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Notes de l’auteur

L’éditeur remercie Enzo Neppi et Christophe Mileschi de leur soutien et de leur aide dans l’organisation du colloque et la préparation de ce volume.

Texte intégral

1Avouons d’emblée qu’en proposant le thème de la violence et de la guerre dans la littérature italienne des années 1970 à nos jours, les promoteurs du colloque – ils avaient entendu parler des « Cannibali » et de leurs avatars actuels – imaginaient que les tendances les plus récentes occuperaient la tribune : d’autant qu’elles font leur miel de productions anglo-saxonnes largement diffusées, et de la brutalité urbaine.

2Or, si ce pan de la littérature a été abordé, il l’a été en relation avec des œuvres plus éloignées dans le temps. Doit-on attribuer cela au manque de recul nécessaire à l’analyse ? Ou doit-on plutôt estimer que les violences et les guerres qui comptent encore, pour les écrivains d’aujourd’hui, sont celles qui ont profondément marqué le xxe siècle (au détriment partiel de toute autre forme de violence) ? Monica Jansen et Claudia Nocentini proposent par exemple une réflexion croisée sur la vision de la violence par des enfants : dans Come prima delle madri (2003) de Simona Vinci, d’une part (Monica Jansen) ; dans Il sentiero dei nidi di ragno (1947) d’Italo Calvino, et dans Il cielo è rosso (1947) de Giuseppe Berto, d’autre part (Claudia Nocentini). De même, Franco Manai établit un rapprochement fort éclairant entre la guerre vue, et en quelque sorte vécue, à la télévision (la première guerre du Golfe), telle que la représente Silvia Ballestra dans La guerra degli Antò (1992), et la guerre « re-vue » par un acteur en première ligne, Emilio Lussu, dans Un anno sull’altipiano (1938).

3Certes, toutes les études ne portent pas sur le problème (littéraire) de savoir comment, aujourd’hui, envisager l’histoire, en particulier celle de la Seconde Guerre mondiale. La représentation de la mafia, avec un parallèle entre Il giorno della civetta (1961) de Leonardo Sciascia et Malacarne (1998) de Giosuè Calaciura, fait l’objet d’un examen attentif de Stefania Ricciardi. Brando Fornaciari et Vincenzo Binetti prennent en considération, avec une rigueur passionnée, la question de l’engagement et celle de l’incarcération, telles qu’elles sont représentées dans Vogliamo tutto (1971) et Gli invisibili (1987) de Nanni Balestrini. En outre, dans un article brillant et suggestif, Flaviano Pisanelli montre parfaitement, à partir notamment des Scritti corsari (1975), comment Pier Paolo Pasolini percevait la violence du pouvoir dans les années 1970.

4Mais si, pour sa part, Charles Klopp se penche sur la question de la violence collective dans l’œuvre d’Antonio Tabucchi, c’est aussitôt pour déclarer que son intérêt critique a été particulièrement retenu par la « mise en écriture » de la seconde guerre mondiale. Eric Vial passe au crible l’œuvre (déjà) volumineuse de Valerio Evangelisti : c’est aussi pour relever en incidente que, parmi les nombreux thèmes abordés par le « père » de la série des « Nicolas Eymerich », la Grande Guerre et la seconde guerre mondiale arrivent en bonne place (la perspective, indique Eric Vial, est plutôt celle d’une « réalité terrifiante et incontournable, ce sont les camps d’extermination, et plus précisément les expériences délirantes et monstrueuses menées pas de prétendus scientifiques, entre proto-manipulations génétiques et bricolages renouvelés du docteur Frankenstein »). Quant à Alfredo Luzi, s’il effectue une exploration minutieuse et convaincante de l’œuvre de Paolo Volponi, il s’arrête avant tout sur Il lanciatore di giavellotto (1981) : roman dont il dit qu’il est « construit sur l’opposition entre la mutation progressive de l’éros – de force vitale ancestrale à passion pour la dignité humaine, puis à projet de lutte pour un monde plus libre et plus heureux, puis à idéologie révolutionnaire – et la représentation allégorique de la culture fasciste, oppressive et violente ».

5Répétons-le : toutes les interventions n’ont pas abordé – quel que soit l’angle de prise de vue – le thème de la seconde guerre mondiale et de ses signes avant-coureurs dans le domaine littéraire. Cela posé, que penser toutefois du roman de Fabrizia Ramondino, Guerra di infanzia e di Spagna (2001), dont parle Maryline Maigron, si ce n’est qu’il renvoie, dans une sorte de travail d’anamnèse, aux prémisses de cette guerre ? Mêlé de façon plus ou moins évidente à un autre travail, celui de la mise en fiction, l’anamnèse est aussi le propos même du texte de Nuto Revelli, Il disperso di Marburg (1991), dont parle Marie-Françoise Zana-Régniez (avec cette recherche hallucinante d’un « bon » Allemand). Quant à Corrado Stajano, si son engagement « citoyen » l’amène à poser, dans L’Italia nichilista (1982), des questions (graves) sur les liens possibles entre la Démocratie chrétienne et les mouvements terroristes des années 1970, dans Patrie smarrite (2001) il met également ses lecteurs devant le (fâcheux) problème des prises de position d’une certaine bourgeoisie à l’époque du fascisme, puis de la République de Salò. Pour Claudio Milanesi, « la cible de Stajano est la bourgeoisie italienne, qui paraît toujours prête à sacrifier la liberté pour conserver ses privilèges et défendre ses intérêts, du temps de Farinacci à Crémone ou de nos jours devant la coalition de centre droit ».

6C’est précisément de la littérature des complices de Farinacci, et donc de Hitler, qu’il est question dans l’article de Giuseppe Iannaccone. On peut se livrer à des interrogations (fort légitimes) sur la publication ou la réimpression, relativement récentes, et chez de grands éditeurs, de textes provenant d’auteurs ayant collaboré, en pleine conscience de leurs actes ou non, avec le nazisme. Cette résurgence a sans nul doute contribué, en Italie, à alimenter une forme de révisionnisme, permettant à certains à renvoyer dos à dos les combattants de la liberté et ceux qui avaient tout tenté pour l’anéantir. Il n’empêche que le fait éditorial et littéraire existe, ou a existé. Il est d’ailleurs d’autres faits, historiques et lointains (mais bien présents dans les consciences, ne fût-ce que par les interprétations suscitées), qui ont provoqué un débat au cours du colloque : citons parmi eux la représentation de la présence de Cosaques (envoyés par Hitler à la fin de la guerre) en Carnie. C’est le « référent historique » d’un roman de Carlo Sgorlon, La malga di Sîr (1995). Les lectures que Jean-Igor Ghidina, Pierre Laroche et Stefano Magni font de ce roman (et d’autres du même auteur, ainsi que de ceux de Fulvio Tomizza et de Claudio Magris) montrent que non seulement le texte se prête en soi à des interprétations diverses, mais que, à travers lui, tout un pan de l’histoire italienne reste encore ouvert à des interprétations différentes.

7Au terme de cette courte présentation, la question première refait surface. Pourquoi donc une place aussi grande accordée, en 2003, aux romans ayant pour toile de fond la montée de la seconde guerre mondiale, ou la guerre elle-même ? Je propose à cela trois réponses, non contradictoires. La première est liée à l’auteur de cette présentation. Après tout, en tant qu’observateur, il est forcément conduit à porter son regard sur certains sujets plus que sur d’autres. Il n’hésite d’ailleurs pas à reconnaître qu’il force légèrement le trait quand, par exemple, il met en relief la question des camps d’extermination dans l’œuvre de Valerio Evangelisti, ou bien la seule violence de la guerre dans l’œuvre d’Antonio Tabucchi. Cela dit, Antonio Tabucchi et Valerio Evangelisti mis à part, les titres des articles parlent d’eux-mêmes.

8La deuxième réponse est liée aux auteurs des articles. Pour les raisons évoquées plus haut (notamment l’absence de recul vis-à-vis de la littérature la plus récente), ils ont peut-être préféré – qui les en blâmerait ? – le « confort » proposé par l’examen d’œuvres légèrement plus anciennes, plus maniables d’un point de vue critique, et plus proches de thématiques connues, notamment la seconde guerre mondiale.

9C’est une hypothèse vraisemblable, qui nous amène d’ailleurs à la troisième réponse : au moins jusqu’au début des années 1990 (et peut-être au-delà), l’expression de la violence dans la littérature italienne s’attachait sans doute, pour l’essentiel, à la représentation de la guerre et de ses préparatifs (soulignons à ce propos que même les terroristes des années de plomb, et les personnages des romans sur les années de plomb, font référence à la Résistance).

10Il ne s’agit pas là d’une découverte, sur le plan sociologique. Sur le plan littéraire, l’affirmation est moins assurée. D’autant que les représentations de la guerre, telles qu’elles ressortent d’une perspective d’ensemble, sont certainement plus nuancées que celles auxquelles nous avaient accoutumé les générations précédentes : elles n’en sont que plus sujettes à des interprétations hasardeuses. Chacun pourra en tout cas s’apercevoir, à la lecture des articles, que les visions diverses qui parcourent les œuvres permettent d’éclairer bien des débats de la société contemporaine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Sarrabayrouse, « Présentation »Cahiers d’études italiennes, 3 | 2005, 5-8.

Référence électronique

Alain Sarrabayrouse, « Présentation »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 3 | 2005, mis en ligne le 15 décembre 2006, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/266 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.266

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Auteur

Alain Sarrabayrouse

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