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Poteri invadenti: il patriarcato e la fabbrica

Un « poing de soleil1 ». Du corps au travail au corps en révolte : la poésie de Ferruccio Brugnaro

A “Fist of Sun”. From Body at Work to Body in Protest: Ferruccio Brugnaro’s Poetry
Un «pugno di sole». Dal corpo al lavoro al corpo in rivolta: la poesia di Ferruccio Brugnaro
Marie Thirion

Résumés

À travers l’analyse du premier recueil du poète ouvrier Ferruccio Brugnaro, qui a travaillé au Petrolchimico de Porto Marghera à partir des années 1950, nous nous proposons d’interroger la manière dont il représente l’invasion, par l’usine, des corps des travailleurs. Les cadences, les machines et les substances nocives — en un mot, les exigences du cycle chimique — sont autant d’éléments qui composent la matérialité des conditions de travail, qui modèlent les corps, qui déterminent le destin — souvent funeste — de ces soldats de la production. Mais la « guerra della fabbrica » n’est pas unilatérale : Brugnaro part de cette même matérialité pour évoquer les tensions et les raisons de la colère, la joie de la lutte de ce corps collectif à travers laquelle le poète peut retrouver l’humanité autrement perdue dans les engrenages de la production chimique.

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Texte intégral

  • 1 La citation provient d’un poème de Ferruccio Brugnaro intitulé Manifestazione operaia et publié dan (...)
  • 2 D. Eribon, Retour à Reims, Paris, Fayard, 2009.

1Dans le récent documentaire Retour à Reims (Fragments) réalisés par Jean-Gabriel Périot et inspiré de l’essai autobiographique du sociologue Didier Eribon2, parmi la polyphonie du chœur ouvrier, une voix s’élève :

  • 3 Retour à Reims (Fragments), documentaire de Jean-Gabriel Périot, 2021.

J’ai du mal à toucher Dominique le soir, ça me fait mal aux mains. La gamine quand je la change, je ne peux pas lui dégrafer ses boutons. Tu sais, t’as envie de pleurer dans ces coups‑là. Ils ont bouffé tes mains. J’ai envie de faire un tas de choses et puis, je me vois maintenant avec un marteau, je sais à peine m’en servir. C’est tout ça, tu comprends. T’as du mal à écrire, j’ai du mal à écrire, j’ai de plus en plus de mal à m’exprimer. Ça aussi, c’est la chaîne. C’est dur, quand t’as pas parlé pendant neuf heures, t’as tellement de choses à dire que t’arrives plus à les dire, que les mots ils arrivent tous ensemble dans la bouche. Et puis tu bégayes, tu t’énerves, tout t’énerve, tout. Et ceux qui t’énervent encore plus, c’est ceux qui parlent de la chaîne et qui ne comprendront jamais que tout ce qu’on peut en dire, toutes les améliorations qu’on peut lui apporter c’est une chose, mais que le travail il reste. C’est dur la chaîne. Moi maintenant je ne peux plus y aller, j’ai la trouille d’y aller. C’est pas le manque de volonté, c’est la peur d’y aller, la peur qu’ils me mutilent encore davantage, la peur que je ne puisse plus parler un jour, que je devienne muet. C’est de la survie qu’on fait3.

2C’est la voix de Christian Corouge, syndicaliste et ouvrier chez Peugeot-Sochaux, d’abord enregistrée par Bruno Muel pour le film Avec le sang des autres, sorti en 1975, puis reprise par Périot en 2021. Déchirante, elle évoque les conséquences physiques, psychiques et sociales du travail à l’usine, la machinisation douloureuse des travailleurs, l’aphasie que la chaîne engendre. Elle dessine les coordonnées nécessaires — travail, corps, parole — à toute tentative de compréhension du monde industriel et de ses effets sur les êtres. Ce sont ces mêmes coordonnées que nous utiliserons pour explorer la poésie de Ferruccio Brugnaro, poète ouvrier qui a travaillé au Petrolchimico de Porto Marghera à partir de la fin des années 1950.

  • 4 Les établis sont ces étudiant·e·s appartenant à différentes organisations de la gauche extra-parlem (...)

3Les textes de Brugnaro appartiennent à la littérature working class, récemment définie par l’écrivain Alberto Prunetti comme littérature faite par les travailleurs eux‑mêmes et non pas par des intellectuels issus des classes moyennes plus ou moins établis4 :

  • 5 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala. Indagine sulla letteratura working class, Rome, Minimum Fax, (...)

Fare letteratura working class — dit Prunetti — è un’altra cosa: significa sentire un impegno di responsabilità verso le storie delle persone di classe lavoratrice e la maniera in cui le rappresentiamo. E poi anche soffiare sul fuoco, raccontare il conflitto, alimentarlo con le parole scritte. Storicizzare. Ritrovare fili rossi, brandelli di memorie che legano la vecchia e la nuova classe lavoratrice. Raccontarsi dall’interno della classe, con le nostre parole, per non farsi raccontare dagli altri, per non subire i «loro» racconti, che spesso ci schiacciano a terra e ci umiliano5.

  • 6 Les plus célèbres sont Ottiero Ottieri et Paolo Volponi qui travaillaient chez Olivetti comme emplo (...)
  • 7 Par exemple L. Bianciardi et C. Cassola, I minatori della Maremma, Rome, Minimum Fax, 2019 (1956) ; (...)
  • 8 Voir notamment R. Alquati, Per fare conricerca. Teoria e metodo di una pratica sovversiva, Rome Der (...)
  • 9 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala, ouvr. cité, p. 30.

4Notant le retard de la littérature working class italienne par rapport au filon britannique, Prunetti définit les années 1950 et 1960 comme le moment où certains intellectuels commencent à s’intéresser à la modernité de la condition ouvrière de la péninsule, et ce, de l’extérieur ou en tant que cols blancs6. Les enquêtes et interviews réalisées par Luciano Bianciardi, Carlo Cassola, Danilo Dolci, Franco Alasia ou Danilo Montaldi, qui donnent lieu à des œuvres hybrides et chorales7, de même que la conricerca opéraïste8, représentent une première rupture, faisant émerger un nouveau « protagonismo teorico e narrativo della e sulla classe operaia italiana9 ».

  • 10 Le chrononyme Autunno caldo désigne cette période d’intenses luttes ouvrières combattues dans le ca (...)
  • 11 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala, ouvr. cité, p. 30.
  • 12 S. Bologna, « Il “lungo autunno”: le lotte operaie degli anni settanta », dans F. Amatori (éd.), L’ (...)
  • 13 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala, ouvr. cité, p. 31‑32. Le terme de « letteratura selvaggia » é (...)
  • 14 Ibid., p. 31.

5Avec le cycle de luttes de la fin des années 1960, qui culminent lors de l’Autunno caldo de 196910, les voix des travailleurs commencent à s’élever pour parler à la première personne. Prunetti en énumère les raisons : instruction croissante des classes prolétaires, dilatation des revendications, utilisation massive de la ronéo11, auxquelles nous ajoutons la pratique diffuse de l’assemblée qui représente souvent, pour les travailleurs, « un’occasione di emancipazione, un momento indimenticabile della loro vita, quando per la prima volta ebbero il coraggio di prendere la parola in pubblico12 ». Dans ce contexte, certains textes working class publiés par d’importantes maisons d’édition atteignent le grand public bien que, comme le note une fois encore Prunetti, les paratextes d’intellectuels renommés « pongono un frame, incorniciano il flusso narrativo “selvaggio” delle scritture proletarie13 ». La forme privilégiée par les éditeurs est le roman, plus rares sont ceux qui choisissent de publier les poésies ouvrières, genre élitiste et qui sied moins aux « sauvages »14.

  • 15 Le thème du corps est central dans les réflexions de Foucault, depuis son Histoire de la folie à l’ (...)

6Dans la littérature working class et, plus généralement, dans la littérature sur le travail, le corps est souvent aux premières loges : il est le terrain d’impression des rythmes, des gestes, de la matérialité du travail ; il est également le lieu de l’inscription des rapports de pouvoir, comme l’a montré Michel Foucault dès les années 1960‑197015. Le thème du corps apparaît donc comme une voie d’accès privilégiée pour enquêter sur les représentations du travail dans la littérature et sur les subjectivités des opérateurs de la production.

  • 16 P. Steffan, « “Niente mi ha fiaccato!” – Conversazione con Ferruccio Brugnaro », disponible en lign (...)

7Notre travail vise à montrer l’ambivalence du thème de la corporéité dans les usines poétisées par Brugnaro : « il corpo è il centro di tutto » affirme‑t‑il dans une récente interview réalisée par Paolo Steffan16. Le corps des travailleurs est un corps envahi, comme nous le verrons, par le travail, par l’usine, par le temps du travail et de l’usine, par les substances manipulées et produites, par les injonctions de la production. Mais cette colonisation des corps n’est pas sans résistance, comme le montrait également Foucault. Nous chercherons ainsi à mettre en évidence également la manière dont Brugnaro représente cette résistance des corps, une résistance qui passe par la lutte mais également par la poésie.

  • 17 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto: un operaio e la sua poesia, Vérone, Bertani, 1975.
  • 18 F. Brugnaro, Ils veulent nous enterrer !, traduit de l’italien par Béatrice Gaudy, édition bilingue (...)

8Pour ce faire, nous nous focaliserons sur le premier recueil de Brugnaro, publié chez Bertani en 197517. Rassemblant les poésies composées entre 1959 et 1973, il s’agit du recueil qui embrasse l’arc temporel le plus large et permet de saisir, autant que faire se peut, la rupture qu’ont représenté les années 1968‑1969. Il s’agit également du seul recueil entièrement traduit et publié en français, ce qui offrira aux lecteurs francophones un accès plus aisé aux textes18.

  • 19 En ce qui concerne le Petrolchimico, nous nous limitons ici à renvoyer à G. Zazzara, Il Petrolchimi (...)
  • 20 Sur l’ACSA (ensuite Chatillon, puis Montefibre), voir notamment <www.fontimarghera100.it/sogg_produ (...)
  • 21 Ces informations proviennent de deux interviews réalisées par l’homme politique et historien Cesco (...)

9Ferruccio Brugnaro est né à Mestre en 1936 dans une famille ouvrière. Son père travaillait déjà dans les hauts fourneaux de l’INA (Montecatini) et avait été licencié avec la restructuration des années 1950. Brugnaro passe deux ans dans un institut technique avant d’être engagé, en 1954, à la Bottacin, une petite entreprise métallurgique qui produit des clous et des treillis métalliques en zinc. Comme la plupart des ouvriers du « miracle » économique, il y perçoit un salaire très bas (pas plus de 7000 lires par semaine [environ 100 euros]). Après la faillite de l’entreprise en 1958, il passe un entretien à l’ACSA (Applicazioni Chimiche Società Anonima), l’une des usines du Petrolchimico de Porto Marghera appartenant à Edison qui venait d’être créée19. Cette usine s’occupe de la polymérisation de l’acrylonitrile, de la filature des fibres synthétiques et de la récupération du solvant utilisé dans la première phase de production. Elle symbolise ainsi la rencontre entre la tradition textile vénète et les nouveautés technologiques de la pétrochimie20. Brugnaro intègre l’usine en avril 1959 comme travailleur posté dans l’unité AT8 où il s’occupe initialement du rodage des machines de la filature21. Voilà la manière dont il décrit son entrée dans l’usine :

  • 22 Interview réalisée par Cesco Chinello, 15 mars 1994, IVESER, FCC, busta 74.

Incontro una condizione ambientale dentro la fabbrica che è poco definire disumana, ma non era tutta determinata dall’ACSA, era determinata anche dalla SIAI, dall’AS, dal reparto vicino che in sostanza scaricava vapori. C’era una presenza di anidride solforosa che era insopportabile, al limite della sopravvivenza. Entravamo alla sera alle 22, col turno di notte, l’aria era di colore giallognolo, la gente entrava nei reparti tossendo. Ricordo dentro i reparti una schiavitù moltiplicata mille volte rispetto a quella della piccola fabbrica22.

  • 23 Sur la nocivité du travail, voir notamment F. Carnevale et A. Baldasseroni, Mal da lavoro. Storia d (...)

10En effet, si la nocivité du travail, accentuée par l’imposition des modèles fordistes et tayloristes durant le « miracle » économique, est extrêmement élevée dans toutes les usines de la péninsule (rythmes de travail, poussière, fumées, températures trop élevées ou trop basses, discipline…), dans les usines chimiques, elle est également due aux substances manipulées et produites, ainsi qu’à la nécessité du travail posté qui dérègle les rythmes circadiens et a de terribles conséquences sur la sociabilité des travailleurs23.

11Entre la fin de l’année 1963 et le début de 1964, Brugnaro s’inscrit à la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori, le syndicat catholique envers lequel il se montre immédiatement critique, et dès 1965, il distribue, sous forme de tracts, ses poèmes aux autres travailleurs. Il est donc engagé sur deux fronts : l’activité syndicale et le travail poétique, qu’il considère comme éminemment politique. En effet, selon les mots même de Brugnaro :

  • 24 « Nota introduttiva », dans F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto: un operaio e la sua poesia, ouvr (...)

Come operaio, come parte integrante della classe operaia cerco di cogliere, di guardare quotidianamente dentro alle contraddizioni, ai duri travagli, agli sforzi immensi che questa compie oggi nello scontro cruento col capitale. La poesia diventa così per me e per i miei compagni un momento di riflessione, di arresto per poi ripartire subito con più chiarezza, con più forza. Questo è il fondo vero e il significato di tutto ciò che scrivo. La poesia insomma è per me parte viva della lotta che milioni e milioni di sfruttati, emarginati portano avanti nel mondo contro lo strapotere despota, fascista di pochi uomini. Credo che non abbia senso una poesia priva di questo legame, che non colga le sofferenze profonde di questo duro scontro. […] Lo scrivere versi per me non significa altro che fare delle azioni di lotta24.

1. Le corps au travail

  • 25 È la prima volta, ibid., p. 81.
  • 26 Il rumore che stringe tutti, ibid., p. 84.
  • 27 Molti di noi ancora, ibid., p. 86.
  • 28 Sono stanco di essere braccato, ibid., p. 89.
  • 29 Mi sento meno stanco, ibid., p. 55.
  • 30 Comme le notait déjà Tiziano Zanato dans l’un des très rares travaux consacré à la poésie de Brugna (...)

12L’usine est omniprésente dans les premiers recueils de poésie de Brugnaro. Dans les années 1950 et 1960, les travailleurs du Petrolchimico y passaient en effet jusqu’à 48 heures par semaine, auxquelles s’ajoutaient les longs trajets entre le domicile et la zone industrielle qui rognaient encore davantage leur temps libre. Dans les poèmes, l’usine est la plupart du temps représentée à travers certains éléments précis de l’architecture ou des machines. Brugnaro évoque ainsi par exemple les « pompe e alberi di trasmissione25 », « l’ingranaggio, la tremoggia / il rullo », les « autoclavi26 », les « laminatoi27 », les « […] tubazioni, scavatrici / martelli pneumatici28 » ou encore les « colonne di distillazione29 ». L’emploi d’un langage technique montre d’abord la familiarité que les travailleurs entretenaient avec ces machines, leur rapport quotidien avec ces éléments. Il crée en revanche un sentiment d’étrangeté pour le lecteur profane, l’impression d’entrer dans un monde autre dont on ne connaît ni les codes, ni le langage. De plus, cette représentation morcelée qui émane de la subjectivité du poète — ce sont les bruits des machines, leurs mouvements, les effets des éléments naturels sur eux qui sont évoqués — semble également faire écho à la décomposition du travail à l’usine dont les travailleurs ne percevaient qu’une infime partie : dans la poésie de Brugnaro, l’usine est une réalité perçue, totalement subjective et vécue quotidiennement, comme en témoignent le titre de la dernière section — Quotidianamente — ainsi que l’utilisation de nombreux adjectifs démonstratifs et d’adverbes tels que « oggi », « ora », « adesso30 ».

  • 31 Tiziano Zanato notait ainsi que « terra » est le substantif le plus utilisé de cette section, avec (...)
  • 32 Le bracciante est l’ouvrier agricole, celui qui travaille avec la force de ses bras.
  • 33 Entre 1952 et 1961, les travailleurs du secteur agricole passent de 42,7 % à 23 % de la population (...)
  • 34 G. Zazzara, « I cento anni di Porto Marghera (1917‑2017) », art. cité, p. 214.
  • 35 F. Piva, Contadini in fabbrica: Marghera 1920‑1945, Rome, Edizioni Lavoro, 1991.
  • 36 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 59.

13Si le monde industriel est omniprésent dans le recueil, les vers sont également parsemés de références au thème de la nature, en particulier dans la première section intitulée Dei miei compagni, di me, qui rassemble les poésies écrites entre 1959 et 196331. Il ne faut pas oublier que les travailleurs de Marghera provenaient, pour la plupart, des campagnes environnantes, recrutés parmi les braccianti32 qui, avec l’industrialisation rapide de la Vénétie33, ne trouvaient plus d’occupation dans le secteur agricole. Les entreprises de la zone appréciaient en effet « la resistenza fisica, la propensione alla stagionalità delle lavorazioni e il tradizionalismo morale34 » des ouvriers-paysans vénètes35. Dans la poésie de Brugnaro, l’analyse des frottements entre le thème de l’usine et celui de la nature met en évidence l’ambivalence de cette dernière, perçue du point de vue des travailleurs. D’une part, en effet, cette nature peut être réconfortante. Un court poème, qui tient presque du haiku, évoque par exemple La visita del sole : « Sono tremendamente felice ora. / Non avrei mai creduto poter / ricevere in questo angolo / la visita del sole36. » De même, l’arrivée du printemps, célébrée à plusieurs reprises, permet presque d’oublier la laideur de l’usine et la souffrance au travail :

  • 37 Il nostro sguardo, la nostra attesa, ibid., p. 70.

Le inferriate, i grovigli di cemento
             sono così nitidi
             oggi
che sembrano persino dolci.
Il nostro sguardo, la nostra attesa
             dietro nere grate
seguono la primavera,
dimentichi di questi fiati tossici
             di questo giorno gonfio
             di caldaie, cavi elettrici,
             ruggine.
Abbiamo ora quasi speranza
             che la vita ricominci
             intera.
Abbiamo quasi certezza
che si avvii a dire qualche parola
37.

14Dans ce poème, Brugnaro oppose l’intérieur de l’usine, où les travailleurs sont comme enfermés, à l’extérieur, autrement dit le monde marqué par la nature et la vie. Malgré ce réconfort du renouveau de la nature, leur enfermement semble pourtant sans issue : ce ne sont pas les manifestations du printemps qui dominent — il n’est évoqué que par son nom, et non pas les images qu’il produit — mais celles de la laideur, des machines et de leurs exhalations, ce qui permet de comprendre la réticence finale renforcée par la répétition de « quasi » qui tempère les émotions positives apportées par le printemps.

15Toutefois, les éléments naturels peuvent aussi devenir adverses, accentuant la souffrance du travail. Dans cette perspective, les murs de l’usine ne constituent pas une protection — comme pourraient l’être ceux d’une maison — mais rendent plus terribles encore les affres de la nature. Dans Non ricordo, par exemple, le poète évoque la présence du brouillard qui s’insinue dans les ateliers :

  • 38 Ibid., p. 26.

Non ricordo una mattina così oscura.
La nebbia è densissima
e penetra gelida tra noi
in reparto con l’angoscia
di qualche uccello che grida invano
                                                 oggi.
La voce dei miei compagni;
la voce più ribelle e forte dell’anima
                                      suona vuota
                                      lontana
come la gioia, il colore dell’aria
38.

16C’est ici que Brugnaro évoque un premier envahissement, celui de la brume, qui affecte plusieurs sens : la vue (« oscura »), le toucher (« gelida »), l’ouïe (le cri de l’oiseau et la voix des camarades). Cet envahissement par un élément naturel accentue ainsi le mal‑être des travailleurs qui est non seulement physique mais également moral : l’angoisse que provoque le cri de l’oiseau, exprimée à travers une personnification qui tient de l’hypallage, de même que le parallélisme entre ce cri et les voix des camarades, dont le poète souligne le caractère vide et vain, éloignent la joie, une distance qui est renforcée par les enjambements. Le poète convoque donc les éléments naturels comme pour souligner l’étrangeté de l’usine avec la beauté, la dimension vitale de l’existence. Ainsi, soit la nature permet de souligner, en creux, la laideur et la souffrance du travail à l’usine, soit elle accentue cette laideur et cette souffrance.

  • 39 Par exemple : « […] lo zolfo / sta entrando nel nostro cuore » (Dei miei compagni, di me, ibid., p. (...)

17Mais le thème de l’envahissement, que l’on a vu émerger dans ce frottement entre le monde naturel et le monde industriel, est surtout présent pour évoquer les conditions de travail dans les ateliers. Cette sorte de colonisation des corps et des esprits des travailleurs provient de toute part et affecte tous les sens. Ce sont par exemple les substances manipulées ou produites qui pénètrent au plus profond des êtres39, ou bien les bruits des machines qui brisent l’âme du poète :

  • 40 Riporterò a casa come sempre, ibid., p. 38.

Le berte hanno picchiato tutta
stanotte impassibili. Preda
di quelle tetre botte, più volte
mi sono sentito invadere, abbattere
profondamente. A momenti ho creduto
che il cuore non mi camminasse più
e stesse aspettando solo di cadere
nel vento. Non so quanto non abbia
atteso che fiorisse la luna
e venisse una debole fiamma di voci
da qualche parte. […]
[…]
Mi riporterò a casa, come sempre
un’anima in frantumi, indurita di notti
40.

18Les allitérations semblent imiter les bruits discordants des machines, ce qui est accentué par les enjambements qui interrompent le rythme du texte. Le double sens de l’adjectif « tetre » exprime, quant à lui, à la fois la confusion sensorielle provoquée par cette cacophonie et ses effets sur les émotions du poète. Cette première synesthésie fait écho à une seconde, la « debole fiamma di voci », qui matérialise son espoir : l’envahissement sonore provoque le désir d’entendre d’autres sons amis, ceux des camarades, mais il est tel que le poète ne peut que se l’imaginer, dans tous les sens du terme. Il s’agit enfin d’une colonisation qui affecte l’âme et ne remplit pas, mais au contraire brise et vide tout à la fois le corps et l’âme du poète.

19Brugnaro exprime ainsi la dualité de la souffrance au travail, de cette « fatigue industrielle » qui est telle qu’elle dénature l’homme, le rendant méconnaissable à lui‑même. Cette aliénation est particulièrement présente dans les poèmes dédiés au travail de nuit qui transforme l’homme au point qu’il n’est plus capable de se reconnaître :

  • 41 Mi guardo con stupore, ibid., p. 97. Le thème de la métamorphose par le travail de nuit est égaleme (...)

Mi guardo in un vetro ora
                          di sfuggita.
Ho il volto macchiato di olio
i capelli bianchi di polimero.
Non mi sento più
             né braccia né gambe
                          dalla fatica.
Mi guardo con stupore,
             non so riconoscermi
41.

  • 42 Le poème intitulé Ho sentito una volta, dédié lui aussi au travail de nuit, s’achève en effet sur l (...)

En raison des horaires de travail, le poète est comme coupé de l’humanité et il n’appartient plus à la vie, mais au monde de la pierre42.

  • 43 « Ma come può essere che nessuno ci avverta, pensi / mai a noi? / Che nessuno ci voglia guardare / (...)
  • 44 Pour une analyse des transformations des images collectives des ouvriers italiens de 1950 à 1980, v (...)
  • 45 Ce n’est qu’avec le Statut des travailleurs italiens approuvé en 1970 que, comme le titra l’Avanti!(...)

20Comment sont donc représentés ces opérateurs du « miracle » dont la nature profonde est transformée par le travail industriel ? Brugnaro insiste d’abord sur leur solitude, relégués comme ils le sont dans le ghetto de l’usine43 : cette invisibilité a marqué l’ensemble des années 1950 et ce n’est qu’au cours de la décennie suivante que les ouvriers gagnent progressivement une place dans les représentations publiques et l’imaginaire collectif italien44. Dans cette solitude, ils se perçoivent comme des êtres humains de seconde classe, exclus des droits garantis par la Constitution45, mais également de la possibilité de jouir de la lumière du jour ou de la nature, comme l’illustre Brugnaro dans Da come cammino :

  • 46 Dans F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 32.

Oggi ho una mostruosa fame
di sole, di verde.
[…] Forse queste cose
non si addicono
per uno come me. Oggi
un operaio deve essere un operaio
46.

21Le premier vers et la dernière phrase du poème sont bâtis sur la répétition anaphorique de l’adverbe « oggi » qui se combine avec une antanaclase dont le glissement de sens est accentué par l’enjambement entre l’avant-dernier et le dernier vers : la sentence sociale de ce dernier vers, renforcée par l’épanadiplose, tombe comme un couperet.

  • 47 Non racconteremo mai abbastanza, ibid., p. 67.
  • 48 Voir par exemple La classe operaia va in paradiso d’Elio Petri (1971). Voir également A. Sangiovann (...)
  • 49 Il s’agit de la deuxième image du film, qui suit celle de l’horloge en arrière-plan du générique in (...)

22Le poète va même au‑delà puisqu’il compare les travailleurs à des animaux : « Oltrepassiamo i cancelli / oggi alla luce d’autunno, / con lo stesso silenzio / di animali spinti in avanti / con violenza. / Andiamo verso i reparti / sparpagliati / simili a un gregge sbattuto / in balia della fame47. » C’est le moment de l’entrée à l’usine qui est ici évoqué par Brugnaro, dont les représentations classiques montrent souvent une masse humaine indistincte confluant à travers les grilles48 et que Charlie Chaplin avait lui‑même quasiment superposé à l’image d’un troupeau de moutons49. Si la seconde comparaison porte bien sur les déplacements des travailleurs, la première renvoie au silence des ouvriers que le travail prive de leur voix. C’est un aspect sur lequel nous reviendrons bientôt.

  • 50 Cités dans A. Sangiovanni, Tute blu, ouvr. cité, p. 46.
  • 51 Comme le montre Sangiovanni, la référence à Chaplin était utilisée pour parler du travail à la chaî (...)

23Enfin, une troisième comparaison exclut même les travailleurs du monde du vivant, les métamorphosant en machines. Cette image était déjà présente dès les premières années du « miracle », quand, comme le note Andrea Sangiovanni, un ouvrier se comparait à des « servo-motori » et qu’un autre affirmait que « lentamente l’uomo diventa una cosa sola con la macchina, un piccolo ingranaggio che funziona quasi per istinto50 ». La référence, explicitée, est une fois encore à une scène des Temps modernes de Chaplin, lorsque Charlot est avalé par les engrenages, symbolisant une dévoration mécanique capable de broyer l’homme51. Brugnaro reprend ce thème dans Forse mi distinguevo :

  • 52 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 79.

Forse un tempo ho avuto mani
             occhi, sentimenti.
Forse mi distinguevo dalle cose
e avevo un mio orizzonte.
Forse sono stato un uomo.
Forse sono stato felice
             con il dolore, la morte
             attorno.
Ma ora, ora sono un bullone
             una catena
una scala addossata
a grosse cisterne.
             Sono un pulsante
su cui preme il pollice di una sorte
che non ha né giorno né notte
che non ha volto né sacco
52.

  • 53 Ibid., p. 72.
  • 54 L’expression « guerra della fabbrica » est utilisée par Brugnaro dans le dernier vers de Non ho nul (...)

24Ce poème est construit sur l’opposition entre un passé dont le « je » ne perçoit même plus le caractère réel, comme en témoigne les quatre anaphores de « forse », et un présent marqué par la réification. Le mouvement du texte, qui passe d’un rythme quaternaire à un rythme ternaire — avec les trois attributs du sujet — jusqu’à la dernière période qui ne présente qu’un seul attribut, crée un effet de réduction de ce sujet à l’état d’objet. Cet effet de dégradation est renforcé, dans cette dernière période, par les subordonnées qui expriment la passivité du sujet/objet, désormais à la merci d’une force caractérisée par sa négativité. Cette déshumanisation totale provoquée par le travail à l’usine pousse ainsi le poète à s’adresser à Dieu dans Se tu sentissi, se tu guardassi pour lui demander : « ma siamo, siamo / […] ancora tue cose? / Credi tu in noi ancora / o ci hai tagliati fuori per sempre53? » Ces vers, qui sanctionnent la réification des travailleurs, expriment également le renversement de l’ordre du monde qui a lieu dans les usines. Quelle échappatoire face à cette invasion totalisante, à cette « guerra della fabbrica » qui a amené Andrea Zanzotto à comparer les textes de Brugnaro avec l’enfer des tranchées dépeint par Ungaretti54 ?

2. Le corps en révolte

  • 55 L’officina è meno gelida, ibid., p. 40.
  • 56 La première grève des travailleurs Edison à Marghera remonte à juillet 1961. Mais celles qui marque (...)
  • 57 Il piazzale è zeppo, tumultuoso, dans F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 47.

25Une première échappatoire à cette colonisation des corps et des âmes est la complicité, l’amitié avec les autres travailleurs qui est, comme on va le voir, sublimée par la lutte politique. La première section, rassemblant les poèmes composés avant 1963, est celle où domine l’angoisse. Les seules sources de réconfort sont l’arrivée du printemps, qui a pour unique effet de rendre « l’officina […] meno gelida55 », et les voix des camarades qui sont cependant, comme on l’a vu, représentées comme lointaines et vaines. La deuxième section, dédiée aux Mattine di sciopero, témoigne d’un changement : elle évoque à travers une série de flashs les premières expériences de luttes à Marghera56. Dans le premier poème, la lutte correspond à un moment de fraternité, d’humanité partagée et retrouvée, qui éloigne la souffrance et fait conclure à Brugnaro qu’« uno strano vino bolle ora tra noi57 ». Cette sorte de communion à la valeur christique préfigure l’utilisation future, que fera souvent le poète, de l’image du sang comme symbole de l’énergie de la lutte. Dans cette section, si la première personne du pluriel fait presque disparaître le « je » du poète, elle ne nie cependant pas les individualités. Le deuxième poème est ainsi dédié à un camarade, Francesco, saisi en pleine action :

  • 58 Francesco corre, ibid., p. 48.

Francesco corre
gridando crumiro e profuma forte l’aria
con la sua bottiglia di grappa
                                       che alza e rialza.
In disparte
si è acceso un grosso fuoco
                          con sterpaglie e cartoni.
La fiamma sui volti è prepotente candore,
la vita eccitante, nuova
58.

  • 59 Voir notamment le poème Mi rifiuterò sempre, où Brugnaro affirme : « Mi rifiuterò sempre al numero.(...)
  • 60 Confusi nella nebbia, silenziosi, ibid., p. 50. En 1964, l’extraordinaire développement du pays mar (...)

26La lutte est ici représentée comme un moment permettant de retrouver tous les sens de la perception humaine, tout en laissant les individualités s’exprimer, contre la transformation en numéro provoquée par l’usine59. Les corps qui se rebellent sont des corps qui perçoivent (les cris, les odeurs, les goûts et les couleurs) et qui s’emplissent ainsi à nouveau de vie. Cependant, les poèmes de la section ne taisent pas les difficultés de ces premières expériences de grève qui se concluent précisément avec « la forza, il sangue un po’ smarriti60 ».

  • 61 Ibid., p. 76.

27Le thème de la lutte est de plus en plus présent dans la section Nell’angoscia del mio pugno, d’abord sous la forme de promesse, de confiance dans l’avenir. Ainsi, dans le poème intitulé Un albero deve crescere, la métaphore de la graine et de l’arbre témoigne de l’urgence d’une révolte capable de « travolgere la sofferenza, la sopraffazione61 ». C’est avec la composition intitulée È la prima volta que cette révolte se matérialise enfin de manière plus concrète :

  • 62 Ibid., p. 81.

Stiamo uscendo tutti.
Abbiamo fatto tacere
             pompe e alberi di trasmissione.
Abbiamo soffocato
             ogni terribile rumore.
Lo sciopero è totale.
Guardo la fabbrica adesso
             da fuori.
È la prima volta
             che la vedo ubbidire
             prostrata
             davanti alla vita.
Non credo aver sentito mai
             il sangue
sbraitare dalla gioia come ora
62.

  • 63 Voilà comment le syndicaliste Corrado Perna interprète ce passage : « L’appropriazione operaia del (...)

28Le regard se déplace ici à l’extérieur de l’usine : la voix collective, exprimée à travers la première personne du pluriel, acquiert un pouvoir absolu qui lui permet de dompter l’usine, de faire taire ses bruits bestiaux, mais surtout d’interrompre le dogme du cycle continu, constituant un précédent pour l’organisation des luttes. Il nous semble probable que Brugnaro se réfère ici aux luttes pour la prime de production de l’été 1968, lorsque, pour la première fois, les grévistes Edison réussirent à bloquer complètement la production63. Et la personnification de l’usine confirme ce renversement du rapport de force : à la machinisation des corps, le poète oppose l’anthropomorphisation de l’usine à travers cette image d’un corps industriel prostré.

  • 64 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 68.
  • 65 Ibid., p. 73.
  • 66 Voir par exemple les poème intitulés Sappiatelo, ditelo (ibid., p. 71), Venite, venite tutti (ibid.(...)
  • 67 Voir par exemple les anaphores de « Non voglio » dans Voglio il mio essere (ibid., p. 69).

29Cet espoir retrouvé, ainsi que la force gagnée à travers la mobilisation collective, semblent se traduire dans la structure de certains poèmes désormais construits de manière antinomique ; si la première partie continue à dire la souffrance du travail, les vers finaux expriment une rébellion qui était complètement absente de la première section ou même de la troisième intitulée Dalla fabbrica. Par exemple, Non parlate di disperazione s’achève sur ces mots : « Ma noi continueremo ad attaccare / con lotte estenuanti. / Staremo nella vita, staremo nei sogni ribelli64 », de même que Non abbiamo dubbi se conclut avec les vers suivants : « Ma noi siamo / della pazienza del grano, / siamo della fede che sposta le montagne. / Il giorno nuovo, compagni, la terra / si alzeranno tra gli altiforni / con le pietre dei nostri corpi65. » L’appartenance au monde minéral n’est plus synonyme de déshumanisation mais elle renvoie plutôt, désormais, à la résistance des corps ouvriers qui permettra de bâtir un monde meilleur. Cet effet est renforcé par l’utilisation de l’impératif66 ou de phrases négatives67 pouvant témoigner de ce mouvement de refus qui s’empare progressivement des usines italiennes au cours des années 1960 et qui se diffuse dans la société la décennie suivante :

  • 68 Non ho timore, ibid., p. 75.

Non ho timore della bocca piena
             di polvere
delle ossa disgregate da atroci colpi,
del capo in frantumi.
Non ho timore
delle grida bestiali delle fabbriche,
degli sguardi disumani,
delle dure provocazioni.
Non ho timore
             di sentirmi molte volte
lontano da me stesso
privato di me stesso, solo
a tu per tu con una sete
             che rode in profondità.
Non ho timore di nessuna ferita,
             di nessuna accusa.
Questa ribellione, questi no
             vorrei metterli nelle carni,
nel deserto dell’uomo più triste
             della terra e del tempo.
Questo amore, questa volontà
vorrei portarli subito
a ogni vita, dentro ogni angoscia
68.

30À l’invasion industrielle qui pulvérise, ronge et vide les corps et les âmes, Brugnaro oppose ainsi un mouvement de lutte, de rébellion, d’amour capable cette fois de remplir les êtres ; dans ce poème, c’est en effet une fois encore la métaphore corporelle — « questa ribellione, questi no / vorrei metterli nelle carni » — qui est convoquée pour exprimer le désir de résistance collective à la solitude et à l’exploitation.

3. « Un pugno di sole »

31L’un des instruments de cette résistance et de cette lutte est la poésie. Elle l’est d’abord par sa forme puisque le choix des vers libres crée un espace de liberté contre les contraintes et la discipline de l’usine, de même que la musicalité des poèmes apparaît comme un antidote aux bruits mécaniques des machines. Ainsi, la poésie semble permettre de sublimer l’horreur comme le suggère le seul poème du recueil qui parle explicitement du rôle des vers :

  • 69 Un po’ per giorno, ibid., p. 28.

Quando il torpore attenta alle nostre
mani, la nostra anima,
cerchiamo, compagni,
di raccogliere tutta la forza
che la tristezza ci ha donato.
Un po’ per giorno vedremmo
cosa direbbe l’ansia
il dolore, se non tradotti
nelle buie fosse del cuore
in versi puliti, lucenti.
Consegnati alle ciminiere
che li aprono di continuo al sole
come i fiori più belli della terra
69.

32Ici, le cœur apparaît comme une sorte de laboratoire chtonien, une fabrique de vers permettant de transfigurer, comme par une alchimie, la douleur en beauté, exprimée par l’hyperbole finale.

  • 70 P. Steffan, « “Niente mi ha fiaccato!” », art. cité.
  • 71 T. Zanato, « Ferruccio Brugnaro, operaio-poeta », art. cité, p. 381.

33La poésie est ensuite également l’expression d’un « corpo collettivo » permettant de « difendere un corpo dall’abbruttimento e dalla rovina70 », elle est un cri pour exprimer la rébellion, pour revendiquer la propre existence humaine et celle des camarades. On l’a dit, la première personne du pluriel s’affirme au fur et à mesure des poèmes du recueil examiné et elle deviendra prépondérante dans les compositions successives71. Les poèmes de Brugnaro racontent en effet une expérience collective que les autres travailleurs s’approprient, comme en témoigne cette anecdote racontée dans une interview :

  • 72 Interview réalisée par Devi Sacchetto, Marghera, 7 juin 2007, CDSLM, AOAF, fondo Audiovisivi, sezio (...)

Nei primi anni ’60, ho cominciato prima ad affiggere alle mense le poesie che scrivevo […]. E dopo ho cominciato, su sollecitazione di una compagna, dei compagni [che] vedevano queste cose e io non volevo […] darle fuori, […] perché mi sembrava di abusare del mio ruolo sindacale, cioè sapevo quanta diffidenza […] c’è tra gli operai, giustamente, verso gli intellettuali. Io non volevo passare per intellettuale, che fa la sua cosetta per farla passare ai compagni poi subalterni a lui o che magari sa che domina, eccetera. Io questa cosa qua non la volevo fare. Una volta, però, c’è stata una discussione […]. C’è una ragazza — mi ricorderò sempre in testa — che mi disse: «Ma perché non possiamo ciclostilare queste cose qua, e distribuirle?» Ho detto di no e ho spiegato le ragioni: «Non vorrei dopo che diventasse una cosa che io uso il mio ruolo per distribuire poesie.» Allora lei […]: «No. Guarda che […] queste cose qua non sono neanche tue! Sono anche nostre! Perché tu sei qua adesso, hai mangiato con noi. E tu fra un momento vai in direzione, domani mattina sei alle 5, alle 4 e ¾ al picchetto, e domani l’altro vai a Roma!… Questo. Allora tu non racconti scuse, non racconti scuse! Questa è parte integrante nostra. E adesso noialtri li ciclostiliamo e li diamo via, ma come robe nostre!» Allora io ho capito…72

  • 73 Selon Gianni Moriani, auteur de la préface du troisième recueil de Brugnaro : « […] è là dentro, ne (...)

34La poésie de Brugnaro permet ainsi, à travers l’écriture, de fixer les mémoires, les expériences, les vies qui seraient autrement ignorées ; elle est un appel à ne pas oublier les opérateurs de l’industrie qui produisent matériaux et objets que nous avons tous entre les mains. « Dei miei compagni, di me, non dimenticate » demande en effet Brugnaro dans le premier poème du recueil, pour éviter que le dessein des « patrons » — « vogliono cacciarci sotto » (titre du recueil et du dernier poème) — ne se réalise. Elle est un miroir transformant, tendu aux travailleurs pour qu’ils y retrouvent leur humanité73.

35Dans cette perspective, les travailleurs apparaissent comme des martyrs, au sens étymologique du terme, car leurs corps, leurs âmes, témoignent de la violence de l’âge industriel. C’est un rôle qui apparaît notamment dans le deuxième poème du recueil, intitulé justement Abbiamo visto :

  • 74 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 20.

[…]
Abbiamo visto e vissuto
ciò che altri uomini aborriscono
e altri ignorano. […]
[…]
[…] Noi conoscemmo la luce
del silenzio come nessuno, sentimmo come
nessun altro venire con la notte
l’amore degli astri e il cuore morire
74.

  • 75 Non parlate di disperazione, ibid., p. 68.

36Capable de dire l’indicible — « Non c’è parola da poter definire la nostra stanchezza, il nostro silenzio. Non c’è parola, non c’è parola75 » dit‑il par une sorte de prétérition —, la poésie de Brugnaro réconcilie ainsi l’ouvrier et l’homme, produisant un être de parole dont la dignité s’exprime par la lutte.

  • 76 Agamben utilise ce terme pour se référer aux prisonniers des camps de concentration : G. Agamben, H (...)

37La poésie de Brugnaro contribue donc à combler le silence des travailleurs entre eux, mais également ce même silence qui élève des murs entre la classe ouvrière et le reste de la société. Ce silence est produit, comme nous avons tenté de le montrer, par l’invasion totalisante du temps, des corps, des esprits de ces hommes au travail qui va jusqu’à métamorphoser la perception qu’ils ont d’eux‑mêmes. À ce rôle social d’opérateur de la production, Brugnaro oppose un autre rôle, une autre mission : les travailleurs — et encore davantage le poète qui est leur porte‑voix — deviennent les témoins à la fois de la violence de l’âge industriel et de la résistance possible à cette violence qui passe, d’une part, par les luttes et, de l’autre, par la poésie. Celle‑ci est en effet d’abord capable d’une transfiguration alchimique, elle transforme la laideur en beauté, la cacophonie en mélodie ; mais elle est surtout une manière de dire l’indicible, ce qui ne peut être formulé, ou bien parce que l’horreur et la souffrance sont telles que les mots semblent incommensurables ; ou bien parce que le statut même, la vie même des travailleurs, cette nuda vita, pour reprendre les mots de Giorgio Agamben76, a été pendant longtemps une vie qui n’avait pas le droit à la parole.

38La poésie de Brugnaro a brisé ce silence.

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Notes

1 La citation provient d’un poème de Ferruccio Brugnaro intitulé Manifestazione operaia et publié dans son troisième recueil, Il silenzio non regge, qui rassemble les textes écrits entre 1975 et 1977. Ce poème s’achève par les vers suivants : « La via oggi alza decisa / nel suo pugno di sole / l’avvenire concreto / degli uomini, di tutti gli uomini. » (F. Brugnaro, Il silenzio non regge. Poesie, Vérone, Bertani, 1978). C’est également le titre de l’anthologie bilingue rassemblant une sélection des poèmes de Brugnaro traduits en anglais par le poète américain Jack Hirschman (F. Brugnaro, Fist of Sun, traduit de l’italien par Jack Hirschman, Willimantic, Curbstone, 1998).

2 D. Eribon, Retour à Reims, Paris, Fayard, 2009.

3 Retour à Reims (Fragments), documentaire de Jean-Gabriel Périot, 2021.

4 Les établis sont ces étudiant·e·s appartenant à différentes organisations de la gauche extra-parlementaire qui, suivant les préceptes du maoïsme, ont choisi d’aller travailler à l’usine à partir de la fin des années 1960. Sur le « mouvement d’établissement », voir M. Dressen, De l’amphi à l’établi. Les étudiants maoïstes à l’usine (1967‑1989), Paris, Belin, 1999 ; Id., Les établis, la chaîne et le syndicat. Évolution des pratiques, mythes et croyances d’une population d’établis maoïstes 1968‑1982. Monographie d’une usine lyonnaise, Paris, L’Harmattan, 2000.

5 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala. Indagine sulla letteratura working class, Rome, Minimum Fax, 2022, p. 23.

6 Les plus célèbres sont Ottiero Ottieri et Paolo Volponi qui travaillaient chez Olivetti comme employés.

7 Par exemple L. Bianciardi et C. Cassola, I minatori della Maremma, Rome, Minimum Fax, 2019 (1956) ; F. Alasia et D. Montaldi, Milano, Corea: inchiesta sugli immigrati, con una lettera di Danilo Dolci, Rome, Donzelli, 2010 (1960).

8 Voir notamment R. Alquati, Per fare conricerca. Teoria e metodo di una pratica sovversiva, Rome DeriveApprodi, 2022 (1993).

9 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala, ouvr. cité, p. 30.

10 Le chrononyme Autunno caldo désigne cette période d’intenses luttes ouvrières combattues dans le cadre du renouvellement des conventions collectives d’un grand nombre de catégories de travailleurs. Elle portera notamment à l’approbation du Statuto dei lavoratori en 1970. Voir notamment D. Giachetti, L’autunno caldo, Rome, Ediesse, 2013 ; M. Grispigni, Quando gli operai volevano tutto, Rome, Manifestolibri, 2019 ; M. Thirion, A. Pantaloni et E. Santalena, Autunno caldo, dans P. Girard et R. Ruggiero (éds), Catégories italiennes, Paris, Classiques Garnier, à paraître en 2024.

11 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala, ouvr. cité, p. 30.

12 S. Bologna, « Il “lungo autunno”: le lotte operaie degli anni settanta », dans F. Amatori (éd.), L’approdo mancato. Economia, politica e società in Italia dopo il miracolo economico, Milan, Feltrinelli, 2017, p. 122.

13 A. Prunetti, Non è un pranzo di gala, ouvr. cité, p. 31‑32. Le terme de « letteratura selvaggia » était alors utilisé pour indiquer les textes écrits par des auteurs qui ne faisaient pas partie du monde éditorial et littéraire. Selon Prunetti : « […] è un’etichetta un po’ naïve, che ci ricorda il mito del buon selvaggio. Come a dire: questi sono bravissimi, hanno questa irriverenza scatenata che poi però deve essere in qualche maniera incorniciata e messa a sistema. E lo facciamo noi intellettuali illuminati. » (Ibid., p. 32)

14 Ibid., p. 31.

15 Le thème du corps est central dans les réflexions de Foucault, depuis son Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 (1961), jusqu’à ses dernières recherches sur la biopolitique, en passant par Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 2003 (1975).

16 P. Steffan, « “Niente mi ha fiaccato!” – Conversazione con Ferruccio Brugnaro », disponible en ligne sur <lucianocecchinel.wordpress.com>, 28 février 2017.

17 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto: un operaio e la sua poesia, Vérone, Bertani, 1975.

18 F. Brugnaro, Ils veulent nous enterrer !, traduit de l’italien par Béatrice Gaudy, édition bilingue, Soisy-sur-Seine, Editinter, 2007.

19 En ce qui concerne le Petrolchimico, nous nous limitons ici à renvoyer à G. Zazzara, Il Petrolchimico, Padoue, Il Poligrafo, 2009 ; Ead., « I cento anni di Porto Marghera (1917‑2017) », Italia contemporanea, no 284, 2017, p. 209‑236.

20 Sur l’ACSA (ensuite Chatillon, puis Montefibre), voir notamment <www.fontimarghera100.it/sogg_produttori/montefibre-spa-stabilimento-di-porto-marghera-milano-porto-marghera-venezia-1958-2008/>.

21 Ces informations proviennent de deux interviews réalisées par l’homme politique et historien Cesco Chinello (15 mars 1994, Istituto Veneziano per la Storia della Resistenza e della società contemporanea (IVESER), Fondo Cesco Chinello (FCC), busta 74) et par le sociologue Devi Sacchetto (Marghera, 7 juin 2007, Centro di Documentazione di Storia Locale Marghera (CDSLM), Archivio Operaio Augusto Finzi (AOAF), fondo Audiovisivi, sezione Videointerviste).

22 Interview réalisée par Cesco Chinello, 15 mars 1994, IVESER, FCC, busta 74.

23 Sur la nocivité du travail, voir notamment F. Carnevale et A. Baldasseroni, Mal da lavoro. Storia della salute dei lavoratori, Rome / Bari, Laterza, 1999.

24 « Nota introduttiva », dans F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto: un operaio e la sua poesia, ouvr. cité, p. 15.

25 È la prima volta, ibid., p. 81.

26 Il rumore che stringe tutti, ibid., p. 84.

27 Molti di noi ancora, ibid., p. 86.

28 Sono stanco di essere braccato, ibid., p. 89.

29 Mi sento meno stanco, ibid., p. 55.

30 Comme le notait déjà Tiziano Zanato dans l’un des très rares travaux consacré à la poésie de Brugnaro (T. Zanato, « Ferruccio Brugnaro, operaio-poeta », Quaderni di lingue e letterature, n3‑4, 1978‑1979, p. 391).

31 Tiziano Zanato notait ainsi que « terra » est le substantif le plus utilisé de cette section, avec 10 occurrences (T. Zanato, « Ferruccio Brugnaro, operaio-poeta », art. cité, p. 378).

32 Le bracciante est l’ouvrier agricole, celui qui travaille avec la force de ses bras.

33 Entre 1952 et 1961, les travailleurs du secteur agricole passent de 42,7 % à 23 % de la population active tandis que ceux de l’industrie augmentent de 26,7 % à 40,7 % et ceux du tertiaire de 22,2 % à 31,2 % (C. Chinello, Storia di uno sviluppo capitalistico: Porto Marghera e Venezia 1951‑1973, Rome, Editori Riuniti, 1975, p. 99).

34 G. Zazzara, « I cento anni di Porto Marghera (1917‑2017) », art. cité, p. 214.

35 F. Piva, Contadini in fabbrica: Marghera 1920‑1945, Rome, Edizioni Lavoro, 1991.

36 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 59.

37 Il nostro sguardo, la nostra attesa, ibid., p. 70.

38 Ibid., p. 26.

39 Par exemple : « […] lo zolfo / sta entrando nel nostro cuore » (Dei miei compagni, di me, ibid., p. 19) ou « Il solforico, la trielina / s’insinuano nelle narici / terribili » (Mattina di Pasqua, ibid., p. 83).

40 Riporterò a casa come sempre, ibid., p. 38.

41 Mi guardo con stupore, ibid., p. 97. Le thème de la métamorphose par le travail de nuit est également présent dans Nella luce dell’alba : « La notte / ha fatto il mio volto bianco / come la calce, / è passata sopra le mie barricate / le mie grida di richiamo / come uno schiacciasassi. / Sono arrivato all’alba ora irriconoscibile / tutto fasce / duri lividi. » (Ibid., p. 107)

42 Le poème intitulé Ho sentito una volta, dédié lui aussi au travail de nuit, s’achève en effet sur les mots « i miei occhi sono occhi di statua » (ibid., p. 31).

43 « Ma come può essere che nessuno ci avverta, pensi / mai a noi? / Che nessuno ci voglia guardare / udire dentro? / Non riusciremo mai a crederlo. / Non potremo mai / convincerci di essere completamente soli. » (Nessuna mano, nessuno sguardo, ibid., p. 106)

44 Pour une analyse des transformations des images collectives des ouvriers italiens de 1950 à 1980, voir A. Sangiovanni, Tute blu. La parabola operaia nell’Italia repubblicana, Rome, Donzelli, 2006.

45 Ce n’est qu’avec le Statut des travailleurs italiens approuvé en 1970 que, comme le titra l’Avanti!, « La Costituzione entra in fabbrica » (G. Crainz, « Cinquant’anni fa l’approvazione dello Statuto che sancì i diritti degli operai, dopo le battaglie sindacali e l’autunno caldo », La Repubblica, 19 mai 2020).

46 Dans F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 32.

47 Non racconteremo mai abbastanza, ibid., p. 67.

48 Voir par exemple La classe operaia va in paradiso d’Elio Petri (1971). Voir également A. Sangiovanni, Tute blu, ouvr. cité, p. 133, 135 et 154.

49 Il s’agit de la deuxième image du film, qui suit celle de l’horloge en arrière-plan du générique initial, et où se distingue un mouton noir (C. Chaplin, Les Temps modernes, 1936).

50 Cités dans A. Sangiovanni, Tute blu, ouvr. cité, p. 46.

51 Comme le montre Sangiovanni, la référence à Chaplin était utilisée pour parler du travail à la chaîne dans les années 1950 (ibid., p. 46‑47).

52 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 79.

53 Ibid., p. 72.

54 L’expression « guerra della fabbrica » est utilisée par Brugnaro dans le dernier vers de Non ho nulla da ricordare (ibid., p. 61). Pour Zanzotto, « la fabbrica come ce la presenta Brugnaro è oggi il luogo della negazione dell’umano come lo era la trincea ungarettiana » (A. Zanzotto, Nota, ibid., p. 113).

55 L’officina è meno gelida, ibid., p. 40.

56 La première grève des travailleurs Edison à Marghera remonte à juillet 1961. Mais celles qui marquent les esprits sont celles de l’été 1963 qui ont impliqué quasiment la totalité des ouvriers et des employés. À ce sujet, nous nous permettons de renvoyer à M. Thirion, Organiser le pouvoir ouvrier : le laboratoire opéraïste de la Vénétie entre discours et pratiques militantes, thèse de doctorat dirigée par Alessandro Giacone et Elisa Santalena, Université Grenoble Alpes, 2022, p. 138‑145. Sur les luttes de Porto Marghera, nous renvoyons plus généralement à C. Chinello, Sindacato, Pci, movimenti negli anni sessanta. Porto Marghera – Venezia 1955‑1970, Milan, Franco Angeli, 1996.

57 Il piazzale è zeppo, tumultuoso, dans F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 47.

58 Francesco corre, ibid., p. 48.

59 Voir notamment le poème Mi rifiuterò sempre, où Brugnaro affirme : « Mi rifiuterò sempre al numero. / […] Non si confonda il numero al mio corpo » (ibid., p. 63).

60 Confusi nella nebbia, silenziosi, ibid., p. 50. En 1964, l’extraordinaire développement du pays marque un coup d’arrêt. Craignant les mesures du gouvernement de centre-gauche et les luttes des travailleurs, les industriels réagissent à travers une large politique de restructuration basée sur une nouvelle organisation du travail, sur les investissements dans l’innovation technologique, sur les licenciements, les suspensions et la baisse des recrutements, sur la réduction des horaires individuels et l’augmentation des heures supplémentaires et sur une partielle décentralisation de la production dans les petites entreprises où la main‑d’œuvre était moins payée et plus flexible. Les luttes ouvrières sont de plus en plus difficiles et entrent alors dans une phase défensive. La troisième section de Vogliono cacciarci sotto, plus sombre que la précédente, pourrait avoir été composée ces années‑là.

61 Ibid., p. 76.

62 Ibid., p. 81.

63 Voilà comment le syndicaliste Corrado Perna interprète ce passage : « L’appropriazione operaia del ciclo chimico era la dissacrazione di una religione che fino a quel momento aveva regolato la sottomissione operaia all’oggettività del processo chimico e, attraverso questa, la subordinazione al ciclo capitalista di produzione. » (C. Perna, Classe sindacato operaismo al Petrolchimico di Porto Marghera. Appunti sull’autunno del ’69 attraverso i volantini di fabbrica, Rome, Esi, 1980, p. 35)

64 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 68.

65 Ibid., p. 73.

66 Voir par exemple les poème intitulés Sappiatelo, ditelo (ibid., p. 71), Venite, venite tutti (ibid., p. 95) ou bien Fatemi sentire (ibid., p. 103), ou encore les derniers vers de Nel vostro silenzio : « Lanciate, scatenate / la vostra forza di bufali / le vostre fiamme di cratere. / Vedo cadere millenni di privilegi / millenni sanguinari. / Vedo spazi caldi. / Vedo mondi caldi attorno a ogni piede nudo. » (Ibid., p. 108)

67 Voir par exemple les anaphores de « Non voglio » dans Voglio il mio essere (ibid., p. 69).

68 Non ho timore, ibid., p. 75.

69 Un po’ per giorno, ibid., p. 28.

70 P. Steffan, « “Niente mi ha fiaccato!” », art. cité.

71 T. Zanato, « Ferruccio Brugnaro, operaio-poeta », art. cité, p. 381.

72 Interview réalisée par Devi Sacchetto, Marghera, 7 juin 2007, CDSLM, AOAF, fondo Audiovisivi, sezione Videointerviste.

73 Selon Gianni Moriani, auteur de la préface du troisième recueil de Brugnaro : « […] è là dentro, nella fabbrica, che anche poeticamente Brugnaro si muove con sicurezza, assieme ai suoi compagni, mai considerati, come troppo spesso accade, oggetti da parata, ma colti nella loro dimensione di soggetti di cambiamento e contemporaneamente di uomini che vivono il tormento dello sfruttamento di giorno e di notte. Brugnaro si muove dentro quest’ottica, realizzando costantemente una sintesi tra l’operaio e l’uomo, riportando dentro quella tuta, con la quale il padrone vorrebbe mascherare la nostra personalità e mutarla in merce, tutto l’antagonismo tra sfruttati e sfruttatore per trasformarla in lotta, in caparbia volontà di riappropriazione della vita. » (« Prefazione e testimonianze », dans F. Brugnaro, Il silenzio non regge. Poesie, Vérone, Bertani, 1978)

74 F. Brugnaro, Vogliono cacciarci sotto, ouvr. cité, p. 20.

75 Non parlate di disperazione, ibid., p. 68.

76 Agamben utilise ce terme pour se référer aux prisonniers des camps de concentration : G. Agamben, Homo sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Turin, Einaudi, 2005 (1995).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Thirion, « Un « poing de soleil ». Du corps au travail au corps en révolte : la poésie de Ferruccio Brugnaro »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 38 | 2024, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/14521 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.14521

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Auteur

Marie Thirion

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