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Des portraits portés ? Genre, race et camées dans le Cinquecento italien

Wearable Portraits? Gender, Race and Cameos in the Italian Cinquecento
Ritratti indossati? Genere, razza e cammei nel Cinquecento italiano
Alix Kazubek

Résumés

Cette étude se concentre sur l’objet-ornement qu’est le camée dans le cadre du xvie siècle italien, en s’interrogeant sur les finalités d’un objet sur lequel se trouvent des portraits de femmes, notamment de femmes noires. À cette époque des « Grandes Découvertes », le rapport à l’Autre évolue jusque dans les arts visuels. Les sujets de l’iconographie des Noir·e·s et de l’histoire des camées sont ainsi présentés avant de se concentrer sur la production de l’atelier Miseroni. Ce dernier, entre Milan et Prague, a produit différents camées de femmes noires qui finirent dans la collection de Rodolphe II. L’article se veut une approche de l’usage de ces objets et des fonctions qui leur sont attribuées.

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Texte intégral

1. Un sujet moderne : ut gemmaria pictura ?

  • 1 Voir P. Bonte et M. Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, Presse (...)
  • 2 E. Panofsky, La vie et l’art d’Albrecht Dürer, traduit par D. Le Bourg, Paris, Hazan, 2012.
  • 3 J. Jamin, « La règle de la boîte de conserve », L’Homme, no 170, Espèces d’objets, avril-juin 1985, (...)
  • 4 T. Bonnot, « Anthropologie et culture matérielle : que faire des choses ? », dans L. Bourgeois et a (...)
  • 5 La glyptique est l’art de tailler les pierres fines ou précieuses, en creux (intailles) ou en relie (...)

1En histoire de l’art, « objet d’art » désigne une œuvre d’art ornementale coûteuse, habituellement tridimensionnelle. L’objet d’art désigne ainsi les arts décoratifs, incluant alors le travail du métal, de la porcelaine, du verre, de l’émail, les figurines, les gemmes gravées, mais aussi les tapisseries et les antiquités, les livres et leurs couvertures. Dans cette acception, l’objet d’art est fréquemment un objet de luxe. Au contraire, les anthropologues parlent d’objet d’art avant tout comme d’un produit matériel auquel on applique la notion d’art. Ils y attachent aussi bien le porte-bouteille de Marcel Duchamp (visuellement identique à son homologue industriel), qu’une toile d’amateur, un panier amérindien, une peinture pariétale, une voiture soumise au tuning ou un jardin modelé à la française. Néanmoins, ces deux définitions de l’objet d’art se rejoignent à travers celle de l’historien de l’art Erwin Panofsky (1892‑1968). Celui‑ci mobilise une forme de double articulation qui lui permet d’affirmer que « l’étude du rapport que chaque culture entretient entre ces deux aspects de la notion d’art — entre certaines formes de connaissances et certaines techniques de conception et de production d’images — constitue l’objet de l’anthropologie de l’art1 ». Erwin Panofsky proposait de définir l’art comme l’ensemble de règles et techniques que la pensée doit mettre en œuvre pour atteindre la connaissance et représenter le réel, mais aussi comme la capacité consciente et intentionnelle de l’homme de « produire des objets de la même façon que la nature produit des phénomènes2 ». L’objet devient alors un échantillon de civilisation qui « ne peut ni mentir ni se tromper3 ». Ce n’est donc pas tant l’objet en tant que tel qui est intéressant, mais sa production et ses usages puisqu’il appartient à un système et n’existe pas en dehors de lui. En outre, la culture matérielle ne peut jamais s’exempter d’immatériel4. C’est sous cette lumière que notre intérêt s’est porté vers de petits objets issus de l’art de la glyptique5, produits durant l’ère moderne. Leur réalisation consiste en la taille en relief de pierres fines qui présentent des strates de différentes couleurs. Destinés à être portés ou à entrer dans des collections, ce sont de petits objets en pierre taillée : les camées.

  • 6 Voir M. Bimbenet-Privat, F. Doux et P. Palasi (dir.), Orfèvrerie de la Renaissance et des Temps mod (...)
  • 7 B. J. L. van den Bercken et V. C. P. Baan (dir.), Engraved Gems. From Antiquity to the Present, Ley (...)

2Relativement délaissé en histoire de l’art malgré son omniprésence, cet art de la gravure a pourtant une longue histoire. Ces bijoux sont des créations dont l’importance et le succès sont semblables, parfois supérieurs, à la peinture. Des artistes comme Albrecht Dürer, Hans Holbein le Jeune ou encore Michel-Ange et Giulio Romano dessinent pour des œuvres de joaillerie et s’y intéressent vivement6. Son origine antique était bien connue au xvie siècle, et la technique de gravure, entre l’Antiquité et la Renaissance, avait peu évolué7. Malgré cela, les collectionneurs ont continué de privilégier les camées anciens, une tendance qui s’est poursuivie jusqu’au xixe siècle. Pourtant, les graveurs travaillaient sur les mêmes supports et employaient les mêmes techniques que les graveurs antiques, bien qu’avec des outils différents. Comme dans d’autres arts à cette période, l’objectif de ces artisans n’était pas d’imiter les Anciens, mais de les surpasser. C’est pourquoi Giorgio Vasari (1511‑1574), valorise dans Les Vies le talent de ses contemporains dans l’art de la glyptique tout en soulignant la difficulté technique due à une manipulation à l’aveugle de la couleur naturelle de la pierre. Dans son chapitre dédié aux graveurs Valerio Vicentino (1468‑1546), Giovanni Bernardi (1494‑1553) et Matteo dal Nasaro Veronese (1485‑1548), Giorgio Vasari introduit leurs biographies par un paragone avec l’Antiquité :

  • 8 Traduction personnelle. G. Vasari, Valerio Vicentino, Giovanni da Castel Bolognese, Matteo del Nasa (...)

Puisque les Grecs furent si divins dans la gravure des pierres orientales et travaillèrent si parfaitement la taille des camées, je commettrais une énorme erreur si je passais sous silence ceux de notre époque qui ont imité ces merveilleux esprits. On sait bien que parmi nos Modernes, il n’y en a eu aucun, qui, dans cette heureuse époque, ait surpassé les Anciens en délicatesse et en dessin, sauf peut‑être, ceux dont nous allons rendre compte […]8.

  • 9 R. Gennaioli (dir.), Pregio e bellezza. Cammei e intagli dei Medici, Florence, Sillabe, 2015, p. 14
  • 10 Voir N. Dacos, A. Giuliano, D. Heikamp et U. Pannuti, Il Tesoro di Lorenzo il Magnifico, vol. I : L (...)

3L’intérêt de ces ouvrages pour ses contemporains de haut rang, tels que les papes ou encore l’élite médicéenne, contribue au prestige de la gravure des pierres et de la joaillerie sous sa plume. Il choisit comme exemple les Médicis qui acquirent le prestigieux patrimoine du pape Paul II9, après sa mort en 1471. Laurent de Médicis fit inscrire la forme latine abrégée de son nom dans plusieurs de ces bijoux, intégrant sa personne comme un élément de leur histoire. À sa mort en 1492, l’inventaire de ses collections évaluait ses plus grands camées à plusieurs fois la valeur de ses meilleurs tableaux de Sandro Botticelli10. L’importance de ces objets est donc loin d’être négligeable.

  • 11 Dans plusieurs portraits de Gerard van Honthorst, elle a choisi d’être représentée à l’antique, sou (...)
  • 12 Voir P. von Stosch, Gemmae antiquae caelatae, scalptorum nominibus insignitae. Ad ipsas gemmas, aut (...)
  • 13 B. J. L. van den Bercken et V. C. P. Baan (dir.), ouvr. cité, p. 119. Il est important de rappeler (...)

4À cette même période, la copie des camées antiques les plus admirés est plus que fréquente : sculptés sur les portails, peints dans les marginalia des manuscrits enluminés, coulés sur des plaquettes de bronze, cette pratique de la copie des camées leur a permis une circulation aisée en Europe jusqu’au début de l’imprimerie, créant ainsi une forme plus abordable de ces petits objets de luxe pour des collectionneurs moins fortunés. Le phénomène est effectivement européen. Les Flandres abritaient des personnalités tout aussi émerveillées par ces pierres taillées comme Gronovius, Cuperus et Cannegiter, mais aussi des artistes comme Peter Rubens et, bien sûr, des membres de la royauté et de l’aristocratie. Une grande variété de collectionneurs présents dans les Pays‑Bas du xvie siècle est bien connue, mais elle n’a pour l’heure, à notre connaissance, pas fait l’objet de recherches et d’études aussi approfondies qu’elles pourraient l’être. Par la suite, au xviie siècle, ce sont davantage les collections des couronnes française et autrichienne qui se sont consolidées, même Amalia van Solms (1602‑1675), princesse d’Orange par alliance avec Frederik Hendrik des Pays‑Bas, fut considérée comme la plus grande collectionneuse de bijoux de son temps11. Au xviiie siècle, le phénomène concerne davantage les collectionneurs britanniques qui découvrent les camées à l’occasion du Grand Tour à Rome. Une science du camée se développe sous les Lumières ; par exemple, en 1724, le baron Philipp von Stosch publie une forme d’encyclopédie de toutes les gemmes portant des signatures grecques dont il avait connaissance12. Ce développement de l’érudition a paradoxalement favorisé les falsifications glyptiques généralisées, qui se sont poursuivies pendant une bonne partie du xixe siècle13.

  • 14 Voir V. Farinella, Archeologia e pittura a Roma tra Quattrocento e Cinquecento. Il caso di Jacopo R (...)

5Cet objet très prisé pouvait supporter des représentations très variées. Durant le Moyen Âge tardif, ces œuvres conservées dans les dépôts de sculptures médiévaux, c’est-à-dire dans les trésors des églises et des monastères, servaient à orner des objets liturgiques et dévotionnels. Les institutions religieuses médiévales abritaient de grandes quantités de camées classiques et de pierres gravées dans des reliquaires précieux. Les représentations qu’on y trouvait étaient par conséquent principalement religieuses, et avaient une fonction apotropaïque. Au xvie siècle, suivant l’exemple des peintres et des sculpteurs, les sculpteurs de pierres précieuses se sont consacrés à la réintégration des sujets et des formes classiques, dont les portraits de profil qui gagnèrent en popularité grâce à la réémergence des médailles antiques14. Plus tard, les camées baroques ont privilégié les grandes formes et les effets éclatants, et les sujets religieux. Mais cette période a également consolidé le goût savant pour certains types de camées classiques, notamment les bustes des Césars, qui s’est prolongé jusqu’au xixe siècle.

  • 15 Les objets étant relativement délaissés dans les études francophones, nous nous fions principalemen (...)
  • 16 Quelques chapitres existent au sujet des représentations noires sur les camées, mais sont relativem (...)
  • 17 Les petites pierres en anneau pouvaient être conservées dans des dactylothèques et les plus grandes (...)

6Si l’on trouve de nombreux camées représentant des femmes, on trouve aussi durant le Cinquecento une production de camées représentant des personnes noires des deux sexes. À la vue de l’histoire du camée, ces représentations peuvent surprendre. Ces objets, relativement rares et peu étudiés15, d’autant plus en rapport avec les concepts de genre et de race16, ont des fonctions bien précises qu’il nous faut analyser. Cela implique d’établir l’iconologie des Noir·e·s dans l’Europe de la Renaissance à travers l’étude des arts visuels et comment elle s’applique au sein de cet art joaillier. De fait, la fonction du portrait en plus de celle du camée et de leurs symboliques intrinsèques doit être prise en compte. Bien qu’entre xve et xixe siècle, la plupart des camées étaient conservés dans des cabinets de collectionneurs, sertis de manière simple, nombre d’entre eux étaient destinés à être portés en pendentif ou sur un couvre-chef17. Plusieurs interrogations se posent : pourquoi réaliser ces portraits si coûteux et si difficiles d’exécution ? Quel était l’objectif de ces demandes, visiblement assez nombreuses, d’objets-portraits ? Mais aussi, comment expliquer ce phénomène bien présent au Cinquecento de la représentation de femmes noires sur ces camées ? Comment comprendre ces objets au prisme des représentations qu’ils portent ?

7Pour répondre à ces problématiques, nous restituerons brièvement la présence noire dans les portraits du xvie siècle italien, à travers l’exemple du Portrait de Laura Dianti. Ensuite, nous évoquerons l’histoire des formats et fonctions de ces bijoux avant de nous consacrer à l’étude de quelques camées produits par l’atelier milanais Miseroni à partir de 1580.

2. Art, genre et race dans l’Italie du Cinquecento

2.1. Représenter : la présence noire dans les œuvres du xvie siècle

  • 18 G. Fauconnier et N. Ver-Ndoye, Noir. Entre peinture et histoire, Paris, Omniscience, 2018, p. 7.
  • 19 V. I. Stoichita, L’image de l’Autre : Noirs, Juifs, Musulmans et « Gitans » dans l’art occidental d (...)
  • 20 J.-M. Courtès, « Traitement patristique de la thématique “éthiopienne” », dans J. Devisse et M. Mol (...)
  • 21 Les poètes italiens baroques y feront directement référence comme le Tasse ou Giambattista Marino d (...)

8En Occident, le mot « Noir⸱e » désigne « les personnes à la peau foncée », sans référence à une ascendance d’Afrique noire connue18. De ce fait, le terme désigne principalement la caractéristique physique qu’est la carnation. Dès le début de l’ère chrétienne, les théologiens s’interrogent, par exemple, sur le devenir du corps noir lors de la Résurrection19, ou sur l’appartenance ou non des Éthiopien·ne·s bibliques dans une fraternité chrétienne20. Le Cantique des Cantiques (1, 5), livre de la Bible hébraïque21, suscite particulièrement leur intérêt puisqu’on y trouve la présence de l’épouse noire de Moïse, qui aborde d’elle‑même le sujet de la couleur de sa peau :

  • 22 La Bible de Jérusalem, traduit par l’École biblique de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf, 1998, p. (...)

Je suis noire, mais je suis belle, filles de Jérusalem,
Comme les tentes de Kédar, comme les pavillons de Salomon.
Ne prenez pas garde à mon teint noir : c’est le soleil qui m’a brûlée.
Les fils de ma mère se sont irrités contre moi,
Ils m’ont faite gardienne des vignes.
Ma vigne, à moi, je ne l’ai pas gardée
22.

  • 23 À ce sujet, voir E. Vagnon, « Comment localiser l’Éthiopie ? La confrontation des sources antiques (...)
  • 24 Le mythe de Chariclée issu des Éthiopiques a été étudié par Victor I. Stoichita dans L’image de l’A (...)
  • 25 Sur le cas français, voir E. Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la (...)
  • 26 La Bible de Jérusalem, ouvr. cité, p. 42.
  • 27 L’auteur aborde la question dans deux livres distincts et offre une synthèse des textes antiques au (...)
  • 28 À ce sujet, voir P. H. D. Kaplan, The Rise of the Black Magus in Western Art, Ann Arbor, UMI Resear (...)

9Origène relève que sa couleur de peau est un accident causé par sa propre négligence, ce qui la distingue des Éthiopien·ne·s23. Elle blanchit à l’approche du prophète, transformation d’un symbolisme évangélique et colonial manifeste. Le docteur de l’Église saint Jérôme, lui, y lit la conversion de l’âme sur le plan des désirs sexuels. L’âme, représentée par la jeune femme, quitte la maison de son père infidèle, se marie et change ainsi de chaperon : par le bon mariage, elle ne fait plus qu’un avec Dieu et se trouve corporellement transformée, devenant blanche24. L’imaginaire médiéval entretint l’idée de la peau foncée comme signe de perfidie et d’une « race maudite » — se référant alors au concept de famille ou de groupe social plutôt qu’au concept contemporain25 — ayant comme origine biblique l’épisode de l’ivresse de Noé dans la Genèse26. Par la suite, cette « race maudite » conquit le Moyen‑Orient et regroupa plusieurs peuples, qu’Isidore de Séville baptise comme Éthiopiens dans le livre IX (2, 127) des Étymologies27. Or, si les Noir⸱e·s sont bien présents dans les Écritures saintes, cela ne signifie pas qu’iels soient accepté⸱e·s entièrement par la christianistas. Afin d’encourager l’assimilation religieuse des personnes noires se développe dès le xive siècle un imaginaire du Noir chrétien28, à travers l’iconographie de saints noirs comme saint Maurice, particulièrement populaire en Allemagne, et plus généralement à travers les rois Mages et leurs cortèges.

  • 29 M. Tymowski, « Les Européens au sujet des Africains lors des premières expéditions portugaises (xve(...)
  • 30 Ibid., p. 203.

10Ainsi, un certain nombre de stéréotypes sur la peau noire est déjà bien ancré durant la période moderne. La filiation entre les Noir⸱e·s, l’Islam et la polygamie29 a sans doute paru suffisante pour associer les peuples noirs à l’hypersexualité, surtout comparée à celle, bridée et refoulée, des Européen·ne·s. Cette association se trouve soutenue par la théorie aristotélicienne des humeurs : si les Noir⸱e·s, sont « chauds » à cause de leurs origines subsahariennes, leurs habiletés physiques, leurs appétits sexuels et leurs appareils génitaux deviendraient démesurés. Les récits de voyage vont également dans ce sens. Dans la compilation de récits de voyage de Ramusio publiée en 1550, on trouve la Description de l’Afrique achevée en 1526 de Muhammad al Wazzan dit Léon l’Africain où il indique une forte lascivité des femmes noires et la démesure de leurs organes génitaux, causés par la chaleur, en y percevant une vie sans limites morales et une habileté physique supérieure30. Pourtant, cette perception n’est pas présente dans l’art italien du xvie siècle, bien que l’on y trouve tout de même de nombreuses femmes noires peintes. Du moins, elle n’y est pas explicite.

  • 31 W. Bronwen, « The Renaissance Portrait: From Resemblance to Representation », dans J. J. Martin (di (...)
  • 32 Voir F. Jacobs, The Living Image in the Renaissance, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

11La croyance traditionnelle au sujet des portraits de la Renaissance, selon Bronwen Wilson, était que « la mimesis permettait à l’image d’exprimer l’âme ou le character du portraituré31 ». Cependant la mimésis n’était pas le but véritable de l’artiste lorsqu’il peignait son modèle. Ce qui conférait une âme, ou anima, à la personne portraiturée, n’était pas une ressemblance exacte, mais plutôt le sentiment de vie telle qu’il était dépeint avec succès par l’artiste. Fredrika Jacobs définit la vraisemblance comme la capacité des images à paraître réelles et à donner l’impression qu’elles peuvent sortir du plan de l’image32. Autrement dit, elle affirme que le portrait de la Renaissance mettait l’accent sur la représentation de la vie plutôt que sur la ressemblance. Pareillement, selon David Summers, l’objectif des portraits de la Renaissance en général était de montrer au spectateur plus qu’une simple ressemblance physique :

  • 33 D. Summers, The Judgment of Sense: Renaissance Naturalism and the Rise of Aesthetics, Cambridge, 19 (...)

Les images de la Renaissance étaient censées nous faire voir plus que ce que l’on nous montre et, plus précisément, nous faire voir quelque chose de plus élevé que ce que l’on nous montre. Nous voyons une intériorité spirituelle supérieure dans les formes extérieures… Le modèle apparent d’un portrait de la Renaissance était donc une apparence extérieure montrant une vérité intérieure33.

  • 34 À ce sujet, voir L. Bugner (dir.), L’image du Noir dans l’art occidental, vol. I : Des pharaons à l (...)

12Dans ce cadre, il convient de souligner ce qu’il en est de la représentation des Noir·e·s dans l’art occidental — attestée depuis l’Antiquité34 — pour comprendre davantage les idées qui y sont projetées.

  • 35 Voir A. Higonnet, « Renommer l’œuvre », dans C. Debray et al. (dir.), Le Modèle noir : de Géricault (...)
  • 36 P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », dans D. Bindman et G. H. L. Jr Gates (dir.), The Image of th (...)
  • 37 Ibid. ; voir également P. H. D. Kaplan, The Rise of the Black Magus in Western Art, ouvr. cité.
  • 38 Id., « Titian’s ‘Laura Dianti’ and the Origin of the Motive of the Black Page in Portraiture (1, 2) (...)
  • 39 Id., « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 130.
  • 40 A. L. Childs et S. H. Libby (dir.), The Black Figure in the European Imaginary, Floride, The Truste (...)

13Au xvie siècle apparaît le portrait le plus détaillé de l’ère moderne : le Portrait de Katharina réalisé par Albrecht Dürer en 1518. Daté, signé, d’une précision rare, il s’agit peut‑être du seul portrait de femme noire dont on peut nommer la portraiturée avant le xviiie siècle35. Compris la plupart du temps comme un dessin destiné à servir de modèle pour d’autres œuvres, la jeune femme y est représentée habillée en servante, les yeux baissés, et l’expression triste. Si elle est la seule Noire portraiturée avec autant d’attention à cette période, de manière plus générale, on trouve une abondance de figurations d’enfants ou de jeunes adolescents noirs dans la peinture vénitienne36. Entre les années 1540 et 1580, il existerait à notre connaissance quatre-vingt-dix œuvres de peintres vénitiens contenant des figures noires (hors Adoration des Mages37). Parmi eux, c’est Véronèse qui en représente le plus à travers la figure du page ; à titre d’illustration, les Noces de Cana comptent cinq enfants ou adolescent·e·s noir·e·s, servant le banquet et Le Repas chez Lévi (1573) n’en comporte pas moins de huit. Dans les œuvres de Bonifazio de’ Pitati, Jacopo Robusti dit le Tintoret, Dosso Dossi, Jacopo Bassano et, bien sûr, de Véronèse38, les figures individualisées sont assez marginales mais, ensemble, donnent l’effet d’une présence noire consistante qui perdura dans la peinture vénitienne jusqu’au xviiie siècle39. Les pages, des jeunes gens attachés au service soit d’un roi, soit d’un seigneur, soit d’une grande dame, ont pour mission de servir d’escorte et d’effectuer le service d’honneur40.

  • 41 P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 128.
  • 42 R. M. San Juan, « The Court Lady’s Dilemma: Isabella d’Este and Art Collecting in the Renaissance » (...)
  • 43 Cela est si connu qu’en 1497 le gouvernement vénitien envoie un « roi noir » des îles Canaries à la (...)
  • 44 P. Bettella, « The Marked Body as Otherness in Renaissance Italian Culture », dans L. Kalof et W. B (...)
  • 45 P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, no 2, p. 13.

14Si leur nombre paraît élevé, c’est qu’il est proportionnel à l’intérêt des cours du nord de l’Italie qui s’est développé et intensifié à partir des années 1470 pour les pages de couleur41. Ils deviennent des cadeaux d’échange entre nobles. Cette mode est, comme nous l’avons vu par le cas d’Isabelle d’Este42, particulièrement présente à la cour de Mantoue43, mais aussi de Ferrare par les liens étroits qui liaient les familles Este et Sforza. Le duc de Mantoue demande à son agent d’en acheter un pour la Dame Montpensier et Andrea Doria en donne deux au duc en signe de gratitude44. Or, à cette période émergent également les portraits où la figure principale est accompagnée d’une figure annexe — un serviteur, une esclave ou un nain — deviennent populaires au cours du Cinquecento. Il ne s’agit pas d’un double portrait pour autant, car les figures annexes y sont subsidiaires, leurs visages sont régulièrement cachés au spectateur. Et c’est le cas d’un motif iconographique instauré par le peintre vénitien Tiziano Vecellio, dit le Titien, lors qu’il peint le Portrait de Laura Dianti lors de son passage dans les années 1520 à Ferrare45. Mais qui est‑elle et pourquoi ce motif apparaîtrait‑il dans ce contexte ?

2.2. Le portrait de Laura Dianti du Titien : le page noir, un accessoire identitaire ?

  • 46 A. Luzio et R. Renier, « Buffoni, nani e schiavi dei Gonzaga ai tempi d’Isabella d’Este », Nuova an (...)
  • 47 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 134.
  • 48 Cité par Id., « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 13.

15C’est à la lumière de sa biographie toute particulière et du contexte ferrarais qu’il est possible de comprendre l’apparition du motif iconographique du page noir. Les cadres ferrarais et mantouan étaient très friands de serviteurs noirs. En effet, en plus d’une « passion » pour les nains46, Isabelle d’Este atteste, par exemple, d’un très grand désir d’avoir dans sa cour la fille « la plus noire possible » que son agent pourrait trouver à Venise dans la lettre qu’elle lui envoie le 1er mai 149147. Elle souhaite une enfant à la carnation très noire entre un an et demi et quatre ans. Elle possède d’ailleurs déjà une autre jeune fille noire qui, selon elle, « deviendra la meilleure bouffonne du monde48 ».

  • 49 Traduction personnelle. Le texte original est : « Nui anchora non poteressimo esser più satisfacte (...)

Notre moretta [petite maure] ne saurait nous donner plus grande satisfaction, excepté si elle eût été plus noire, car ayant été dans le principe un peu dédaigneuse elle est devenue si agréable en paroles et en actes, que nous estimons qu’elle fera la meilleure bouffonne du monde49.

  • 50 P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 15.
  • 51 G. Chastenet, Lucrezia Borgia, 1995, Buenos Aires, Javier Vergara Editorial, p. 200. L’interdiction (...)
  • 52 Cité dans P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 11 ; Archivio Segreto Estense (...)
  • 53 J. Byars, Informal Marriages in Early Modern Venice, New York, Routledge, 2019, p. 9.
  • 54 P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 11.

16La duchesse poursuit sa recherche de jeunes filles noires, ainsi que de jeunes garçons ; les archives de la famille Gonzague mentionnent de nombreux·ses Noir·e·s au service de différents membres de la famille, au point peut‑être de devenir un attribut de leur cour50. Cependant, Isabelle d’Este n’était pas la seule femme de cette période à écrire sur des enfants noirs et à leur témoigner un intérêt tout particulier. La première épouse de son fils Alphonse d’Este, Anna Sforza, avait pris l’habitude de dormir avec une jeune esclave noire pour qui elle s’était prise d’affection, malgré l’interdiction qui en était faite51. Lorsque celle‑ci mourut en 1497, elle ne laissa pas d’héritier à son mari qui prit pour seconde épouse Lucrezia Borgia, laquelle décéda en 1519. Dès lors, Alphonse d’Este entama une relation publique avec la fille d’un chapelier de Ferrare, Laura Dianti. Si certains historiens interprètent la citation de Giorgio Vasari selon laquelle Laura était « après tout l’épouse du duc » comme la preuve d’un mariage hypothétique52, il paraît important de rappeler que le mariage en période prétridentine ne produisait pas de documentations systématiques : il s’agissait possiblement davantage de ce que nous nommons aujourd’hui du concubinage53. Laura Dianti, devenant alors une figure publique de la famille Este, connut une célébrité et une respectabilité croissante, au point que les membres les plus importants de la cour ferraraise assistèrent en 1574 à ses funérailles54.

  • 55 Ibid., p. 17. Eustochium (368‑419) est en effet une sainte chrétienne romaine, qui a guidé saint Jé (...)
  • 56 S. Malaguzzi, Oro, gemme e gioielli, Milan, Mondadori Electa, 2007, p. 313.
  • 57 J. Cartwright, Isabelle d’Este. Marquise de Mantoue, 1474‑1539, traduit par E. Schlumberger, Hachet (...)
  • 58 R. Goffen, Titian’s Women, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 63.
  • 59 Ibid.
  • 60 P. Tinagli, Women in Italian Renaissance Art: Gender, Representation, Identity, Manchester, Manches (...)

17Dans le portrait que Titien réalise aux alentours de 1523‑1525 (ill. 1), cette jeune femme nous est montrée sur fond brun. Elle est brune, vêtue d’une robe bleue aux détails et au voile doré. Son couvre‑chef, doré également, est orné de perles blanches et dorées ainsi que d’un camée. À l’intérieur, une figure peu lisible, mais vêtue de rouge, ferait allusion à saint Jérôme et au nom donné à Laura Dianti, Eustochia. Cela constitue, tout d’abord, une référence à l’antique55, mais aussi, grâce à cette utilisation de l’image dans l’image, un outil qui permet aux portraitistes de révéler la « vérité intérieure » du modèle. Un camée dans un portrait pouvait représenter les valeurs du modèle et démontrait les compétences et l’habileté de l’artiste. En effet, certains camées avaient fonction d’enseignes56, dérivées de celles de pèlerinage. De la sorte, dans le Portrait de Laura Dianti, si l’enseigne de sa coiffure est bien saint Jérôme, il implique que la jeune femme l’avait en exemple de piété, s’alignant sur la figure d’Isabelle d’Este qui avait lu tous les Pères de l’Église57. Ainsi, Laura Dianti affirme son statut de membre de la famille Este par la présence de ce bijou. Cela se confirme par la présence d’un jeune chaperon noir au costume rayé et aux cheveux crépus très courts. Le page, par son menton légèrement relevé, invite le spectateur à constater la vertu de sa dame : il agit ici comme « accessoire humain » capable de valoriser l’image de sa maîtresse par sa veste rayée extravagante, sa boucle d’oreille en or et sa peau noire, qui offre un contraste important avec la pâleur de sa dame58. Selon Rona Goffen, il découragerait un regard inapproprié sur son image : malgré l’évidente sensualité qu’elle dégage pour un moderne, elle est chaperonnée de son page, qui lui tient ses gants59. Laura Dianti s’oppose à son page par sa taille, sa blancheur, son genre et son nez droit mis en valeur par la lumière provenant de la gauche de la scène. Relevant attentivement sa robe d’une main, elle indique être ouverte à la relation amoureuse avec le commanditaire60, Alphonse d’Este. De l’autre main posée sur l’épaule de ce page, elle signale que celui‑ci lui appartient, marquant ainsi sa promiscuité et son appartenance aux cours des familles Este et Sforza.

Illustration 1. – Tiziano Vecellio dit le Titien, Portrait de Laura Dianti, c. 1523.

Illustration 1. – Tiziano Vecellio dit le Titien, Portrait de Laura Dianti, c. 1523.

Huile sur toile, 119 x 93 cm. Kreuzlingen, Collection H. Kisters.

Titian, Public domain, via Wikimedia Commons.

  • 61 R. Goffen, ouvr. cité, p. 51.
  • 62 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 134.
  • 63 A. Luzio et R. Renier, art. cité, p. 145.
  • 64 Voir E. Pommier, Théories du portrait. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998.
  • 65 L. L. Carroll, M. L. Marshall et K. A. McIver (dir.), Sexualities, Textualities, Art and Music in E (...)

18De plus, la composition use de l’opposition du profil antique et du visage frontal pour narrer l’histoire du portrait et un discours sur le paragone entre peinture et sculpture61. Cette confrontation, plus claire dans La Schiavona peint par le même artiste, qui s’appuie sur un portrait d’elle‑même en marbre, de profil et d’inspiration antique, est effacée par le remplacement du profil de marbre par le page dans le Portrait de Laura Dianti. Subtilement, la composition insiste ainsi donc sur la connaissance de l’antique de la portraiturée, mais aussi sur la connaissance du mécénat d’Isabella d’Este et des œuvres qui la représentent. L’iconographie de la servante noire apparaît dans un dessin d’Andrea Mantegna qui représente Judith et la tête d’Holopherne (ill. 2). La communauté scientifique, soutenue par l’abondante documentation sur la fascination de la duchesse pour les Noir·e·s, s’accorde sur le fait que le dessin évoque Isabelle d’Este et une de ses servantes62. La duchesse/Judith s’y présente de profil, à l’image d’une statue antique. La servante est quant à elle subordonnée en taille et en âge, marginalisée au sein de la composition et s’oppose à la femme blanche devant elle par une présentation de trois quarts. Dans le Portrait de Laura Dianti, cette inversion de la composition a alors un double but : marquer l’appartenance au clan d’Este — à une époque où Isabelle d’Este vient d’acquérir une nouvelle servante noire (1522) et accueille Antonio Pigafetta à sa cour, principal survivant de l’expédition de Magellan63 — tout en démontrant ses compétences de dame de cour, par son adéquation aux nouvelles normes esthétiques du portrait64. Pour conclure sur ce portrait, si l’identité se forme par le regard des autres dans les cours de la Renaissance65, c’est ici le regard d’enfants noirs qui semble sceller l’affiliation à la famille des Este. En plus d’un « faire-valoir esthétique », le page noir devient une caractéristique de l’identité estense.

Illustration 2. – Andrea Mantegna, Judith mettant la tête d’Holopherne dans un sac tenu par sa servante, février 1491/1492.

Illustration 2. – Andrea Mantegna, Judith mettant la tête d’Holopherne dans un sac tenu par sa servante, février 1491/1492.

Gravure, 38,8 x 25,8 cm. Florence, Musée des Offices, Cabinet des dessins.

Public domain, via Wikimedia Commons.

  • 66 I. Hannaford, Race: The History of an Idea in the West, Baltimore, The John Hopkins University Pres (...)
  • 67 G. Berchet (éd.), ouvr. cité, p. 41‑42 ; P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women (...)
  • 68 Voir M. Masoero, « I mostri nella letteratura della scoperta », dans L. Secchi Tarugi (éd.), Disarm (...)

19Ce goût pour les serviteurs noirs est en effet directement lié à cette période de « Grandes Découvertes ». Le développement de la littérature de voyage en plus des stéréotypes déjà existants a amplifié l’association du continent africain avec l’abondance naturelle et la richesse, avec l’or et l’ivoire66. Les figures noires incarnaient donc la richesse, mais aussi la participation à cette « expansion du monde » dont Isabelle d’Este souhaitait faire partie, comme en attestent ses demandes répétées de récits de la part de voyageurs67. « L’exotisme » de la peau d’ébène et des cheveux sombres aux boucles serrées, mais aussi les supposées prouesses physiques et sexuelles attribuées aux Noir·e·s dans les écrits antiques et contemporains abondent dans cette littérature, ce qui a conduit à cette « mode »68 de l’emploi de jeunes Noir·e·s, domestiques ou esclaves, comme pages et servantes. La pratique est diffuse partout en Europe à la fin du xviie siècle et tout au long du xviiie siècle. Ce fait n’est donc pas propre à la maison Este, bien qu’il ait été particulièrement ostentatoire chez eux dès le xvie siècle.

  • 69 P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 104.
  • 70 Ibid.
  • 71 Voir A. Luzio et R. Renier, art. cité.

20Néanmoins, par le jeune âge des pages que nous avons vu dépeints, nous ne connaissons par leur genre. Les enfants et jeunes adolescent·e·s éveillent curiosité et affection69, alors que les adultes deviennent plus discrets au sein des cours et de ce fait, des œuvres70. La différenciation sexuée la plus évidente n’apparaissant qu’à la puberté, quand une forme de désintérêt croît à leur égard, la majorité des représentations concernent des individus quasi androgynes. Après l’adolescence, ces serviteurs prennent place parmi les autres serviteurs et les bouffons71. Cela souligne la précision de cet émerveillement occidental bien particulier. Au sein de l’héritage iconographique estense, ce n’est qu’en 1609 que Sante Peranda réalise le Portrait de Giulia d’Este et d’une servante pour le palais ducal de Mantoue, où nous voyons, potentiellement pour la première fois, une jeune servante noire clairement genrée dans un portrait. Pourquoi des femmes, clairement genrées, apparaissent plus tôt sur des camées ? En admettant qu’elles assument un rôle d’accessoire humain pour les personnes qu’elles servent, comment sont‑elles considérées quand elles sont elles‑mêmes transformées en objet à travers leur représentation sur des bijoux tels que les camées ?

3. Des portraits de femmes noires qui se portent ?

3.1. Format et fonctions

  • 72 J. Spicer, art. cité, p. 48.

21Entre le xve et le xixe siècle, la plupart des camées étaient vraisemblablement conservés dans des cabinets de collectionneurs, sertis de manière simple. Les petites pierres en anneau pouvaient être conservées dans des dactylothèques et les plus grandes, souvent munies de boucles, pouvaient être suspendues à des supports. Les pierres semi-précieuses sculptées, à l’aube du xvie siècle, tant anciennes que modernes, étaient appréciées comme de petites œuvres d’art ou incorporées dans une œuvre plus large ; un pendentif élaboré, une bague, une enseigne ou encore un récipient, voire une autre œuvre d’un autre atelier72.

  • 73 I. Wardropper, ouvr. cité, p. 9.
  • 74 J. Cartwright, ouvr. cité, p. 51. La Contre-Réforme et l’Inquisition ont découragé toutes affirmati (...)

22Dans ces collections, les créations virtuoses des artistes étaient jointes aux merveilles de la nature pour susciter un sentiment d’étrangeté et de merveilleux73, ce qui a permis de renforcer le statut de la joaillerie en tant qu’art. Dans le cas des camées, le travail de la pierre devient symbole de transformation, signifiée par la transformation de la matière. Une double curiosité s’applique : un émerveillement face à la beauté minéralogique et un autre face à la transformation de la pierre par la gravure. Selon Elizabeth Rodini, le camée est également un objet privé qui a une signification personnelle pour son propriétaire, notamment dans le cadre post-tridentin74. La représentation d’un camée dans le portrait était donc une manifestation des pensées et des désirs du modèle. Elles avaient pour but de révéler les caractéristiques de la personne qui les portait et d’agir comme talisman. Profanes, modestes ou luxueuses, les enseignes permettaient de former une communauté autour d’un motif exhibé en public ou d’éloigner le mauvais sort.

  • 75 J. Spicer, art. cité, p. 48.
  • 76 K. Lowe, « Visible Lives: Black Gondoliers and Other Black Africans in Renaissance Venice », Renais (...)
  • 77 E. Kris, « Notes on Renaissance Cameos and Intaglios », Metropolitan Museum Studies, vol. 3, no 1, (...)
  • 78 S. Ciminelli, Le rime di Serafino de’ Ciminelli dall’Aquila, vol. 1, Bologne, Romagnoli dall’Acqua, (...)

23Le sujet le plus populaire pour les camées sculptés à cette période est la tête humaine, parfois des portraits commandés, mais aussi des portraits types, mythologiques et exotiques75. De fait, les hommes et les femmes africain·e·s, décrits comme Maures dans les inventaires76, deviennent un sujet à la mode sur les pierres précieuses. Leurs profils, généralement réalisés en agate noire, semblent avoir été un des thèmes de prédilections de la joaillerie du Cinquecento et deviennent une caractéristique toute particulière de cet art77, quelle que soit leur qualité. À noter que le sujet permettait d’utiliser les strates de la pierre pour en faire ressortir un contraste chromatique et soutenir le talent du graveur. Plus encore, cette multiplicité des strates renvoyait également à une multiplicité des carnations et à « une variété de la nature » comme l’atteste le Talisman produit dans la seconde moitié du xvie siècle par l’atelier Miseroni, auquel est ajoutée la citation « Et per tal variar natura è bella » (ill. 3). Cette phrase est en réalité un vers de Serafino de Ciminelli, poète italien de la fin du xve siècle qui est, au siècle suivant, devenu un proverbe78. Bien que la citation soit d’abord interprétée comme ironique, l’ironie n’est pas une qualité associée aux pierres précieuses et la reconnaissance de la variété de la nature, de la diversité ethnique et de sa beauté n’est pas un cas unique à cet objet et ce contexte particulier.

Illustration 3. – Artiste milanais, Talisman ou Buste d’Africain de profil, 1550‑1600.

Illustration 3. – Artiste milanais, Talisman ou Buste d’Africain de profil, 1550‑1600.

Agate et or, 4,2 x 3,3 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, Camée.596.

<https://medaillesetantiques.bnf.fr/​ark:/12148/​c33gbfg25>.

  • 79 Sur la laideur à la Renaissance, voir O. Chiquet, Penser la laideur dans l’art italien de la Renais (...)
  • 80 P. Bettela, The Ugly Woman. Transgressive Aesthetic Models in Italian Poetry from the Middle Ages t (...)

24Cette idée se développera d’autant plus durant l’ère baroque où les femmes noires deviennent des sujets poétiques et produisent l’effet d’une meraviglia, d’une curiosité, sous l’œil blanc. Ces modèles marginaux face à l’idéal de beauté incarné par la muse de Pétrarque, Laura, deviennent à cette période exploitable : « la » femme noire, comme concept essentialiste tel que développé en Occident, renvoyait alors à la laideur79. C’est pourquoi les poètes et artistes baroques en ont fait l’effigie de leur virtuosité poétique80. Leur intention n’était pas de valoriser ces figures, mais de provoquer l’émerveillement et de glorifier leurs arts à travers une prouesse artistique. Rendre le laid beau.

25À la lumière de ces éléments, la question demeure : quelle signification est donnée à ces œuvres une fois portées, quand elles le sont ? Pour mieux comprendre cela, quelques cas de la production de l’atelier Miseroni, que nous venons de citer, nous paraissent particulièrement pertinents à étudier.

3.2. Les camées de l’atelier Miseroni

  • 81 Ottavio établit un atelier qui prospéra pendant plusieurs générations. Il était aussi connecté avec (...)

26L’atelier Miseroni est peut‑être l’atelier d’artisans lapidaires et de joailliers le plus étudié du fait de son succès au cours du xvie siècle. Originellement, l’atelier milanais est celui de Bernardo et Andrea Longhi de Leucho au xve siècle qui travaillait l’orfèvrerie. Ce sont leurs neveux, Girolamo et Gasparo Miseroni qui y ont introduit la cristallerie, permettant d’établir une réputation nouvelle grâce à leur maîtrise de la taille de pierres dures semi-précieuses à partir de la moitié du Cinquecento. Ils ont tout d’abord créé des vases élaborés dans ces matériaux, souvent associés à des montures en émail, mais également décorés de camées. Leur succès fut tel que l’on trouvait parmi leurs commanditaires Maximilien II et Rodolphe II de la dynastie des Habsbourg, mais aussi Côme Ier de la famille Médicis. Leur succès auprès de l’empereur du Saint‑Empire les mène à la cour de Prague, où les quatre fils de Girolamo Miseroni sont convoqués en 1588. L’un d’entre eux, Ottavio Miseroni, est alors nommé lapidaire officiel à la cour impériale et établit l’atelier dans cette ville81.

  • 82 J. Spicer, art. cité, p. 47.
  • 83 Ibid., p. 48. Cela est connu à travers son rôle commanditaire avec, par exemple, Arcimboldo qui a r (...)

27À une époque de développement du collectionnisme d’objet de luxes — dont ceux de petites dimensions, généralement déposés dans des cabinets d’arts et de merveilles —, l’inventivité des artisans et artistes était exigée. En cela, ils ont mobilisé et combiné des matériaux riches, inhabituels ou difficiles y compris ceux qui présentent naturellement des noirs et des bruns riches comme l’onyx, la sardonyx, le jaspe, l’agate, le marbre noir, le bois de rose, le bronze, le fer — avec la virtuosité et la nouveauté, qui à cette époque étaient souvent abordées par le biais de thèmes exotiques. En cela, la peau noire, et notamment le visage noir, est devenue un sujet particulièrement attrayant pour les artistes qui créent des objets au but ostentatoire82. D’autant plus ici, puisque l’empereur Rodolphe II était célèbre pour son goût de l’excentricité et sa curiosité dans tous les domaines83. Cette cour était un cadre particulièrement propice à la représentation et aux œuvres non ordinaires.

  • 84 Ibid.
  • 85 Ibid.

28Il existe ainsi plusieurs bustes de femmes noires issus de l’atelier de la famille Miseroni. Le plus ancien est attribué à Giovanni Ambrogio, et date des années 80 du Cinquecento, autrement dit, durant la période milanaise de l’atelier. Il s’agit du buste d’une femme noire regardant par‑dessus son épaule, taillé dans un onyx bariolé. Pour Joaneth Spicer, il s’agit là d’une des « représentations les plus étonnantes d’une personne d’ascendance africaine à la Renaissance84 ». Le cadre est ajouté une dizaine d’années après sa création par l’orfèvre de la cour de Prague, Hans Vermeyen. La pierre, composée de plusieurs strates colorées, a permis à l’artiste de faire ressortir la peau du visage par rapport aux vêtements que la représentée porte. Le blanc de la pierre permet ainsi de souligner la présence du visage aux traits visiblement noirs, soulignant le sens du naturalisme commun aux camées portant une tête de Noir·e85.

  • 86 Voir V. Conticelli, « Dea Natura, Diana Efesia e Diana Nera. Motivi iconografici nella committenza (...)
  • 87 La femme noire est un repenti de l’artiste selon le National Gallery Technical Bulletin, qui serait (...)
  • 88 C. Ripa, Della novissima Iconologia, Padoue, Tozzi, 1625, p. 162.
  • 89 On peut constater dans la mythographie du xvie siècle liée à la Déesse Mère l’apparition de figures (...)
  • 90 M. Zanchi, Sotto il segno di Diana. Tiziano, Palma il Vecchio e i misteri della Grande Dea, Bergame (...)
  • 91 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 125‑154 ; T. F. Earle e (...)

29Par la suite, l’atelier produit un Camée de Diane Noire (ill. 4), qui exhibe un profil classique aux traits caractéristiques des personnes noires dans l’art occidental. Présentée comme la déesse chasseresse Diane, elle porte un arc et possède un croissant de lune sur le haut de sa tête. Diane a été représentée de nombreuses fois sous les traits d’une femme noire, comme dans la fresque des Offices d’Antonio Tempesta et d’Alessandro Allori86, ou assistée par une femme noire, comme dans la toile du Titien de Diane et Actéon87. Liée à la nature par son statut de chasseresse, elle l’est aussi par le croissant de lune qui orne sa tête, attribut de l’inconstance, propre à une nature tantôt fertile tantôt mortifère. Ce même attribut se trouve en effet dans la représentation de l’Allégorie de l’Inconstance de Cesare Ripa88 (ill. 5). Aussi la couleur noire est‑elle anciennement associée à la terre fertile et à la Grande Déesse — divinité antique dont une tradition cultuelle survit au xvie siècle dans le nord de l’Italie89 — et au Ventre de la terre, marque la fécondité des femmes à la période moderne90. La présence d’une perle qui sert ici de boucles d’oreille suggère une symbolique tout à fait similaire, mais permet aussi de la distinguer de l’image d’une servante noire. La loi somptuaire les obligeait dans plusieurs régions au nord de l’Italie à porter un anneau doré pour marquer leur statut d’esclave91. De même, la croyance d’une hypersexualité des femmes noires, rapportée par les récits de voyage — particulièrement insistants sur la nudité et la taille des organes génitaux — est ici traduite par la présence d’un sein nu, rarement remarqué, sans doute du fait de son étrange posture. Cette femme de profil est ainsi triplement liée à la nature : par la technique du camée, par le travestissement mythologique et par les préjugés liés à la couleur de sa peau.

Illustration 5. – Giuseppe Cesari dit le Chevalier d’Arpin, Allégorie de l’Inconstance.

Illustration 5. – Giuseppe Cesari dit le Chevalier d’Arpin, Allégorie de l’Inconstance.

Gravure, dans Cesare Ripa, Della novissima Iconologia, Padoue, Tozzi, 1625, notice 162.

Usage personnel ou académique autorisé.

  • 92 Au sujet des portraits qui montrent des gemmes portées en pendentifs ou enseignes, voir K. F. Hall, (...)

30Entre 1575 et 1600, deux autres bustes de femmes noires en agate s’ajoutent à cette production. Le premier est un buste de Noire où celle‑ci, de trois quarts, nous présente un décolleté plongeant et un air sévère (ill. 6). Si elle paraît porter une chemise simple, le couvre‑chef qui orne sa tête — et qui laisse entrevoir ses cheveux crépus — semble orné de pierres précieuses, suggérant sa noblesse. Le second (ill. 7) s’avère relativement similaire : le buste issu de l’agate présente une expression dure, des cheveux légèrement découverts bien que sous une coiffe à laquelle sont attachées des perles, le décolleté est tout aussi important, si ce n’est plus, laissant un sein sortir de la tenue de la modèle. La différence majeure est l’introduction du mouvement induit par le voile, qui, grâce à la lumière, permet un contraste autre que celui de la pierre et insiste sur la tridimensionnalité de l’œuvre. Rien n’indique que ce camée ou les autres, tous encadrés de la même manière, conservés au Kunsthistorisches Museum de Vienne et provenant de la collection de Rodolphe II, aient été portés. Il reste possible qu’ils aient été offerts en cadeau à des particuliers ou portés comme ornements personnels92. Ces cadres en émail, qui soulignent sur le caractère total de ces œuvres, possèdent tous au moins une anse ou une bélière, qui permet d’émettre l’hypothèse d’un usage comme pendentif, enseigne cousue sur une coiffe ou, plus simplement, de l’usage d’un support. De toute évidence, ces camées marquent un intérêt à Prague pour le port de ces figures comme allusion aux activités coloniales européennes.

31Ces quatre camées possèdent plusieurs points communs. Tout d’abord, le premier élément, et le plus frappant, est l’usage de l’agate. Les vertus qui lui étaient attribuées, selon l’usage qui en est fait, sont décrites dans le traité de gemmologie attribué à Lodovico Dolce :

  • 93 L. Dolce, Trattato delle gemme che produce la natura: nel quale si discorre della qualità, grandezz (...)

Les vertus des Agates sont variées, selon la diversité des espèces : mais parmi elles, toutes s’accordent en ceci qu’elles rendent les hommes diligents. Mais le Sicilien a sa propre vertu de résister au poison des vipères et des scorpions, s’il est placé sur leur piqûre, ou bien broyé dans du vin. L’Indien chasse les venins. En le regardant, il fortifie la vue. Il étanche la soif si on le place dans sa bouche. Celui qui le porte devient vainqueur : elle fait croître sa force, chasse les tempêtes et freine la foudre. Le Crétois affine la vue. Il étanche la soif et remédie aux poisons : il rend celui qui le porte reconnaissant et faconde : il conserve & augmente la force93.

32Ainsi, le port de ces bijoux, qu’ils soient sur une coiffe ou un pendentif, avait plusieurs fonctions. Tout d’abord, celle de protéger contre les phénomènes naturels comme la tempête ou la baisse de la vue potentiellement due au vieillissement. Aussi faisait‑il office de contrepoison. S’y ajoute également l’apport de vertus exigées pour gouverner dont la plus valorisée est ici la force. De la sorte, l’objet devient un véritable talisman.

  • 94 D. Arasse, « La chair, la grâce, le sublime », dans G. Vigarello (dir.), Histoire du corps. De la R (...)
  • 95 J. Spicer, art. cité, p. 50.

33En ce qui concerne l’iconographie, l’érotisme du camée de jeune femme regardant par‑dessus son épaule a déjà été évoqué dans les travaux de Joaneth Spicer. Dans l’échantillon étudié ici, celle‑ci est pourtant la seule qui n’est pas dénudée. L’érotisme de nos autres objets semble en effet diminuer malgré une nudité bien plus manifeste. Il est nécessaire de rappeler que la nudité se devait d’être anoblie pour être tolérée : « La présence de corps nu, troublant au point d’inciter la lascivité, est acceptée (et même souhaitée) dans les chambres à coucher, car son spectacle peut être bénéfique pour la conception et la gestation d’enfants qui y sont conçus94. » Le nu féminin doit donc s’habiller de vertu pour ne pas devenir un objet menaçant, mais aussi avoir une fonction positive. Dans cette citation de Daniel Arasse, le sujet est la représentation picturale dans la sphère privée. Mais dans le cas de camées portés, l’hypothèse la plus probable est l’existence publique de ces représentations, ce qui pourrait nous inciter à penser que ces camées puissent être interprétés de la même manière que l’inclusion d’une servante noire dans un portrait peint95. Si la perception de ces deux sujets est celle d’objet attribut, la nudité présente sur les camées les oppose à la présence de servante vêtue. Si elles deviennent « objets » dans ces œuvres, les femmes noires, avec toutes les idées que les Européen·ne·s de la Renaissance projetaient sur elles, incarnaient des éléments divergents. Avoir à son service une servante noire signifiait pouvoir, luxe, exotisme et participation à l’expansion du monde désirée par les souverains. Cela permettait d’asseoir son pouvoir et d’affirmer son rôle de manière ostentatoire. Mais ces servantes avaient pour fonction de servir, voire de divertir. Plus encore, à travers l’œuvre d’art, le but de ces femmes était d’émerveiller. Sur ces camées, il ne s’agit pas de servantes ; la richesse de leurs coiffes et leur nudité en sont une preuve. La féminité noire est centrale ici : ces représentations deviennent des allégories de tous les idéaux liés à l’Afrique ; puissance, abondance et richesse. Couplée au pouvoir attribué à l’agate, l’idée de fertilité, plus que l’abondance et la richesse, permettait aux souverains de soutenir leur entreprise et leur règne. Les encadrements en émail, tous ajoutés quelques années après la réalisation des camées, semblent confirmer cette idée. Ils s’apparentent à des matières marines comme le corail, particulièrement apprécié à cette période pour son évocation de la richesse et de l’exotisme. Ainsi, portés, ces talismans assuraient une réussite politique et, en conséquence, un peuple florissant dans l’abondance naturelle.

  • 96 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 149.

34C’est finalement la vertu de beauté qui est la plus valorisée sur tous ces concepts ; la beauté de l’objet, certes, mais surtout la beauté noire qui serait d’abord une beauté fertile et divinisée, mais non humaine. Son caractère fertile offrirait une nature luxuriante qui, associée à la peau noire et aux nombreux stéréotypes sur l’Afrique entretenus en Europe, renvoie à l’âge d’or, puisque les Européen·ne·s de la Renaissance ont vu dans les peuples noirs ce que serait le monde sans le péché d’Ève96. La nature luxuriante et l’abondance associée à l’Afrique leur offrent une idée semblable d’insouciance facile.

4. Conclusion

  • 97 G. Boetsch et E. Savarese, « Le corps de l’Africaine : érotisation et inversion », Cahiers d’études (...)

35À la manière de pierres précieuses d’origine lointaine, les Africain·e·s noir·e·s emmené·e·s de force sur les territoires italiens, et plus largement européens ont servi tout d’abord d’objet de parade au sein des cours de la Renaissance97. Servant·e·s des dames, iels leur permettent d’exhiber leur participation à cette « expansion de leur monde », autrement dit la colonisation, et d’affirmer leurs rôles aux côtés de comparses masculins, qui leur envoient récits de voyage, objets d’origine lointaine et cartes de leurs nouvelles explorations. Dès lors, ces sortes de parades sont le moyen pour les femmes bornées à la sphère privée de s’affirmer comme membres actives de cette période de « Grandes Découvertes ». Elles commencent à cultiver le goût du lointain chez elles, par le collectionnisme. Le fantasme de l’exotisme leur est offert, allant de biens de consommation à la joaillerie, d’objets en tout genre aux serviteurs répondant aux descriptions des voyages. Parmi ces merveilles naturelles dont elles se montrent désireuses, elles comptent le corps noir au même rang que les créatures fantasques des récits antiques. Toutefois, dans la seconde moitié du Cinquecento, la fonction de parure des Noir·e·s devient désuète. Les dames de cour « remplacent » peu à peu les servantes noires par des bijoux, dont les camées.

  • 98 V. I. Stoichita, ouvr. cité, p. 61.
  • 99 T. Tasso, Le Rime di Torquato Tasso, ouvr. cité, p. 403 ; G. Marino, ouvr. cité, p. 24.
  • 100 V. I. Stoichita, ouvr. cité, p. 37.
  • 101 Ibid.

36Ces petits objets qui ornaient coiffes, colliers et coffrets de collections étaient des sources d’émerveillements multiples. Ils mobilisaient à cette fin divers mécanismes comme la transformation de la matière. Aussi les possibilités de l’onyx permettaient‑elles de voir dans la peau noire un paradoxe esthétique : en lustrant la matière, le noir devient lumineux et la lumière émerge des ténèbres98. Le fait d’y représenter des bustes de jeunes femmes noires permettait aux artistes, à la manière de poètes99, d’affirmer leur virtuosité. Par leur irrégularité pour l’œil blanc, les femmes noires étaient considérées comme laides et pouvaient ainsi devenir des sujets poétiques baroques. Créant de cette manière des « beautés paradoxales100 », les artistes et ceux qui portaient leurs œuvres s’appropriaient la supposée merveille de la beauté noire et ses effets, qui traduisaient tous les stéréotypes attribués à ces femmes dans la littérature de voyage et les écrits religieux101.

  • 102 J. Spicer, art. cité, p. 47.
  • 103 Ibid.

37L’apparition de la beauté noire peut sembler paradoxale, puisqu’elle brouille les frontières entre les féminités blanches et noires en Occident. Sur ce sujet, il est tout à fait possible de supposer que l’idéalisation des femmes noires à la fin du siècle dans les œuvres italiennes soit liée aux revendications féministes qui apparaissent au même moment, sous la plume de Moderata Fonte ou de Lucrezia Marinella par exemple. Les traitements picturaux des femmes noires se rapprochant de ceux des femmes blanches dans la peinture et la beauté noire devenant une beauté alternative, les privilèges des femmes blanches seraient subtilement contestés à travers l’art visuel et poétique, ce qui rappellerait à la fois la place des femmes noires et blanches dans l’ordre social, et l’instabilité de celui‑ci. Toutefois, il reste clair que la beauté noire en tant que sujet artistique marque le passage d’une altérité lointaine, exotique, à une altérité plus simple et plus connue102. Bien qu’elle soit toujours utilisée comme un marqueur géographique et conserve pour les Occidentaux une dimension exotique et coloniale, la corporéité noire cause de moins en moins de surprises dans les cours qui se tournent vers le port de leurs bustes103.

  • 104 A. Asor Rosa, La lirica del Seicento, Rome, Bari, Laterza, 1975, p. 3 ; P. Bettella, ouvr. cité, p. (...)

38En définitive, c’est une appropriation du corps des femmes noires sous forme d’objet que l’on voit émerger dans la cour de Rodolphe II, mais aussi dans les arts visuels et littéraires de toute l’Europe. Le corps des femmes noires permet au poète de sublimer son art et de défier le pétrarquisme104 ; il permet à l’artiste une prouesse technique en peinture ou en sculpture ; il permet au souverain d’affirmer le nouvel âge d’or provoqué par son règne. Et cela, en lui imposant subalternité, érotisation et objectification dans le but d’éprouver les canons esthétiques et de légitimer l’idéologie d’une entreprise coloniale concrète.

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Bibliographie

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Annexe

Liste des illustrations

Ill. 1 : Tiziano Vecellio dit le Titien, Portrait de Laura Dianti, c. 1523. Huile sur toile, 119 x 93 cm. Kreuzlingen, Collection H. Kisters.

Ill. 2 : Andrea Mantegna, Judith mettant la tête d’Holopherne dans un sac tenu par sa servante, février 1491/1492. Gravure, 38,8 x 25,8 cm. Florence, Musée des Offices, Cabinet des dessins.

Ill. 3 : Artiste milanais, Talisman ou Buste d’Africain de profil, 1550‑1600. Agate et or, 4,2 x 3,3 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, Camée.596.

Ill. 4 : Atelier Miseroni (Andreas Osenbruck ?), Camée de Diane noire ou Diane en femme africaine, 1610. Jaspe, or, émail, diamants et perles, 6,4 x 5,2 cm. Vienne, Musée d’Histoire de l’Art, <www.khm.at/en/objectdb/detail/73922/>.

Ill. 5 : Giuseppe Cesari dit le Chevalier d’Arpin, Allégorie de l’Inconstance, gravure, dans Cesare Ripa, Della novissima Iconologia, Padoue, Tozzi, 1625, notice 162.

Ill. 6 : Girolamo Miseroni (atelier Miseroni), Portrait d’une femme africaine, c. 1575. Agate, or et émail, 4,8 x 3,5 cm. Vienne, Musée d’Histoire de l’Art, <https://www.khm.at/​objektdb/​detail/​74729/​?offset=10&lv=list>.

Ill. 7 : Girolamo Miseroni, Portrait en buste d’une femme africaine, dernier quart du xvie siècle. Agate, or, émail, deux rubis et deux diamants, 6 x 5,9 cm. Vienne, Musée d’Histoire de l’Art, <www.khm.at/objektdb/detail/73788/?offset=11&lv=list>.

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Notes

1 Voir P. Bonte et M. Izard (dir.), Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 2010.

2 E. Panofsky, La vie et l’art d’Albrecht Dürer, traduit par D. Le Bourg, Paris, Hazan, 2012.

3 J. Jamin, « La règle de la boîte de conserve », L’Homme, no 170, Espèces d’objets, avril-juin 1985, p. 61.

4 T. Bonnot, « Anthropologie et culture matérielle : que faire des choses ? », dans L. Bourgeois et al. (dir.), La culture matérielle : un objet en question. Anthropologie, archéologie et histoire, Caen, Presses universitaires de Caen, 2018, p. 2.

5 La glyptique est l’art de tailler les pierres fines ou précieuses, en creux (intailles) ou en relief (camées).

6 Voir M. Bimbenet-Privat, F. Doux et P. Palasi (dir.), Orfèvrerie de la Renaissance et des Temps modernes, xvie, xviie et xviiie siècles, Paris, Éditions Faton, 2022.

7 B. J. L. van den Bercken et V. C. P. Baan (dir.), Engraved Gems. From Antiquity to the Present, Leyde, Sidestone Press, 2017, p. 119.

8 Traduction personnelle. G. Vasari, Valerio Vicentino, Giovanni da Castel Bolognese, Matteo del Nasaro e altri eccellenti intagliatori di camei e gioie, dans Id., Le vite de’ piu eccellenti pittori, scultori, et architettori, Florence, Giunti, 1568, p. 289 : « Da che i Greci negl’intagli delle pietre orientali furono così divini, e ne’ camei perfettamente lavorarono, per certo mi parrebbe fare non piccolo errore, se io passassi con silenzio coloro che quei maravigliosi ingegni hanno nell’età nostra imitato. Conciò sia che niuno è stato fra i moderni passati, secondo che si dice, che abbia passato i detti antichi di finezza e di disegno in questa presente e felice età, se non questi che qui di sotto conteremo. »

9 R. Gennaioli (dir.), Pregio e bellezza. Cammei e intagli dei Medici, Florence, Sillabe, 2015, p. 14.

10 Voir N. Dacos, A. Giuliano, D. Heikamp et U. Pannuti, Il Tesoro di Lorenzo il Magnifico, vol. I : Le gemme, Florence, Sansoni, 1972.

11 Dans plusieurs portraits de Gerard van Honthorst, elle a choisi d’être représentée à l’antique, sous les traits de la déesse Diane, tenant une lance ou un arc et portant de somptueuses robes contemporaines avec des bijoux coûteux ornant ses cheveux, son couvre‑chef et son décolleté de courts colliers de perles et de boucles d’oreilles à la mode. Ces portraits lui ont permis non seulement de montrer ses aspirations et ses prétentions culturelles en s’appropriant un sujet classique, mais aussi d’affirmer son statut d’aristocrate en affichant les richesses qu’elle avait acquises. Pour une dynastie soucieuse de trouver des mariages avantageux pour ses fils et ses filles dans d’autres cours européennes, un tel étalage devait avoir une fonction plus importante.

12 Voir P. von Stosch, Gemmae antiquae caelatae, scalptorum nominibus insignitae. Ad ipsas gemmas, aut earum ectypos delineatae & aeri incisae, per Bernardum Picart. Ex praecipuis Europae museis selegit & commentariis illustravit Philippus de Stosch, Amsterdam, Apud Bernardum Picartum, 1724.

13 B. J. L. van den Bercken et V. C. P. Baan (dir.), ouvr. cité, p. 119. Il est important de rappeler que la falsification est une pratique extrêmement diffuse durant toute la période moderne. Voir P. Mounier et C. Nativel (éds), Copier et contrefaire à la Renaissance. Faux et usage de faux, Actes du colloque organisé par RHR et la SFDES (29‑31 octobre 2009), Paris, Honoré Champion, 2014.

14 Voir V. Farinella, Archeologia e pittura a Roma tra Quattrocento e Cinquecento. Il caso di Jacopo Ripanda, Turin, Einaudi, 1992.

15 Les objets étant relativement délaissés dans les études francophones, nous nous fions principalement aux études et aux projets de recherche de l’historienne de l’art Sabine du Crest. Des catalogues de musées traitant de ces objets abondent, bien que souvent datés. Nous ne pouvons malheureusement pas rendre compte de la richesse bibliographique à leur sujet ici.

16 Quelques chapitres existent au sujet des représentations noires sur les camées, mais sont relativement courts pour un sujet aussi riche (B. J. L. van den Bercken et V. C. P. Baan, ouvr. cité).

17 Les petites pierres en anneau pouvaient être conservées dans des dactylothèques et les plus grandes, souvent munies de boucles, pouvaient être suspendues à des supports.

18 G. Fauconnier et N. Ver-Ndoye, Noir. Entre peinture et histoire, Paris, Omniscience, 2018, p. 7.

19 V. I. Stoichita, L’image de l’Autre : Noirs, Juifs, Musulmans et « Gitans » dans l’art occidental des Temps modernes, 1453‑1789, Paris, Musée du Louvre, 2014, p. 50. À ce sujet, voir C. Walker Bynum, The Resurrection of the Body in Western Christianity, 200–1336, New York, Columbia University Press, 1995 et Anne-Sophie Molinié, Corps ressuscitants et corps ressuscités. Les images de la résurrection des corps en Italie centrale et septentrionale du milieu du xve au milieu du xviie siècle, Paris, Honoré Champion, 2007.

20 J.-M. Courtès, « Traitement patristique de la thématique “éthiopienne” », dans J. Devisse et M. Mollat (éds), L’Image du Noir dans l’art occidental, vol. II : Des premiers siècles chrétiens aux « Grandes Découvertes », part. 2 : Les Africains dans l’ordonnance chrétienne du monde (xive-xvie siècle), Fribourg, Office du Livre, 1979, p. 12.

21 Les poètes italiens baroques y feront directement référence comme le Tasse ou Giambattista Marino dans La Bella Schiava (voir T. Tasso, Le Rime di Torquato Tasso, édition critique sur les manuscrits et impressions anciennes, A. Solerti (éd.), Bologne, Romagnoli dall’Acqua, 1898, p. 403 et G. Marino, Amori, Milan, Biblioteca Universale Rizzoli, 1995, p. 24).

22 La Bible de Jérusalem, traduit par l’École biblique de Jérusalem, Paris, Éditions du Cerf, 1998, p. 1073.

23 À ce sujet, voir E. Vagnon, « Comment localiser l’Éthiopie ? La confrontation des sources antiques et des témoignages modernes au xve siècle », Annales d’Éthiopie, vol. 27, 2012, p. 23.

24 Le mythe de Chariclée issu des Éthiopiques a été étudié par Victor I. Stoichita dans L’image de l’Autre : Noirs, Juifs, Musulmans et « Gitans » dans l’art occidental des Temps modernes (ouvr. cité) au prisme du métissage à but colonial.

25 Sur le cas français, voir E. Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la Nation française, Paris, Éditions La Découverte, 2009.

26 La Bible de Jérusalem, ouvr. cité, p. 42.

27 L’auteur aborde la question dans deux livres distincts et offre une synthèse des textes antiques au sujet de l’Éthiopie. Les deux principaux ouvrages antiques sont l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien (ier siècle) et les Collectanea rerum memorabilium de Solin (iiie siècle), d’où il tire des récits de créatures fantastiques.

28 À ce sujet, voir P. H. D. Kaplan, The Rise of the Black Magus in Western Art, Ann Arbor, UMI Research Press, 1985.

29 M. Tymowski, « Les Européens au sujet des Africains lors des premières expéditions portugaises (xve-début du xvie siècle) », dans P. Josserand et J. Pysiak (éds), À la rencontre de l’Autre au Moyen Âge. In memoriam Jacques Le Goff, Actes des premières Assises franco-polonaises d’histoire médiévale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 201.

30 Ibid., p. 203.

31 W. Bronwen, « The Renaissance Portrait: From Resemblance to Representation », dans J. J. Martin (dir.), The Renaissance World, New York, Routledge, 2007, p. 452 : « mimesis enabled the image to express the sitter’s soul or character ».

32 Voir F. Jacobs, The Living Image in the Renaissance, Cambridge, Cambridge University Press, 2005.

33 D. Summers, The Judgment of Sense: Renaissance Naturalism and the Rise of Aesthetics, Cambridge, 1987, p. 110‑111 : « Renaissance images were presumed to make us see more than we are shown and, more specifically, to make us see something higher than we are shown. We see a higher, spiritual inwardness in external forms… The apparent sitter in a Renaissance portrait was thus an external appearance showing an inward truth. »

34 À ce sujet, voir L. Bugner (dir.), L’image du Noir dans l’art occidental, vol. I : Des pharaons à la chute de l’Empire romain, Paris, Gallimard, 1991.

35 Voir A. Higonnet, « Renommer l’œuvre », dans C. Debray et al. (dir.), Le Modèle noir : de Géricault à Matisse, Paris, Flammarion, 2019, p. 26‑31.

36 P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », dans D. Bindman et G. H. L. Jr Gates (dir.), The Image of the Black in Western Art, vol. III : From the “Age of Discovery” to the Age of Abolition, part. 1 : Artists of the Renaissance and Baroque, Harvard, Harvard University Press, 2011, p. 129.

37 Ibid. ; voir également P. H. D. Kaplan, The Rise of the Black Magus in Western Art, ouvr. cité.

38 Id., « Titian’s ‘Laura Dianti’ and the Origin of the Motive of the Black Page in Portraiture (1, 2) », Antichità Viva, vol. 21, 1982, no 1, p. 11‑21, p. 10‑18, no 2, p. 13.

39 Id., « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 130.

40 A. L. Childs et S. H. Libby (dir.), The Black Figure in the European Imaginary, Floride, The Trustees of Rollins College, 2017, p. 11.

41 P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 128.

42 R. M. San Juan, « The Court Lady’s Dilemma: Isabella d’Este and Art Collecting in the Renaissance », dans P. Findlen (dir.), The Italian Renaissance: Essential Readings, Oxford, Blackwell Publishing, 2002, p. 330‑331.

43 Cela est si connu qu’en 1497 le gouvernement vénitien envoie un « roi noir » des îles Canaries à la cour de Mantoue, comme un cadeau pour la duchesse (G. Berchet (éd.), Fonti italiane per la scoperta del Nuovo Mondo, Rome, Ministère de l’Instruction publique, 1892, vol. 1, p. 41‑42 ; P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », dans T. F. Earle et K. Lowe (dir.), Black Africans in Renaissance Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, p. 139).

44 P. Bettella, « The Marked Body as Otherness in Renaissance Italian Culture », dans L. Kalof et W. Bynum (dir.), A Cultural History of the Human Body in the Renaissance, Bloomsbury Academic, 2014, p. 172.

45 P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, no 2, p. 13.

46 A. Luzio et R. Renier, « Buffoni, nani e schiavi dei Gonzaga ai tempi d’Isabella d’Este », Nuova antologia di scienze, lettere ed arti, no 35, 1891, p. 112‑146.

47 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 134.

48 Cité par Id., « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 13.

49 Traduction personnelle. Le texte original est : « Nui anchora non poteressimo esser più satisfacte de la nostra (moretta), se la fusse più negra, perché essendo stata nel principio un poco desdegnosetta è poi venuta tanto piacevole de parole et atti, che existimiamo se farrà la megliora buffona del mundo… »

50 P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 15.

51 G. Chastenet, Lucrezia Borgia, 1995, Buenos Aires, Javier Vergara Editorial, p. 200. L’interdiction de contact et de relation avec des esclaves était commune, néanmoins la nouvelle de cette affection d’Anna Sforza pour une jeune esclave semble ravir Isabelle d’Este dans la lettre qu’elle lui adresse, sous-entendant donc que cela était plus commun que l’on ne peut le croire.

52 Cité dans P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 11 ; Archivio Segreto Estense. Casa e Stato, 937, fasc. n. 94/2046, sottofasc. IX « Testimonianze di Varj autori comprovanti il matrimonio di D. Laura Eustochia con Alfonso I. Duca di Ferrara (2046.ix/4‑21) », f. 1.

53 J. Byars, Informal Marriages in Early Modern Venice, New York, Routledge, 2019, p. 9.

54 P. H. D. Kaplan, « Titian’s ‘Laura Dianti’ », art. cité, p. 11.

55 Ibid., p. 17. Eustochium (368‑419) est en effet une sainte chrétienne romaine, qui a guidé saint Jérôme lors de son séjour à Rome puis l’a suivi jusqu’à Bethléem, où elle fonde avec sa mère un monastère féminin.

56 S. Malaguzzi, Oro, gemme e gioielli, Milan, Mondadori Electa, 2007, p. 313.

57 J. Cartwright, Isabelle d’Este. Marquise de Mantoue, 1474‑1539, traduit par E. Schlumberger, Hachette, 1912, p. 51.

58 R. Goffen, Titian’s Women, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 63.

59 Ibid.

60 P. Tinagli, Women in Italian Renaissance Art: Gender, Representation, Identity, Manchester, Manchester University Press, 2015, p. 99.

61 R. Goffen, ouvr. cité, p. 51.

62 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 134.

63 A. Luzio et R. Renier, art. cité, p. 145.

64 Voir E. Pommier, Théories du portrait. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998.

65 L. L. Carroll, M. L. Marshall et K. A. McIver (dir.), Sexualities, Textualities, Art and Music in Early Modern Italy. Playing with Boundaries, Farnham / Burlington, Ashgate, 2014, p. 2‑8.

66 I. Hannaford, Race: The History of an Idea in the West, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1995, p. 87 ; Gordon Allport définit les stéréotypes comme « une croyance exagérée associée à une catégorie… [dont] la fonction est de justifier (rationaliser) notre conduite par rapport à cette catégorie ». Les stéréotypes impliquent des idées négatives et une absence de différenciation entre les individus d’une même catégorie, ce qui explique le fait que les différentes carnations et divers caractères phénotypiques des Africains noirs furent ignorés par les Européens blancs (K. Lowe et T. F. Earle (dir.), Les Africains noirs en Europe à la Renaissance, Toulouse, MAT Éditions, 2010, p. 17).

67 G. Berchet (éd.), ouvr. cité, p. 41‑42 ; P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 139.

68 Voir M. Masoero, « I mostri nella letteratura della scoperta », dans L. Secchi Tarugi (éd.), Disarmonia Bruttezza e Bizzaria nel Rinascimento: Atti del VII Convegno Internazionale, Florence, Franco Cesati Editore, 1995, p. 295‑306.

69 P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 104.

70 Ibid.

71 Voir A. Luzio et R. Renier, art. cité.

72 J. Spicer, art. cité, p. 48.

73 I. Wardropper, ouvr. cité, p. 9.

74 J. Cartwright, ouvr. cité, p. 51. La Contre-Réforme et l’Inquisition ont découragé toutes affirmations personnelles. Les enseignes perdent leurs raisons d’être et sont remplacées en partie par des gemmes, importées et disposées dans une exubérance baroque, manifestes de la stabilité économique plutôt que de la foi ou d’une éducation humaniste. Mais les commanditaires continuent de commander des camées.

75 J. Spicer, art. cité, p. 48.

76 K. Lowe, « Visible Lives: Black Gondoliers and Other Black Africans in Renaissance Venice », Renaissance Quarterly, vol. 66, no 2, 2013, p. 445.

77 E. Kris, « Notes on Renaissance Cameos and Intaglios », Metropolitan Museum Studies, vol. 3, no 1, 1930, p. 11.

78 S. Ciminelli, Le rime di Serafino de’ Ciminelli dall’Aquila, vol. 1, Bologne, Romagnoli dall’Acqua, 1894, p. 124.

79 Sur la laideur à la Renaissance, voir O. Chiquet, Penser la laideur dans l’art italien de la Renaissance, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022.

80 P. Bettela, The Ugly Woman. Transgressive Aesthetic Models in Italian Poetry from the Middle Ages to the Baroque, Toronto, University of Toronto Press, 2005, p. 144.

81 Ottavio établit un atelier qui prospéra pendant plusieurs générations. Il était aussi connecté avec l’atelier des Castrucci, aussi à Prague. Un portrait de la famille de Dionysio Miseroni, son fils, a été réalisé en 1653 par l’artiste tchèque Karel Škréta. L’atelier continua jusqu’à la mort en 1684 de Ferdinando Eusebio, le petit‑fils de Girolamo.

82 J. Spicer, art. cité, p. 47.

83 Ibid., p. 48. Cela est connu à travers son rôle commanditaire avec, par exemple, Arcimboldo qui a réalisé le très célèbre Portrait de Rodolphe II en Vertumne en 1590. Mais l’empereur créait aussi ses propres créations, en plus de ses collections au sein de son cabinet de curiosités de mechanica et de scientifica. Il demeure l’une des grandes figures du collectionnisme du xvie siècle et de l’aube du xviie siècle.

84 Ibid.

85 Ibid.

86 Voir V. Conticelli, « Dea Natura, Diana Efesia e Diana Nera. Motivi iconografici nella committenza di Francesco di Medici: dallo studiolo di Palazzo Vecchio alle grottesche degli Uffizi », dans G. B. Squarotti et al. (dir.), Il mito di Diana nella cultura delle corti: arte, letteratura, musica, Florence, Leo S. Olschki, 2018, p. 85‑101.

87 La femme noire est un repenti de l’artiste selon le National Gallery Technical Bulletin, qui serait dû à la « soudaine disponibilité d’un modèle plutôt qu’un quelconque changement dans le moment dramatique qu’il choisit de représenter » (J. Dunkerton et M. Spring (dir.), « Titian’s Painting Technique from 1540 », National Gallery Technical Bulletin, vol. 36, 2015, p. 72). Cette hypothèse nous paraît peu plausible : les peintre·sse·s de la Renaissance ont dessiné et peint des Noir·e·s sans s’appuyer sur des modèles et ont formé, comme dans le cas des pages, un « type » reproduisible comme bon leur semble ; voir P. H. D. Kaplan, « Italy, 1490–1700 », ouvr. cité, p. 130.

88 C. Ripa, Della novissima Iconologia, Padoue, Tozzi, 1625, p. 162.

89 On peut constater dans la mythographie du xvie siècle liée à la Déesse Mère l’apparition de figures noires comme déesses.

90 M. Zanchi, Sotto il segno di Diana. Tiziano, Palma il Vecchio e i misteri della Grande Dea, Bergame, Lubrina Editore, 2015, p. 35 ; à ce sujet, voir également V. Conticelli, art. cité.

91 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 125‑154 ; T. F. Earle et K. Lowe (dir.), ouvr. cité, p. 24.

92 Au sujet des portraits qui montrent des gemmes portées en pendentifs ou enseignes, voir K. F. Hall, Things of Darkness. Economies of Race and Gender in Early Modern England, New York, Cornell University Press, 1996.

93 L. Dolce, Trattato delle gemme che produce la natura: nel quale si discorre della qualità, grandezza, bellezza, & virtù loro, Venise, Appresso G. Battista, M. Sessa, 1617. Traduction du traité Speculum lapidum de Camillo Leonardi publié comme l’œuvre de Lodovico Dolce, identique à l’édition de 1565 : « La virtù de gli Acati si variano, fecondo le diuerfità delle fpecie [sic]: ma in fra di loro, tutte conuengono in questo, che fanno folleciti gli huomini. Ma il Siciliano ha propria virtù di refistere al veleno delle Vipere e de gli Scorpioni, efsendo legato sopra la puntura; ouero trito effendo beuuto nel vino. L’Indico caccia le sofe velenofe. Nel guardare fortifica la vista. Ammorza tenuto in bocca la fete. Chi lo porta fa vincitore: accrefce le forze, caccia le tempeste, e ferma il fulmini. Il Cretico affotiglia la veduta. Spenge la sete e i veleni: fa chi lo porta gratro e facondo: conferva & accrefce le forze. »

94 D. Arasse, « La chair, la grâce, le sublime », dans G. Vigarello (dir.), Histoire du corps. De la Renaissance aux Lumières, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 448.

95 J. Spicer, art. cité, p. 50.

96 P. H. D. Kaplan, « Isabella d’Este and Black African Women », art. cité, p. 149.

97 G. Boetsch et E. Savarese, « Le corps de l’Africaine : érotisation et inversion », Cahiers d’études africaines, vol. 39, no 153, 1999, p. 125.

98 V. I. Stoichita, ouvr. cité, p. 61.

99 T. Tasso, Le Rime di Torquato Tasso, ouvr. cité, p. 403 ; G. Marino, ouvr. cité, p. 24.

100 V. I. Stoichita, ouvr. cité, p. 37.

101 Ibid.

102 J. Spicer, art. cité, p. 47.

103 Ibid.

104 A. Asor Rosa, La lirica del Seicento, Rome, Bari, Laterza, 1975, p. 3 ; P. Bettella, ouvr. cité, p. 144.

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Table des illustrations

Titre Illustration 1. – Tiziano Vecellio dit le Titien, Portrait de Laura Dianti, c. 1523.
Légende Huile sur toile, 119 x 93 cm. Kreuzlingen, Collection H. Kisters.
Crédits Titian, Public domain, via Wikimedia Commons.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/15748/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 225k
Titre Illustration 2. – Andrea Mantegna, Judith mettant la tête d’Holopherne dans un sac tenu par sa servante, février 1491/1492.
Légende Gravure, 38,8 x 25,8 cm. Florence, Musée des Offices, Cabinet des dessins.
Crédits Public domain, via Wikimedia Commons.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/15748/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,9M
Titre Illustration 3. – Artiste milanais, Talisman ou Buste d’Africain de profil, 1550‑1600.
Légende Agate et or, 4,2 x 3,3 cm. Paris, Bibliothèque nationale de France, Camée.596.
Crédits <https://medaillesetantiques.bnf.fr/​ark:/12148/​c33gbfg25>.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/15748/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 187k
Titre Illustration 5. – Giuseppe Cesari dit le Chevalier d’Arpin, Allégorie de l’Inconstance.
Légende Gravure, dans Cesare Ripa, Della novissima Iconologia, Padoue, Tozzi, 1625, notice 162.
Crédits Usage personnel ou académique autorisé.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/15748/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 767k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Alix Kazubek, « Des portraits portés ? Genre, race et camées dans le Cinquecento italien »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 39 | 2024, mis en ligne le 30 septembre 2024, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/15748 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12dua

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Auteur

Alix Kazubek

Sorbonne Université, Università Ca’ Foscari Venezia
alix.kazubek@gmail.com

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