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La tempête comme métaphore : les figurations de la catastrophe climatique pendant les guerres d’Italie

The Storm as a Metaphor: Representations of the Climatic Catastrophe during the Italian Wars
La tempesta come metafora: le raffigurazioni della catastrofe climatica durante le guerre d’Italia
Jean-Marc Rivière

Résumés

La difficulté à représenter le conflit durant la première partie des guerres d’Italie (1494‑1525) amène les artistes œuvrant dans la Péninsule à articuler leur discours visuel autour de la métaphore et de l’allégorie. Ces formules rhétoriques, liées à une expression fictionnelle du monde, permettent d’atténuer une réalité encore peu concevable par l’entendement, tant elle apparaît brutale et disruptive par rapport aux paradigmes traditionnels de la pensée. Motif récurrent de la peinture italienne jusque dans les années 1520, la catastrophe climatique, notamment perçue sous la forme de la tempête et de sa modalité extrême, le déluge, métaphorise cette impossibilité de penser la guerre, et plus encore de la montrer.

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Texte intégral

1À l’occasion de son cours du 7 avril 1981 à l’université Paris 8, consacré à La peinture et la question des concepts, Gilles Deleuze déclarait :

  • 1 G. Deleuze, La peinture et la question des concepts, 07/04/1981 (15B), transcription de C. Molina-V (...)

Tout le monde connaît le mot de Klee, la peinture, il dit : « Il ne s’agit pas de rendre le visible, il s’agit de rendre visible », sous-entendu, rendre visible l’invisible. Rendre visible quelque chose d’invisible. Bon, rendre le visible, c’est la figuration. Ce serait le « donné pictural », c’est lui qui doit être détruit. Il est détruit par la catastrophe. La catastrophe, c’est quoi ? Alors on peut faire un petit progrès, la catastrophe, c’est le lieu des forces. Évidemment, ce n’est pas n’importe quelle force. « La catastrophe, c’est le lieu des forces »1.

2Ce commentaire vaut pour l’Italie de cette première décennie du siècle. L’entreprise de Charles VIII a en effet ouvert l’Italie à un déferlement de forces antagonistes, qui ont bouleversé le fragile équilibre entre États né de la paix de Lodi (1454) et, ce faisant, ont déséquilibré les rapports socio-politiques au sein des cités. Or, paradoxalement, l’irruption française et ses conséquences militaires immédiates sont très peu documentées sur le plan visuel. Nous nous proposons ici d’analyser la manière dont l’élimination visuelle du conflit durant sa première phase est contrebalancée dans les arts visuels par un recours croissant à des figurations analogiques fondées sur l’usage de la métaphore, tout particulièrement celle de la tempête, dont nous étudierons les modalités figuratives et le sens.

  • 2 Voir J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ. Les guerres d’Italie dans les arts visuels péninsulaires (...)

3Nous avons ainsi récemment montré comment, alors qu’elle était très présente dans les arts figuratifs italiens de la seconde moitié du xve siècle, la violence guerrière disparaît de l’imagerie produite dans la Péninsule entre 1494 et le déclenchement de la guerre de la Ligue de Cambrai2, pour revenir progressivement sous des formes diffuses à partir des années 1510‑1512 : images génériques sur des libelles propagandistiques, portraits isolés de soldats puis, à partir de la bataille de Pavie, prémices du genre de la peinture de bataille. On peut expliquer cette sous-visibilité (pour ne pas parler de non‑visibilité) du conflit par la convergence de facteurs multiples, tout à la fois conjoncturels (la dichotomie entre des événements peu lisibles et les instruments intellectuels qui permettent de les analyser), politiques (le refus des gouvernants de laisser paraître le moindre doute quant à leur possibilité de maintenir un État fort dans une situation de guerre endémique), psychologiques (le besoin d’auto-assurance des gouvernants, le déni du monde courtisan, la préférence des artistes pour des procédés fondés sur le renvoi et l’écho à la représentation directe) et culturels (le rejet d’une figuration réaliste de la guerre liée à un contexte communal dépassé, la commandite souvent engendrée par une volonté propagandiste contraignante, le développement non homogène du libelle en Italie).

  • 3 Lorenza Tromboni, qui analyse avec précision ce phénomène, note ainsi : « Va detto che il ricorso a (...)

4Dans un premier temps, la promptitude et la facilité avec lesquelles les Français conquièrent le royaume de Naples étonnent et sont analysées comme un puissant témoignage de la volonté divine3, avant que ne se développe progressivement un sentiment de menace — sans qu’il soit toujours clair si celle‑ci est réelle et perçue, ou bien latente et redoutée. Cette menace transparaît, notamment à Florence et à Venise, dans nombre de sources textuelles, qu’il s’agisse de documents officiels (rapports d’ambassade, courriers diplomatiques ou comptes rendus d’assemblées telles que les pratiche…), de chroniques ou de courriers personnels. Certains n’hésitent pas à instrumentaliser cette atmosphère pesante, à l’image de Savonarole qui, présentant Charles VIII comme un nouveau Cyrus, voit dans l’arrivée du souverain français la concrétisation des visions prophétiques qu’il annonce à ses fidèles depuis 1486. Son discours de conviction ne vise toutefois nullement à refléter le contexte historique dans sa pleine et entière vérité, mais à établir la cohésion de ses partisans, comme le confirme Cécile Terreaux-Scotto, qui établit un lien sémantique fort avec le terme « catastrophe » :

  • 4 C. Terreaux-Scotto, « Le tragique des guerres d’Italie dans les sermons de Savonarole et de ses ému (...)

Dans ses sermons, le prédicateur brosse le tableau terrifiant d’une Italie menacée par une catastrophe imminente, « catastrophe » étant entendue dans le sens tragique du terme, c’est-à-dire comme le dernier événement avant le dénouement d’une action. Cette catastrophe est l’ensemble des fléaux que Dieu menace d’envoyer sur terre avant le renouvellement possible de l’Église. Les Florentins peuvent cependant exercer leur libre arbitre pour échapper aux tribulations : s’ils font pénitence, Dieu les épargnera. De sorte que la prophétie conditionnée que Savonarole développe au fil de ses sermons lui fait écarter une vision tragique de l’Histoire4.

  • 5 Voir J.‑M. Rivière, « Le “bruit visuel” dans les Sermons sur Aggée de Savonarole », dans J.‑M. Rivi (...)

5Savonarole fonde usuellement la performativité de son discours sur deux outils privilégiés, la parabole et l’exemplum, dont la caractéristique est d’ouvrir sur un parcours analogique simple5, mais il n’exclut pas, comme on le lit dans cette analyse, le recours à l’allégorie, qui se fonde sur une chaîne de métaphores codifiées et déduites l’une de l’autre.

  • 6 Sur la puissance de l’homologie en peinture, voir B. Rougé, « Le tableau efficace. Réflexions sur l (...)
  • 7 Cette synthèse complexe entre parole, écoute et regard, par l’intermédiation de l’image, trouve son (...)
  • 8 Voir P. Dubus, « L’invention de l’instantanéité dans la peinture du Cinquecento », dans F. Crémoux, (...)
  • 9 Se créent ainsi des réseaux d’images, qui s’articulent autour de liens associatifs complexes et fon (...)
  • 10 G. Didi-Huberman, Devant l’image, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p. 29.

6Par cet usage métaphorique de la catastrophe, le dominicain se rattache à deux des principaux piliers sur lesquels s’appuie alors la représentation discursive du monde, l’homologie6, issue du monde monastique7 et largement développée dans le discours pastoral, et son pendant visuel, le mode allusif, traditionnellement usité depuis le milieu du xve siècle dans l’art italien lorsqu’il s’agit de figurer la contemporanéité8. S’appuyant sur un jeu complexe de renvois, de rapports et d’associations, ces schémas corrélatifs fonctionnent par condensation du sens, sur le mode de la translation métaphorique plutôt que de l’identification littérale9. Dans le domaine visuel, ils se traduisent, selon l’expression forgée par Georges Didi-Huberman, par une « peinture virtuellement proliférante de sens10 », qui s’articule autour d’un balancement entre l’iconicité (qui suppose la ressemblance) et l’indicialité (qui implique au contraire la dissemblance).

  • 11 É. Littré, Dictionnaire de la langue française, t. 1, Paris, Hachette, 1873, p. 109.

7Dans les arts visuels produits au tournant du siècle, on observe ainsi un recours fréquent à la métaphore et à sa cousine, l’allégorie, « sorte de métaphore continuée, espèce de discours qui est d’abord présenté sous un sens propre, et qui ne sert que de comparaison pour donner l’intelligence d’un autre sens qu’on n’exprime point », d’après le Littré11. Ce transfert du littéral (en l’espèce factuellement défavorable dans le contexte d’un conflit où les États italiens semblent ballottés par une puissance incontrôlable) à l’imagé (qui ne nécessite pas de reposer sur un argumentaire, puisqu’il fonctionne de par soi et puise son autorité en lui‑même) permet d’insérer le discours visuel dans une forme d’atténuation de la réalité historique.

  • 12 Nous avons ainsi montré comment deux sous-thématiques sont particulièrement vivaces, celle de Saint (...)

8Entre le début du xvie siècle et la bataille de Pavie, deux thématiques traversent ainsi les arts graphiques italiens, dont nous pensons, en raison de leur caractère sériel, qu’elles sont l’expression métaphorique d’un trouble généralisé parmi les habitants de la Péninsule face à une conjoncture peu lisible et encore moins maîtrisable : la première est la martyrologie12, dont la diffusion est homogène sur toute la Péninsule ; la seconde est la tempête, dont l’épicentre figuratif est Venise.

  • 13 G. M. Barbuto, La politica dopo la tempesta. Ordine e crisi nel pensiero di Francesco Guicciardini, (...)
  • 14 « Ora per questa passata de’ franciosi, come per una subita tempesta rivoltatasi sottosopra ogni co (...)

9Gennaro Maria Barbuto a ainsi donné à son beau livre consacré à Guicciardini le titre de La politica dopo la tempesta13, reprenant la comparaison employée par le gouverneur de Romagne dans ses Histoires florentines pour décrire l’état de la Péninsule, bouleversée par l’entreprise italienne de Charles VIII. « Désormais », écrit Guicciardini, « à cause de ce passage des Français, comme renversés sens dessus dessous sous l’effet d’une tempête soudaine, l’union de l’Italie, ainsi que l’attention et le souci qu’avait chacun pour les choses communes se brisèrent et se déchirèrent14 ». Car la tempête, observe Louis Marin,

  • 15 L. Marin, « La description du tableau et le sublime en peinture. À propos d’un paysage de Poussin e (...)

c’est le vent et l’air, le vent c’est l’impetus, le mouvement d’une force qui n’est visiblement saisissable que dans son mouvement même et ses traces sur les choses et les êtres ; l’air, c’est la nuit et la pluie dont les éclairs et les foudres sont en quelque sorte les signatures qui les rendent visibles. Dans l’impetus du vent, un effet. Dans l’obscurité de l’atmosphère, ces signes météoriques qui, tout en montrant l’invisible opacité du temps par une lumière aveuglante, ne s’indiquent que des désordres aléatoires qu’ils provoquent çà et là : multiple effet que l’effet de la force du vent ordonnera, fût‑elle celle d’un coup de vent15.

  • 16 « Quando io considero tutta la Italia e le città di quella, io non veggo se non tenebre, io non ve (...)

10D’autres que Guicciardini, à Florence, reprennent cette comparaison classique et l’adaptent à la conjoncture ou aux besoins de leur propre discours. Ainsi, déplore Savonarole en novembre 1494, « quand j’observe toute l’Italie et ses villes, je ne vois que ténèbres, je ne vois que tempête, je ne vois que tribulations16 ». Le dominicain pousse plus loin encore la métaphore durant les semaines suivantes, parlant du déluge qui se serait abattu sur la Péninsule au moment de l’entrée de l’armée française, auquel seuls pourront échapper ses fidèles, réunis autour de lui dans l’Arche de la foi. À l’occasion de son sermon du 28 juillet 1495, il décrit ainsi à la foule amassée dans la cathédrale Santa Maria del Fiore un étrange songe qu’il a fait quelques nuits plus tôt : voguant au milieu de la mer agitée, un navire se dirige vers son port, entouré d’une flottille d’autres bateaux, dont certains le secondent et d’autres tentent de l’arrêter. Savonarole explique ainsi cette métaphore à ses auditeurs :

  • 17 « Questa nave è la nostra arca, la quale è in mezzo al diluvio; e alcuni vogano innanzi: questi son (...)

Ce navire est notre arche, qui se trouve au beau milieu du déluge. Certains voguent devant lui : ceux‑ci sont les bons qui, au moyen de leurs prières, de leurs jeûnes, de leurs autres bonnes œuvres et de leur action en faveur de la justice, aident le navire à rejoindre son port. Certains le tirent en arrière : ceux‑là sont des incrédules et des méchants, et, comme il me faut le dire, des enragés. Mais laissez‑les agir comme ils l’entendent ; tirez donc le navire, vous, les bons. Ne doutez pas qu’il avancera et qu’il continuera de porter la vertu. Et que ces méchants le tirent en arrière tant qu’ils le veulent : je vous dis qu’il continuera d’avancer, car il est déjà trop avancé17.

  • 18 Sur l’origine biblique du déluge et son interprétation visuelle à la Renaissance, voir R. Bertazzol (...)

11Qu’elle soit travaillée sous forme de comparaison ou de métaphore, dans sa formulation simple ou dans celle, amplifiée et dramatisée, du déluge18, l’idée que l’irruption de Charles VIII et de ses troupes a, telle une tempête, ravagé la Péninsule parcourt donc la pensée politique florentine au tournant des xve et xvie siècles. Désormais soumise à des forces non intelligibles par ses habitants et non contrôlables par leur volonté, l’Italie est ballotée comme la barque peinte par Palma il Vecchio vingt ans plus tard (ill. 1), sans qu’aucune voie menant vers la sécurité ne soit visible — d’où la nécessité qu’émerge un guide providentiel, prophète (Savonarole) ou prince (César Borgia).

Illustration 1. – Jacopo Negretti, dit Palma il Vecchio, et Paris Bordon, Les saints Marc, Georges et Nicolas libèrent Venise des démons (Tempête en mer), ca 1513‑1534.

Illustration 1. – Jacopo Negretti, dit Palma il Vecchio, et Paris Bordon, Les saints Marc, Georges et Nicolas libèrent Venise des démons (Tempête en mer), ca 1513‑1534.

Huile sur toile, 362 x 408 cm, Venise, Galleria dell’Accademia.

  • 19 Voir le chapiter 3, intitulé « Nature in Motion: The Depiction of Tempest in the Italian Renaissanc (...)
  • 20 Voir K. Stermole, Venetian Art and the War of the League of Cambrai (1509–1517), PhD, Queen’s Unive (...)

12Comme un écho à cet usage discursif, l’image de la tempête parcourt l’art italien19, de manière discrète mais constante, jusqu’à la bataille de Pavie. On en trouve les plus nombreuses occurrences à Venise, mais des peintres actifs dans d’autres zones du nord de l’Italie en fournissent également des exemples intéressants. Cette surreprésentation vénitienne tient au fait que l’art s’y fait sans doute plus volontiers qu’ailleurs le reflet de l’atmosphère générale de la cité, pour des raisons qui tiennent à l’étroite contiguïté qui lie la production artistique locale à la vie publique, grande génératrice de commandes. Dans sa remarquable étude consacrée à Venetian Art and the War of the League of Cambrai (1509–1517), Kristina Stermole a ainsi montré que la guerre de Cambrai a engendré des sentiments d’anxiété ou, au contraire, d’optimisme qui trouvent un écho dans les arts figuratifs : elle cite dans le premier cas la Tempête de Giorgione, la Tempête en mer de Palma il Vecchio et la Mort d’Adonis de Sebastiano del Piombo (Florence, Gallerie degli Uffizi, 1512) ; à l’inverse, elle voit dans l’Assomption de la Vierge de Titien (Venise, Frari, 1515‑1518) le signe d’une perception plus optimiste de la conjoncture20.

  • 21 Voir P. Dubus, « Du sujet et de la réception des œuvres de peinture. Notes sur La Tempête de Giorg (...)
  • 22 Voir E. Wind, Giorgione’s Tempesta with Comments on Giorgione’s Poetic Allegories, Oxford, Oxford U (...)
  • 23 « Italia, piangi, e prega il gran Monarca / Che in porto salva guidi la tua barca. / El mar turbato (...)

13La Tempête de Giorgione (ill. 2) est un exemple remarquable de cette porosité. Sa puissance d’évocation est telle que, dès la fin de la première décennie du siècle, elle se pose en paradigme de la faculté pour l’art de refléter, voire de synthétiser des émotions collectives. Réalisé pour le Studiolo de Gabriele Vendramin21, dont la famille s’est grandement impliquée dans les premiers développements militaires de la guerre de Cambrai — même si lui s’en est tenu à l’écart —, le tableau est difficile à décrypter sur le plan iconographique. Edgar Wind a vu dans la tempête le symbole de la Fortune, dont les incontrôlables variations pèsent sur la Force, incarnée par le soldat que Giorgione a positionné sur le bord gauche de sa composition, et sur la Charité, symbolisée par la mère allaitante22. Comparant pour sa part l’image de la tempête à un extrait de La obsidione di Padua, poème en ottava rima consacré au siège de Padoue rédigé en 1510 par Bartolomeo Cordo23, Paul Kaplan a suggéré une datation plus tardive pour ce tableau d’ordinaire proposé entre 1506 et 1508, afin d’en lier la production aux conséquences de la bataille d’Agnadel :

  • 24 « It would nevertheless be a mistake to overemphasize the more arcane symbolic aspects of the Tempe (...)

Ce serait toutefois une erreur que de trop insister sur les aspects symboliques les plus obscurs de la Tempête. Au cours de l’été et de l’automne 1509, la signification de la tempête dans le tableau de Giorgione devait être claire — de manière presque intuitive — pour le public des patriciens vénitiens auquel il était destiné. La tension atmosphérique du tableau a peut‑être même été suggérée par un moment particulier du siège de Padoue. Le 24 septembre, une semaine avant que l’assaut impérial ne soit soudain abandonné, le chroniqueur Marin Sanudo écrivait : « Tandis que le Sénat siégeait, il y a eu un très grand vent et de la pluie avec une grande fortune, et il a plu toute la nuit. Aujourd’hui encore, nous avons entendu le bombardement de Padoue. »24

  • 25 Voir M. Lucco, Giorgione, Paris, Gallimard / Electa, 1997, p. 86.

14Le tableau de Giorgione aurait alors été commandé par Gabriele Vendramin dans un élan de patriotisme, afin de commémorer l’implication personnelle de ses frères et de son oncle dans la défense de Padoue. Mauro Lucco conteste cependant l’hypothèse d’une datation concomitante ou postérieure à Agnadel, arguant d’une discordance stylistique25.

Illustration 2. – Giorgione, La Tempête, ca 1506‑1508.

Illustration 2. – Giorgione, La Tempête, ca 1506‑1508.

Huile sur toile, 82 x73 cm, Venise, Gallerie dell’Accademia.

  • 26 Comme le relève Sarah Ferrari, cet éclair est un unicuum dans la peinture vénitienne de cette époqu (...)
  • 27 Voir D. Howard, « Giorgione’s Tempesta and Titian’s Assunta in the Context of the Cambrai Wars », A (...)
  • 28 Voir M. Paoli, La ‘Tempesta’ svelata. Giorgione, Gabriele Vendramin, Cristoforo Marcello e la ‘Vecc (...)

15Proposant par défaut une datation plus large, comprise entre 1504 et 1510, date du décès de Giorgione, Deborah Howard suggère que les bâtiments fortifiés vers lesquels pointe l’éclair26, reliés à la scène principale par le pont qui surplombe le cours d’eau, peuvent symboliser les places-fortes de la terraferma que Venise a récemment perdues, à savoir Bergame, Brescia, Vérone, Vicence et Padoue27. Marco Paoli pense pour sa part que se juxtaposent dans l’œuvre de Giorgione des allusions aux bombardements impériaux sur Padoue de 1509 et au tremblement de terre qui, la même année, a secoué Constantinople28.

16Quelles qu’aient été les conditions de production et la date de réalisation de ce tableau, il ne fait cependant aucun doute qu’en 1509 celui‑ci pouvait être considéré comme le reflet fidèle des sentiments qu’éprouvaient les citoyens de la Sérénissime face à l’évolution de la situation diplomatico-militaire. Comme l’écrit Sarah Ferrari,

  • 29 « La catastrofica sconfitta di Agnadello fu un vero e proprio fulmine a ciel sereno per Venezia, ch (...)

la catastrophique défaite d’Agnadel fut un véritable éclair dans un ciel serein pour Venise, qui jamais ne se serait attendue à se trouver aussi proche de la menace d’une destruction totale. Le fait que de nombreuses villes de la terre ferme, notamment Padoue, aient été reconquises en quelques mois ne peut d’aucune manière compenser l’impact de cet événement, qui donna lieu à une impressionnante série de saccages et de dévastations dans les villes comme dans les campagnes idylliques29.

  • 30 Les différentes exégèses proposées par la critique sont énumérées et commentées dans M. Paoli, La ‘ (...)

17Cette parfaite concordance entre un artefact artistique et un ressenti collectif explique la renommée immédiate de ce tableau, dont l’opaque complexité allégorique a nourri l’aura jusqu’à aujourd’hui30.

  • 31 Voir J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ, ouvr. cité, p. 216‑217.

18On retrouve ce ciel menaçant dans plusieurs tableaux réalisés durant les trois premières décennies du siècle. Dans le Portrait d’un gentilhomme d’Altobello Melone (ill. 3), déjà auteur dans la cathédrale de Crémone de plusieurs fresques dramatiquement enracinées dans la réalité contemporaine31, deux personnages tentent en vain de se protéger du vent et de la pluie que déversent sur eux des nuages sombres et agités par le vent. La juxtaposition de cette sinistre atmosphère climatique au gentilhomme armé qui occupe le premier plan a profondément influencé le regard de l’historiographie sur ce tableau, au point de lui faire reconnaître en celui‑ci un portrait de César Borgia. Que le Valentinois ait lui aussi soumis l’Italie centrale à une grande agitation est certes indubitable, mais rien ne documente une telle attribution, désormais définitivement rejetée.

Illustration 3. – Altobello Melone, Portrait de gentilhomme, ca 1513.

Illustration 3. – Altobello Melone, Portrait de gentilhomme, ca 1513.

Huile sur panneau, 58 x 48 cm, Bergame, Accademia Carrara.

  • 32 Voir G. Fiorenza, Dosso Dossi. Paintings of Myth, Magic, and the Antique, University Park, The Penn (...)

19Les années 1520 sont celles où l’image de la tempête revient avec le plus d’insistance. Ainsi, les cieux noirs qui surmontent la scène dans le Mariage mystique de sainte Catherine de Domenico Beccafumi (ill. 4) semblent inexplicables par une simple justification iconographique et nous orientent vers une explicitation symbolique contextuelle. Giovanni Busi, dit Cariani, peint au même moment un tableau qui, par son aspect bucolique et la structure d’ensemble de son arrière-plan, s’inspire notablement de la Tempête de Giorgione. Derrière sa Femme étendue dans un paysage (ill. 5), des eaux tumultueuses guident le regard vers le ciel envahi de nuages, dont on ne sait trop s’ils sont la cause de la tempête qui s’abat sur la cité de gauche ou le résultat de l’incendie qui dévaste celle de droite. On retrouve une semblable confluence entre éléments naturels dévastateurs et destructions humaines dans les deux versions des Jeux siciliens que Dosso Dossi a réalisées dans le cadre du cycle d’Énée peint pour le Camerino du Castello Estense. Sur le premier tableau, les volutes de fumée causée par le violent incendie qui dévaste une bourgade envahissent le ciel (ill. 6) tandis que, sur le second (ill. 7), des tornades, de forme similaire, mais causées cette fois par un phénomène climatique bouchent l’horizon32.

Illustration 4. – Domenico Beccafumi, Le Mariage mystique de sainte Catherine, ca 1521.

Illustration 4. – Domenico Beccafumi, Le Mariage mystique de sainte Catherine, ca 1521.

Huile sur toile, 220 x 205 cm, Saint-Pétersbourg, L’Hermitage.

Illustration 5. – Giovanni Busi, dit Cariani, Femme étendue dans un paysage, ca 1520‑1524.

Illustration 5. – Giovanni Busi, dit Cariani, Femme étendue dans un paysage, ca 1520‑1524.

Huile sur toile, 74 x 94 cm, Berlin, Staatliche Museen.

Illustration 6. – Dosso Dossi, Les Jeux siciliens, ca 1520‑1522.

Illustration 6. – Dosso Dossi, Les Jeux siciliens, ca 1520‑1522.

Huile sur toile, 58 x 167 cm, Birmingham, The Barber Institute of Fine Arts.

Illustration 7. – Dosso Dossi, Les Jeux siciliens, ca 1520‑1522.

Illustration 7. – Dosso Dossi, Les Jeux siciliens, ca 1520‑1522.

Huile sur toile, 58 x 167 cm, New York, collection particulière.

  • 33 Sur le contexte qui entoure ces recherches graphiques, voir M. Lodone, I segni della fine. Storia d (...)
  • 34 Voir J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ, ouvr. cité, p. 88‑94.
  • 35 Voir D. Arasse, Léonard de Vinci. Le rythme du monde, Paris, Hazan, 2011, p. 97‑103.

20Le lien entre terre et ciel, mais aussi entre éléments aqueux et venteux qui émerge de ces tableaux rappelle les recherches graphiques que mène autour de l’année 1515 Léonard de Vinci33, dont le travail sur Anghiari témoignait déjà d’un profond trouble face à la conjoncture34. Ses différentes études pour le Déluge (ill. 8)35, pour une Tempête et marée montante sur une baie et pour sa Paroi rocheuse s’effondrant sous la pression de l’eau (Windsor, The Royal Library, ca 1515) sont, selon Carlo Pedretti et Sara Taglialagamba,

  • 36 C. Pedretti et S. Taglialagamba, Léonard de Vinci. L’art du dessin, Paris, Citadelles et Mazenod, 2 (...)

[…] une sorte de testament graphique par lequel le maître semblait capituler devant la force destructrice et dévastatrice des lois de la nature. En quelques traits, qui occupent cependant la totalité de l’espace disponible, il montre l’aspect effroyable du déchaînement des vents et de l’eau, apogée idéal et terrifiant des études en géologie et en hydrologie menées jusqu’alors. Chaque dessin souligne la puissance de la nature et, en même temps, souligne l’impossibilité pour l’homme de s’y opposer : aucun abri, aucune issue ne semble s’offrir ni aux cavaliers jetés à terre, ni aux arbres pliés jusqu’au sol et déracinés par la fureur du vent36.

Illustration 8. – Léonard de Vinci, Étude pour le Déluge, ca 1515.

Illustration 8. – Léonard de Vinci, Étude pour le Déluge, ca 1515.

Encre sur papier, 27 x 40 cm, Windsor, The Royal Library.

  • 37 Ces quelques phrases rédigées sur un feuillet conservé à la Royal Library de Windsor (12665v) synth (...)

21Léonard consacre dans ses carnets de longs passages à la description des ravages des eaux tumultueuses et à la manière de représenter le déluge en peinture37. Comme le soulignent Sylvie Wuhrmann et Rémi Cariel, c’est là pour lui une manière de figurer des forces antagonistes, dont nous avons vu plus haut qu’elles caractérisent aussi la Péninsule en guerre :

  • 38 S. Wuhrmann et R. Cariel, « “Diluvio e sua dimostrazione in pittura” : les enjeux artistiques du dé (...)

Léonard est certainement le premier à avoir trouvé une solution formelle idéale, physiquement et symboliquement cohérente, à la définition du cataclysme. La figure la mieux à même de traduire l’énergie portée à son paroxysme est le tourbillon. La nature fait ses spirales dans l’eau, elle les fait également dans les cheveux, dans l’air, le feu, les plantes, le sang, etc. Principe de la vie, le tourbillon contient aussi en puissance sa destruction et organise la fin du monde. Dans sa vision du déluge, Léonard convoque les quatre éléments pour décliner le tournoiement sous toutes ses formes : nuages qui enroulent leurs spirales, trombes d’eau qui jaillissent en vrilles, entament la croûte terrestre et font éclater les montagnes, envoyant leurs débris à la ronde. Le déluge décrit dans la Genèse s’accomplissait selon deux mouvements contraires, l’un descendant (la chute des eaux du ciel), l’autre ascendant (la montée des eaux des abysses). C’est le choc de ces deux forces qui suggère à Léonard l’idée du vortex38.

  • 39 Ce tableau figure un épisode qui serait advenu durant la nuit du 25 février 1341, lors de laquelle (...)
  • 40 Voir P. Sohm, « Palma Vecchio’s Sea Storm: A Political Allegory », Revue d’art canadienne / Canadia (...)

22C’est bien cette impuissance de l’homme face à des phénomènes qui se révèlent être incompréhensibles par son entendement et non maîtrisables par sa volonté que souligne la métaphore de la tempête. Le pêcheur et les trois saints qui, dans le saisissant tableau de Palma il Vecchio, complété après sa mort par Paris Bordon, parviennent à contrôler leur barque prise dans une tempête en mer pour aller sauver Venise d’une invasion démoniaque39 (ill. 1) confirment les limites de l’agir humain face au déchaînement des éléments, mais clament aussi le fait que, soutenu par la volonté divine, l’homme se caractérise, justement, par son refus de s’abandonner sans résistance à ce destin funeste. Sans doute commandé en 1513, en même temps que la Bataille de Spolète confiée à Titien, ce tableau s’insérerait dans le cadre des célébrations du traité signé le 22 mai avec la France. Organisant l’expulsion des troupes impériales hors de la Lombardie et de la Vénétie, celui‑ci laisse espérer pour la Sérénissime une rapide victoire sur Maximilien40. Si cette hypothèse se vérifiait, la Tempête en mer pourrait alors être interprétée comme une puissante métaphore de la volonté tenace des Vénitiens, malgré les difficultés, de lutter sans relâche contre l’adversité diplomatico-militaire.

  • 41 Voir M. Muraro, « Titien : iconographie et politique », dans D. Arasse (dir.), Symboles de la Renai (...)
  • 42 « Art produced in response to the war was created for a variety of reasons and functioned in equall (...)

23L’issue favorable de la guerre de Cambrai donne lieu à Venise au développement d’un motif iconographique qui clarifie plus encore l’usage politique que fait la République de la métaphore visuelle. Entre 1514 et 1517, Titien réalise en effet une xylographie en douze blocs représentant la Submersion de l’armée de Pharaon dans la mer Rouge (ill. 9). Il n’est pas le seul à travailler ce thème puisque, durant les mêmes années, Jan van Scorel, Agostino Veneziano et un moine anonyme de Brescia obtiennent l’autorisation du Sénat de le figurer41. Le choix de confier ce projet à Titien, praticien subtil et audacieux dans la construction du récit historique, renforce l’idée qu’il faut voir dans l’image de la cavalerie de Pharaon emportée par les eaux une allusion aux troupes vaincues de l’Empereur. Cet usage récurrent et varié de la métaphore de la tempête confirme la remarque qu’énonce Kristina Stermole en conclusion de son étude sur l’art vénitien durant la guerre de Cambrai : « L’art qui a été produit en réponse à la guerre a été créé pour une multiplicité de raisons et a également fonctionné selon des modalités variées — il a servi à célébrer ou à censurer, à rassurer ou à inciter, à susciter une inspiration ou à provoquer un engagement42. »

Illustration 9. – Titien, Submersion de l’armée de Pharaon dans la mer Rouge, ca 1514‑1517.

Illustration 9. – Titien, Submersion de l’armée de Pharaon dans la mer Rouge, ca 1514‑1517.

Gravure sur bois, 112 x 221 cm, Washington, National Gallery of Art.

  • 43 « Exsurgat Deus et dissipentur inimici eius et fugiant qui oderunt eum a facie eius », Psaumes, 68, (...)
  • 44 « Ecce Dominus Deus in fortitudine veniet, et brachium ejus dominabitur ecce merces eius cum eo et (...)

24Un tel recours à l’allégorie ou à la métaphore, quand la figuration littérale du réel semble impossible, n’est pas propre aux images produites par des artistes italiens, mais semble contaminer les étrangers qui, directement ou par translation, œuvrent sur la Péninsule. Ainsi, sur le manuscrit du Breve trattato delle afflittioni d’Italia e del conflitto di Roma con pronosticatione de Guglielmo de’ Nobili, produit entre 1525 et 1527, Étienne Colaud peint une Allégorie de l’Italie torturée par des animaux, mais protégée par le bras du roi de France (ill. 10). La miniature montre l’Italie sous les traits d’une femme au buste dénudé qui, sur fond d’un paysage italien topique, s’offre bras ouverts à un dragon et à un aigle. De leurs crocs et bec acérés, ceux‑ci lui dévorent avidement les seins. Depuis le coin supérieur droit de l’image surgit toutefois un avant-bras recouvert d’un tissu fleurdelysé, terminé au niveau du coude par une couronne, qui brandit une épée protectrice au‑dessus de la scène. Les autres angles sont occupés par des têtes masculines qui soufflent des phrases inscrites dans des bannières déployées près du visage de la femme, sur lesquelles on lit « Expurgat deus et dissipentur inimici » et « Ecce dns i fortitude veniet et brachiu eis dnabitur ». On reconnaît là deux citations bibliques, respectivement tirées du Psaume 68 (dit Psaume des batailles43) et du Livre d’Isaïe44. Toutes deux proclament le triomphe inéluctable de Dieu, fort de sa volonté et du bras armé de la foi, sur ses ennemis.

Illustration 10. – Étienne Colaud, Allégorie de l’Italie torturée par des animaux, mais protégée par le bras du roi de France, dans Guglielmo de’ Nobili, Breve trattato delle afflittioni d’Italia e del conflitto di Roma con pronosticatione, ca 1525‑1527.

Illustration 10. – Étienne Colaud, Allégorie de l’Italie torturée par des animaux, mais protégée par le bras du roi de France, dans Guglielmo de’ Nobili, Breve trattato delle afflittioni d’Italia e del conflitto di Roma con pronosticatione, ca 1525‑1527.

Miniature sur parchemin, fo 1r, New York, Public Library (Spencer Ms 081).

  • 45 On retrouve par exemple le dragon, symbole des Aragon, sur une miniature réalisée par Ioan Todeschi (...)

25La signification de cette allégorie est tout à fait transparente : soumise depuis le début de la guerre de Cambrai à la force militaire de l’Empire, désormais conjointe à celle de l’Espagne45, l’Italie ne peut compter que sur le soutien français pour éviter d’être dépecée, politiquement et militairement, par Charles Quint. Noyée dans les limbes célestes, la figure du roi de France acquiert par homologie la puissance et la légitimité dans l’action qui reviennent au Seigneur. Puisque le pape se montre incapable de s’en saisir, c’est bien à lui, Rex christianissimus, qu’en revient l’apanage, de droit comme de fait. La concomitance entre la production de cette image et la défaite de Pavie montre que, même confrontée à des aléas militaires défavorables, la monarchie française poursuit l’entreprise de propagande visuelle à laquelle, dix ans plus tôt, Marignan avait donné un allant considérable.

  • 46 Dans sa neuvième édition, le Dictionnaire de l’Académie française définit l’allégorie comme une « f (...)
  • 47 M.‑L. Liberge, Images et violences de l’histoire, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 9.

26Parce qu’elles relèvent de la fiction46, l’allégorie et la métaphore permettent donc de s’affranchir du réel en investissant le champ de l’abstraction et de la construction intellectuelle. Fonctionnant sur le mode de la sélection et de l’association, elles disent ainsi ce qui est latent derrière ce qu’on ne peut ou ne veut montrer. Or, écrit Marie-Luce Liberge, le rôle de l’artiste est justement « de prendre en charge, de façon esthétique — c’est-à-dire en élaborant des formes — ce qui semble relever d’un inexprimable apparent ». Son rôle, tel qu’on le pressent déjà en ce début de xvie siècle, est « de se confronter à cet inexprimable, de le déjouer, et d’en faire quelque chose47 ».

  • 48 C. Ginzburg, « Ekphrasis et Connoisseurship », dans E. Alloa (dir.), Penser l’image, vol. III : Com (...)
  • 49 N. Goodman, Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols, Londres, Oxford University Press, (...)

27Cela ne signifie en rien que, ce faisant, l’artiste s’éloigne de la vérité car, comme le note Carlo Ginzburg, « les métaphores (tout comme, en un sens plus général, la littérature elle‑même) ont une puissance cognitive dans la mesure où elles construisent un modèle de la réalité — qui va jusqu’à inclure des réalités qui doivent être encore expérimentées. (Un modèle — et non pas une image en miroir)48 ». De fait, renchérit Nelson Goodman dans son ouvrage Languages of Art, « l’étrange est qu’en perdant de sa force en tant que figure de rhétorique, une métaphore ne s’écarte pas, mais se rapproche de la vérité littérale. Ce n’est pas la vérité qui disparaît, mais sa vivacité49 ». S’ils diffèrent dans leur niveau de complexité intellectuelle, ces deux instruments rhétoriques reposent donc pleinement sur ce qu’Horst Bredekamp nomme « l’acte d’image », dont la problématique

  • 50 H. Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Paris, Éditions de la Découverte, 2015, p. 44‑45.

consiste à déterminer la puissance dont est capable l’image, ce pouvoir qui lui permet, dans la contemplation ou l’effleurement, de passer de la latence à l’influence visible sur la sensation, la pensée et l’action. Ce questionnement suppose de comprendre l’acte d’image comme un effet sur le ressentir, le penser et l’agir, qui se constitue à partir de la force de l’image et de l’interaction avec celui qui regarde, qui contemple, effleure, et écoute aussi50.

28Longtemps après 1494, les artistes italiens continuent de marquer au moyen de l’expression métaphorique leur trouble face à la conjoncture historique. Le renouveau progressif de la peinture de bataille et la faculté retrouvée de montrer le réel militaire sans détours, à partir des années 1520, n’éliminent pas ce phénomène, mais coexistent avec lui, parfois au sein du corpus d’un même artiste.

29Parce qu’elle repose sur un agencement intellectuel dont le lecteur ou l’observateur doivent assumer, seuls, le décryptage, dans un rapport individuel et intime à l’information, la métaphore se révèle ainsi être d’une grande efficience lorsqu’il s’agit d’exprimer un ressenti, dont la nature sensible et psychologique relève davantage de l’émotion ou de la perception que du discours articulé. La difficulté, pour nous qui tentons aujourd’hui d’en identifier les résidus visuels, tient justement à ce que nous sommes là dans le domaine de l’allusion et du symbole. Faute d’explicite, nous sommes cantonnés à la trace, avec pour seul critère d’identification la répétition des occurrences — sans autre garantie de conformité entre nos observations et l’intention originelle des artistes concernés qu’un faisceau d’indices concordants, car réitérés.

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Notes

1 G. Deleuze, La peinture et la question des concepts, 07/04/1981 (15B), transcription de C. Molina-Vée, La voix de Gilles Deleuze en ligne (<www2.univ-paris8.fr/deleuze/article.php3?id_article=42>, consulté le 13 mai 2020).

2 Voir J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ. Les guerres d’Italie dans les arts visuels péninsulaires (1494‑1525), Paris, Spartacus Idh, 2023.

3 Lorenza Tromboni, qui analyse avec précision ce phénomène, note ainsi : « Va detto che il ricorso alla fede è frequente anche nei testi scritti in Italia, pur in una prospettiva speculare: non sono più i soggetti attivi a parlare, bensì quelli passivi, coloro che subiscono il passaggio di Carlo ed elaborano delle strategie di assimilazione di questo evento, ognuno secondo una propria ottica. » (L. Tromboni, « La discesa di Carlo VIII in Italia: l’impatto culturale di un evento politico tra XV e XVI secolo », Rinascimento, vol. LIX, 2019, p. 309)

4 C. Terreaux-Scotto, « Le tragique des guerres d’Italie dans les sermons de Savonarole et de ses émules », Cahiers d’études italiennes (Filigrana), no 19, 2014, p. 84, <https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.2125>, § 6.

5 Voir J.‑M. Rivière, « Le “bruit visuel” dans les Sermons sur Aggée de Savonarole », dans J.‑M. Rivière et C. Terreaux-Scotto (dir.), L’art de la prédication au xve siècle : efficacité rhétorique et figurative, Cahiers d’études italiennes, no 29, 2019, <https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.6105>.

6 Sur la puissance de l’homologie en peinture, voir B. Rougé, « Le tableau efficace. Réflexions sur la performativité de la peinture (religieuse) », dans A. Dierkens, G. Bartholeyns et T. Golsenne (dir.), La performance des images, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2010, p. 162.

7 Cette synthèse complexe entre parole, écoute et regard, par l’intermédiation de l’image, trouve son assise théorique sur la distinction établie au Moyen Âge entre historia, allegoria, tropologia et anagogia, qui conditionne et favorise l’essor de l’exégèse scripturaire. Comme l’explique Umberto Eco, à la suite du synode d’Arras (1025) se développe ainsi une « vaste campagne (qui comptera Suger au nombre de ses plus ardents promoteurs) visant à l’éducation des personnes sans instruction, par le biais de la figuration et de l’allégorie, par le biais de la peinture quae est laicorum litteratura, comme dira Honorius d’Autun » (U. Eco, Arts et beauté dans l’esthétique médiévale, Paris, Grasset, 1997, p. 97).

8 Voir P. Dubus, « L’invention de l’instantanéité dans la peinture du Cinquecento », dans F. Crémoux, J.‑L. Fournel, C. Lucas Fiorato et P. Civil (dir.), Le présent fabriqué (Espagne / Italie – xvexviie siècles), Paris, Garnier, 2019, p. 131.

9 Se créent ainsi des réseaux d’images, qui s’articulent autour de liens associatifs complexes et font naître des « ponts » entre des ordres de réalités hétérogènes. Lina Bolzoni emploie à ce propos la pertinente expression de « réaction en chaîne » (L. Bolzoni, La rete delle immagini. Predicazione in volgare dalle origini a Bernardino da Siena, Turin, Einaudi, 2002, p. 71).

10 G. Didi-Huberman, Devant l’image, Paris, Les Éditions de Minuit, 1990, p. 29.

11 É. Littré, Dictionnaire de la langue française, t. 1, Paris, Hachette, 1873, p. 109.

12 Nous avons ainsi montré comment deux sous-thématiques sont particulièrement vivaces, celle de Saint-Pierre Martyr et celle du Martyr des Dix Mille (J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ, ouvr. cité, p. 285‑289).

13 G. M. Barbuto, La politica dopo la tempesta. Ordine e crisi nel pensiero di Francesco Guicciardini, Naples, Liguori Editore, 2002.

14 « Ora per questa passata de’ franciosi, come per una subita tempesta rivoltatasi sottosopra ogni cosa, si roppe e squarciò la unione del Italia ed el pensiero e cura che ciascuno aveva alle cose communi […]. » (F. Guicciardini, Storie fiorentine dal 1378 al 1509, Milan, Rizzoli, 1998, p. 197). La traduction est de notre fait.

15 L. Marin, « La description du tableau et le sublime en peinture. À propos d’un paysage de Poussin et de son sujet », Communications, no 34, 1981, p. 65.

16 « Quando io considero tutta la Italia e le città di quella, io non veggo se non tenebre, io non veggo se non tempesta, io non veggo se non le tribulazioni. » (G. Savonarola, Prediche sopra Aggeo, Rome, Angelo Belardetti Editore, 1965, p. 58). La traduction est de notre fait.

17 « Questa nave è la nostra arca, la quale è in mezzo al diluvio; e alcuni vogano innanzi: questi sono e’ buoni che con le orazioni e con digiuni e con le altre buone opere e col fare iustizia aiutano ’andare la nave in porto. Alcuni che tirono indrieto, questi sono certi increduli e cattivi, come debbo dire, arrabbiati; ma lasciate fare a costoro quanto vogliono; tirate pure innanzi voi buoni, non dubitate, ché l’andrà innanzi e la virtù starà di sopra; e tirino quanto vogliono indietro questi cattivi, ché io vi dico che l’andrà innanzi, perché ella è troppo innanzi. » (G. Savonarola, Prediche sopra i Salmi, vol. II, Rome, Angelo Belardetti, 1974, p. 179). La traduction est de notre fait.

18 Sur l’origine biblique du déluge et son interprétation visuelle à la Renaissance, voir R. Bertazzoli et A. Larcati, « Introduzione », dans R. Bertazzoli, C. Gibellini et A. Larcati (dir.), I volti delle acque. Mitologie del diluvio nelle letterature europee, Florence, Franco Cesati Editore, 2013, p. 9‑14. Sur la fresque de Michel-Ange de la chapelle Sixtine consacrée à cette thématique, voir L. Steinberg, Michelangelo’s Painting. Selected Essays, Chicago, Londres, The University of Chicago Press, 2019, p. 20‑69.

19 Voir le chapiter 3, intitulé « Nature in Motion: The Depiction of Tempest in the Italian Renaissance », dans L. O. Goedde, Tempest and Shipwreck in Dutch and Flemish Art. Convention, Rhetoric, and Interpretation, University Park, Londres, The Pennsylvania State University Press, 1989, p. 52‑62 ; H. Brunon, « Figurer le tumulte du monde : peinture et météorologie à la Renaissance », dans P. Morel (dir.), L’art de la Renaissance entre science et magie, Paris, Somology, p. 357‑383.

20 Voir K. Stermole, Venetian Art and the War of the League of Cambrai (1509–1517), PhD, Queen’s University, 2007, p. 11‑20.

21 Voir P. Dubus, « Du sujet et de la réception des œuvres de peinture. Notes sur La Tempête de Giorgione », Horizons philosophiques, vol. 2, no 1, 1991, p. 10‑13.

22 Voir E. Wind, Giorgione’s Tempesta with Comments on Giorgione’s Poetic Allegories, Oxford, Oxford University Press, 1969, p. 1‑4.

23 « Italia, piangi, e prega il gran Monarca / Che in porto salva guidi la tua barca. / El mar turbato vedo, e le tue sponde / A tal fortuna non pon piu durare: / Di quel troppo li noce le grande onde, / Che in breve la vedro periclitare. » « Italie, pleure, et prie le grand Monarque / Pour qu’il guide ta barque saine et sauve à bon port. / Je vois la mer troublée, et tes rivages / Face à une telle fortune ne peuvent plus durer : / Les grandes vagues leur nuisent tant / Que je la verrai bientôt péricliter. » (B. Cordo, La obsidione di Padua, dans M. Beer, D. Diamanti et C. Ivaldi (dir.), Guerre in ottava rima, vol. II : Guerre d’Italia (1483‑1527), Modène, Edizioni Panini, 1989, p. 327‑328)

24 « It would nevertheless be a mistake to overemphasize the more arcane symbolic aspects of the Tempesta. In the summer and fall of 1509 the meaning of the storm in Giorgione’s picture must have been clear—almost intuitively so—to the Venetian patrician audience for which it was intended. The atmospheric tension of the painting may even have been suggested by a particular moment during the siege of Padua. On 24 September, a week before the imperial assault was suddenly abandoned, the diarist Marino Sanudo recorded: “While the Senate was in session, there came a very great wind and rain with a great fortuna, and it rained all night. Also today we heard the bombarding of Padua.” » (P. Kaplan, « The Storm of War: The Paduan Key to Giorgione’s Tempesta », Art History, vol. 9, no 4, 1986, p. 414). La traduction est de notre fait.

25 Voir M. Lucco, Giorgione, Paris, Gallimard / Electa, 1997, p. 86.

26 Comme le relève Sarah Ferrari, cet éclair est un unicuum dans la peinture vénitienne de cette époque et en devient, de fait, un geste d’une extraordinaire portée artistique et conceptuelle (S. Ferrari, Le ragioni culturali del «dipingere moderno». Paesaggio, ritratto e allegoria a Venezia negli anni di Giorgione, thèse de doctorat, Università degli Studi di Padova, 2014, p. 194).

27 Voir D. Howard, « Giorgione’s Tempesta and Titian’s Assunta in the Context of the Cambrai Wars », Art History, vol. 8, no 3, 1985, p. 275‑276.

28 Voir M. Paoli, La ‘Tempesta’ svelata. Giorgione, Gabriele Vendramin, Cristoforo Marcello e la ‘Vecchia’, Lucques, Maria Paccini Fabri Editore, 2011, p. 125‑134.

29 « La catastrofica sconfitta di Agnadello fu un vero e proprio fulmine a ciel sereno per Venezia, che mai si sarebbe aspettata di arrivare così vicino al pericolo di distruzione totale. Il fatto che molte città della terraferma, in particolare Padova, siano state riconquistate nel giro di pochi mesi, non può in alcun modo compensare l’impatto di quell’evento, che diede luogo ad una serie impressionante di saccheggi e devastazioni tanto nelle città quanto nelle idilliche campagne. » (S. Ferrari, Le ragioni culturali, ouvr. cité, p. 146). La traduction est de notre fait.

30 Les différentes exégèses proposées par la critique sont énumérées et commentées dans M. Paoli, La ‘Tempesta’ svelata, ouvr. cité, p. 9‑109.

31 Voir J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ, ouvr. cité, p. 216‑217.

32 Voir G. Fiorenza, Dosso Dossi. Paintings of Myth, Magic, and the Antique, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2008, p. 74‑75.

33 Sur le contexte qui entoure ces recherches graphiques, voir M. Lodone, I segni della fine. Storia di un predicatore nell’Italia del Rinascimento, Rome, Viella, 2021, p. 91‑94 ; P. Dubus, « Du drame à la dramatisation : le motif de la tempête dans la littérature artistique de la Renaissance », dans M. Viegnes (dir.), Imaginaires du vent, Paris, Imago, 2003, p. 34‑41.

34 Voir J.‑M. Rivière, La guerre hors-champ, ouvr. cité, p. 88‑94.

35 Voir D. Arasse, Léonard de Vinci. Le rythme du monde, Paris, Hazan, 2011, p. 97‑103.

36 C. Pedretti et S. Taglialagamba, Léonard de Vinci. L’art du dessin, Paris, Citadelles et Mazenod, 2017, p. 216.

37 Ces quelques phrases rédigées sur un feuillet conservé à la Royal Library de Windsor (12665v) synthétisent de manière tout à fait évocatrice sa conception visuelle : « Tenebre, vento, fortuna di mare, diluvio d’acqua, selve infocate, pioggia, saette del cielo, terremoti e ruina di monti, spianamenti di città. / Venti revertiginosi che portano acqua, rami di piante e omini infra l’ara. / Rami stracciati da’ venti, misti col corso de’ venti, con gente di sopra. / Piante rotte, cariche di gente. / Nave rotte in pezzi, battute in iscogli. / Grandine, saette, venti revertiginosi. / Delli armenti. Gente che sien sopra piante che non si posson so<s>tenere. / Alberi e scogli, torri, colli pien di gente, barche, tavole, madie e altri strumenti da notare. / Colli coperti d’uomini e donne e animali, e saette da’ nuvoli che allumini<n>o le cose. » « Ténèbres, vent, fortune de mer, déluge d’eau, forêts enflammées, pluie, éclairs du ciel, tremblements de terre et effondrements de montagnes, rasages de villes. / Vents vertigineux qui portent eau, branches de plantes et hommes sous l’autel. / Branchages déchirés par les vents, mélangés par le cours des vents, avec des gens dessus. / Plantes rompues, chargées de gens. / Navires brisés en morceaux, battus par les écueils. / Grêle, éclairs, vents vertigineux. / Des troupeaux. Des gens qui sont sur les plantes et ne peuvent se retenir. / Des arbres et des écueils, des tours, les montagnes emplis de gens, des barques, des tables, des armoires et d’autres outils à remarquer. / Des montagnes couvertes d’hommes, de femmes et d’animaux, et des éclairs depuis les nuages qui illuminent les choses. » (Leonardo da Vinci, Scritti, Milan, Mursia, 1992, p. 179)

38 S. Wuhrmann et R. Cariel, « “Diluvio e sua dimostrazione in pittura” : les enjeux artistiques du déluge », dans R. Cariel, J.‑C. Lebensztejn, M. S. Seguin et S. Wuhrmann (dir.), Visions du déluge de la Renaissance au xixe siècle, Paris, Réunion des musées nationaux, 2006, p. 13.

39 Ce tableau figure un épisode qui serait advenu durant la nuit du 25 février 1341, lors de laquelle une épouvantable tempête aurait touché la lagune vénitienne. La légende narre comment un vieux pêcheur, qui avait trouvé refuge sous un pont, se serait vu solliciter par un homme venu de l’église de Saint-Marc un passage jusqu’à l’île de San Giorgio, où un second inconnu aurait embarqué. Puis l’embarcation aurait fait une halte à San Niccolò del Lido pour prendre un troisième homme. Face à eux se serait alors présenté un navire chargé d’un grand nombre de démons, décidés à voguer jusqu’à la cité pour la détruire. Grâce à l’intercession des trois passagers, qui se seraient révélés être saint Marc, saint Georges et saint Nicolas, le navire empli de démons aurait alors coulé, préservant Venise de la menace. Sur ce tableau, voir P. Dubus, « La Tempête de Jacopo Palma l’Ancien. Notes sur la réception de l’œuvre du Cinquecento », Revue de l’art, no 145, 2004, p. 55‑61 ; É. Pommier, « La beauté et la tempête. Aspects de la mer à la Renaissance », dans J. Pigeaud (dir.), L’eau, les eaux : Xe Entretiens de La Garenne Lemot, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 73‑87, <https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/books.pur.32609>.

40 Voir P. Sohm, « Palma Vecchio’s Sea Storm: A Political Allegory », Revue d’art canadienne / Canadian Art Review, vol. 6, no 2, 1979‑1980, p. 92‑96.

41 Voir M. Muraro, « Titien : iconographie et politique », dans D. Arasse (dir.), Symboles de la Renaissance, vol. I, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 1976, p. 40.

42 « Art produced in response to the war was created for a variety of reasons and functioned in equally varied ways—it served to celebrate or to censure, to reassure or to incite, to provoke inspiration or to kindle commitment. » (K. Stermole, Venetian Art, ouvr. cité, p. 370). La traduction est de notre fait.

43 « Exsurgat Deus et dissipentur inimici eius et fugiant qui oderunt eum a facie eius », Psaumes, 68, 2.

44 « Ecce Dominus Deus in fortitudine veniet, et brachium ejus dominabitur ecce merces eius cum eo et opus illius coram eo », Livre d’Isaïe, 40, 10.

45 On retrouve par exemple le dragon, symbole des Aragon, sur une miniature réalisée par Ioan Todeschini pour les Heures de Frédéric d’Aragon (Bibliothèque nationale de France, Lat. 10532, fo 388).

46 Dans sa neuvième édition, le Dictionnaire de l’Académie française définit l’allégorie comme une « fiction narrative ou descriptive qui, utilisant un ensemble organisé d’éléments métaphoriques, a pour objet de donner indirectement accès à un sens autre que le sens littéral » (<www.cnrtl.fr/definition/academie9/allégorie>, consulté le 18 juillet 2021).

47 M.‑L. Liberge, Images et violences de l’histoire, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 9.

48 C. Ginzburg, « Ekphrasis et Connoisseurship », dans E. Alloa (dir.), Penser l’image, vol. III : Comment lire les images ?, Dijon, Les Presses du réel, 2017, p. 144.

49 N. Goodman, Languages of Art. An Approach to a Theory of Symbols, Londres, Oxford University Press, 1969, traduit dans D. Freedberg, Le pouvoir des images, Paris, Gérard Monfort, 1998, p. 57.

50 H. Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Paris, Éditions de la Découverte, 2015, p. 44‑45.

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Table des illustrations

Titre Illustration 1. – Jacopo Negretti, dit Palma il Vecchio, et Paris Bordon, Les saints Marc, Georges et Nicolas libèrent Venise des démons (Tempête en mer), ca 1513‑1534.
Légende Huile sur toile, 362 x 408 cm, Venise, Galleria dell’Accademia.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 452k
Titre Illustration 2. – Giorgione, La Tempête, ca 1506‑1508.
Légende Huile sur toile, 82 x73 cm, Venise, Gallerie dell’Accademia.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
Titre Illustration 3. – Altobello Melone, Portrait de gentilhomme, ca 1513.
Légende Huile sur panneau, 58 x 48 cm, Bergame, Accademia Carrara.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 1,4M
Titre Illustration 4. – Domenico Beccafumi, Le Mariage mystique de sainte Catherine, ca 1521.
Légende Huile sur toile, 220 x 205 cm, Saint-Pétersbourg, L’Hermitage.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 982k
Titre Illustration 5. – Giovanni Busi, dit Cariani, Femme étendue dans un paysage, ca 1520‑1524.
Légende Huile sur toile, 74 x 94 cm, Berlin, Staatliche Museen.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 667k
Titre Illustration 6. – Dosso Dossi, Les Jeux siciliens, ca 1520‑1522.
Légende Huile sur toile, 58 x 167 cm, Birmingham, The Barber Institute of Fine Arts.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 216k
Titre Illustration 7. – Dosso Dossi, Les Jeux siciliens, ca 1520‑1522.
Légende Huile sur toile, 58 x 167 cm, New York, collection particulière.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-7.jpg
Fichier image/jpeg, 318k
Titre Illustration 8. – Léonard de Vinci, Étude pour le Déluge, ca 1515.
Légende Encre sur papier, 27 x 40 cm, Windsor, The Royal Library.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-8.jpg
Fichier image/jpeg, 627k
Titre Illustration 9. – Titien, Submersion de l’armée de Pharaon dans la mer Rouge, ca 1514‑1517.
Légende Gravure sur bois, 112 x 221 cm, Washington, National Gallery of Art.
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-9.jpg
Fichier image/jpeg, 796k
Titre Illustration 10. – Étienne Colaud, Allégorie de l’Italie torturée par des animaux, mais protégée par le bras du roi de France, dans Guglielmo de’ Nobili, Breve trattato delle afflittioni d’Italia e del conflitto di Roma con pronosticatione, ca 1525‑1527.
Légende Miniature sur parchemin, fo 1r, New York, Public Library (Spencer Ms 081).
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/docannexe/image/13853/img-10.jpg
Fichier image/jpeg, 1,3M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Marc Rivière, « La tempête comme métaphore : les figurations de la catastrophe climatique pendant les guerres d’Italie »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 37 | 2023, mis en ligne le 30 septembre 2023, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/13853 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.13853

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Auteur

Jean-Marc Rivière

CAER, Aix-Marseille Université
jean-marc.riviere@univ-amu.fr

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