Avant-propos
Texte intégral
1Quelle est la place de la religion et le sens du religieux dans la littérature italienne contemporaine (1970-2006) ? C’est autour de cette question que le quatrième colloque international centré sur les images littéraires de la société contemporaine organisé par le GERCI (Groupe d’études et de recherches sur la culture italienne) s’est tenu les 23 et 24 novembre 2006 à l’Université Stendhal-Grenoble 3. Le thème central de ces rencontres avait été proposé par notre regretté collègue et ami, Alain Sarrabayrouse, à la mémoire duquel nous dédions chaleureusement ce volume.
2L’Italie, haut lieu de la religion catholique, se trouve, durant ces trente dernières années, traversée par des changements profonds qui s’expriment au cœur de la production littéraire. Ces bouleversements historiques, sociaux et politiques ont eu des conséquences directes sur la religion et ses manifestations traditionnelles et plus généralement sur le sentiment religieux. D’une part, la crise progressive des grands idéaux « athées » et leur expression politique a favorisé le retour du religieux sous des formes plus exacerbées (fanatisme et intégrisme religieux) plus individualisées voire individualistes (interprétation personnelle de la spiritualité) et parfois totalement nouvelles (l’émergence des sectes), d’autre part, elle a permis à la religion, notamment à ses plus hauts représentants, de s’insérer et d’intervenir dans des domaines qui ne lui étaient plus – ou moins – réservés : la politique culturelle, sociale et internationale. L’immigration, phénomène nouveau en Italie ayant nourri de très nombreux romans, a aussi participé à la reconfiguration du paysage religieux italien où se côtoient désormais, de manière plus ou moins heureuse, de nombreuses religions. On assiste ainsi à une forme de métissage, non seulement linguistique et culturel mais aussi religieux (comme l’illustre l’article d’Alessandro Pannuti qui propose une analyse très complète des textes d’écrivains migrants écrits en langue italienne). Ce sont ces transformations qui nourrissent le cœur de ce volume mais aussi des questionnements plus vastes sur la définition de la religion, du religieux, de la religiosité, de la foi, du sacré.
3La place du religieux dans la société italienne contemporaine peut être traité par le biais de la mémoire et de l’autobiographie – citons, à titre d’exemple, l’article de Maryline Maigron qui montre l’importance de la religion dans l’enfance/formation de deux femmes écrivains : Rosetta Loy et Fabrizia Ramondino ou l’article sur la vie de Luigi Pintor de Leonardo Casalino ou encore l’article de Sophie Nezri-Dufour illustrant, à travers la lecture d’un roman d’un auteur à la religion « mixte », Alessandro Piperno, ce que signifie être juif aujourd’hui en Italie. D’autres auteurs dénoncent les dangers liés à certaines pratiques religieuses extrémistes en convoquant des faits historiques plus lointains – comme le montrent Stefano Magni, Franco Manai et Hanna Serkowska dans leurs analyses de l’œuvre de Vassalli relatant les crimes perpétrés par le fanatisme religieux au temps de l’Inquisition. D’autres écrivains traitent le thème de la religion à travers la spécificité de certains espaces symboliques (voir l’article de Luciano Curreri sur les romans d’Eraldo Affinati et Dante Maffia) ou de la dimension folklorique et magique de certains lieux (comme le montrent les articles, ayant pour thème central l’insularité, de Flaviano Pisanelli sur Silvana Grasso ou de Maria G. Vitali-Volant sur les nouvelles de Giuseppe Bonaviri). Certains auteurs choisissent l’allégorie ou la fiction pour montrer leur opposition à toute forme de retour du cléricalisme comme Leonardo Sciascia, Aldo Nove et Guido Morselli, dont les textes sont analysés respectivement par Lise Bossi, Chiara Lombardi et Pierre Laroche, ou s’interrogent sur la possibilité d’une réécriture des Évangiles aujourd’hui (voir l’analyse d’Elisabetta Lo Vecchio).
4La religion est aussi un thème qui permet à l’écrivain de se questionner sur sa propre religiosité, son rapport à la morale ou au sacré. On retrouve cette idée chez des auteurs qui revendiquent leur propre athéisme, qui dénoncent avec virulence le rôle des institutions ecclésiastiques, les dangers du fanatisme tout en étant profondément fascinés par le religieux qu’ils convoquent en se référant aux Écritures, en valorisant les aspects positifs de certaines pratiques religieuses ou en mettant en scène des personnages bibliques. C’est bien sûr le cas de Pasolini – auteur privilégié par Alessandro Bosco, Lisa El Ghaoui et Silvia Giuliani – qui dénonce la désacralisation progressive du monde contemporain et recherche les dernières manifestations du sacré dans « l’enfer » du capitalisme, ou d’Erri De Luca qui, tout en se déclarant agnostique, peut être défini comme un auteur « en quête de foi », comme l’illustrent les analyses de Jean-Claude Zancarini et Nicolas Bonnet. Antonio Tabucchi, Gianni Celati et Gesualdo Bufalino font aussi partie de ces auteurs anticléricaux fascinés par les questions du mystère et de l’au-delà (voir l’article de Charles Klopp et celui de Fabrice De Poli sur l’œuvre de Tabucchi). D’autres approches enfin sont davantage philosophiques voire scientifiques (comme l’article de Tiziana Piras sur Giuseppe O. Longo) ou s’ouvrent vers d’autres religions (le bouddhisme par exemple, comme le montre Claudia Nocentini au sujet de Calvino). La confrontation de certains auteurs au thème du religieux n’est pas sans soulever de nombreux paradoxes pouvant aboutir jusqu’à des crises de conscience (comme le montre Filippo Fonio dans son analyse de l’œuvre de Franco Cordero ou encore Bruno Mancini dans sa lecture de la crise vécue par le personnage de sœur Severina chez Ignazio Silone).
5Les textes regroupés dans ce volume permettent ainsi de mieux comprendre les problématiques de la société italienne de ces trente dernières années par le biais des rapports entre littérature et religion et de saisir les multiples paradoxes qui sont rattachés à la question du religieux : critique virulente des institutions religieuses d’une part et d’autre part une réelle fascination pour les textes ou pratiques sacrées.
Pour citer cet article
Référence papier
Lisa El Ghaoui et Filippo Fonio, « Avant-propos », Cahiers d’études italiennes, 9 | 2009, 9-11.
Référence électronique
Lisa El Ghaoui et Filippo Fonio, « Avant-propos », Cahiers d’études italiennes [En ligne], 9 | 2009, mis en ligne le 15 janvier 2011, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/179 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.179
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