter les formes d’une relation commerciale possible entre chrétiens latins et musulmans et d’une coexistence d’un état de guerre et d’échanges économiques21.

  • 22 Voir par exemple la synthèse récente de M. Balard, Les Latins en Orient, ouvr. cité, p. 251-254 (et (...)
  • 23 L’accès au Caire, en raison du contexte de guerre, se restreint à l’époque ayyûbide.

6La deuxième phase est mieux connue, d’une part parce qu’elle est mieux éclairée par les sources, du moins du côté latin, mais aussi parce qu’elle correspond à l’époque de la révolution commerciale et de la grande expansion méditerranéenne des villes italiennes du Nord, déjà très largement étudiée22. On constate à la fois un essor sans précédent de la navigation et du commerce des Italiens en direction de l’Orient, et un recul très marqué des acteurs du monde musulman dans le grand commerce maritime et surtout dans la navigation en Méditerranée. Là encore la périodisation est délicate à dégager, faute d’une documentation suffisante, mais le xie siècle semble un moment décisif, avec à la fois un essor des flottes italiennes et leur participation au commerce et à l’établissement d’une domination sur mer, en Méditerranée occidentale d’abord, puis dans le bassin oriental avec notamment leur participation aux croisades. Les points d’appui qu’ils obtiennent dans les États latins, en plus de leur position, plus aléatoire et contrastée, dans l’empire byzantin, constituent un atout supplémentaire et le commerce se développe au xiie siècle avec l’Orient musulman, malgré des périodes de ralentissement ou d’arrêt au moment des croisades. Le climat de guerre n’entrave cependant le commerce que ponctuellement, et les souverains musulmans, fatimides puis ayyûbides et mamelouks attachent une grande importance aux accords de paix avec les puissances italiennes : bien que champions auto-proclamés du djihad contre les Francs, ils poussent au développement du commerce avec les républiques italiennes pour des raisons à la fois économiques, fiscales mais aussi politiques et militaires, pour fissurer le front chrétien. Le résultat est un essor des échanges et des communautés italiennes à Alexandrie23, comme du reste dans d’autres ports majeurs du monde musulman.

7Le changement n’est cependant pas uniquement quantitatif, et n’est pas une simple amplification des débuts prometteurs d’Amalfi ou Venise au xe-xie siècle. Il y a bien sûr une augmentation du volume des affaires, dans un contexte de forte expansion économique de l’Italie et d’une grande partie de l’Europe, pour laquelle la péninsule sert d’intermédiaire avec l’Orient. Mais ce qui se met en place à partir de la fin du xie siècle et se consolide au xiie-xiiie siècle est d’une toute autre ampleur : on assiste en effet à la fois à un changement de domination politique et militaire en Méditerranée, et à une mutation profonde et durable des réseaux d’échanges, qui à la fois résulte de ce changement géopolitique et l’amplifie.

  • 24 Une fatwa du juriste Kairouanais al-Lakhmî (m. 1085) dispense les croyants de l’obligation du pèler (...)
  • 25 Ibn Djubayr, Riḥla, éd. Beyrouth, Dâr ṣâdir, [1964?], p. 8 ; traduction P. Charles-Dominique, « Rel (...)
  • 26 M. Chiaudano et M. Moresco (éd.), Il Cartolare di Giovanni Scriba, Turin, Lattes, 1935, no 1276 (11 (...)
  • 27 En 1158 Lamberto Balneo se rend à Bougie avec notamment du coton, qui est peut-être d’origine orien (...)

8La première nouveauté concerne les acteurs de ce grand commerce maritime : on constate en effet que les marchands issus du Dâr al-Islam, qui jouaient un rôle prépondérant et moteur dans la phase précédente, disparaissent presque totalement de la documentation. Celle-ci, il est vrai, se trouve principalement dans les archives européennes, et introduit un effet de source dont il faut se garder. Mais les textes arabes qui parlent de la Méditerranée, et notamment les sources de jurisprudence, montrent également une inversion des rapports de domination et les dangers qui menacent désormais les musulmans sur mer24. De même, ils montrent l’usage, désormais courant, de navires chrétiens (principalement italiens) pour transporter des musulmans entre les deux bassins de la Méditerranée. Ainsi le pèlerin andalou Ibn Djubayr s’embarque-t-il à Ceuta sur un bateau génois pour rejoindre Alexandrie, en compagnie de marchands musulmans25. Ce que révèlent en effet les sources, qu’elles soient du reste latines ou arabes, est que les échanges à longue distance internes au monde musulman, lorsqu’ils doivent passer par la voie maritime, se font désormais en grande partie sur des navires italiens. Les grandes familles génoises, très présentes sur les marchés orientaux, organisent ainsi leur commerce au Maghreb en fonction en partie de leurs affaires orientales et plus particulièrement syriennes et égyptiennes, avec des voyages qui associent les deux destinations : en 1164, par exemple, les fils de feu Guglielmo della Volta confient une commande de 100 livres à Guglielmo Richerio, qui doit la porter à Alexandrie, et de là à Bougie, Ceuta, le Garb (sans doute ici le Maroc, peut-être atlantique) ou en Yspania, c’est-à-dire en al-Andalus26. Plus encore, on constate que les produits orientaux arrivent dans les ports du Maghreb non seulement sur des navires chrétiens mais parfois en provenance de Gênes, Pise ou Venise, qui agissent comme intermédiaires dans le commerce entre Maghreb et Mashreq27.

  • 28 D. Abulafia, The Two Italies: Economic Relations between the Norman Kingdom of Sicily and the North (...)

9Ce qui change donc au cours du xie-xiiie siècle sont les centres de gravité des échanges, les pôles d’impulsion des réseaux de commerce, et donc les logiques d’organisation de ces réseaux. Depuis l’antiquité tardive la Méditerranée était structurée à partir de pôles orientaux : Constantinople ou Alexandrie, puis également les grandes capitales islamiques comme Damas, Le Caire, voire Bagdad. Désormais c’est depuis Gênes, Pise, Venise, en attendant Marseille ou surtout Barcelone au xiiie siècle, que partent les navires, les capitaux et les marchands qui font fonctionner ces réseaux d’échanges à longue distance — et même les villes anciennement dynamiques d’Italie du Sud et de Sicile perdent de leur importance dans cette nouvelle configuration des réseaux, dans un mouvement général de périphérisation des Suds28.

  • 29 Sans faire du poivre le moteur de l’histoire économique (et de l’histoire en générale) comme l’avai (...)

10Dans la première phase, les villes italiennes sont donc intégrées dans des réseaux qui trouvent leur cohérence et leur logique dans le monde islamique, principalement fatimide, et dans lesquels elles occupent une place périphérique alors que les moteurs sont clairement à l’est et au sud. Dans la seconde phase au contraire elles construisent un espace commercial autonome, qui les place au centre de réseaux qui connectent, à une très large échelle, l’Europe (jusqu’aux Flandres et à l’Angleterre), l’Asie (jusqu’à l’Inde et l’Extrême-Orient) et l’Afrique (jusqu’aux régions subsahariennes). Dans cette construction le commerce entre l’Italie et l’Orient joue un rôle moteur29. Les transformations des réseaux d’échanges entre l’Italie et l’Orient musulman sont donc au cœur de la compréhension d’une affirmation plus globale des Italiens dans le commerce méditerranéen et les échanges économiques plus généralement.

  • 30 Voir par exemple R. Brunschvig et G. E. von Grünebaum (dir.), Classicisme et déclin culturel dans l (...)

11Le constat peut être nuancé ici ou là, mais n’est guère remis en cause. En revanche, les explications de ce basculement font l’objet de débats qui débordent largement de la Méditerranée, dans le cadre d’une réflexion d’histoire mondiale ou globale qui interroge les fondements historiques de la domination occidentale. De même, la question du déclin musulman face à l’Europe chrétienne, notamment sur le plan économique mais aussi plus largement, a alimenté depuis longtemps les réflexions des historiens30. Les causes sont assurément multiples, et tiennent autant à des évolutions internes au monde musulman, notamment des changements politiques et sociaux, qu’au dynamisme propre des villes italiennes et de l’économie européenne d’une manière plus générale.

12Je me limiterai ici à une question beaucoup plus précise mais qui me semble fondamentale : dans quelle mesure la modification des réseaux d’échanges fatimides a-t-elle entraîné leur remplacement, en Méditerranée, par des réseaux polarisés dans les grandes villes marchandes d’Italie du Nord ? Ce que montrent les évolutions de la période charnière du xie-xiie siècle est que, au-delà des moteurs propres de l’expansion économique italienne qui sont bien sûr un facteur d’explication majeur, les transformations de l’organisation de l’espace dans le monde musulman ont créé un vide en Méditerranée dont les Italiens ont su tirer profit en s’appuyant sur leur expérience passée.

  • 31 S. D. Goitein, A Mediterranean Society, ouvr. cité, p. 32.

13Le départ des Fatimides pour l’Orient à partir de 969 entraîne un changement, sinon de leurs priorités — elles sont depuis le début de mettre à bas le califat abbasside de Bagdad —, du moins des lignes de force des réseaux d’échanges. Dans un premier temps l’unité est maintenue entre le Maghreb, au moins oriental et central, et l’espace fatimide syro-égyptien, mais le centre de gravité se déplace vers l’est, ce dont témoignent très clairement les documents de la Geniza, montrant une migration de juifs maghrébins vers l’Égypte où ils installent leur base31. Ce déplacement est d’ailleurs suivi, nous l’avons vu avec Amalfi, par les Italiens, qui s’adaptent alors aux mutations des réseaux d’échanges du monde musulman dans lesquels ils sont insérés.

  • 32 Cette migration, qui a commencé sans doute dès le début du xie siècle, a connu une accélération sou (...)
  • 33 Voir la fatwa d’al-Lakhmî citée plus haut sur l’impossibilité désormais d’accomplir le pèlerinage. (...)
  • 34 Vers 1140 un marchand juif, en arrivant d’Égypte, rencontre la flotte du roi de Sicile qui vient de (...)

14La situation change profondément dans la seconde moitié du xie siècle, avec plusieurs phénomènes dans le monde musulman, qui se combinent. Tout d’abord il y a une rupture assez violente des circulations entre l’Égypte et le Maghreb : celle-ci est due d’abord à la migration de tribus arabes, les Banû Hilal et les Banû Sulaym, depuis l’Égypte vers le Maghreb32, provoquant une crise dont les effets sont encore discutés mais qui a notamment comme manifestation une insécurité dramatique en Libye qui entrave fortement les circulations terrestres33. Or dans le même temps la poussée normande, vers la Sicile mais aussi en Méditerranée, commence à perturber la route maritime reliant l’Égypte au Maghreb. C’est ce dont témoignent, encore, les lettres de la Geniza34.

  • 35 D. Bramoullé, « The Fatimids and the Red Sea (969–1171) », dans D. A. Agius, J. P. Cooper, A. Traka (...)

15À ces évolutions en Méditerranée centrale s’ajoute, et c’est sans doute plus important, une réorientation de la politique fatimide en direction de la mer Rouge et de l’océan Indien à partir de 1073. Pour des raisons qui sont liées en grande partie au contexte oriental de lutte politique et idéologique contre le califat abbasside de Bagdad et à la poussée seldjoukide en Syrie, le vizir fatimide Badr al-Jamali, qui détient alors la réalité du pouvoir au Caire, se lance dans une politique centrée sur le contrôle de la mer Rouge et le développement des échanges par l’océan Indien, visant à détourner les marchandises de la route du golfe Persique menant à Bagdad35. Ce changement d’orientation, qui précède l’arrivée de la menace franque en Méditerranée orientale même si cette dernière a pu contribuer à le confirmer et le pérenniser, est lourd de conséquences : il modifie profondément les réseaux d’échanges qui s’étaient construits, depuis au moins le ixe siècle, au sein du monde musulman, et qui avait fait des villes comme Cordoue, Kairouan ou Fustât des moteurs de l’activité économique et commerciale en Méditerranée. Alors que l’Égypte regarde de plus en plus vers le sud-est et l’océan Indien, et que le lien avec le Maghreb s’affaiblit, les acteurs du monde musulman cessent de jouer un rôle moteur dans l’économie méditerranéenne, au moment même où les Italiens ont la capacité pour les remplacer, ce qu’ils parviennent à faire en un temps très court, comblant ce vide laissé par les flottes marchandes musulmanes.

16On est habitué à penser le commerce italien en Orient comme une mainmise naturelle des marchands de la Péninsule sur des marchés musulmans jusque-là peu intégrés au grand commerce international, et comme le seul résultat de la spectaculaire croissance de la puissance des cités italiennes. Mais c’est oublier un peu vite que dans une première phase de leur expansion maritime, les Italiens se sont d’abord glissés dans un espace d’échanges proprement islamique, construit au cours des premiers siècles de l’Islam et particulièrement dynamique à l’époque du califat fatimide. D’acteurs relativement marginaux au sein de ces réseaux d’échanges centrés sur le monde musulman, ils profitent au cours du xie siècle des mutations profondes que connaissent ces derniers pour s’imposer comme des acteurs majeurs et incontournables du grand commerce méditerranéen, reconstruisant à leur profit de nouveaux réseaux d’échanges mais centrés désormais sur les grands ports du nord de l’Italie, et inversant de manière durable les rapports de forces et les polarités en Méditerranée.

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Bibliographie

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Notes

1 C. Cahen, Orient et Occident au temps des croisades, Paris, Aubier, 1983, p. 37-38.

2 M. Balard, Les Latins en Orient. xie-xve siècle, Paris, PUF, 2006, p. 127-146.

3 C. Picard, La mer des califes. Une histoire de la Méditerranée musulmane (viie-xiie siècle), Paris, Seuil, 2015.

4 On pense en particulier à Armand O. Citarella, « The Relations of Amalfi with the Arab World before the Crusades », Speculum, vol. 42, 1967, p. 299-312.

5 Peu avant 971, des navires vénitiens portant du bois et des armes sont capturés, deux se dirigeant vers Mahdia et un vers Tripoli (de Libye ?), et Venise s’engage alors à mettre fin à ce trafic (G. L. F. Tafel et G. M. Thomas (éd.), Urkunden zur älteren Handels- und Staatsgeschichte der Republik Venedig, vol. I, Vienne, Kaiserlich-Königliche Hof- und Staatsdruckerei, 1856, p. 28).

6 Voir les actes notariés publiés par R. Morozzo della Rocca et A. Lombardo, Documenti del commercio veneziano nei sec. XI-XIII, vol. I, Turin, Libraria Italiana, 1940.

7 Ibn ayyān, Cronica del califa ‘Abdarramān III an-Nāir entre los años 912 y 942: al-Muqtabis V / Ibn Ḥayyān de Córdoba, traduction par M. J. Viguera et F. Corriente, Saragosse, Istituto hispano-arabe de Cultura, coll. « Textos medievales, 64 », 1981, p. 358.

8 S. D. Goitein, « The Unity of the Mediterranean World in the “Middle” Middle Ages », Studia Islamica, no 12, 1960, p. 29-42 ; A. Nef, « La Sicile dans la documentation de la Geniza cairote (fin xe-xiiie siècle) : les réseaux attestés et leur nature », dans D. Coulon, C. Picard et D. Valérian (dir.), Espaces et réseaux en Méditerranée vie-xvie siècle, vol. 1, La configuration des réseaux, Paris, Bouchene, 2006, p. 273-291.

9 D. Valérian, « Amalfi e il mondo musulmano: un laboratorio per le città marinare italiane? », Rassegna del Centro di Cultura e Storia Amalfitana, vol. 39-40, 2010, p. 199-212.

10 A. L. Udovitch, « Alexandria in the 11th and 12th centuries. Letters and Documents of the Cairo Geniza Merchants: An Interim Balance Sheet », dans C. Décobert et J.-Y. Empereur (éd.), Alexandrie médiévale, vol. 2, Le Caire, Institut français d’archéologie orientale, coll. « Études alexandrines, 8 », 2002, p. 104.

11 A. O. Citarella, « The Relations of Amalfi », art. cité, p. 310.

12 107, selon la version d’al-Musabbihi, qui ne précise pas qu’ils sont amalfitains.

13 C. Cahen, « Un texte peu connu relatif au commerce oriental d’Amalfi au xe siècle », Archivio storico per le province napoletane, n. s., 34, 1953-1954, p. 3-8 (= Turcobyzantina et Oriens christianus, Londres, 1974, A).

14 A. O. Citarella, « Scambi commerciali fra l’Egitto e Amalfi in un documento inedito della Geniza del Cairo », Archivio Storico per le Province Napoletane, ser. 3, IX, 1970, p. 147-148 (voyage d’un juif d’Alexandrie à Amalfi au xie siècle) ; S. D. Goitein, A Mediterranean Society. The Jewish Communities of the Arab World as Portrayed in the Documents of the Cairo Geniza, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1967, p. 46 (venue d’un navire amalfitain avec du miel et de la soie — lettre non datée), p. 329 (vers 1060 des Amalfitains apportent trois juifs pour les faire racheter par leur communauté) ; S. M. Stern, « An Original Document from the Fâtimid Chancery Concerning Italian Merchants », Studi orientalistici in onore di Giorgio della Vida, vol. II, Rome, Istituto per l’Oriente, 1956, p. 529-538 (vente de bois par des Amalfitains et des Génois sous le règne d’al-Amîr [1101-1130]).

15 Guillaume de Tyr, dans Recueil des historiens des croisades. Historiens occidentaux, t. I, Paris, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, 1844, p. 30 (livre I, chap. 10), 822-823 (livre XVIII, chap. 4).

16 R. Morozzo della Rocca et A. Lombardo (éd.), Documenti del commercio veneto dei sec. XI-XIII, Rome, Istituto storico italiano per il medio evo, 1940, p. 7, 10.

17 S. M. Stern, « An Original Document », art. cité ; B. Kedar, « Mercanti genovesi in Alessandria d’Egitto anni sessanta del secolo XI », dans Miscellanea di Studi Storici, Gênes, Fratelli Bozzi, 1983, p. 22-23 ; M. Balard, « Notes sur le commerce entre l’Italie et l’Égypte sous les Fatimides », dans M. Barrucand (dir.), L’Égypte fatimide, son art et son histoire, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 1999, p. 628.

18 M. Amari (éd.), Diplomi arabi del R. Archivio fiorentino, Florence, Le Monnier, 1863, p. 243 (trad. latine contemporaine de la lettre).

19 Les épices orientales sont notamment transportées par les marchands juifs de l’Égypte vers l’Ifrîqiya.

20 Au xe siècle le géographe Ibn Ḥawqal rapporte que la fortune des Napolitains provient surtout du lin et des étoffes de lin qui se vendent à très bas prix, ce qui laisse supposer que des musulmans venaient en acheter dans le port campanien (Ibn awqal, Kitāb ūrat al-ar, éd. Beyrouth, Dār maktabat al-Ḥayāt, 1992, p. 184 ; trad. de G. Wiet et J. H. Kramers, La configuration de la Terre, Paris, Maisonneuve et Larose, 1964, p. 197).

21 D. Valérian, « Amalfi e il mondo musulmano », art. cité.

22 Voir par exemple la synthèse récente de M. Balard, Les Latins en Orient, ouvr. cité, p. 251-254 (et la bibliographie).

23 L’accès au Caire, en raison du contexte de guerre, se restreint à l’époque ayyûbide.

24 Une fatwa du juriste Kairouanais al-Lakhmî (m. 1085) dispense les croyants de l’obligation du pèlerinage, car la route terrestre est devenue difficile (en raison de la présence de bédouins arabes pillards) et que la voie maritime est rendue dangereuse par les pirates chrétiens (Al-Wansharîsî, Mi‘yār al-muġrib wa l-ğāmi‘ al-Mu‘rib, éd. M. Hağğī, Rabat-Beyrouth, Dār al-Ġarb al-Islāmī, 1981, t. 1, p. 434-435 ; analyse par V. Lagardère, Histoire et société en Occident musulman au Moyen Âge. Analyse du Mi‘yār d’al-Wanšarīsī, Madrid, Casa de Velázquez, 1995, p. 29).

25 Ibn Djubayr, Riḥla, éd. Beyrouth, Dâr ṣâdir, [1964?], p. 8 ; traduction P. Charles-Dominique, « Relation des péripéties qui surviennent pendant les voyages (Rihla) », dans Voyageurs arabes, Paris, Gallimard, 1995, p. 73. De même, en 1137 un marchand juif écrit d’al-Andalus qu’il espère revenir en Égypte sur un grand navire de Gaète (S. D. Goitein, « Glimpses from the Cairo Geniza on Naval Warfare in the Mediterranean and the Mongol Invasion », dans Studi orientalistici in onore di Giorgio Levi della Vida, t. 1, Rome, Istituto per l’Oriente, 1956, p. 395-396 et texte p. 403-405).

26 M. Chiaudano et M. Moresco (éd.), Il Cartolare di Giovanni Scriba, Turin, Lattes, 1935, no 1276 (11/8/1164).

27 En 1158 Lamberto Balneo se rend à Bougie avec notamment du coton, qui est peut-être d’origine orientale, du poivre et de la noix de muscade (ibid., no 509 [12/10/1158]). Dans le sens inverse, on constate que l’or extrait des mines d’Afrique subsaharienne, qui part des ports maghrébins, passe en partie au moins par l’intermédiaire italien pour alimenter les marchés orientaux.

28 D. Abulafia, The Two Italies: Economic Relations between the Norman Kingdom of Sicily and the Northern Communes, Cambridge, Cambridge University Press, 1977 ; M. T. Pérez Picazo et G. Lemeunier (éd.), Desigualdad y dependencia. La periferización del Mediterráneo occidental (s. xii-xix), Murcie, 1986.

29 Sans faire du poivre le moteur de l’histoire économique (et de l’histoire en générale) comme l’avait fait jadis Carlo M. Cipolla dans un essai aussi drôle que brillant [Le poivre, moteur de l’histoire. Du rôle des épices (et du poivre en particulier) dans le développement économique du Moyen Âge, Paris, Balland, 1992 (1re édition italienne Bologne, il Mulino, 1988)], il est certain que le commerce des épices a joué un rôle majeur dans les échanges en Méditerranée, et explique en grande partie l’intérêt soutenu et constant des Italiens pour les marchés orientaux et tout particulièrement l’Égypte.

30 Voir par exemple R. Brunschvig et G. E. von Grünebaum (dir.), Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’Islam, Actes du symposium international d’histoire et de civilisation musulmane (Bordeaux, 25-29 juin 1956), Paris, Maisonneuve et Larose, 1977.

31 S. D. Goitein, A Mediterranean Society, ouvr. cité, p. 32.

32 Cette migration, qui a commencé sans doute dès le début du xie siècle, a connu une accélération soudaine lorsque le calife fatimide décide au milieu du siècle d’envoyer ces tribus au Maghreb pour châtier son lieutenant rebelle, l’émir ziride.

33 Voir la fatwa d’al-Lakhmî citée plus haut sur l’impossibilité désormais d’accomplir le pèlerinage. Ces difficultés sont confirmées par les documents de la Geniza qui montrent une diminution drastique des voyages par la Libye à partir du milieu du xie siècle, alors que la migration des juifs ifrîqiyens vers l’Égypte s’accélère (S. D. Goitein, A Mediterranean Society, ouvr. cité, p. 32, 36).

34 Vers 1140 un marchand juif, en arrivant d’Égypte, rencontre la flotte du roi de Sicile qui vient de conquérir Djerba, et se trouve ensuite bloqué en Occident en raison des dangers de la voie maritime (trad. S. D. Goitein, Letters of Medieval Jewish Traders, Princeton, Princeton University Press, 1973, p. 324-327).

35 D. Bramoullé, « The Fatimids and the Red Sea (969–1171) », dans D. A. Agius, J. P. Cooper, A. Trakadas et C. Zazzaro (éd.), Navigated Spaces, Connected Places: Proceedings of Red Sea Project V Held at the University of Exeter (16–19 September 2010), Oxford, Archaeopress, 2012, p. 127-136.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique Valérian, « Le commerce entre l’Italie et l’Orient entre xe et xiiie siècle : nouvelles polarités et reconfiguration des réseaux d’échanges »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 25 | 2017, mis en ligne le 10 octobre 2017, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/3476 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.3476

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Auteur

Dominique Valérian

Université Lumière Lyon 2

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