Navigation – Plan du site

AccueilNuméros38L’invasione chimica e i paradisi ...Cartoline dal paradiso : drogue, ...

L’invasione chimica e i paradisi artificiali

Cartoline dal paradiso : drogue, invasion et autodestruction chez Elsa Morante

Cartoline dal paradiso: droga, invasione et autodistruzione in Elsa Morante
Cartoline dal paradiso: Drug, Invasion and Self-Destruction in Elsa Morante’s Writing
Marie Fabre

Résumés

La drogue a une importance trop rarement soulignée dans la seconde partie de l’œuvre de Morante. À partir du virage existentiel et politique de l’autrice dans les années 1960, décennie qui l’a vue tenter elle‑même une série d’expériences sédatives ou psychédéliques, celle‑ci devient omniprésente chez certains personnages‑clés de ses romans et récits. Avant de tenter des ouvertures vers la fiction, nous nous concentrons dans cet article sur l’apparition de ce motif dans la seconde partie, poétique, de Il mondo salvato dai ragazzini (1968). Dans celle‑ci, justement appelée La commedia chimica, s’articulent les sensations physiques d’une expérience intime du LSD et de la mescaline dont les lettres sont cachées à l’intérieur des textes, et l’encodage culturel de cette expérience, une mémoire rimbaldienne aux résurgences beat. Ces poèmes permettent aussi d’initier, à travers le détail des vers, une réflexion sur les difficiles relations corps/esprit chez Morante, nous ouvrant aux thèmes porteurs, mais aussi aux insolubles ambivalences qui structurent son œuvre.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 Bien que sa présence soit étudiée à travers les divers personnages drogués de l’œuvre, il n’existe (...)
  • 2 L’Œdipe de Morante est celui qui apparaît dans La serata a Colono dans Il mondo salvato dai ragazzi (...)

1La drogue a une importance trop rarement soulignée1 dans l’œuvre de Morante, au sein de laquelle elle figure pourtant comme un thème récurrent. À partir du virage existentiel et politique de l’autrice dans les années soixante, décennie qui l’a vue tenter elle‑même une série d’expérimentations sédatives ou psychédéliques, l’expérience des drogues devient en effet omniprésente chez certains personnages‑clés de ses romans et récits. Œdipe, Davide, Manuele2 : autant de personnages dont la toxicomanie n’est pas une caractéristique marginale — elle est au cœur de ce qui constitue, souvent pour le pire, leur rapport au réel. Mescaline, LSD, morphine, opium, somnifères et hypnotiques : autant de substances qui traversent les pages et les personnages du Mondo salvato dai ragazzini, de La storia et pour finir, d’Aracoeli. Une analyse thématique autour de la drogue appellerait donc un travail transversal d’ampleur, que cet article ne peut avoir vocation à mener. Nous souhaitons nous concentrer ici sur l’apparition de ce motif dans la seconde partie de Il mondo salvato dai ragazzini (1968). Dans celle‑ci, justement appelée La commedia chimica, s’articulent les sensations physiques d’une expérience intime du LSD et de la mescaline, et l’encodage culturel de cette expérience, entre mémoire rimbaldienne et résurgences beat. Cet article proposera un travail exploratoire des dualités liées à la drogue chez Morante, en faisant l’hypothèse que celles‑ci se trouvent in nuce dans le laboratoire poétique du Mondo salvato pour se retrouver ensuite dans les romans de la maturité — le travail d’analyse se concentrera donc principalement sur cette matière textuelle, composée de quelques poèmes. Nous avons en effet choisi ici de mettre de côté La serata a Colono, pourtant pièce maîtresse de La commedia chimica, pour des raisons purement pratiques d’ampleur du corpus : notre tentative ici sera plutôt celle de rayonner à partir d’un corpus initial très restreint, composé notamment des derniers vers d’Addio et des deux premiers poèmes de La commedia chimica, pour cerner des motifs et lever des pistes interprétatives.

2Mais avant de plonger dans les textes, peut‑être est‑il utile de repartir de la manière dont l’autrice elle‑même introduit et remet en contexte cette « thématique » dans la préface de 1971 à son Mondo salvato. Morante montre, de manière relativement précoce par rapport aux autres témoins de son temps, qu’elle prend très au sérieux la drogue comme tragédie de la jeunesse, fuite autodestructrice, et livre un message qui ne laisse aucun doute sur la manière dont elle considère (et politise) la question :

  • 3 E. Morante, Il mondo salvato dai ragazzini, Turin, Einaudi, 1971, p. vi. N. B. : cette édition cont (...)

Il rischio, ora più che mai, è di diventare ‘adulti’. E questo spiega non solo l’impegno urgente e estremo di tanti ragazzi; ma anche la ‘fuga dalla vita’ di tanti altri, che si riducono al suicidio o alla droga. Davanti a questo tragico fenomeno collettivo, di cui la Storia non si ricorda l’uguale, gli adulti di tutto il mondo deplorano, denunciano, si scandalizzano, reprimono; ma se cercassero piuttosto di capire, arriverebbero invece a domandarsi se questa fuga disperata non sia dovuta, forse, al fatto, che loro, gli adulti, consegnano ai bambini un mondo inabitabile. […] E in realtà, secondo la sua opinione, la sostanziale indifferenza degli adulti di fronte alla tragedia giovanile contemporanea, risponde a un loro interesse preciso, anche se in parte inconscio: difatti la fuga dalla vita di tanti probabili avversari del potere conviene troppo al potere stesso perché questo si risolva a combattere il fenomeno con le armi giuste della responsabilità e della conoscenza3.

  • 4 Ces mêmes alternatives étaient déjà anticipées, quelques années auparavant, dans l’essai Pro o cont (...)
  • 5 Comme le rappelle L. Dell’Aia, La sfera de puer. Il tempo dei ragazzini di Elsa Morante, Rome, Arac (...)
  • 6 Il nous semble notamment intéressant que Monica Zanardo y consacre deux pages de son ouvrage Il poe (...)

3Dans ce bref passage, elle pose une alternative classique des années 1960‑1970 : la lutte ou la fuite, auxquelles elle ajoutera enfin un troisième modèle, lui aussi bien de son temps — la quête spirituelle4. Mais si son jugement est sûr et sans appel, reprenant somme toute un vocabulaire bien connu de l’évasion coupable, la drogue n’en demeure pas moins un élément tout autre que passager dans son œuvre, où la « fuite hors de la réalité » apparaît sous de multiples visages, tout à la fois désirables et délétères. Morante est prise dans une ambivalence autre, celle qui la lie à un milieu juvénile peut‑être, mais surtout, comme j’essaierai de l’ébaucher, celle de la résonnance profonde de la mécanique de la drogue avec ses propres obsessions, celles‑là mêmes qui traversent son œuvre depuis le départ. Chez Morante, avant d’apparaître comme un objet, la drogue était en effet déjà une métaphore : métaphore des affabulations et des mystifications dont se saoulait Elisa dans Menzogna e sortilegio5. Dans les années soixante, la psychédélie est le parangon d’une « voyance » qui ne pouvait pas la laisser indifférente — et nous pouvons faire l’hypothèse qu’il existe dans son œuvre, en réalité, une profonde affinité entre drogue et fiction comme « fuite », illusion, chimère. Il ne s’agit donc pas de dire ici que l’expérience de la drogue serait marquée, chez Morante, d’une résonance plus positive qu’il n’y paraît, car elle la prête au contraire aux destinées les plus sombres de ses romans — ce que nous disons, c’est que sa centralité même nous alerte sur le fait que cette « fuga dalla vita » répond à des ressorts plus intimes que ceux dont Morante semble ici se distancier en les remettant à une jeunesse qu’elle sépare radicalement, comme elle‑même d’ailleurs, du monde des « adultes ». Si l’ambivalence de la question de la drogue chez Morante a déjà été remarquée6, nous tenterons donc ici de la prendre en tant que telle, comme marque même de cette pratique.

4Repartir de certains poèmes nous permettra également de repartir d’un nœud de sensations ancrées dans le corps, la drogue étant d’abord ici une invasion désirée et consentie ou du moins volontaire. Si l’intérêt de Morante pour les stupéfiants nous amène dans un premier temps sur le terrain de l’esprit bien plus que sur celui du corps, ce déséquilibre même est intéressant, il nous met sur la piste d’un dualisme corps-esprit extrêmement prégnant chez l’autrice. Cette dualité est aussi celle de l’expérience de la drogue : expérience physique et expérience de négation du corps, potentialisation et aliénation, invasion chimique pour une libération souhaitée de l’âme emprisonnée — de l’expérimentation à l’addiction, elle offre toujours une expérience plurivoque, jouant justement sur des effets de possession et de dépossession, volontaire ou involontaire, de soi. On verra enfin qu’elle ouvre aussi bien à la révélation qu’à l’illusion ou à l’oubli pur et simple, jusqu’à la mort.

5Ce qui m’intéressera donc ici est d’ébaucher, à travers la poésie, les contours d’un thème central dont je fais l’hypothèse qu’il vient se placer dans un nœud problématique et représentationnel de la littérature de Morante : la dichotomie réalité-irréalité et de manière plus souterraine, la relation corps-esprit.

1. La comédie chimique

  • 7 Pour la datation des textes, voir M. Fiorilla, Tra le carte del «Mondo salvato dai ragazzini» di El (...)

6Il Mondo salvato dai ragazzini, écrit dans les années 1964‑19677 et publié en 1968, marque l’entrée en scène des substances psychotropes dans l’œuvre de Morante, en même temps qu’il contient un premier noyau autobiographique, mais aussi philosophique et culturel, de cette problématique. Livre composite et en apparence hétérogène (d’un point de vue générique, stylistique, narratif), il décrit en réalité un « voyage de la conscience » articulé en différentes phases que Morante décrit ainsi :

  • 8 E. Morante, Il mondo salvato dai ragazzini (éd. 1971), loc. cit.

In una serie di poesie, poemi e canzoni, una coscienza di poeta, partendo da un’esperienza individuale (Addio della prima parte), attraverso un’esperienza totale che si riconosce anche nel passato millenario e nel futuro confuso (Seconda parte…) tenta la sua proposta di realtà comune e unica (Terza parte)8.

  • 9 Ead., Il mondo salvato dai ragazzini, Turin, Einaudi, 2010, ex. p. 12 (« prendere le pillole drogat (...)

7La seconde partie, nommée La commedia chimica, fait donc la jonction entre expérience individuelle du deuil et « reconnaissance » de sa propre expérience dans un temps long. Le premier poème constituant la première partie, Addio, raconte en effet, du point de vue d’un io lirico associé à la figure d’une poète d’âge mur, la mort d’un jeune amant, l’horreur du deuil et des remords qui s’ensuivent. Il est peut‑être utile de dire que la figure de ce premier ragazzo du recueil est déjà liée à la drogue dans le développement narratif qui le concerne9.

  • 10 Cf. « Undici modi per dire di no », La Repubblica, 4 marzo 1989 : « A differenza di me, Elsa Morant (...)

8La « comédie » qui suit, partie elle‑même articulée en quatre compositions, a l’expérience de la drogue comme liant, dans ses diverses facettes d’échec existentiel, mais aussi d’ouverture des portes de la conscience et de sortie de soi. Sa fonction narrative est de permettre le passage de la pure expérience d’un io lirico qui tente assez misérablement l’échappée chimique, à un reflètement de cette figure dans d’autres souffrances, et à une reconnaissance de la souffrance même comme expérience trans‑historique et trans‑subjective. Dans les quatre compositions dominent les drogues psychédéliques : mescaline, dont Moravia affirme qu’Elsa Morante avait fait l’expérience sous supervision d’un médecin10, LSD, et peyotl. Dès le départ, la tentation ou tentative des drogues apparaît sous ce double aspect : sédation d’une trop grande souffrance existentielle (elle est alors, en tant que « fuite » sans cesse un échec, voire un désastre) et aspiration à une sortie des cadres et des limites de la conscience (cette aspiration étant constante chez Morante). Ces polarités se reflètent aussi dans les genres littéraires respectifs des quatre textes très différents qui composent cette « comédie chimique ». Alors que les deux premiers (La mia bella cartolina dal paradiso et La sera domenicale) se placent dans la continuité de la poésie à la fois lyrique et narrative d’Addio, mettant un sujet aux contours autobiographiques au centre du texte, La serata a Colono et La smania dello scandalo, se dégagent de cette matière subjective en allant chercher du côté du mythe et de ses personnages, « autres » fictifs. Ces deux textes, bien que de nature tout à fait hétérogène, semblent en effet représenter une étape de plus dans ce voyage d’une conscience désormais en route vers d’autres « je » possibles. La serata n’est autre qu’une réécriture d’Œdipe à Colone, avec un Œdipe poly‑toxicomane en venant à s’associer, au moment de sa mort, à une souffrance millénaire et universelle qui le mène jusqu’aux portes du néant. La smania dello scandalo forme quant à elle un petit ensemble à part, cycle de poèmes spirituels décrivant, à partir d’un rite qui ressemble fort à une prise de peyotl, la reconnaissance d’une série entière de réincarnations où la figure du poète retrouve son androgyne originel et reconnaît son destin historique, fait de marginalité et de persécution, avant de sortir du cycle. Au terme de ce mini‑recueil, sont apparus les premiers « felici pochi » qui donneront l’impulsion à la partie suivante du livre, les Canzoni popolari.

9Malgré son éclectisme apparent, on peut donc faire l’hypothèse que le texte bâtit, à travers ses seuils, une macro-narration dont le sens git aussi dans ses choix génériques. L’arc de celle‑ci dessinerait en effet l’élargissement d’une conscience au‑delà des frontières de l’ego. Partant d’une expérience personnelle du deuil, de la drogue et de ses échecs, déclinée dans la poésie d’un « je » assimilable à la poète, cette dernière commence son véritable voyage à travers ses « autres » (projection mythique d’Œdipe et de la ragazzina Antigone sur le théâtre du monde contemporain) — un voyage qui se fait, à travers la rupture générique, voyage fictionnel, représentation. Le retour à la poésie dans la Smania advient à travers l’irruption d’une matière purement visionnaire, celle d’un sujet désormais indéterminé se reconnaissant partie d’un cycle — une poésie où l’attache au « je » est subtilement désarticulée, d’où la présence accrue d’éléments rimbaldiens.

2. La pesanteur du « je » et la grâce du jeu

10Si les seuils des parties sont particulièrement importants, le passage d’Addio à La commedia chimica mène directement de l’expérience du deuil à celle de la drogue, d’abord appelée comme sédation de la douleur, selon les dernières lignes du poème :

  • 11 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 17.

Ma quando la memoria è masticata dalle sabbie
anche la pulsazione del dolore è troncata.
 
Così sia
11.

  • 12 Ibid., p. 8 et 17.
  • 13 Ibid., p. 6 : « Io sono condannata al tempo e ai luoghi / finché lo scandalo si consumi su di me. »
  • 14 Car l’adolescent en vision récrimine : « Tu adoravi come una festa del tuo destino / una fanciullez (...)

11Le deuil était expérience du manque, mais aussi invasion sensorielle des souvenirs et des visions, phantasmata pétrarchiennes où le jeune amant apparaît à la poète chenue. L’expérience autobiographique douloureuse de la mort de Bill Morrow trouve son récit dans un réinvestissement de thèmes et d’images qui déboussolent au passage les attendus de genre : le jeune mort est un enfant, un adolescent, un ange parfois cruel, et la survivante est à la fois une poète senex et une mère attendant son enfant. « Délires », « mirages », « morganes », s’alternent déjà avec une étrange vision psychédélique qui fait deux fois son apparition, celle d’une chamelle « voleuse de nuits » qui apparaît et disparaît dans un désert, évoquant le territoire inaccessible de la mort12. Le poème s’organise dans un aller‑retour entre ce « qua », un ici et maintenant du quotidien (l’ici‑bas) et le temps sans lieu où a basculé l’amant disparu — la souffrance est ainsi déjà celle de ne pouvoir briser les limites du temps et du lieu13. Mais le deuil, dans Addio, se double avant tout d’un profond sentiment de culpabilité, car c’est bien la faute (ici faute d’être encore en vie, faute de ne pas avoir pris suffisamment au sérieux le mal‑être de l’être aimé14) qui plonge la poète dans l’autodestruction. Cette faute dont les personnages se sentent investis sera un puissant ressort de la toxicomanie chez son Œdipe d’abord, puis dans les narrations futures de Morante — d’une autre manière, Davide comme Manuele sont des êtres rongés par la culpabilité et par la honte, sentiment dominant la « pesanteur » des récits morantiens. La formule « Così sia », avec sa résonance religieuse, appelle la mise en place d’un nouveau rituel, d’une nouvelle invasion du corps et de l’esprit, qui porte la double marque du châtiment et du soulagement.

  • 15 Sur la parodie chez Morante, voir notamment G. Agamben, Categorie italiane, Studi di poetica e lett (...)
  • 16 Dans ses manuscrits, E. Morante avait écrit : « Nelle quattro poesie raccolte sotto il titolo Un li (...)
  • 17 C’est d’ailleurs à travers ce terme que Pasolini définit Il mondo salvato dans ses deux poèmes de T (...)

12Nous reviendrons plus tard sur cet aspect expiatoire. Ce que nous souhaiterions ici mettre en exergue, c’est le heurt y compris esthétique entre cette intensité de souffrance et de désespoir, et la tonalité qui, par son titre même, est celle de La commedia chimica. C’est ici que le style parodique15 de Morante produit un décrochage inattendu, marquant le seuil de la deuxième partie. Les titres des deux premiers poèmes à eux seuls nous font comprendre ce passage : La mia bella cartolina dal paradiso et La sera domenicale, deux titres ancrés dans un quotidien d’un autre registre, deux titres volontairement naïfs et ironiques, dans un style adolescent, mariant la jolie carte postale et les paradis artificiels, selon un pastiche tout morantien. Leur aspect ludique est encore renforcé par le clin d’œil des titres16, le premier cachant les lettres de mescalina, la première drogue dont il est question, et le second, les initiales de LSD, au moment même où les Beatles venaient de sortir Lucy in the Sky with Diamonds. Que ces poèmes soient suivis d’une réécriture d’Œdipe à Colone sous forme, là aussi, de « Parodie » sérieuse, puis d’un étrange, artificiel cycle de poésie mystique (on serait presque tentés de dire new age), ne devrait donc pas nous étonner — la Comédie est aussi là pour, en même temps qu’elle sort le « je » de ses ornières, imposer un saut hors du quotidien, une grâce stylistique17, une ironie qui distancie la matière toujours noirissime du texte. La centralité des drogues, dans ce passage, joue le rôle ambivalent d’un poison auto‑infligé pour décollement nécessaire de la réalité — que Morante ait ici choisi les drogues psychédéliques n’est évidemment pas un hasard. S’y joue enfin un air de connivence évident — d’un point de vue culturel au moins — avec un certain lectorat juvénile, celui auquel Morante souhaitait s’adresser en particulier.

3. « Le sommeil de la virginité »

  • 18 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 6 : « Voglia di un sonno che pare una tua dolcezza […](...)

13Dans un premier temps, celui de la fin d’Addio, cette mémoire « masticata dalle sabbie » semblait marquer avant tout la volonté d’oubli, de sommeil, de disparition18. Car à côté de la douleur désirée et de la conduite ordalique sur lesquels nous reviendrons, la prise de drogue est d’abord une expérience d’annulation recherchée, une abolition temporaire de la mémoire, et du temps. C’est aussi, peut‑être, à cette vacance temporaire que fait référence le titre ironique de La sera domenicale, avec le même effet sinistre que les « journées de gala » de Davide. L’effet psychédélique, ou euphorisant, ou onirique des drogues ont toujours une seconde contrepartie escomptée, l’annulation du temps continu, évidemment suivi de la même reprise désespérante — comme ici dans La storia, où Davide est plutôt sous l’effet de narcotiques et d’hypnotiques :

  • 19 Ead., La storia, Turin, Einaudi, 1995, p. 516.

Col loro aiuto, rapidamente piombava in un letargo, dentro il quale poteva giacere sprofondato le giornate intere. Ma quando ne riemergeva, era lo stesso, per lui, che se fosse passato un attimo dal punto che si era addormentato. L’intervallo era zero. E il peso del tempo indistruttibile lo aspettava sulla soglia del terraneo, simile a un pietrone che lui doveva trascinarsi dietro. Allora, bravamente se lo caricava addosso, cercando di reagire19.

14Le phénomène est le même chez Manuele, ancien toxicomane d’Aracoeli, initié par un jeune amant :

  • 20 Ead., Aracoeli, Turin, Einaudi, 2013 (1982), p. 51.

In dono mi ha lasciato la pratica dei narcotici, compresi quelli cosiddetti pesanti. Prima di allora, io mi ero limitato all’uso degli ordinari sonniferi di farmacia, come rimedio notturno contro l’insonnia, o rifugio temporaneo in certe crisi estreme. Ma da Mariuccio ho imparato a praticare il sonno come sperpero, sciopero e sabotaggio. E questi ultimi anni, io li ho spezzati e disfatti, disertando la fabbrica del tempo ogni volta che i suoi ritmi prescritti mi sbigottivano, nella loro eternità numerata. Alla mia assenza, gli orologi del mondo saltavano, e le giornate si sfogliavano in disordine come trucioli d’una pialla sconnessa. Mi ridestavo da un sonno di più giorni supponendo d’essermi addormentato la sera prima. Il futuro era già passato, tutte le date erano scadute senza controllo, le notizie del giornale erano scavalcate da notizie contrarie20.

15Ce long sommeil qui brise la linéarité insupportable du temps, arrachant l’individu à son ici et maintenant, est sans doute également contenu dans La commedia chimica, sauf pour un détail qui n’en est pas un, à savoir que le type de drogue auquel Morante fait allusion dans Il mondo salvato semble vouloir entraîner le « je », et le livre entier, vers d’autres territoires. Son vœu initial, par ailleurs, ne semble pas tant être une extinction du temps qu’un déplacement hors des « jours et des lieux ». Pendant le colloque qui a donné lieu à cette publication, nous nous sommes demandés quelles résonances ouvraient ce jour du dimanche dans La sera domenicale : « domenica sconsacrata » bien sûr, solitude des solitaires dans un jour typiquement familial, bien sûr, mais aussi temporalité particulière des dimanches (réels ou symboliques) et de leurs éternités possibles — temps à briser ou à recréer. Par ailleurs, il est sans doute utile de dire que ce thème de la faiblesse ou du sommeil recherché est très fréquent chez d’autres personnages de Morante, participant de la « pesanteur » qui envahit parfois leurs corps et leurs esprits. La storia notamment nous fait voir à quel point l’expérience des seuils psychiques et physiques, loin d’être réservée aux toxicomanes, répond à des aspirations et/ou à des malédictions plus profondes des personnages morantiens : on se rappelle bien sûr d’Useppe absorbé dans ses visions poétiques, dont le contre‑point est immanquablement l’invasion épileptique, mais aussi et surtout Ida, constamment appelée par des rêves, aspirée par le fond dans un sommeil qui vient la relier à sa « tribu ». Ces expériences liminaires intéressent la question de « l’invasion », car elles postulent une porosité particulière des individus, un sujet en tension avec sa propre dissolution.

  • 21 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 95‑96. C’est par ailleurs dans la drogue que Davide re (...)
  • 22 A. Rimbaud, Une saison en enfer, Paris, Gallimard, 1963, « coll. Pléiade », p. 234, notre italique.
  • 23 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 23 : « Dell’al di là / non ho potuto che intravedere a (...)

16La prise de drogue rejoint donc ici une faculté des rêves dont l’envers est la narcose, l’une comme l’autre face étant souvent liées à un aspect régressif. La destination ultime des personnages morantiens, toujours marquée d’un impossible, sera en effet prononcée par Œdipe dans La serata a Colono : « sì sì / era questo / che io volevo / sempre / io volevo / tornare al corpo / dove sono nato21 ». Ces vers, empruntés à Allen Ginsberg, nous renvoient avec la beat generation à l’une des principales influences (contre)culturelles et stupéfiantes de ce cycle — une référence incontournable avec laquelle Morante montre ici encore son affinité. Ce motif n’est ainsi pas privé de résonances culturelles que nous retrouverons un peu plus loin dans le texte, à commencer par la référence, constante, à Rimbaud. René de Ceccatty, regardant les exemplaires des œuvres de Rimbaud ayant appartenu à Morante, rapporte qu’elle a par exemple tout particulièrement annoté ce passage d’Alchimie du verbe : « Je finis par trouver sacré le désordre de mon esprit. J’étais oisif, en proie à une lourde fièvre : j’enviais la félicité des bêtes, — les chenilles, qui représentaient l’innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité22! » Si la drogue se configure encore, chez Morante, avec les résonances du « paradis », c’est non seulement en vertu d’une tradition poétique presque devenue « pop », si bien qu’elle s’allie sans problème aux Beatles et aux cartoons23 en cette fin des années soixante, mais aussi parce que sous ce mot réside l’une des clés interprétatives de son œuvre entière.

4. La faute, l’expiation, la grâce

17Cependant, l’envers de l’oubli est bien l’expiation, car dans La commedia chimica en tout cas, la promesse de la drogue n’est pas tant un « dolore troncato » qu’une tentative d’enfreindre les barrières de la subjectivité pour approcher le territoire des morts (La mia bella cartolina dal paradiso) ou pour sortir de ses propres limites. La sera domenicale décrit ainsi tout l’arc d’un trip au LSD absorbé dans la solitude d’un dimanche en appartement. Le poème fait bien signe vers un « dérèglement de tous les sens » dont le but serait de se dégager à la fois du corps et de la raison, incapables de venir au secours du sujet dans la profonde crise qu’il traverse, et dont le seul remède serait la « grâce ». La sera domenicale met en scène la drogue comme rituel personnel qui viserait à prendre sur soi une souffrance plus grande que la sienne propre. Par rapport au poème précédent, celui‑ci contient un élargissement considérable de la perspective, où la douleur, d’individuelle, s’est faite universelle : l’anaphore du départ, dessinant un premier voyage de la conscience, prend immédiatement la forme d’une prière qui démultiplie et dématérialise le corps, le désancrant pour mieux le projeter dans une expérience de la douleur qui traverse l’histoire de part en part :

  • 24 Ibid., p. 27.

Per il dolore delle corsie malate
e di tutte le mura carcerarie
e dei campi spinati, dei forzati e dei loro guardiani,
e dei forni e delle Siberie e dei mattatoi
e delle marce e delle solitudini e delle intossicazioni e dei suicidi
e i sussulti della concezione
e il sapore dolciastro del seme e delle morti,
per il corpo innumerevole del dolore
loro e mio,
oggi io ributto la ragione, maestà
che nega l’ultima grazia,
e passo la domenica con la demenza
24.

  • 25 Je me permets ici de renvoyer à mon commentaire de ce passage du texte : M. Fabre, « Elsa Morante, (...)

18Un premier voyage qui n’est pas sans rappeler les prérogatives du poète selon Morante, dont la douleur singulière est immédiatement équidistante de celle de « tous les autres » : et ce « loro e mio » appelle déjà ce qui sera l’une des acquisitions sapientales du livre (« ama gli altri perché te stesso25 »). La drogue psychédélique est ici plus apte à déplacer la conscience qu’à l’éteindre. Entre recherche et rejet d’un salut, la drogue apparaît toujours, chez Morante, comme expérience stigmatisée-stigmatisante, elle s’ordonne à partir d’une forme de demande d’expiation que la « mente malcresciuta » assimile à cette « grâce ». Autodestructrice, elle fait encore fond sur une punition qui s’adresse à un sujet perçu comme profondément indigne ou dégradé :

  • 26 E. Morante, Il mondo salvato, loc. cit.

O preghiera trafitta dell’elevazione,
io rivendico per me la colpa dell’offesa
nel corpo vile.
Stàmpami nella mente malcresciuta
la tua grazia. Io ti ricevo
26.

  • 27 G. Chamayou, Les corps vils, Paris, La Découverte, 2009.

19En italique dans le texte, la citation « nel corpo vile », renvoyant à l’expression latine in corpore vili nous invite à revenir à une étymologie de cette expression, désignant les « corps vils » des premières expérimentations de la médecine27 : réprouvés et marginaux, corps suppliciés et corps cobayes qui nous rappellent à nouveau aux premiers corps du poème (ceux des camps, des prisons, des hôpitaux…) — à la différence que Morante prend volontairement sa place parmi eux en revendiquant sa « faute ». C’est en conséquence à la « piccola strage » de la drogue que l’io lirico se soumet, et le poème s’arrête successivement sur les sensations de la drogue, où entrent en collision les extases de l’esprit (« astrazioni meravigliose », selon une imagerie toujours rimbaldienne) et les « invasions » du corps.

  • 28 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 105.
  • 29 Ibid., p. 125.

20Enfin, ces éléments symboliques et structurels seront repris dans la Storia où Davide affronte, à travers la drogue, son « ordalie », thème qui fait son apparition dans Il mondo salvato dai ragazzini d’abord dans La smania dello scandalo28, puis dans la figure de Simone Weil partie pour « l’ordalia della croce29 ». C’est le mot fixant désormais la forme de l’épreuve, verticale, qui attend tôt ou tard tous les personnages de Morante. Ici, Davide en explique avec les mêmes mots la signification :

  • 30 E. Morante, La storia, ouvr. cité, p. 612‑613. La trajectoire de Davide montre aussi de la part de (...)

Nel suo cervello, unica, chi sa perché, ritorna a battere, come da un orologio, la parola ORDALIA. Lui si sforza di rammentarne il significato: e si tratta, a quanto gli sembra, di una specie di giudizio divino, rivelato attraverso una prova. A questo punto, crede di intendere che la sua ordalia sarebbe di rinunciare alle droghe di ogni qualità, compreso anche l’alcool, accettando il privilegio terribile della ragione. Fare qualsiasi mestiere: l’operaio, il bracciante, lo scrittore, l’esploratore… assumendo nella propria carne che materia e intelletto sono una sola cosa, la quale è Dio… […] Decide a ogni modo che da oggi comincia la sua ORDALIA definitiva (Non rimandare a domani!), ma tuttavia si alza barcollando e va alla valigetta dove conservava una certa provvista di droghe. Ci sono le capsule di sonnifero rosse e nere che ormai da tempo lo tradiscono […]. Ci sono polveri, o pastiglie eccitanti da iniettarsi in vena dopo averle ridotte in polvere […]. C’è un avanzo di kif acquistato da un Marocchino, il quale gli ha anche fornito una pipetta speciale. C’è, della stessa origine, un campione d’oppio grezzo, di un colore d’ambra scura, grosso quanto una noce, ecc. ecc. Negli ultimi tempi, invero, gli era venuto il capriccio di trasformarsi in una specie di cavia umana; e adesso ride, chino sulla valigetta, pensando che, per darsi una qualche giustificazione, aveva forse presunto, perfino, che proprio queste esperienze in corpo vile fossero la sua ORDALIA30.

21Si je me permets de citer si longuement ce passage, c’est parce qu’il condense à nouveau les polarités ambivalentes, presque indécidables, liées à l’épreuve sans cesse recherchée, repoussée, ratée, dont la drogue est tour à tour un point de fuite et un point d’orgue. Il nous intéresse également en cela qu’il lie étroitement l’expérience de la drogue à la corporéité et plus précisément à une intégration corps-esprit manquée — puisqu’arrêter serait assimiler « dans sa chair que matière et intellect sont une même chose, laquelle est Dieu », au lieu de quoi Davide continue à vivre son ordalie « in corpo vile », en faisant de lui‑même un cobaye, comme le veut le sens à la fois médical et religieux de l’expression.

5. Sensations et décorporations

22Nous voudrions nous arrêter encore plus spécifiquement sur les images qui s’attachent au(x) corps morantien(s) à partir de l’intoxication décrite comme expérience sensorielle, et interprétée comme risque aussi bien mental que physique.

  • 31 Ibid., p. 27.
  • 32 Ibid., p. 23.
  • 33 Il me semble qu’une étude de fond sur la corporéité chez Morante reste d’ailleurs encore à mener.
  • 34 Sur le corps et le dualisme chez Platon et dans le christianisme, voir l’excellent article de F. Fa (...)

23Dans les poèmes du cycle de La commedia chimica, la drogue provoque une expérience, d’abord d’invasion, puis de sortie du corps. Les sensations agréables et désagréables de la montée provoquent l’ivresse ou la nausée, « Il sudore la nausea il freddo dei polpastrelli l’agonia delle ossa31 ». Ce petit « massacre » habituel se configure aussi comme expérience de sortie du corps, projeté hors de lui‑même dans La mia bella cartolina : « Mentre al di sotto di me, nel basso fondo, scorgevo ancora il corpo che avevo appena lasciato / e già si faceva polvere […]32. » Ce dédoublement et cette image de la cendre ou de la poussière se superposant au corps humain est constante dans les textes : elle nous dit quelque chose d’une expérience de la drogue qui est à la fois incorporation d’une substance et décorporation, mais elle nous dit également quelque chose d’une idée ou d’une place du corps, sans compter qu’il s’agit là encore d’une imagerie que l’on croise dans de nombreux textes religieux des traditions aussi bien occidentales qu’orientales. L’une de mes premières hypothèses en présentant cet article était que l’écriture de la drogue chez Morante était susceptible de mettre en relief un dualisme, voire une dualité de fond qui investit les rapports corps-esprit — dualisme qui semble informer l’intégralité de l’œuvre à divers niveaux33. Et même si nous ne pensons pas que ce dualisme soit d’abord d’ordre philosophique, il trouve cependant des relais dans les lectures de Morante, de Platon34 à Simone Weil — lectures présentes à plusieurs niveaux notamment à partir de ces années soixante.

  • 35 Nombreuses sont les images de ce type en début de recueil — comme dans le vers : « Non posso scaval (...)

24Dans ces poèmes, on remarque donc que le corps de chair est sans cesse doublé d’un corps de cendre. Corps mortel, corps dégradé, corps-tombeau ou corps-barrière : pour Morante, qui continue à voir la tragédie de l’humain dans l’enfermement d’une conscience infinie dans un corps mortel qui la contraint, celui‑ci est avant tout l’une des composantes de la cage subjective qui nous empêche d’avoir accès au vrai qu’elle nomme « Réalité » (la seconde composante est psychique, c’est la somme des déterminations idéologiques, mais aussi névrotiques, qui déterminent le sujet). Il nous semble significatif que le titre initial du Mondo salvato ait été Il campo spinato, image d’enfermement qui décrit plus encore qu’une condition historique, une condition existentielle pour laquelle, il est vrai, la propagande psychédélique de l’époque s’offrait comme voie de sortie35.

  • 36 Ibid., p. 30 : « questa Assunzione era un surrogato onirico provvisorio come una marchetta rimediat (...)
  • 37 Ibid., p. 27. Sauf indication de notre part, toutes les citations suivantes sont issues des p. 27‑2 (...)
  • 38 Ibid., p. 100.

25Si le premier poème de La commedia chimica s’offre comme auto-expérimentation avortée, faite avec une drogue plutôt décevante36, on traverse avec le second une expérience de plus en plus complète, qui fait passer l’individu par « l’orrore della scarnificazione37 » pour l’amener vers un monde sans confins. Pas de sensations agréables ici, mais un processus qui plonge le corps, sans plus aucun contrôle (« nessuna via di fuga ») dans l’hallucination (la « pavonessa » psychédélique) jusqu’à ce que l’esprit apprenne que « La gamma dell’illimitato è un’altra legge carceraria / più perversa di ogni limite ». L’individu est dissous jusqu’à devenir un point, dans son esprit et dans son corps (« La coscienza è ormai solo una tignola che batte nel buio micidiale » rejoint « Io sono il punto amaro delle oscillazioni / fra le lune e le maree », puis « Unico punto il bàttito del cuore schiacciato / ancora vivo » dans La smania dello scandalo38). Du corps, ne restent que le « occhiaie polverose », « squama oscura di qua da ogni incarnazione », jusqu’à ce que la poète revienne à son « corpo morituro ».

  • 39 On trouve plusieurs témoignages qui rapportent ces hallucinations à une expérience vécue. Par exemp (...)
  • 40 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 28.
  • 41 Ibid. : « Memoria memoria, casa di pena ».

26Car si le sujet lyrique cherche par ses expérimentations à exploser les frontières physiques, mentales et affectives de sa propre existence, c’est le quotidien qui lui revient sous forme dégradée, un enfer quotidien qui envahit tout l’espace domestique en le rendant cauchemardesque, y compris les toiles au mur, y compris Mozart39. Les instantanés de son propre espace s’inscrivent comme autant de flashs cauchemardesques (« la norma quotidiana / si riaffaccia a intervalli col suo povero viso domestico », « nel tuo domicilio laido / dove ti schiacci fra le pareti bruttate della tele dipinte / che si riconoscono stracci e polveri di Sindoni degradate »40). Tout le décor familier se transforme, carrelage en « boue sanglante », ciel en « rideau pouilleux ». La drogue n’offre pas la « grâce » attendue, mais plutôt une révélation négative, et le sujet doit se rendre à nouveau au « qua » qui est le sien : maison, mémoire41 et corps imparfait — le poème se ferme par un congé désabusé qui replonge le sujet dans sa dimension quotidienne, dans son destin commun lié à la finitude, au temps, aux rechutes.

  • 42 Ibid., p. 29.
  • 43 Cf. Philippiens 3 : 21.

27Le sujet poétique s’est du moins dégagé de sa faute : revenue en quelque sorte sur terre, à son présent, la poète énumère — « Nessuna Rivelazione », « Nessun peccato », « nessuna grazia speciale », mais s’en va « Assolta, assolta, benché recidiva »42. Malgré la douce auto-commisération des derniers vers, cette réintégration de l’esprit et du corps, de la maison et des heures, ne se fait pas sous un jour positif : quel que soit le quotidien, il apparaît toujours chez Morante sous l’angle d’une misère, ou dans la misère d’une banalité. Tout comme le corps vil s’oppose dans la tradition chrétienne au corps glorieux43 qui est toujours pour Morante celui de l’enfance (ou peut‑être d’une enfance mythique-idéale), les coordonnées matérielles du quotidien, jusqu’à l’ancrage spatio-temporel en tant que tel, sont eux aussi sans cesse marqués de finitude, et donc de négativité.

  • 44 Cette partie devait initialement s’appeler « un’acqua amara che fa sudare », version à peine transf (...)
  • 45 Sur ce point voir le commentaire de A. Borghesi, Una storia invisibile. Morante, Weil, Ortese, Rome (...)
  • 46 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 101 : « E tu accorri, eco d’un’eco, dai nostri nidi ve (...)

28La réponse que cette conscience de poète trouve dans la suite du texte est plutôt celle de la revitalisation par un nouvel idéal du moi faisant coïncider quête spirituelle et sacrifice dans la vocation artistique. Ainsi, le cycle La smania dello scandalo commence également par l’absorption d’une « acqua amara » de rimbaldienne mémoire44 et où l’on passe par les mêmes étapes (« Il corpo è cenere. / Unico punto il battito del cuore schiacciato / ancora vivo ») — mais avec, cette fois, un cycle complet jusqu’à la « révélation » attendue. Cette révélation, sur laquelle nous ouvrons sans pouvoir l’analyser en détail, est celle d’une dimension hors‑temps45 où le corps réapparaît « invulnérable ». Le rapport à la finitude parvient cette fois à s’opposer à un corps glorieux, utopique, enfantin-androgyne, « allegra impubertà senza storia46 ». Révélation d’une autre Réalité au sens religieux ou spirituel, dont l’artiste aurait pour tâche d’être le témoin marginalisé-stigmatisé. À l’issue de La commedia chimica, l’io lirico a réussi sa sortie — élargissant les frontières, faisant tomber le moi, le dépassant dans des personnages — mais c’est peut‑être au prix d’une dichotomie toujours brutale entre réel et réalité.

6. Conclusions

  • 47 L. Dell’Aia, ouvr. cité, p. 100.
  • 48 G. Rosa, Cattedrali di carta, Milan, Il Saggiatore, 1995, p. 194‑195.

29Dans La sfera del puer, Lucia dell’Aia fait l’hypothèse que La sera domenicale, le poème qui nous a le plus intéressée ici, serait « un invito rivolto a se stessa di non rifugiarsi più nella dimensione visionaria per consolare il dolore dell’esistenza47 », et reprend un puissant commentaire de Giovanna Rosa48 sur trois vers palinodiques de la Smania dello scandalo : « O ambiguità, provocazione di due voci in una, / che con la tua canzoncina divertivi la morte, / la tua polvere è poca per saziare la morte. » Selon Giovanna Rosa, cette petite chanson à son tour transformée en « cendre » serait celle de la littérature précédente de Morante, consolatoire ou d’évasion au sens le plus noble du terme, mais tout de même en ce sens coupable ou en tout cas à dépasser dans sa nouvelle poétique. Dell’Aia relie ainsi le rejet de la drogue à un rejet plus global de « l’irréalité », selon Morante « opium » moderne d’une humanité ayant déréalisé son monde, mais, d’un point de vue plus auto‑réflexif, celle de la « fatua veste » de la fiction, recours habituel des personnages morantiens. On comprend alors mieux l’ambivalence tenace du motif de la drogue, dès lors que sous son jour métaphorique on l’ouvre à une signification non littérale qui l’associerait à des facultés poétiques et mythifiantes ou mystifiantes dont la dualité est sans doute insoluble. La persistance de ce motif bien au‑delà de Il mondo salvato, son non-dépassement en quelque sorte, nous indique ultérieurement à quel point il constitue au minimum un expédient représentationnel particulièrement efficace pour explorer, « à l’intérieur du sujet », le nœud inextricable des polarités réalité-irréalité.

  • 49 C. D’Angeli, Leggere Elsa Morante, Rome, Carocci, 2003, p. 10, citée dans L. Dell’Aia, ouvr. cité, (...)

30La noirceur de son dernier roman, Aracoeli, remet en cause non le désir, mais la réussite de l’entreprise de conscience totale et supérieure qui avait caractérisé Il mondo salvato et qui marque également la voix narrative de La storia. À ce propos, Concetta d’Angeli note une évolution par rapport à la Storia où le personnage tragique de Davide prend une portion congrue du roman : elle lui oppose Manuele, qui « essendo […] la voce narrante del romanzo, la centralità del suo ruolo e del suo punto di vista determina un’estensione dello sguardo drogato su tutta la materia raccontata — ed è in effetti l’alterazione prodotta dal suo sguardo una delle cause non ultime della sovversione percettiva che caratterizza la scrittura dell’ultima opera morantiana49 ». Cette « invasion » des perceptions hallucinées de la drogue dans l’écriture morantienne ne nous semble pas à son tour être un hasard. En effet, Aracoeli est aussi le roman de l’échec : échec de la conscience, de l’entreprise de connaissance, échec peut‑être de cette génération dans laquelle Morante avait placé tant d’espoirs — autant de thèmes (illusions opérantes, croyances, moteurs) qui ponctuaient encore la quête du Mondo salvato.

Haut de page

Notes

1 Bien que sa présence soit étudiée à travers les divers personnages drogués de l’œuvre, il n’existe à notre connaissance aucun travail spécifique sur la question.

2 L’Œdipe de Morante est celui qui apparaît dans La serata a Colono dans Il mondo salvato dai ragazzini ; Davide est un personnage de La storia ; Manuele le personnage principal de Aracoeli.

3 E. Morante, Il mondo salvato dai ragazzini, Turin, Einaudi, 1971, p. vi. N. B. : cette édition contient une « Nota introduttiva » de l’autrice, datée de la même année et, inexplicablement, pas ou pas toujours reprise dans les éditions successives.

4 Ces mêmes alternatives étaient déjà anticipées, quelques années auparavant, dans l’essai Pro o contro la bomba atomica.

5 Comme le rappelle L. Dell’Aia, La sfera de puer. Il tempo dei ragazzini di Elsa Morante, Rome, Aracne editrice, 2013, p. 59 : « È utile […] richiamare l’attenzione sul fatto che il tema della droga e delle allucinazioni, che essa produce, è associato, nel testo morantiano, al tema più generale dei ‘sogni’ e delle ‘favole’, creati dall’immaginazione poetica. » Son impressionnante étude de Il mondo salvato dai ragazzini sera notre référence principale au long de cet article.

6 Il nous semble notamment intéressant que Monica Zanardo y consacre deux pages de son ouvrage Il poeta e la grazia, dans les termes d’une « questione […] controversa », rappelant également que Davide se dit lui‑même initialement tout à fait hostile aux drogues. Elle résume ainsi cette dualité : « L’atteggiamento di Elsa Morante oscilla tra l’adesione a uno sperimentalismo maudit di matrice romantica e riferito a Rimbaud […] e, al contrario, l’individuazione della droga come ultima debolezza, atto quasi di misericordia che plachi la tortura della ragione. Di fatto, le sostanze stupefacenti aprono a un paradiso, appunto, ‘artificiale’. […] Si tratta, tuttavia, di un compromesso, che rende tanto più lacerante la ricollocazione nell’Irrealtà. » (M. Zanardo, Il poeta e la grazia, Rome, BIT&S, 2017, p. 155‑156). De notre côté, nous faisons l’hypothèse qu’il n’y a aucune contradiction réelle dans cette dualité, ni même dans la posture morale que l’autrice adopte quand elle en parle — cette dualité est sans doute au contraire partie intégrante de l’expérience des drogues ou de leur attraction, qui met toujours en jeu (Morante est la première à le montrer) culpabilité, déni, haine de soi et lucidité d’une forme y compris physique de dégradation.

7 Pour la datation des textes, voir M. Fiorilla, Tra le carte del «Mondo salvato dai ragazzini» di Elsa Morante: per la genesi di «Addio», dans La filologia dei testi d’autore, Atti del Seminario di Studi, Università degli Studi Roma Tre (3‑4 octobre 2007), Florence, Franco Cesati Editore, 2009, p. 255.

8 E. Morante, Il mondo salvato dai ragazzini (éd. 1971), loc. cit.

9 Ead., Il mondo salvato dai ragazzini, Turin, Einaudi, 2010, ex. p. 12 (« prendere le pillole drogate, che fino a domani / fanno dormire come morti »). Il s’agit bien entendu de la figure de Bill Morrow, jeune peintre new‑yorkais mort en 1962, à 26 ans, en précipitant d’un gratte‑ciel.

10 Cf. « Undici modi per dire di no », La Repubblica, 4 marzo 1989 : « A differenza di me, Elsa Morante volle fare degli esperimenti con la mescalina, ma sotto controllo medico, con Servadio, lo psicanalista. » Dans le même article, Dario Bellezza affirme : « Elsa Morante non faceva mistero di voler provare tutto. » Il est par ailleurs assez divertissant de voir que dans cet article au titre moralisant, Morante apparaisse post‑mortem comme la poétesse maudite d’une tradition italienne qui en comporte bien peu. Pour ce qui est de l’expérience directe des drogues, il sera aussi utile de faire référence au voyage que Morante fait en Inde avec Pier Paolo Pasolini et Alberto Moravia en 1961. Si contrairement aux deux autres, elle n’écrit pas de récit de voyage à proprement parler, l’Inde est présente de multiples manières dans Il mondo salvato dai ragazzini et l’on peut penser que ce voyage fut aussi marquant pour elle que pour Pasolini. Sur ce sujet, voir R. Dedola, La valigia delle Indie e altri bagagli, Bruno Mondadori, 2006, p. 55‑105.

11 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 17.

12 Ibid., p. 8 et 17.

13 Ibid., p. 6 : « Io sono condannata al tempo e ai luoghi / finché lo scandalo si consumi su di me. »

14 Car l’adolescent en vision récrimine : « Tu adoravi come una festa del tuo destino / una fanciullezza già segnata che ti diceva il suo male. » (Ibid., p. 16)

15 Sur la parodie chez Morante, voir notamment G. Agamben, Categorie italiane, Studi di poetica e letteratura, Rome / Bari, Laterza, 2010. Sur ce terme employé comme sous‑titre de La serata a Colono, voir C. D’Angeli, Leggere Elsa Morante. Aracoeli, La Storia e Il mondo salvato dai ragazzini, Carocci, 2003, où est notamment développé l’idée de « parodie sérieuse ». Puis, sur Il mondo salvato, un article antérieur : M. Fabre, « Sur deux heureuses apocalypses », Italies, no 25, 2021, p. 253‑269 ; et sur les romans : L. Dell’Aia, « La parodia nei romanzi di Elsa Morante », Cuadernos di filología italiana, vol. 21, 2014, p. 101‑112.

16 Dans ses manuscrits, E. Morante avait écrit : « Nelle quattro poesie raccolte sotto il titolo Un liquore amaro amaro che fa sudare io ho tentato di descrivere con la massima esattezza e fedeltà certi miei privati esperimenti che più tardi, purtroppo, sono diventati di moda; e dichiarati, in seguito, da molti paesi, illegali. Così quelle poesie, non si spiegano secondo una logica immediata; ma piuttosto, sono la chiave; però la chiave si può ritrovare abbastanza facilmente nei loro singoli titoli dove io l’ho nascosta. La ritrovi chi può. » (S. Ceracchini, « Le chiavi e le ispirazioni letterarie della Commedia chimica », dans E. Palandri et H. Serkowska (éds), Le fonti di Elsa Morante, Venise, Edizioni Ca’Foscari, 2015, p. 85). Nous renvoyons par ailleurs à cet article pour une étude approfondie des manuscrits et des sources.

17 C’est d’ailleurs à travers ce terme que Pasolini définit Il mondo salvato dans ses deux poèmes de Trasumanar e organizzar, Milan, Garzanti, 1976, p. 35 : « Sì! L’umorismo come carità, è questa… la grazia! »

18 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 6 : « Voglia di un sonno che pare una tua dolcezza […]. »

19 Ead., La storia, Turin, Einaudi, 1995, p. 516.

20 Ead., Aracoeli, Turin, Einaudi, 2013 (1982), p. 51.

21 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 95‑96. C’est par ailleurs dans la drogue que Davide retrouve parfois les accents intacts de son enfance, de sa naïveté massacrée. La citation est empruntée au poème Song, d’Allen Ginsberg, sans doute dans sa traduction de 1954 par Fernanda Pivano. Cf. C. Messina, « Al centro del Mondo salvato dai ragazzini, una lettura delle Serata a Colono », Bollettino di italianistica, 2014/1, p. 105‑122.

22 A. Rimbaud, Une saison en enfer, Paris, Gallimard, 1963, « coll. Pléiade », p. 234, notre italique.

23 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 23 : « Dell’al di là / non ho potuto che intravedere a malapena in lontananza / una cupola trasparente, sospesa in un quieto crepuscolo amniotico, e adorna / di allegri fumetti, pareva, di un autore infante. »

24 Ibid., p. 27.

25 Je me permets ici de renvoyer à mon commentaire de ce passage du texte : M. Fabre, « Elsa Morante, une spiritualité politique : arrêt sur trois pages du Monde sauvé par les gamins », dans A. Peyronie et D. Peyrache-Leborgne (éds), À la recherche d’Elsa Morante, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2022, p. 269‑289.

26 E. Morante, Il mondo salvato, loc. cit.

27 G. Chamayou, Les corps vils, Paris, La Découverte, 2009.

28 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 105.

29 Ibid., p. 125.

30 E. Morante, La storia, ouvr. cité, p. 612‑613. La trajectoire de Davide montre aussi de la part de Morante une certaine documentation sur la drogue. Dans sa bibliothèque, à côté du vaste versant littéraire disponible, on ne trouve à ma connaissance que J. Young, The Drugtakers: The Social Meaning of Drug Use, Londres, MacGibbon and Kee, 1971, et D. Elvin, The Drug Experience: First-Person Accounts of Addicts, Writers, Scientists, and Others, New York, Grove press, 1965.

31 Ibid., p. 27.

32 Ibid., p. 23.

33 Il me semble qu’une étude de fond sur la corporéité chez Morante reste d’ailleurs encore à mener.

34 Sur le corps et le dualisme chez Platon et dans le christianisme, voir l’excellent article de F. Fauquier, « Le corps platonicien, preuve et épreuve de la transcendance », Cahiers d’études du religieux. Recherches interdisciplinaires, no 14, 2015, disponible en ligne sur <https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cerri.1470>.

35 Nombreuses sont les images de ce type en début de recueil — comme dans le vers : « Non posso scavalcare questa rete spinata / mentre al tuo grido innocente non c’è risposta » (E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 6, c’est moi qui souligne). Les images d’enfermement, de séparation et de limitation se retrouvent dans Le sbarre, le tableau de Bill Morrow choisie pour la couverture actuelle du livre, qui présente un paysage coloré derrière de lourdes barres bleues. Elles semblent re‑sémantiser tout un répertoire historique sur un plan existentiel et même perceptif plus vaste. À propos de ces images, Lucia dell’Aia remarque : « La “rete spinata”, che costringe nei confini dello spazio e del tempo determina la tragedia della sorte umana, e i giovani che temono l’uscita dal limbo della fanciullezza cercano la fuga dal limite o nel suicidio o nella dimensione onirica, prodotta dalle sostanze chimiche », interprétant justement La commedia chimica comme « un immaginario itinerario di liberazione dalla costrizione dello spazio e del tempo », dans La sfera del puer (ouvr. cité, p. 52).

36 Ibid., p. 30 : « questa Assunzione era un surrogato onirico provvisorio come una marchetta rimediata a buon mercato ».

37 Ibid., p. 27. Sauf indication de notre part, toutes les citations suivantes sont issues des p. 27‑28.

38 Ibid., p. 100.

39 On trouve plusieurs témoignages qui rapportent ces hallucinations à une expérience vécue. Par exemple : « Undici modi per dire di no », art. cité, où Moravia raconte : « A differenza di me, Elsa Morante volle fare degli esperimenti con la mescalina, ma sotto controllo medico, con Servadio, lo psicanalista. Sì, mi parlò a lungo delle sue emozioni, ma ricordo soprattutto una sua impressione: mi disse che le cose naturali le sembravano straordinarie, mentre i prodotti degli uomini li vedeva orribili, spaventosi. Per esempio, una foglia può diventare qualcosa di meraviglioso, la Gioconda di Leonardo una miseria. » Ou encore, plus directement lié à notre poème où « Il flauto mozartiano / è un saltarello maligno », on trouve ce témoignage de Carmelo Samonà : « Elsa Morante diceva che la musica s’era come spogliata della sua essenza, che s’era ridotta a “una vegetazione inaridita o bruciata” […] e che Mozart le era sembrato “un figlio che balbetta davanti a un padre crudele”. » (L. Dell’Aia, ouvr. cité, p. 66)

40 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 28.

41 Ibid. : « Memoria memoria, casa di pena ».

42 Ibid., p. 29.

43 Cf. Philippiens 3 : 21.

44 Cette partie devait initialement s’appeler « un’acqua amara che fa sudare », version à peine transformée de « quelque liqueur d’or, fade et qui fait suer », et Rimbaud est omniprésent dans la suite du texte : « cela commença par quelques dégoûts » (ibid., p. 100).

45 Sur ce point voir le commentaire de A. Borghesi, Una storia invisibile. Morante, Weil, Ortese, Rome, Quodlibet, p. 64‑65.

46 E. Morante, Il mondo salvato, ouvr. cité, p. 101 : « E tu accorri, eco d’un’eco, dai nostri nidi vegetali / anteriori alla prima barbarie, dove tu e io siamo uno solo / né uomo né donna, un’allegra impubertà senza storia. »

47 L. Dell’Aia, ouvr. cité, p. 100.

48 G. Rosa, Cattedrali di carta, Milan, Il Saggiatore, 1995, p. 194‑195.

49 C. D’Angeli, Leggere Elsa Morante, Rome, Carocci, 2003, p. 10, citée dans L. Dell’Aia, ouvr. cité, p. 65.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Fabre, « Cartoline dal paradiso : drogue, invasion et autodestruction chez Elsa Morante »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 38 | 2024, mis en ligne le 01 mars 2024, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/14383 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.14383

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search