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Les savoirs orientaux et l’Italie

« Per arte nigromantica » : la magie orientale dans la nouvelle de messire Torello (Decameron X, 9)

«Per arte nigromantica»: la magia orientale nelle novella di Messer Torello (Decameron X, 9)
Émilie Zanone
p. 169-182

Résumés

Notre enquête se propose d’étudier la représentation de la nécromancie dans la nouvelle X, 9 du Decameron de Giovanni Boccaccio. Il s’agit de considérer les caractéristiques et les significations de cette pratique de matrice orientale grâce à laquelle messire Torello parcourt en une nuit la distance entre la cour du sultan Saladin à Alexandrie et Pavie, sa ville natale. Le vol spectaculaire a pour but déclaré de permettre au croisé d’empêcher les secondes noces de son épouse qui le croit mort. Mais il permet aussi à Torello de révéler à la cité qu’il n’est pas mort et de déclarer tout son amour à sa compagne. Le but poursuivi de notre étude est de montrer que la magie dans la nouvelle X, 9 est bien plus qu’un simple expédient narratif et que le choix de la nécromancie est porteur de sens dans la mesure où à l’époque médiévale, celle-ci peut être entendue sous deux acceptions. La première fait de la nécromancie un synonyme de magie et indique de manière générale un ensemble vaste de pratiques qui, grâce au concours du surnaturel, permettent à l’homme de réaliser des actions et d’accéder à des savoirs qui lui sont hors de portée avec ses seules capacités humaines. La seconde fait de la nécromancie une pratique divinatoire par laquelle les morts quittent l’outre-tombe pour révéler aux vivants une vérité. Notre enquête permet enfin d’étudier les rapports entre la fiction et la réalité dans un genre profondément marqué par le réalisme, comme celui de la nouvelle.

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Texte intégral

  • 1 Les nouvelles où apparaissent Saladin sont les I, 3 et X, 9. Le sultan apparaît aux deux extrémités (...)

1Dans la dernière Journée du Decameron qui clôt les dix jours durant lesquels les jeunes gens qui composent la lieta brigata se sont raconté tour à tour des nouvelles, Pamphile, le devisant roi, rappelle l’histoire d’amitié entre le sultan Saladin et messire Torello, un marchand de Pavie. Dans la deuxième partie de la nouvelle, Torello se trouve à la cour de Saladin1 après avoir quitté la cité lombarde pour participer aux croisades. Il a été fait prisonnier par les troupes musulmanes puis libéré et invité par le sultan qui a reconnu en lui, le marchand qui lui avait si courtoisement offert l’hospitalité lors de son expédition incognito en Occident. Messire Torello coule depuis sa libération des jours heureux au palais royal. Mais, sa quiétude est obscurcie par la nouvelle que le navire sur lequel se trouvait le marchand à qui il avait confié une lettre pour rassurer les siens de son sort a sombré et par le terme proche de l’échéance qu’il avait donnée à son épouse pour se remarier. Le croisé pressent qu’à Pavie, tout le monde le croit mort et que sa bien-aimée Adélaïde sera contrainte par son entourage à se remarier très rapidement. Il se retrouve en proie à un profond désespoir, car il sait qu’un retour dans sa ville natale pour empêcher les événements est impossible. C’est alors que Saladin convoque un nécromancien pour le faire voyager sur un lit volant durant une nuit entière afin qu’il arrive à temps pour empêcher la noce.

  • 2 Il Decameron fantastico de E. Menetti offre des analyses précises sur l’épisode du vol magique de T (...)
  • 3 O. Di Simplicio, « Nigromanzia », dans Grande Dizionario Storico dell’Inquisizione, vol. 3, Pise, E (...)
  • 4 La novella italiana (actes du colloque de Caprarola, septembre 1988), Rome, Salerno, 1989 ; Favole, (...)
  • 5 Les nouvelles de magie dans le Centonovelle sont les suivantes : III, 8 (breuvage) ; VII, 1 ; VII,  (...)

2Le voyage de la nouvelle X, 9 est l’un des épisodes les plus connus et des plus spectaculaires mais aussi des plus étonnants du Decameron2. La critique l’a très souvent considéré comme un expédient narratif pour débloquer l’action et permettre aux événements de s’enchaîner. Cette fonction ne peut être ignorée, toutefois le choix de faire intervenir la nécromancie est digne d’un grand intérêt. En effet, celle-ci peut être entendue à la période médiévale dans une conception large et être synonyme d’une magie de matrice orientale. Mais elle peut aussi être considérée dans un sens plus restreint et indiquer une spécialité de la magie fonctionnant à travers la convocation puis le dialogue avec les défunts et les démons à des fins divinatoires, comme celles de connaître une vérité3. Le double sens de ce terme mérite que l’on s’y arrête et qu’on le considère dans cette double perspective dans la nouvelle X, 9 car, ne l’oublions pas, Boccace reste un auteur qui aime jouer avec les mots et brouiller les pistes, comme l’ont montré les très nombreux travaux sur la codification de la nouvelle et les sources des récits décaméroniens4. Le choix de la nécromancie peut être considéré comme le signe d’un choix volontaire de la part de l’auteur et qui fait sens dans l’organisation du Decameron ; d’autant plus que maintes variations autour du motif de la magie ont été opérées au fil du séjour de la brigata5.

  • 6 Les travaux sur le réalisme à la période médiévale sont nombreux et ils ont intéressé aussi bien le (...)

3C’est pourquoi, notre enquête se concentre sur l’épisode magique dans la nouvelle de Saladin et de messire Torello. Il s’agit de réaliser une analyse de la deuxième partie de la nouvelle où ce dernier est réalisé. Le but poursuivi de notre enquête est celui de considérer la représentation et la signification de la nécromancie dans ce récit. Cette étude porte à s’intéresser à celle de l’Orient dans la Florence médiévale et aborder les rapports avec le merveilleux et la nouvelle qui est un genre profondément marqué par le réalisme6.

  • 7 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, Rubrica. Traduction, Rubrique, p. 861 : « [messire Taurel] est trans (...)
  • 8 Ibid., § 84 : « […] il nigromante aspettando lo spaccio e affrettandolo, venne un medico con un bev (...)
  • 9 Ibid., § 70 : « Il Saladino a un suo nigromante, la cui arte già espermentata aveva, impose che egl (...)
  • 10 Ibid., VIII, 9, § 70. Traduction, p. 707 : « un grand maître en nécromancie ».
  • 11 Ibid., VIII, 7, § 47-48 : « Entrò in uno sciocco pensiero, e ciò fu che l’amante della donna sua a (...)
  • 12 Ibid., X, 5, § 9 : « […] vennegli [ad Ansaldo] uno alle mani il quale, dove ben salariato fosse, pe (...)

4La langue, les mots utilisés pour décrire une pratique magique ou pour nommer celles et ceux qui la réalisent sont un excellent témoin de la pensée. Notre analyse se concentre tout d’abord sur le lexique présent dans la nouvelle pour indiquer le moyen par lequel le croisé rejoint les siens. La première nomination de la nécromancie apparaît dès la rubrique de la nouvelle : « per arte magica [messer Torello] in una notte n’è recato a Pavia7 ». L’expression « arte magica » indique immédiatement le sens dans lequel la nécromancie doit être entendue. Celle-ci est perçue dans un sens large : elle est un synonyme de magie grâce à laquelle celui ou celle qui l’exerce réalise tout ce que l’homme ne peut pas faire avec ses seules capacités. Cette expression confère aussi une dimension technique à la pratique. Celle-ci apparaît comme un ensemble de règles et de procédés qui doivent être appliqués pour espérer quelque succès. Elle montre également l’aspect professionnel et corporatif de la magie. Le magicien ressort comme un spécialiste dont les tâches et les compétences se distinguent de celles d’autres professionnels comme le médecin dont il est très proche et avec lequel il est même confondu depuis l’Antiquité. Cette répartition est bien présente dans la nouvelle, car le nécromancien actionne le lit tandis que le médecin administre le breuvage soporifique au voyageur8. La connaissance du nécromancien de son exercice se vérifie d’ailleurs, lors de son premier échange avec le sultan. Saladin impose le moyen de locomotion et le magicien l’accepte, certain d’être en mesure de satisfaire la volonté royale, mais il précise, fort de son expérience, qu’il faudra endormir Torello9. La technicité et le corporatisme de la nécromancie sont renforcés par les répétitions du terme « nigromante ». Les six occurrences de ce terme se concentrent dans un espace restreint de cette longue nouvelle, soit entre les paragraphes 70 et 87. Telle présentation du personnage insiste sur son activité et non sur son identité si bien que ce dernier ne s’identifie qu’à travers la magie. Elle distingue le nécromancien des autres figures du récit en faisant de lui, l’unique détenteur d’un savoir particulier. Ajoutons que l’aspect savant de la magie se révèle aussi par le lieu où elle est exercée, soit à la cour sultanesque. Il est à noter que cette dimension savante est déjà présente dans les précédentes nouvelles nécromantiques. Bruno et Buffalmacco affirment participer aux réunions de la compagnie de l’andar in corso qui a été fondée par Michel Scot « un gran maestro in nigromantia10 », tandis que la veuve Elena s’adresse à Rinieri en pensant qu’il connaît la nécromancie, car il a longuement étudié à l’université de Paris (VIII, 7)11. Enfin, messire Ansaldo (X, 5) obtient un jardin fleuri comme au printemps alors que l’hiver glacial sévit avec le concours d’un nécromancien. Notons que le noble frioulan rétribue largement ce dernier12. Cette compensation n’est pas annoncée dans la nouvelle X, 9. Cependant, ce précédent signalement et le fait que l’action de notre épisode se déroule à la cour laissent supposer une possible rétribution du nécromancien pour ses œuvres.

  • 13 Boccace donne de très nombreux détails dans d’autres composantes du Decameron, comme dans la nouvel (...)
  • 14 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 85. Traduction, p. 877 : « […] le soudan […] dit au nécromancien d (...)

5La technicité de la magie laisse croire qu’il est nécessaire de suivre une méthode pour permettre l’envol de Torello. Toutefois, notre curiosité aiguisée par les descriptions des réalisations des opérations nécromantiques des nouvelles VIII, 7 et VIII, 9 n’est pas assouvie13. En effet, ni les gestes ni les mots du nécromancien ne sont rapportés. Pamphile raconte brièvement à la brigata que : « [il Saladino] disse al nigromante che si spedisse […] e co’ suoi baroni di lui ragionando si rimase14. » Cette narration succinte faite de passés simples, temps de la ponctualité, exprime l’urgence du croisé si bien que la magie apparaît comme extrêmement rapide et efficace. Cette impression est d’ailleurs renforcée par effet de contraste avec les longues descriptions qui l’encadrent. Toutefois, cette narration rapide qui a souvent porté défaut à l’analyse de la magie dans la nouvelle X, 9 insiste sur plusieurs points. D’une part, elle met en évidence le caractère prodigieux de la magie. D’autre part, elle souligne la profusion de richesses lors de la préparation de Torello et l’arrivée de ce dernier dans la cathédrale Saint-Pierre-au-Ciel-d’Or.

  • 15 Ibid., § 68. Traduction, p. 874.

6Cependant, la matière magique est considérée simplement et avec banalité dans la nouvelle. En effet, celle-ci n’est pas remise en doute par l’ensemble des personnages. Devant le désespoir de son ami, Saladin propose l’aide du nécromancien en ne doutant aucunement des pouvoirs de ce dernier. Pamphile rapporte les explications du sultan à son ami de manière très simple laissant ainsi penser que ce dernier sait que tout se déroulera sans heurs ni malheurs15, car il en a l’habitude. Nous retrouvons ce même sentiment lors de la réalisation de l’acte magique. Saladin n’est envahi par aucun sentiment de stupeur ou de merveille, puisqu’il discute tranquillement avec les membres de sa cour alors que le nécromancien opère son art :

  • 16 Ibid., § 87. Traduction, p. 877 : « Cela fait, le soudan lui donna un dernier baiser et dit au nécr (...)

E questo fatto, da capo basciò messer Torello e al nigromante disse che si spedisse; per che incontanente in presenzia del Saladino il letto con tutto messer Torello fu tolto via, e il Saladino co’ suoi baroni di lui ragionando si rimase16.

Le gérondif « ragionando » dilate l’action afin de mettre en évidence le caractère banal de la scène comme si la réalisation d’un tel acte magique était habituel en terres orientales. Messire Torello ne remet pas non plus en doute la solution avancée par le sultan ; d’autant plus qu’il y trouve la confirmation de la renommée de l’Occident comme terre de prodiges :

  • 17 Ibid., § 69. Traduction, p. 874 : « Ajoutant foi aux paroles de Saladin, messire Taurel, qui avait (...)

Messer Torello, dando fede alle parole del Saladino e avendo molte volte udito dire che ciò era possibile e fatto s’era assai volte, s’incominciò a confortare e a sollecitare il Saladino che di ciò si diliberasse17.

  • 18 Ibid., § 4. Traduction, p. 861 : « une histoire assez longue peut-être, mais plaisante en tout poin (...)
  • 19 Ibid., Proemio, § 13 : « intendo di raccontare cento novelle, o favole o parabole o istorie che dir (...)
  • 20 E. Malato, « La nascita della novella italiana: un’alternativa letteraria alla tradizione cortese » (...)

Les gérondifs soulignent la prise de conscience de Torello sur le caractère fabuleux de l’Orient. La grande réputation de ces dernières est mise en évidence par les augmentatifs adverbiaux « molte » et « assai ». L’expression « ciò era possible » accrédite la réalisation effective de la magie de manière forte. Mais le processus de rationalisation le plus efficace est opéré par Pamphile. Le devisant ne met nullement en doute la réalité du voyage prodigieux de Torello. Dans la captatio benevolentiae, il se place dans le sillon de Philomène, la devisante précédente qui a rapporté, affirme-t-il, « il vero ». Puis, il annonce qu’il racontera « una istoria assai lunga ma piacevol per tutto18 ». Le roi devisant qualifie son récit par l’un des trois termes utilisés par Boccace dans le Proême pour qualifier ses nouvelles19. Les très nombreux travaux sur la définition du genre de la nouvelle qui ont vu le jour dans les années 1980 et 1990 ont montré qu’« istoria » met en évidence le caractère historique et authentique des événements présentés20.

  • 21 J.-P. Boudet, Entre science e nigromance, ouvr. cité, p. 21. Cette attention pour le réalisme afin (...)
  • 22 R. Manselli, Il soprannaturale e la religione popolare nel Medioevo, Rome, Edizioni Studium, 1985 ; (...)

7Ainsi, la magie de la nouvelle X, 9 apparaît très différente de celle présentée dans les nouvelles qui se déroulent en Occident, en particulier à Florence et dans sa campagne environnante. Le voyage de messire Torello est montré comme un fait véridique tandis que dans les précédentes Journées, la magie est feinte : les personnages prétendent recourir à cette pratique et profitent de la crédulité de leur interlocuteur pour lui tendre une beffa. Les déclarations de Pamphile participent activement au réalisme de la nouvelle afin de faire paraître l’action comme plausible. Notons que ces effets de réels sont nombreux et omniprésents dans le texte. Pensons à l’expression « arte magica » employée dans la rubrique qui est largement utilisée dans les manuels de magie et qui est même préférée au terme « magia21 ». Ce réalisme est pleinement médiéval et les études sur l’histoire des mentalités et sur les genres littéraires ont montré que ce dernier autorise et accepte la réalisation du surnaturel22. Le vol magique dans la nouvelle de messire Torello est un réel témoin des croyances des hommes et des femmes du xive siècle florentin.

8Cette rationalisation de la magie et ses aspects techniques mis en évidence précédemment laissent place à la description d’une longue phase de préparation du voyage. Durant ce temps, le lit et son futur occupant sont parés de mille richesses :

  • 23 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 76-77. Traduction, p. 876-877 : « […] Saladin fit apprêter dans un (...)

[…] fece il Saladin fare in una gran sala un bellissimo e ricco letto di materassi tutti, secondo la loro usanza, tutti di velluti e di drappi a oro, e fecevi por suso una coltre lavorata a certi compassi di perle grossissime e di carissime pietre preziose, la qual fu poi di qua stimata infinito tesoro, e due guanciali quali a cosí fatto letto si richiedeano; e questo fatto, comandò che a messer Torello, il quale era già forte, fosse messa indosso una roba alla guisa saracinesca, la piú ricca e la piú bella cosa che mai fosse stata veduta per alcuno, e in testa alla lor guisa una delle sue lunghissime bende ravolgere23.

9Une foule de procédés rhétoriques participent à cet effet d’abondance comme l’emploi d’un lexique précieux, de superlatifs et d’énumérations. Cette profusion de luxe crée une dimension de magnificence que le devisant sublime par la description des moindres détails introduits par la parataxe comme s’il était lui-même abasourdi par les splendeurs qui entourent Torello :

  • 24 Ibid., § 86. Traduction, p. 876-877 : « Il passa ensuite au doigt de ce dernier un anneau où était (...)

Appresso mise in dito a messer Torello uno anello nel quale era legato un carbunculo tanto lucente, che un torchio acceso pareva, il valor del quale appena si poteva stimare; quindi gli fece una spada cignere il cui guernimento non si saria di leggieri apprezzato; e oltre a questo un fermaglio gli fé davanti appiccare nel qual erano perle mai simili non vedute con altre care pietre assai; e poi da ciascun de’ lati di lui due grandissimi bacin d’oro pieni di doble fé porre, e molte reti di perle e anella e cinture e altre cose, le quali lungo sarebbe a raccontare, gli fece metter da torno24.

  • 25 Pensons au Milione de Marco Polo qui fut l’un des premiers livres de voyage montrant l’Orient comme (...)

10L’insistance de Boccace sur les trésors de Saladin participe à la dimension réaliste du récit. Les intenses échanges commerciaux entre la Toscane et Venise avec le Levant et l’Égypte ainsi que les récits de voyages des marchands faisait apparaître un Orient de luxe et de contrées riches de pierres, de métaux et de tissus précieux25.

  • 26 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 70. Traduction, p. 874 : « il faudrait pour son bien [celui de Tau (...)
  • 27 Ibid., § 84. Traduction, p. 876 : « un breuvage pour le fortifier ».
  • 28 Voir la vignette de la nouvelle X, 9 dans la première édition illustrée du Decameron (Venise, De Gr (...)

11La préparation du voyage comprend également l’absorption d’un breuvage soporifique pour aider Torello dans sa traversée. Le nécromancien affirme à Saladin que « per bene di [Torello] il facesse dormire26 », puis le médecin présente cette boisson au voyageur comme un « fortificamento27 ». Ce puissant narcotique vient sans doute adoucir une peur du voyage qui est synonyme de mille dangers. Pensons aussi que la magie est une activité qui se réalise par l’intervention de forces maléfiques28 pour nombre d’hommes et de femmes au Moyen Âge. La peur du diable devait ressurgir immédiatement chez le lecteur du Decameron du xive siècle même si Boccace éradique cette présence de ses pages.

  • 29 La nouvelle III, 8 présente un breuvage magique proche de celui du récit X, 9. Toutefois, son trait (...)

12Le devisant Pamphile attire l’attention sur les effets du breuvage, tandis que sa préparation est tue et les fins d’utilisations, abscones29. Cette absence d’information peut être imputée à l’urgence du voyage si bien que la narration calque cela et accélère l’enchaînement des actions. Les effets de la boisson en ressortent plus spectaculaires, car ils semblent immédiats. De plus, le voyageur n’éprouve pas d’effets secondaires à son réveil puisqu’il n’affecte aucune somnolence ou aucun désagrément physique. La description du réveil au § 92 est concise et simple afin de souligner les vertus incroyables du breuvage. Ainsi, la dimension merveilleuse et mystérieuse de l’Orient s’en trouve renforcée.

  • 30 Sur ce thème et ses variantes dans le Decameron, voir M. Picone, « La morta viva: il viaggio di un (...)

13Le breuvage et ses effets soporifiques lient la nouvelle X, 9 au célèbre motif de la mort apparente30. En effet, Torello est plongé dans un sommeil profond et prend l’apparence d’un mort qui revient à la vie lors de son réveil. Rappelons que le terme latin POTIONEM signifie à la fois breuvage médicamenteux et poison. De plus, Torello est cru décédé par les habitants de Pavie et c’est en partie pour cela qu’il revient dans sa ville natale. La réaction des moines qui le découvrent dans la chapelle et les mots de l’abbé sont significatifs de la manière dont le croisé était considéré :

  • 31 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 93-96. Traduction, p. 878 : « Cependant, sans bouger d’une puce, v (...)

Non per tanto, senza altramenti mutarsi, sentendo i monaci fuggire e avvisatosi il perché, cominciò per nome a chiamar l’abate e a pregarlo che egli non dubitasse, per ciò che egli era Torel suo nepote. L’abate, udendo questo, divenne piú pauroso, come colui che per morto l’avea dimolti mesi innanzi; ma dopo alquanto, da veri argomenti rassicurato, sentendosi pur chiamare, fattosi il segno della santa croce andò a lui. Al quale messer Torel disse: «O padre mio, di che dubitate voi? Io son vivo, la Dio mercé, e qui d’oltremar ritornato». L’abate, con tutto che egli avesse la barba grande e in abito arabesco fosse, pure dopo alquanto il raffigurò31.

  • 32 Nous nous rattachons aux recherches sur le sens de ce terme dans le Decameron menées par E. Menetti (...)
  • 33 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 67 : « Messer Torello, dando alle parole di costui fede, ch’eran v (...)
  • 34 Ibid., § 109. Traduction, p. 880 : « le croyant mort, avait épousé la dame, ne devait pas se fâcher (...)
  • 35 Ibid., § 5. Traduction, p. 861 : « du temps de l’empereur Frédéric Ier ».
  • 36 Ibid., § 49-50. Traduction, p. 870.
  • 37 Il est à remarquer que le personnage de Saladin est présenté dans la nouvelle comme « il soldano di (...)

14La fuite des moines et le signe de croix de l’abbé comme protection montre que Torello est considéré comme un mort qui revient à la vie, comme un ressuscité. D’où les réactions liées à la meraviglia qui traduisent un sentiment de « sgomento e di paura32 » des moines. L’adverbe « fermamente » fait de la disparition du croisé une vérité. Torello se donnait lui-même comme mort avant son odyssée. Plusieurs fois, avant son départ, il déclarait préférer être mort que de vivre sans Adélaïde33. Son arrivée se produit dans un lieu pieux, symbole d’une renaissance et devant une figure en quelque sorte paternelle puisque l’abbé est son parrain. Cette résurrection est enfin déclarée à la fin de la nouvelle par une structure en chiasme mise en évidence par des gérondifs. Devant les invités de la noce et l’époux déchu, Torello raconte ses aventures reconnaissant que son rival « lui morto credendo, aveva la sua donna per moglie presa », mais accordant que « se egli essendo vivo la si ritoglieva, non doveva spiacere34 ». Le vol magique de Torello signe donc un passage entre la mort et la vie, entre deux règnes différents et qui se côtoient tout comme l’Orient musulman et l’Occident chrétien du xive siècle. D’ailleurs, le récit ressuscite en quelque sorte les morts puisqu’il réévoque le passé à la lieta brigata. En effet, Boccace recourt à des faits et à des personnages historiques du passé. L’action se déroule à la fin du xiie siècle, « al tempo dello imperador Federigo primo35 », et se concentre en particulier autour de la Troisième croisade. Le siège d’Acre que les historiens date de 1191 sert de théâtre à la capture de Torello36. Le personnage de Saladin dans la nouvelle est crée à partir de la figure du véritable sultan Saladin (1138-1193)37.

  • 38 I. Passavanti, Specchio di vera penitenza, Florence, Libreria Editroce fiorentina, 1925, p. 375. La (...)
  • 39 De nombreuses interprétations sur cette Journée et plus largement sur le Decameron ont été avancées (...)
  • 40 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 27 ; voir aussi la description de la jeune femme au § 28. Traducti (...)
  • 41 Ibid., § 43, § 64, § 96.
  • 42 Ibid., § 107 : « Questi è il mio signore, questi veramente è messer Torello! » Traduction, p. 880 : (...)

15Ce retour à la vie explique, pensons-nous, la présence de la nécromancie, entendue comme pratique magique qui ressuscite les morts dans le but de délivrer aux vivants une vérité. Dans son traité du Specchio di vera penitenza, le dominicain florentin Iacopo Passavanti (v. 1302-1357), qui est contemporain de Boccace et dont le traité a fortement influencé certaines composantes du Centonovelle, définit cette pratique divinatoire comme le moyen par lequel « ’uomo vuole sapere […] per apparimento e per parlare di morti: e questa spezie si chiama negromanzia38 ». Le retour de Torello délivre en effet une, sinon deux vérités. Le croisé revient parmi les siens et dans sa cité pour annoncer qu’il n’est pas mort. Cette annonce prend toute son importance, car elle est faite dans la dernière journée du Decameron qui précède le retour de la brigata à Florence après la peste et qui peut être considérée comme celle de la refondation d’un monde39. Cette vérité est délivrée d’abord à un abbé qui représente une figure paternelle et droite, puis à l’épouse qui est l’exemple de la vertu et de la fidélité. Adélaïde est qualifiée de « valente40 ». Elle est mère attentive, une épouse fidèle à la mémoire de son époux et au sacrement du mariage envers et contre tous. Sa fidélité est mise en évidence à plusieurs reprises41. Par exemple, lorsque la jeune femme reconnaît son mari, elle ne le qualifie pas d’époux mais de « signore42 » et cette reconnaissance se fait par une bague, symbole d’union.

16La magie permet donc à Torello de dire à tous ceux qui sont restés à Pavie qu’il n’est pas mort et que ce qui lui a permis de revenir est son amour pour son épouse. Le voyage de Torello représente par conséquent un acte d’amour d’un mari pour son épouse fidèle, déclaration de fidélité que Boccace sublime dans la nouvelle de Griselda.

17Notre enquête sur l’épisode du vol magique dans la nouvelle de Saladino et de messire Torello nous a conduite à mettre à jour les caractéristiques de ce vol spectaculaire et à considérer les deux acceptions de la nécromancie. Celle-ci est d’une part entendue comme une magie orientale dotée de techniques et de savoir-faire. Il s’agit d’une magie savante qui habite le quotidien des Orientaux chez qui elle est efficace. Elle est une réalisation rapide et mystérieuse. Elle provoque la meraviglia qui doit être entendue comme un sentiment de stupeur, car elle provoque l’inouï. Elle n’appartient pas au merveilleux tel que nous l’entendons aujourd’hui, mais au réalisme auquel il est nécessaire d’ajouter la qualification de médiéval.

18Mais la nécromancie dans la nouvelle X, 9 doit aussi être entendue dans un sens plus restreint, en tant que pratique qui met en relation les morts et les vivants. Elle permet alors l’une des déclarations d’amour les plus belles du Centonovelle, celle d’un homme que tous croient mort et qui revient de loin pour annoncer à son épouse qu’il l’aime.

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Bibliographie

Textes de référence

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Ouvrages critiques

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Notes

1 Les nouvelles où apparaissent Saladin sont les I, 3 et X, 9. Le sultan apparaît aux deux extrémités du recueil ; ce qui lui vaut d’être, pour reprendre l’expression de M. Picone, « un personaggio cornice » (M. Picone, « Dalle Mille e una notte al Decameron », dans Id., Boccaccio e la codificazione della novella: lettura del Decameron, Ravenne, Longo, 1998, p. 67-80).

2 Il Decameron fantastico de E. Menetti offre des analyses précises sur l’épisode du vol magique de Torello (E. Menetti, Il Decameron fantastico, Bologne, Clueb, 1994).

3 O. Di Simplicio, « Nigromanzia », dans Grande Dizionario Storico dell’Inquisizione, vol. 3, Pise, Edizione della Normale, 2010, p. 1111b-1112b. Fondamentales sont les recherches de J.-P. Boudet, Entre science et nigromance, astrologie, divination, magie dans l’Occident médiéval (xiie-xve siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006.

4 La novella italiana (actes du colloque de Caprarola, septembre 1988), Rome, Salerno, 1989 ; Favole, parabole, istorie: le forme della scrittura novellistica dal Medioevo al Rinascimento (actes du colloque de Pise, octobre 1998), 2 vol., Rome, Salerno, 2000 ; S. Battaglia, Capitoli per una storia della novellistica italiana, dalle origini al Cinquecento, Naples, Liguori, 1993 ; M. Picone et M. Mesirca (dir.), Introduzione al Decameron, Florence, Franco Cesati Editore, 2004.

5 Les nouvelles de magie dans le Centonovelle sont les suivantes : III, 8 (breuvage) ; VII, 1 ; VII, 3 ; IX, 10 (enchantements) ; VIII, 7 (société secrète de l’andar in corso) ; VIII, 9 ; X, 5 ; X, 9 (pratiques nécromantiques) ; IX, 5 (brevet). Notre étude s’appuie sur les éditions suivantes du Decameron (G. Boccaccio, Decameron, nouvelle X, 9, vol. 2, Turin, Einaudi, 2002, p. 1204-1231). Les traductions françaises des citations sont tirées de J. Boccace, Décaméron, X, 9, traduction de G. Clerico, Paris, Gallimard, 2006, p. 861-881.

6 Les travaux sur le réalisme à la période médiévale sont nombreux et ils ont intéressé aussi bien les historiens que les littéraires : J. Le Goff, L’imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1991 ; C. Lecouteux, Au-delà du merveilleux. Essai sur les mentalités au Moyen Âge, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 1998 ; T. Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, 1976.

7 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, Rubrica. Traduction, Rubrique, p. 861 : « [messire Taurel] est transporté à Pavie en une nuit par l’art de la magie ».

8 Ibid., § 84 : « […] il nigromante aspettando lo spaccio e affrettandolo, venne un medico con un beveraggio e, fattogli vedere che per fortificamento di lui gliele dava, gliel fece bere. » Traduction, p. 876 : « le nécromant attendait et hâtait le moment du départ, un médecin arriva avec un breuvage ; et, lui ayant fait croire qu’il le lui donnait pour le fortifier, il le lui fit boire. » Au sujet de la connexion entre magie et science, en particulier la médecine : R. Kieckefer, La magia nel Medievo, Rome-Bari, Laterza, 1993 ; G. Federici Vescovini, Medioevo magico. La magia tra religione e scienza nei secoli XIII e XIV, Turin, UTET, 2008. Pour souligner la permanence de cette connexion : « Du Moyen Âge à la Renaissance : la sorcellerie et les sciences occultes », Les Cahiers de Science & Vie, no 105, 2008. Dans les procès contre sorcellerie, les historiens font remarquer que les incriminées intervenaient très souvent comme guérisseuses : O. Di Simplicio, L’autunno della stregoneria: maleficio e magia nell’Italia moderna, Bologne, Il Mulino, 2005.

9 Ibid., § 70 : « Il Saladino a un suo nigromante, la cui arte già espermentata aveva, impose che egli vedesse via come messer Torello sopra un letto in una notte fosse portato a Pavia; a cui il nigromante rispose che ciò saria fatto, ma che egli per ben di lui il facesse dormire. » Traduction, p. 874 : « Saladin imposa à un nécromancien, dont il avait déjà éprouvé l’art, d’aviser au moyen de transporter en une nuit sur lit messire Taurel jusqu’à Pavie. Le nécromancien répondit que ce serait fait, mais qu’il faudrait pour son bien endormir le chevalier. »

10 Ibid., VIII, 9, § 70. Traduction, p. 707 : « un grand maître en nécromancie ».

11 Ibid., VIII, 7, § 47-48 : « Entrò in uno sciocco pensiero, e ciò fu che l’amante della donna sua a amarla come far solea si dovesse poter riducere per alcuna nigromantica operazione e che di ciò lo scolare dovesse essere gran maestro; e disselo alla sua donna. La donna poco savia, senza pensare che se lo scolare saputo avesse nigromantia per sé adoperata l’avrebbe, pose l’animo alle parole della sua fante, e subitamente le disse che da lui sapesse se fare il volesse e sicuramente gli promettesse che per merito di ciò, ella farebbe ciò che a lui piacesse. » Traduction, p. 680 : « Sa servante […] fut traversée d’une idée sotte : elle pensa qu’il devait être possible de ramener cet amant à aimer sa maîtresse tout comme auparavant par quelque opération de nécromancie, et que l’écolier devait être un grand maître en cet art. Elle en fit part à sa maîtresse. La dame, sans grande sagesse, et ne songeant point que, s’il avait su la nécromancie, l’écolier l’eût mise en œuvre pour lui-même, prêta l’oreille aux propos de la servante. Elle lui dit aussitôt de demander à l’écolier s’il se prêterait à cette opération, et de lui promettre qu’en récompense elle ferait assurément tout ce qui lui plairait. »

12 Ibid., X, 5, § 9 : « […] vennegli [ad Ansaldo] uno alle mani il quale, dove ben salariato fosse, per arte nigromantica profereva di farlo. » Traduction, p. 822 : « [Ansard] finit par mettre la main sur un homme qui, à condition d’être bien payé, s’offrit à faire le jardin par l’art de la nécromancie. »

13 Boccace donne de très nombreux détails dans d’autres composantes du Decameron, comme dans la nouvelle VIII, 7 et en partie dans la nouvelle VIII, 9 où se déroulent deux pratiques liées à la nécromancie. Dans les pages du Filocolo, il décrit très longuement la réalisation de la magie qui permettra le fleurissement du jardin de mai, tandis qu’il supprime cette description lorsqu’il reprend ce motif dans la nouvelle X, 5, sans doute pour des raisons similaires à celles que nous proposons pour expliquer l’efficacité et la rapidité de la magie de la nouvelle X, 9. Voir : G. Boccaccio, Filocolo, libro IV, § 31, E. Quaglio (éd.), dans V. Branca (dir.), Tutte le opere di Giovanni Boccaccio, Milan, Mondadori, 1967, p. 355-362.

14 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 85. Traduction, p. 877 : « […] le soudan […] dit au nécromancien de se dépêcher […] et resta avec ses barons, à deviser de son ami. »

15 Ibid., § 68. Traduction, p. 874.

16 Ibid., § 87. Traduction, p. 877 : « Cela fait, le soudan lui donna un dernier baiser et dit au nécromancien de se dépêcher. Alors, en présence de Saladin, tout à coup disparut le lit et messire Taurel avec. Et Saladin resta avec ses barons, à deviser de son ami. »

17 Ibid., § 69. Traduction, p. 874 : « Ajoutant foi aux paroles de Saladin, messire Taurel, qui avait maintes fois ouï dire que c’était possible et que cela s’était souvent pratiqué, commença de se réconforter et pressa Saladin de se hâter d’agir. »

18 Ibid., § 4. Traduction, p. 861 : « une histoire assez longue peut-être, mais plaisante en tout point ».

19 Ibid., Proemio, § 13 : « intendo di raccontare cento novelle, o favole o parabole o istorie che dire le vogliamo ». Traduction, Proême, p. 35 : « j’entends […] raconter cent nouvelles, qui pourraient recevoir aussi bien le nom de fables, de paraboles ou d’histoires ».

20 E. Malato, « La nascita della novella italiana: un’alternativa letteraria alla tradizione cortese », dans La novella italiana (actes du colloque de Caprarola, septembre 1988), p. 3-43 ; C. Segre, « La novella e i generi letterari », dans ibid., p. 47-57 ; E. Malato, « Introduzione », dans Favole, parabole, istorie (actes du colloque de Pise, octobre 1998), vol. 1, 2000, p. 17-29 ; S. Sarteschi, « Valenze lessicali di “novella”, “favola”, “istoria” nella cultura volgare fino a Boccaccio », dans ibid., p. 85-108.

21 J.-P. Boudet, Entre science e nigromance, ouvr. cité, p. 21. Cette attention pour le réalisme afin de rendre plausible la magie ne doit en aucun point être identifiée comme une preuve attestant la foi de Boccace dans la magie. Une telle déduction serait hors de propos et bien trop faible pour une telle démonstration. Arturo Graf a tenté de voir une propension de Boccace pour les superstitions dans ses œuvres de vieillesse : voir A. Graf, « Fu superstizioso il Boccaccio? », dans Id., Miti, Leggende e Superstizioni nel Medioevo, Turin, Casa Editrice G. Chiantore, 1925, p. 408-457. Le comportement de notre auteur ne peut que surprendre lorsque l’on juxtapose la nouvelle de Ser Ciapelletto (I, 1), très sévère critique contre les reliques, et son testament dans lequel Boccace lègue des reliques rares, recherchées avec assiduité et coûteuses. Ce document, Testamentum Iohannis Boccaccii, est reproduit entièrement dans G. Boccaccio, Le lettere edite e inedite, F. Corazzini (éd.), Florence, 1877, p. 429. Voir aussi L. Battaglia Ricci, Boccaccio, Rome, Salerno, 2000, p. 31.

22 R. Manselli, Il soprannaturale e la religione popolare nel Medioevo, Rome, Edizioni Studium, 1985 ; C. Lecouteux, Charmes, Conjurations et Bénédictions : lexiques et formules, Paris, Honoré Champion, 1996 ; M. Meslin, Le merveilleux. L’imaginaire et les croyances en Occident, Paris, Bordas, 1984.

23 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 76-77. Traduction, p. 876-877 : « […] Saladin fit apprêter dans une grande salle un très riche et beau lit, qui était fait, selon leur usage, de matelas tout couverts de velours et de draps de tissus d’or ; il fit placer dessus une courtepointe que des perles très grosses et des pierres précieuses fort coûteuses ouvrageaient d’entrelacs — elle fut considérée par ici plus tard comme un trésor inestimable —, ainsi que deux oreillers assortis comme il appartenait à un tel lit. Cela fait, Saladin ordonna que l’on vêtît messire Taurel, qui avait déjà repris des forces, d’une robe à la mode sarrasine, la chose la plus belle et la plus riche que l’on eût jamais vue, et lui fit enrouler autour de la tête un de ses très longs bandeaux à la mode de chez eux. »

24 Ibid., § 86. Traduction, p. 876-877 : « Il passa ensuite au doigt de ce dernier un anneau où était enchâssée un escarboucle, qui luisait autant qu’une torche allumée et dont il n’était guère possible d’estimer la valeur. Puis il le fit ceindre d’une épée, garnie d’ornements dont il n’eût pas été facile de priser la richesse. En outre, il lui fit agrafer sur la poitrine un fermail où se trouvaient serties des perles comme on n’en avait jamais vues de telles, ainsi que maintes pierres rares. Après quoi, il fit placer de part et d’autre de messire Taurel deux très grands bassins d’or emplis de doublons, et disposer autour de lui quantité de filets de perles, d’anneaux, de ceintures et tant d’autres choses qu’il serait trop long de les conter toutes. » Un examen des pratiques nécromantiques des nouvelles X, 5, VIII, 9 et VIII, 7 montre que ce type de magie provoque toujours des effets d’abondance. Voir X, 5, § 10 : Ansard obtient un « de’ piú be’ giardini che mai per alcun fosse stato veduto, con erbe e con alberi e con frutti d’ogni maniera ». Traduction, p. 822 : Ansard obtient « un des plus beaux jardins qu’on eût jamais vus, avec des plantes, des arbres et des fruits de toute sorte ». Voir VIII, 9, § 23-24 : L’abondance et le luxe sont les apanages des fêtes de la compagnie de la compagnie de l’andar in corso où sont invitées de nobles Orientales comme « la donna de’ barbanicchi, […] la moglie del soldano, la ‘mperadrice d’Osbech […] e la scalpedra di Narsia […] la schinchimurra del Presto Giovanni ». Traduction, p. 708 : « la dame des Barbamoules, […] la femme du soudan, l’impératrice d’Ouzbech […] et la grattelierre de Narsie […] la guibolmuche du Prêtre-Jean ». Voir VIII, 7, § 54 : Rinieri promet à Elena que son amant reviendra vers elle et nourrira de nouveaux sentiments d’amour à son égard. Traduction, p. 681.

25 Pensons au Milione de Marco Polo qui fut l’un des premiers livres de voyage montrant l’Orient comme une terre de richesse. Boccace même reprend le tracé des routes commerciales de son époque vers l’Orient dans la nouvelle d’Alatiel (nouvelle II, 7), calquant le parcours de son héroïne sur celui des marchands (A. Simon, Le novelle e la storia: Toscana e Oriente fra Tre e Quattrocento, Rome, Salerno, 1999).

26 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 70. Traduction, p. 874 : « il faudrait pour son bien [celui de Taurel] [l’]endormir ».

27 Ibid., § 84. Traduction, p. 876 : « un breuvage pour le fortifier ».

28 Voir la vignette de la nouvelle X, 9 dans la première édition illustrée du Decameron (Venise, De Gregori, 1492). L’illustrateur représente des diables volants aux pieds du lit de Torello. Le manuscrit se trouve à la Bibliothèque nationale de Florence, B.R. 365. La vignette est reproduite dans M. Adriani, Arti magiche nel Rinascimento a Firenze, Florence, Casa Editrice Bonecchi, 1980, p. 61-62. Voir aussi : G. Dillon, « I primi incunaboli illustrati e il Decameron veneziano del 1492 », dans V. Branca (dir.), Boccaccio visualizzato, vol. 3, Turin, Einaudi, 1999, p. 291-318 ; V. Branca, « Le prime illustrazioni del Decameron », dans Id., Boccaccio medievale, Florence, Sansoni, 1970 (3e éd.), p. 315-323. Il existe une littérature extrêmement vaste sur la magie comme pratique diabolique. Voir : A. Boureau, Satan hérétique : naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval, Paris, Odile Jacob, 2004 ; N. Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Âge : fantasme et réalité (titre original anglais : Europe’s Inner Demons), Paris, Payot, 1982 ; R. Kieckefer, La magia nel Medievo, Rome-Bari, Laterza, 1993.

29 La nouvelle III, 8 présente un breuvage magique proche de celui du récit X, 9. Toutefois, son traitement est bien différent, car sa préparation, son utilisation et ses effets y sont décrits. Il s’agit d’un puissant somnifère sans effets secondaires, fait de vin et d’une poudre venue d’Orient dont se servaient les disciples de la secte des assassins à la demande du prêtre Jean. Voir G. Boccaccio, Decameron, III, 8, § 31-32. Traduction, p. 316-317.

30 Sur ce thème et ses variantes dans le Decameron, voir M. Picone, « La morta viva: il viaggio di un tema novellistico », dans Autori e Lettori di Boccaccio (actes du colloque international de Certaldo, septembre 2001), Florence, Franco Cesati Editore, p. 11-25. Le chercheur ne considère pas la nouvelle X, 9 dans son analyse. Toutefois, nous pensons qu’il s’agit également d’une variante de ce thème. Le chercheur identifie dans un autre travail, le vol de messire Torello comme la parabole de cette invasion spectaculaire et positive de savoirs musulmans et juifs en Occident grâce aux traductions de l’École de Tolède (dont la véritable existence est aujourd’hui contestée). Nous souscrivons aussi pleinement à cette interprétation d’une translatio studii : M. Picone, « Dalle Mille e una notte al Decameron », dans Id., Boccaccio e la codificazione della novella: Letture del Decameron, Ravenne, Longo, 2008, p. 67-80.

31 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 93-96. Traduction, p. 878 : « Cependant, sans bouger d’une puce, voyant les moines en fuite et sachant qu’il était en cause, il se mit à appeler l’abbé par son nom et à le prier de ne rien redouter, parqu’il était Taurel, son neveu. L’abbé, à ces mots, n’en eut que plus d’effroi, car il le pensait mort depuis plusieurs mois. Mais, au bout d’un moment, rassuré par d’indéniables raisons, et s’entendant toujours appeler, il fit le signe de la sainte croix et marcha vers lui. “Ô mon père, lui dit messire Taurel, que pouvez-vous craindre ? Je suis bien vivant, Dieu merci, et me voici de retour d’[Orient].” En dépit de sa longue barbe et de son habillement arabe, l’abbé finit pourtant par le reconnaître. » Les crochets sont de notre main, car à l’époque médiévale, le terme oltremare indique couramment l’Orient. Nous remercions M. Georges Sidéris pour cette précieuse indication.

32 Nous nous rattachons aux recherches sur le sens de ce terme dans le Decameron menées par E. Menetti (Il Decameron fantastico, ouvr. cité, p. 10-36, en particulier p. 21).

33 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 67 : « Messer Torello, dando alle parole di costui fede, ch’eran verissime, e ricordandosiche il termine ivi a pochi dí finiva da lui domandato alla donna e avvisando niuna cosa di suo stato doversi sapere a Pavia, ebbe per constante la donna dovere essere rimaritata; di che egli in tanto dolor cadde, che, perdutone il mangiare e a giacer postosi, diliberò di morire. » Et § 71 : « [Il Saladino] trovandol del tutto disposto a voler pure essere in Pavia al termine dato, se esser potesse, e se non potesse, a voler morire, gli disse. » Traduction, p. 873 : « Messire Taurel, ajoutant foi à ce récit, qui n’était que trop véridique, se souvenant qu’allait expirer dans peu de jour le terme qu’il avait demandé à sa femme de respecter, et se rendant compte qu’à Pavie on devait tout ignorer de son état, fut persuadé que sa femme devait être remariée. Il en sombra dans un tel chagrin qu’ayant perdu le goût de manger et s’étant alité il résolut de mourir. » Et p. 184 : « [Saladin] le trouvant tout à fait décidé, si la chose était possible, à être à Pavie au terme fixé, ou, si c’était impossible, tout aussi décidé à mourir, il lui parla. »

34 Ibid., § 109. Traduction, p. 880 : « le croyant mort, avait épousé la dame, ne devait pas se fâcher qu’il reprît sa femme, puisqu’il était vivant ».

35 Ibid., § 5. Traduction, p. 861 : « du temps de l’empereur Frédéric Ier ».

36 Ibid., § 49-50. Traduction, p. 870.

37 Il est à remarquer que le personnage de Saladin est présenté dans la nouvelle comme « il soldano di Babilonia » (ibid., § 5 ; traduction, p. 862 : « soudan de Babylone »), alors qu’il était en réalité sultan d’Égypte et de Syrie. Pour une biographie de Saladin, voir A.-M. Edde, Saladin, Paris, Flammarion, 2008.

38 I. Passavanti, Specchio di vera penitenza, Florence, Libreria Editroce fiorentina, 1925, p. 375. La traduction est de notre main : « l’homme veut savoir […] par l’apparition et par le dialogue avec les morts : et cette catégorie s’appelle nécromancie. »

39 De nombreuses interprétations sur cette Journée et plus largement sur le Decameron ont été avancées par la critique : cette Journée et l’œuvre entière sont proposées comme des pages destinées au divertissement, à l’éducation des femmes, à mieux vivre (V. Branca, « Introduzione », dans G. Boccaccio, Decameron, vol. 1, Turin, Einaudi, 2002 ; L. Battaglia Ricci, Ragionare nel Giardino. Boccaccio e i cicli pittorici del ‘Trionfo della morte’, Rome, Salerno, 2000 (2e éd.), 278 p. ; Id., « Introduzione », dans G. Boccaccio, Decameron, Rome, Salerno, 2006, p. vii-lxxi ; G. Cavallini, La decima giornata del Decameron, Rome, Bulzoni, 1980 ; M. Bevilacqua, L’ideologia del Decameron, Rome, Bulzoni, 1978 ; F. Cardini, Le cento novelle contro la morte: Giovanni Boccaccio e la rifondazione cavalleresca del mondo, Rome, Salerno, 2007.

40 G. Boccaccio, Decameron, X, 9, § 27 ; voir aussi la description de la jeune femme au § 28. Traduction, p. 864 : « d’un grand caractère ».

41 Ibid., § 43, § 64, § 96.

42 Ibid., § 107 : « Questi è il mio signore, questi veramente è messer Torello! » Traduction, p. 880 : « “C’est lui mon seigneur ! Oui, c’est vraiment lui messire Taurel !” »

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Pour citer cet article

Référence papier

Émilie Zanone, « « Per arte nigromantica » : la magie orientale dans la nouvelle de messire Torello (Decameron X, 9) »Cahiers d’études italiennes, 21 | 2015, 169-182.

Référence électronique

Émilie Zanone, « « Per arte nigromantica » : la magie orientale dans la nouvelle de messire Torello (Decameron X, 9) »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 21 | 2015, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/2738 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.2738

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Émilie Zanone

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