Navigation – Plan du site

AccueilNuméros35Antiquité romaine : le roman fict...La fiction, une réalité outrée ? ...

Antiquité romaine : le roman fiction vraisemblable ou source scientifique ?

La fiction, une réalité outrée ? Le Satiricon et la critique politique

Fiction: An Exaggeration of Reality? Petronius’ Satiricon and Political Criticism
La finzione: una realtà distorta o esagerata? Il Satiricon di Petronio e la critica politica
Marie-Claire Ferriès

Résumés

La qualité de source historique a été parfois déniée au Satiricon, œuvre lacunaire à l’auteur incertain et au statut indéterminé. Toutefois les notations réalistes qui parsèment le roman incitent à la confrontation avec les témoignages juridiques, scientifiques ou épigraphiques. Le but n’est pas de vérifier l’historicité de la source, mais de déterminer la perspective qu’ouvrait Pétrone sur la société de son temps pour ses lecteurs. L’angle d’analyse choisi est celui des réalités civiques, le pouvoir et son exercice par la rhétorique, le droit, les institutions et les élections. Les traits d’humour ne sont pas gratuits, ils incitent à la critique même si l’objet de celle‑ci est volontairement insaisissable : rit‑on des ridicules des imbéciles et des prétentions des parvenus ou le trait s’enfonce‑t‑il plus loin, au risque d’écorcher le lecteur ? De fait, la caricature n’est pas aussi fantaisiste que la bouffonnerie ne le laisse penser. L’œuvre présente la réalité exagérée mais pas déformée.

Haut de page

Texte intégral

  • 1 F. Dupont, Le plaisir et la loi, Paris, Maspero, 1977, p. 12‑13 : « L’historien […] commet un pas f (...)

1L’historien de l’Antiquité romaine déplore la rareté et les lacunes de ses sources. Aussi fait‑il flèche de tout bois et fonde‑t‑il sa compréhension de ces temps reculés sur le moindre indice qui lui en soit parvenu. Tous les genres littéraires sont mobilisés mais la question de la légitimité de cette démarche se pose avec acuité lorsqu’on en vient à des œuvres comme le Satiricon qui se présentaient comme de pures fictions. L’usage historique de ce document a été fustigé par Florence Dupont qui s’est élevée contre ce qu’elle considérait comme un cercle vicieux engendré pas l’erreur initiale de l’historien qui se déciderait à partir de quelques données superficielles de prendre pour argent comptant le contenu de ce récit en prose entraînant le littéraire à sa suite sur la piste du réalisme du texte et qui, en retour, conforterait l’historien dans sa conviction initiale1.

  • 2 L’idée que l’on puisse ne considérer le Satiricon que comme un projet à finalité littéraire peut se (...)

2Cette dénonciation des relations faussées et circulaires s’appuyait sur un mouvement visant à défendre le texte du Satiricon comme un monde en soi indépendant d’une réalité extérieure2, qui fait coexister des éléments jugés réalistes et des données fantastiques. Florence Dupont faisait un procès à une certaine inclination à écrire une histoire de société en mettant bout à bout des textes qui sont des créations littéraires et des textes de la vie quotidienne : entre des écrits qui cherchent à faire œuvre et la réalité, nous ne serions pas sur des plans comparables.

  • 3 R. Martin, dans « La “Cena Trimalchionis” : les trois niveaux d’un festin », BAGB, 1988/3, p. 232‑2 (...)
  • 4 Il s’appuyait alors sur les résultats de F. Dupont, mais aussi sur d’autres commentaires littéraire (...)

3Une fois dépouillée de sa pointe polémique, la critique demeure utile à condition d’être tempérée d’abord par la mise au point de René Martin. Dans le roman, souligne‑t‑il, les passages ouvertement irréalistes sont des inclusions dans une trame qui est réaliste, au sens pictural du terme, car l’auteur a choisi d’ancrer son récit dans un milieu contemporain, moyen, sans grand homme, ni dieu, sans un narrateur qui soit un héros, sans que les rebonds de la narration soient commandés par des dieux ou une providence supérieure, sans composition savante ; au contraire, tous les effets de l’art jouent pour donner une illusion de naturel3. Selon lui, c’est le premier des trois niveaux selon lesquels on peut lire le récit de Pétrone, d’abord une peinture réaliste de la société contemporaine, ensuite une composition littéraire, enfin un texte initiatique et labyrinthique4.

  • 5 J. Thomas, Le dépassement, ouvr. cité, p. 51‑55. L. Méry, art. cité, p. 60‑61, montre que l’impostu (...)
  • 6 L. Méry, art. cité, p. 54‑55, l’épisode du bateau de Lichas est une parodie de l’Odyssée, revendiqu (...)

4Ce débat, maintenant ancien, rappelle aux historiens qu’il faut garder à l’esprit que le réel dans ce roman n’est qu’une illusion, une mince pellicule de glace qui opacifie des significations profondes. Cela d’autant plus que le Satiricon repose entièrement sur le thème de la duperie et du déguisement5. En outre, cette œuvre totale qui combine tous les genres et les parodie joue avec le lecteur cultivé pour lequel l’auteur a parsemé le récit d’allusions fines et drôles6. Faut‑il pour autant renoncer à faire de cette œuvre une source ? Est‑ce une aberration que de la comparer à des textes du quotidien ? Il semble au contraire que la comparaison puisse apporter des éléments utiles à l’historien car, paradoxalement, il faut constater que les deux types de textes partagent des plans communs.

  • 7 Cette comparaison entre les deux types de documents a été menée de manière fructueuse par les lingu (...)

5En effet, d’une part, par jeu, Pétrone mêle à son récit des faux réalistes : annonces commerciales, éloge épigraphique, testaments, contrats, etc., qui empruntent les formes d’écriture du monde réel. D’autre part, l’idée que les textes non littéraires soient un pur compte rendu de la réalité, sans art, ni chausse-trape est une autre illusion. Ne prétendons pas que les arrière-plans de l’elogium épigraphique d’un notable municipal puissent se comparer à la richesse sémantique du Satiricon, mais ce texte d’autoreprésentation introduit de la fiction dans le réel. L’épigraphie monumentale (la plus répandue de nos sources) n’est pas la réalité : elle en est une représentation codifiée qui s’adresse à des gens que l’on veut impressionner et convaincre. Par conséquent, puisque Pétrone lui‑même marie les textes du quotidien à son projet littéraire, et puisque l’épigraphie présente une part de projet fictionnel, ne sommes‑nous pas autorisés à considérer côte à côte les deux types de documents7 ? Encore faut‑il s’entendre sur les buts que l’on fixe à la comparaison. Il ne s’agit pas de les mettre sur le même plan pour tramer une histoire sociale bien solide en comblant les lacunes de l’un par l’autre. Il ne s’agit pas non plus de se contenter de « vérifier » une source par l’autre, pour reprendre la critique que faisait Joël Thomas : « L’art n’est pas un département vérifiant une histoire positive. » Il s’agit plutôt de reconstituer l’univers mental des lecteurs, amateurs de fictions et de parodies, mais en même temps spectateurs de la comédie humaine de leur temps.

  • 8 La littérature est immense sur ce point mais, il faut en tête rappeler les travaux fondateurs de M. (...)

6Le champ d’études est alors immense et les angles d’attaques nombreux. Cependant, il en est un qui est très représenté aussi bien dans le Satiricon que dans les inscriptions : les données du quotidien municipal et l’arrière-plan civique. Le Satiricon a été souvent sollicité pour donner un peu d’épaisseur au laconisme épigraphique des cités d’Italie du Sud, de sorte que le sujet peut sembler quelque peu éculé. Cependant, ces vingt dernières années, la combinaison entre épigraphie et archéologie ont fait évoluer notre connaissance des horizons politiques et religieux du monde des artisans, commerçants et notables locaux des cités vésuviennes8. La somme de ces données, obtenues sans le recours à la littérature, permet de porter un regard plus aiguisé sur les rapports sociaux et politiques que traduit le Satiricon. Ainsi, sans prétendre traiter à frais nouveaux la question, l’analyse de quelques traits présentés dans le roman apportera des éléments d’évaluation de la fiction et permettra de s’interroger sur les façons dont le roman se joue du réel pour recomposer une société fictive. Mais à quelle fin ? Nous ne saurons pas tout sans doute, mais nous comprendrons un peu plus sa dimension politique à cette lumière.

1. La politique est partout

  • 9 Sur la question de l’identité de l’auteur, G. Petronius Arbiter, auteur de fabulae, voir : R. Marti (...)
  • 10 R. Martin, dans « Petronius Arbiter et le Satyricon : où en est la recherche ? », art. cité, p. 151 (...)
  • 11 Le roman initial serait en 24 livres, dont ne subsisteraient que les livres 14, 15 et 16 (R. Martin (...)

7Parler de politique pour le Satiricon, est‑ce bien raisonnable ? Si, en suivant les plus solides hypothèses actuelles, on exclut l’attribution de l’ouvrage à T. Petronius Niger, arbitre des élégances qui se suicida lors de la répression de la conjuration de Pison9, et la critique supposée de Néron cachée derrière le festin de Trimalchion10, la place de la politique peut déconcerter quelque peu car elle est insaisissable pour deux motifs : elle est partout et nulle part, et le lecteur nage dans un flou total, du moins dans l’état actuel du roman (aucune temporalité précise, aucune localisation sérieuse, des noms parfaitement reconnaissables mêlés à des personnages de fiction). L’état lacunaire11 n’explique pas, seul, cette situation : l’épisode du festin de Trimalchion est un fragment cohérent mais ne mentionne jamais le nom de la ville où se situe la scène, même s’il multiplie les éléments de localisation comme il sera vu infra. Les élites politiques, romaines, l’empereur, les sénateurs, les chevaliers, comme les responsables locaux, les édiles et les duumvirs, les sévirs, le personnel de l’officium, sont assez fréquemment cités mais n’interviennent pas directement dans le récit, à l’exception du viator, esclave public chargé de la police, dans la chambre d’auberge (xcvii-xcviii) ou du licteur et du sévir Habinnas dans la salle à manger de Trimalchion (lxv, 3). Ils sont inclus dans le récit comme des motifs, à l’occasion d’une anecdote, l’empereur et la découverte du verre incassable (li, 1‑6), ou comme décor d’une autre, Eumolpe membre de l’officium d’un questeur d’Asie (lxxxv, 1) — c’est loin, c’est ancien, ce n’est peut-être qu’invention. La politique peut se présenter également comme le sujet d’une conversation, celle d’Euchion et de Ganymède sur les édiles locaux, ou parvenir par ouï‑dire, comme le « sauvetage » d’Ascylte aux bains par un chevalier romain (xcii, 10), ou encore par citation dans une fausse inscription (le cursus de Trimalchion). Enfin la politique peut se présenter comme référence dans une réflexion plus générale (le Sénat de Rome) ou dans le poème d’Eumolpe sur les guerres civiles.

8L’omniprésence du politique et, en même temps, son invisibilité partielle à nos yeux s’expliquent par une conception différente de la nôtre. La res publica, dans les cités romaines, est une réalité englobante qui ne s’arrête pas à la définition contemporaine du politique (un cadre d’administration défini par la loi et la pratique, des fonctions d’autorité, des jeux de pouvoirs, des confrontations d’opinions). De même, la res publica des Romains s’étend à tout ce qui fédère la communauté, le trésor public et les propriétés communes, la satisfaction collective des besoins matériels (blé, bains, rues et routes), la gloire de la ville et ses embellissements, l’exercice de la justice pour réguler l’harmonie générale et, surtout, les rites qui unissent la civitas à la face des Dieux. Partout et nulle part, la politique constitue une trame diffuse et continue.

9De fait, le Satiricon dissémine un peu partout des éléments significatifs de la vie civique et de nombreuses scènes impliquent le quotidien municipal ou les institutions romaines. Souvent, il ne s’agit que d’une toile de fond, un cadre où chacun peut se reconnaître et qui fonde ainsi le réalisme. Toutefois, ce décor n’est pas neutre. Le quotidien municipal du Satiricon est présenté au lecteur par le truchement du regard des protagonistes, ce qui introduit une distance, et, de la distance à la critique, il n’y a qu’un pas.

  • 12 Le tyran exigeant que les fils tuent leur père, voir Sen., Contr., ix, 4, 1‑22 ; le pirate qui libè (...)
  • 13 À Pompéi, pour un même candidat, M. Cerrinius Vatia, dont il sera question ultérieurement, le quali (...)
  • 14 Cic., Or., III, 24 ; Gell., xv, 11 ; R. Pichon, « L’affaire des Rhetores latini », REA, t. 6, no 1, (...)

10Ainsi, pour prendre un exemple, au début de la partie préservée du roman, Encolpe prononce au forum une philippique contre la rhétorique scolaire, dépourvue de réalisme et contre le mésusage de l’éloquence judiciaire par une jeunesse mal formée. En réponse à cette diatribe, Agamemnon, professant cette discipline, se défend en invoquant la volonté déraisonnable de sa clientèle pressée de caser ses enfants dans les charges publiques (iv, 1) « ad vota properant cruda studia in forum impellunt ». La parodie et la critique sont partout, dans les exemples extrêmes choisis par Encolpe, mais dont certains figurent dans les traités de rhétorique de Sénèque le père12, dans la forme du discours « à la manière de », dans la réponse que lui apporte Agamemnon et dans l’accueil du public qui critique sa technique. Le passage brusquement refermé dans la narration apparaît comme une bulle de fantaisie parodique, mais le sujet abordé est loin d’être anodin : la reproduction des élites civiques. En effet, ce sont les notables romains honorablement connus qui, seuls, sont admis aux charges électives ; ils sont digni rei publicae, pour reprendre la terminologie de l’épigraphie électorale13. Pour en faire la preuve et obtenir les honores, il convient de se faire remarquer initialement par l’éloquence judiciaire, commençant par l’accusation puis passant à la défense comme patronus, une fois la réputation et la carrière établies. La rhétorique est à la fois l’élément de distinction sociale et le cadre de formation intellectuelle et politique de ceux qui administreront la collectivité. Or un débat fait rage, à Rome et en Italie, dès la fin du iie siècle avant notre ère sur la nécessité ou non d’ancrer les exercices de rhétoriques dans la réalité, ce que défendaient les rhetores latini avant leur interdiction14. La tonalité du passage de Pétrone interdit que l’on prenne au sérieux les postures des protagonistes, et bien malin qui pourrait saisir la morale de l’épisode. Pourtant, il reste que tous les participants conviennent d’une éducation mal adaptée aux devoirs publics et par conséquent d’élites inaptes à l’exercice de leurs responsabilités. Il est bien question de politique même si aucune personne n’est visée ; la critique s’adresse au groupe.

  • 15 Le bandeau du registre supérieur du triclinium Palazzo Massimo, cf. I. Bragantini et M. de Vos, Mus (...)

11Au même titre que le discours, ou les cérémonies, le droit et son usage agrégeaient les citoyens et régulaient les conflits qui auraient pu diviser la communauté. Il n’est pas surprenant de constater que les références au droit deviennent des ressorts comiques dans ce récit. Les iura sont mis en scène lorsque Encolpe et Ascylte veulent récupérer leur tunique en guenilles (mais cousue d’or) contre un somptueux manteau qu’ils ont volé. Bien malgré les parties en jeu, Encolpe et Ascylte d’un côté, le paysan et la femme voilée de l’autre, commence une séquence de procès qui leur est imposée par les forenses. Pour récupérer son bien, Encolpe refuse de recourir à des manœuvres détournées, veut agir selon le droit « nagaui circuitu agendum sed plane iure ciuili dimicandum » et évoque la procédure d’action possessoire « si nollet alienam rem domino reddere, ad interdictum veniret ». Un fripier s’impatronise iudex, car il a une petite habitude de la justice, « qui solebat […] causas agere », ce qui élève les sordides marchandages à des actions de droit. Toute cette scène est un décalque d’une procédure civile, mais cette dernière est appliquée à un objet dérisoire qui ne relève pas de la propriété quiritaire, entre des gens qui auraient plus d’un compte à rendre à la loi. Tout s’achève bien sûr dans le chaos et la confusion. Le lecteur doit‑il rire de la situation cocasse, des personnages dérisoires ou des formules pompeuses et creuses de la procédure ? L’effet de décalage donne naissance à un espace d’interprétation : à chacun de voir jusqu’où il veut pousser la critique. Pour l’historien, la question se pose de la justesse de cette scène. Faut‑il en déduire que toutes les catégories sociales urbaines étaient pétries de droit romain ? Au contraire, si le lecteur nécessairement cultivé et privilégié en rit, c’est que la connaissance et l’emploi de ces procédures étaient étrangers à ce milieu, ou supposés l’être. Du reste, des scènes de procès parodiques peuplaient les peintures du Troisième Style, comme celles d’un des triclinia de la Farnesina15 ; la justice fait rire parce qu’elle fait peur : elle est un instrument possible de la ruine, de la dégradation civique ou de la mort.

2. Où situer la politique ?

12Dans quel cadre sommes‑nous ? Dans quelle cité ? À partir du chapitre cxvi le récit se déroule sur la route de Crotone ou dans la cité même qui est présentée comme une Vrbs antiquissima et aliquando Italiae prima, très ancienne certes, mais première d’Italie ; cela reste à prouver. L’exagération patriotique du villicus qui présente la ville à ses pieds est d’ailleurs aussitôt contredite par le délabrement actuel d’une cité ruinée par les guerres et qui est un monde à l’envers où, en contradiction avec la législation augustéenne nataliste, on ne se marie pas et on ne fait pas d’enfant pour conserver ou capter de plus gras patrimoines. Le réalisme n’a pas non plus sa place ici. Cet état des lieux a de quoi intriguer l’historien : quelles sont ces guerres qui ont ruiné la cité ? On pense aussitôt aux guerres triumvirales contre Sextus Pompée. Du reste, pour rythmer la marche vers leur destination, Eumolpe déclame une parodie de la Pharsale de Lucain où il mêle allégrement et sans souci de chronologie Sylla, César, Pompée, Crassus et fait allusion aussi à Actium. Crotone est donc le point d’aboutissement, mais quelle est la cité mentionnée tout au début de l’extrait conservé ?

  • 16 La mention de Pompéi, détruite fin octobre 79, n’exclut pas une datation postérieure de l’œuvre, ma (...)

13La cité que quittent Eumolpe, Encolpe et Giton est une cité portuaire qui possède un bassin suffisamment profond pour les bateaux de commerce (ci). L’armateur Lichas est de Tarente où il possède une propriété foncière et une entreprise de négoce. Tryphène, qui fait du tourisme, s’est rendue peu avant à Baïes (civ). Ils ont à accomplir un jour ou deux de navigation. Il est tentant de jouer au jeu des identifications avec des cités campaniennes ou de Grande Grèce. Toutes les propriétés et affaires commerciales de Trimalchion indiquent une localisation sur le golfe de Naples, propriété des Cumes, le praedium cumanum, de Pompéi, peut‑être, les horti Pompeiani16, à Baïes où est relégué un esclave d’atrium (liii). Il fait aussi des affaires à Capoue et la maîtresse d’un des protagonistes du festin vient de Tarente. Toutefois, utiliser ces propriétés comme des indices est impossible, car la fantaisie s’y glisse une fois encore. Trimalchion, avec un sens de la géographie qui n’appartient qu’à lui, décrit un nouveau fond dont on lui a dit « confine esse Tarraciniensibus et Tarentinis », une propriété donc qui va du sud du Latium à Tarente ! (xlviii, 2).

14Pourtant des éléments convergents permettent de catégoriser cette cité, à l’origine une ville grecque (l’auberge du chapitre lxxi est qualifiée de « deversorio Graecae urbis »), qui est devenue environ quarante ans avant le récit une colonie romaine, « in hanc coloniam veni, basilica non facta est ». Elle est donc administrée selon le droit romain, avec des édiles, un forum, une curie, une vie électorale. Ses magistrats portent des tria nomina qui ont un relent campanien : Safinius, Norbanus et Mammea. Cela exclut bien sûr Naples, municipe qui conserve des archontes, mais les possibilités restent nombreuses. Cependant, comme dans le cas de Crotone, nommément citée mais pratiquement pas décrite, les données disparates donnent à penser que, dans la chronologie comme dans la localisation, règne une confusion intentionnelle : le récit se réfère à une période qui correspond au plus tôt à la fin de la dynastie julio-claudienne. Or les dernières colonies fondées dans cette région remontent aux premières années d’Auguste, soit près de cent ans plus tôt. La quête de la vérité semble donc vaine, car les repères sont systématiquement brouillés. Pourtant, la véracité triomphe : la cité où ont échoué Encolpe et ses compagnons est un archétype de colonie romaine au passé grec. Ce flou sert la critique, car elle en disperse le fiel : la cité caricaturée n’est ni celle‑ci, ni celle‑là ; les mœurs ne sont pas celles de ce temps puisqu’on est plongé dans une temporalité intermédiaire qui fonctionne comme le présent de Pétrone, la fin de l’époque flavienne, mais semble se référer plus tôt, à Claude, Néron ou Vespasien.

15Rome, comme référence et comme lieu de pouvoir, est toujours en arrière-plan du récit : Encolpe est un chevalier romain déchu et Trimalchion aurait pu être intégré dans toutes les décuries de juges de Rome (lxxi, 12) ; Eumolpe a appartenu à l’office d’un questeur d’Asie ; le maître de Trimalchion fut un sénateur (accepi patrimonium laticlauium, lxxvi, 2) ; un empereur apparaît dans l’anecdote de l’artisan qui avait découvert le verre incassable et par son génie auquel on rend hommage au banquet « Augusto patri patriae feliciter » ; le Sénat est le modèle sur lequel on est censé se conformer « recti et boni praeceptor », mais il est le premier à vouer à Jupiter mille livres d’or pour mieux se laisser corrompre (lxviii, 9). L’histoire de Rome et la guerre civile de la fin de la République sont longuement évoquées dans un poème prononcé par Eumolpe, devant Crotone. Mais aucun de ces éléments n’intervient directement dans la trame du récit. Rome et sa politique sont sur un autre plan, comme un horizon vers lequel tendent les imaginations, les espoirs ou les souvenirs.

  • 17 Sur ce personnage, voir PIR2, P, no 754. Le festin est rapporté par Pline l’Ancien (Nat., xiv, 6).
  • 18 Le choix même des décors héroïques, démodés à l’époque où le récit est censé se dérouler, époques n (...)

16Trimalchion est présenté comme l’empereur de ses domaines : ceux qui blasphèment son génie sont crucifiés ; les comptes de son dispensator sont exposés selon le schéma des acta Vrbis (liii, 1). Il faut analyser un détail souvent relevé dans ce passage : le mois d’août n’est pas dénommé d’après le nom de l’empereur mais est indiqué comme sextilis. Il se peut que cela montre l’usage durable de l’ancienne appellation, comme on le pense généralement. Pourtant, dans un texte aussi maîtrisé, on peut s’interroger sur l’intention du détail. « Sextilis » fleure la République alors que l’on est avancé dans l’époque impériale. Cette même ambiance « républicaine » transparaît par touche dans la cena Trimalchionis : l’hôte se lance dans une comparaison burlesque entre Cicéron et P. Syrus, et il fait servir une amphore de falerne opimien, dont l’étiquette apprend au lecteur qu’elle est âgée de cent ans (xxxv). La veine satirique est visible : l’étiquette est un faux grossier, car le consulat d’Opimius date de deux cents ans. Bien sûr, l’année d’Opimius (121 avant notre ère) est une référence absolue des amateurs et c’est faire preuve d’un faste inouï que de verser ce vin sans prix tant il est rare. Pétrone était lecteur de Pline l’Ancien, qui rapporta que l’on servit du vin d’Opimius au banquet que Pomponius Secundus poeta, consul en 4417, donna à l’empereur Caligula. On peut supposer toutefois que la plaisanterie pousse la pique un peu plus loin que la raillerie contre un parvenu ignare qui se prend pour un noble servant à souper à un empereur. Trimalchion, en alignant les références au passé républicain18, singe la nostalgie de certains milieux sénatoriaux qui font comme si le temps s’était arrêté avant l’Empire. Bien sûr, il s’embrouille dans les références et détruit toutes les illusions. Libre au lecteur de penser que le burlesque réside dans les prétentions d’un homme issu des basses classes ou d’inclure dans le ridicule les contradictions d’une noblesse qui, théoriquement, rêve de République et, pratiquement, sert l’Empire.

17Trimalchion et ses amis s’entourent des insignes des magistrats romains au point de créer la confusion : Encolpe, au chapitre 65, entendant un licteur frapper au seuil de la salle à manger, se demande si c’est le préteur qui va entrer et fait rire son hôte qui lui révèle qu’Habinnas est simplement sévir. Mais Trimalchion, lui‑même sévir honoraire, entretient le doute sur ses liens avec les ordres supérieurs. Sur son épitaphe, il indique qu’il aurait pu figurer dans les cinq décuries judiciaires de Rome mais ne l’a pas voulu. Or il était impossible à un affranchi d’être inscrit dans ces décuries. Il fallait réunir des conditions juridiques incompatibles avec son statut, car la première d’entre elles était la naissance libre et citoyenne. Cela aurait nécessité d’obtenir une restitutio natalis de l’empereur, faveur rare même pour un affranchi impérial, ce qu’il n’était pas. Les premières décuries étaient en outre réservées à des membres de l’ordre équestre. La fortune ne fait pas tout à Rome et, si le patrimoine de Trimalchion était équivalent ou supérieur à celui des membres de cet ordo, il ne lui permettait pas de franchir le fossé que représentaient l’honorabilité sociale et le statut juridique.

  • 19 R. Bedon, « Pétrone, Satiricon, XXX : le dispensator Cinnamus », BAGB, 1996/2, p. 151‑166, principa (...)

18Pour autant, les prétentions de l’hôte d’Encolpe visent encore plus haut. Les horti Pompeiani, sont peut‑être des jardins de Pompéi, mais peut‑être ceux de Pompeius. Dans ce second cas, l’adjectif se réfère de façon ambivalente et ambiguë, aux jardins de Pompée le Grand à Rome, confisqués par César puis détournés par Marc Antoine, d’une part, et au nom de Trimalchion, G. Pompeius, le nouveau propriétaire, d’autre part. Cette équivalence paraît forcée ? Un autre passage l’accrédite. Ainsi, dans le décor de la maison de l’affranchi, on aperçoit des symboles plus étonnants : au seuil de la salle à manger, dans le couloir voûté qui sépare l’atrium du triclinium, lieu stratégique dans le programme décoratif, sont représentés des faisceaux, armés d’une hache et finis par un quasi embolum, une sorte d’éperon de navire. Or ce sont les symboles de l’imperium militiae. Certes, les sévirs ont la possibilité, dans le cadre de leur fonction, d’être précédés par un licteur portant les faisceaux, mais c’est un fagot non armé, symbole d’une autorité exercée dans le cadre de la cité. La hache est réservée aux faisceaux des commandants de légion de rang prétorien ou consulaire. L’éperon apporte une précision supplémentaire : c’est une décoration décernée pour une victoire navale. Or cette décoration, rare même pour un sénateur, est conférée à Trimalchion, non par le sénat et le peuple romain, mais par son dispensator, Cinnamus, Cannelle, donc, personnage auquel Robert Bedon a consacré un article19. Ce personnage est un proto-Trimalchion, intendant financier de son maître, lui‑même possesseur d’esclaves (des villici, donc) vêtu de pourpre de Tyr (presque) neuve par ses clients (car il a des clients comme tout notable, nonobstant qu’il soit encore esclave) et qui traite avec superbe les invités de Trimalchion, pourtant d’un statut largement supérieur au sien. Robert Bedon relève deux points : le décor où s’inscrit la dédicace peut être assimilé à une sorte d’arc triomphal, et le terme d’embolum choisi de préférence à rostrum qui, selon lui, gommerait la tonalité militaire des rostra. Effectivement, cette latinisation du grec embolon est exceptionnelle et constitue un hapax. Est‑ce là encore une référence à la langue hybride de ces affranchis ? Plus vraisemblablement, cela ouvre une nouvelle trappe dans les tréfonds du décor, car l’embolum renvoie à un groupe de mots, translittérés du grec, de même étymologie, qui évoque aussi bien les cargaisons des navires marchands (embola) qu’à des formes d’intermèdes théâtraux (embolium). En bref, le remplacement de rostrum par embolum désamorce le grandiose de l’insigne et ouvre par analogie la porte à des associations d’idées qui n’ont rien de glorieux. Il faut en revenir aux intentions que l’on peut prêter à Cannelle ; il a voulu flatter son maître en assimilant ses bonnes fortunes de mer, d’ordre commercial, à des victoires navales par hyperbole, comme le souligne justement Robert Bedon. Mais la flagornerie est encore plus savante et le lecteur romain attentif à la totalité du passage s’amusait d’un arrière-plan cocasse. Le premier Romain à placer de semblables trophées dans le vestibule de sa domus était le Grand Pompée lui‑même en commémoration de sa victoire sur les pirates. Cette particularité bien connue a été prise comme motif rhétorique par Cicéron dans les Philippiques pour discréditer Antoine, indigne occupant de sa maison : « An tu, in vestibulo rostra spolia cum adspexisti, domum tuam te introire putas ? » (Philippiques, ii, 68) Or, comme l’inscription dédicatoire du Satiricon le rappelle, « À Gaius Pompeius Trimalchio, sévir augustal, Cinnamus, son trésorier », Trimalchion est un affranchi portant le nomen Pompeius et, selon les lois de l’onomastique, pourrait prétendre être un libertus de la prestigieuse famille. Cannelle assimile son Pompeius au Grand Pompée. Il se peut que le manteau en pourpre de Tyr dont le dispensator était le propriétaire soit une allusion à ce même passage des Philippiques où Cicéron déplorait que l’on pût voir les couvertures de pourpre tyrien de Pompée étendues sur les lits des cellules des esclaves d’Antoine (ii, 67). Sommes‑nous dans un monde de fantaisie absolue ou restons‑nous dans la dimension satirique ? Le lecteur de Pline l’Ancien, comme l’était Pétrone, savait bien que, dans l’Histoire naturelle (xxxv, 58), l’auteur déplorait qu’on eût vu sous le règne de Claude des affranchis venus à Rome les pieds poudrés de craie (les assimilant à des biens à vendre sur un marché) repartir presque décorés des faisceaux ornés de lauriers (associés au triomphe). Il faisait allusion aux affranchis impériaux décorés pour leur participation à la campagne de Bretagne. Le lecteur romain découvrait la mise en scène de Cinnamus par les yeux d’un Encolpe, abasourdi, sans commentaire, mais il pouvait la décrypter à la lumière de sa propre culture et en savourer tout le sel. Il lui était loisible encore une fois d’arrêter la critique où il jugeait convenable de le faire : des affranchis grotesques qui singeaient des sénateurs ou bien des empereurs qui avaient perverti les frontières civiques ? Cette critique était‑elle celle d’un passé révolu, comme les lamentations de Pline le Jeune sur les affranchis arrogants de Claude (Ep., vii, 29 et viii, 6), ou bien celles du présent. Le flou chronologique est savamment entretenu comme l’incertitude géographique. Cela explique la difficulté de juger la dimension critique d’une œuvre qu’on a peine à dater faute de données extérieures et qui se joue des repères internes.

  • 20 Comme le remarque J. Thomas (Le dépassement, ouvr. cité, p. 149) pour Troie et Rome dans les pseudo (...)

19Toutefois, dans le passage préservé du récit, toutes ces réalités romaines, l’empereur compris, sont des références absolues mais lointaines20. L’horizon principal des personnages est le quotidien d’une cité où ils sont bien connus, épiés par leurs voisins, considérés. C’est ce que montre la campagne d’affichage où Diogénès montre sa fortune, car il loue sa mansarde et achète une maison, alors que Proculus, pour dissimuler sa déchéance financière, proclame qu’il vend ses surplus (xxxviii). Le monde civique du Satiricon est celui des citoyens romains d’une colonie, soit de naissance libre, soit affranchis, ceux que l’on peut retrouver dans l’épigraphie funéraire et politique locale, surreprésentés par rapport au reste de la population.

3. Trimalchio, Safinius, Mammea vs les Cerrenii quand la « réalité » rencontre la fiction…

  • 21 R. Duthoy, « La fonction sociale de l’augustalité », Epigraphica, vol. 36, 1974, p. 134‑154 ; « Les (...)
  • 22 R. Duncan-Jones, The Economy of the Roman Empire. Quantitative Studies, Cambridge, Cambridge Univer (...)
  • 23 F. van Haeperen, art. cité, p. 144 (remarques de N. Laubry).
  • 24 Ibid., p. 141‑143.
  • 25 CIL, V, 4482 ; M. Laird, Civic Monuments and the Augustales in Roman Italy, New York, Cambridge Uni (...)
  • 26 SupplIt, 2, 1983, p. 158‑159, no 121, pour l’inscription ; pour le monument, voir R. Bianchi Bandin (...)

20Complètement absents des autres passages, les sévirs augustaux apparaissent au premier plan du festin. Trimalchion est un sévir honoraire et Habinnas un augustalis dans l’exercice de ses fonctions. Ils sont tous deux affranchis, ce qui correspond aux estimations statistiques (85 à 90 % d’affranchis) que suggère l’épigraphie21. Les augustales, connus par environ 2 500 inscriptions, constituaient des figures familières dans les cités occidentales, colonies et municipes, mais ils étaient absents de Rome. Leur présence et leur préséance dans le livre — Habinnas est fêté comme un grand personnage — fonctionnent comme des repères sociologiques limpides pour les lecteurs : le banquet se situe dans un ambiance « provinciale » et dans un milieu fortuné, car être sévir suppose le versement d’une summa honoraria importante, en moyenne 2 000 sesterces en Italie22, mais d’un rang médiocre car les convives ne sont pas les représentants des élites municipales traditionnelles constituées par les anciennes familles de propriétaires et les anciens magistrats. Les sévirs étaient vraisemblablement recrutés parmi les citoyens possédant une fortune importante mais n’appartenant pas à l’ordo decurionum23. Pourtant, Trimalchion comme Habinnas, excipent de cette fonction la prérogative des insignia imperii communs aux magistrats de Rome et aux cités de droit romain. Le lecteur antique s’indignait‑il de cette prétention ou s’en gaussait‑il ? Les augustales, chargés d’organiser les jeux d’octobre en l’honneur d’Auguste, étaient responsables d’une manifestation de loyalisme au pouvoir impérial et étaient nommés par décret des décurions24. À ce titre, ils recevaient certaines marques du pouvoir. Françoise van Haeperen note que les insignes présents dans la maison, les faisceaux, et sur le tombeau, la toge prétexte, la distribution d’argent commémorant les libéralités de Trimalchion lors du banquet public qu’il avait organisé, faisaient partie des prérogatives liées au sévirat ; il en va de même pour le licteur d’Habinnas. Le tombeau de Trimalchion peut s’inspirer de cas semblables : les sépultures de M. Valerius Anteros à Brixia25 et de C. Lusius Storax à Teate Marrucinorum26. La description du roman ne sort donc pas du champ du réel, mais la caricature se nourrit de l’exagération : les faisceaux sont ornés de haches (ce qui est un indice de l’imperium et non de l’autorité conférée par une charge civile comme nous l’avons vu infra) ; le licteur précède Habinnas hors du cadre de sa fonction, comme s’il était un véritable magistrat. La comédie du pouvoir naît surtout de la distorsion entre la vulgarité des personnages, leur intempérance et l’apparence respectable d’une autorité dont ils sont les dépositaires indignes. Leur interprétation de la fonction est grotesque dans la forme comme dans le fond. Il est laissé au lecteur toute latitude de rire de certains augustaux, de tous les augustaux ou, s’il est insolent, de la charge d’Augustalis.

  • 27 Sur l’incommunication et la vacuité des dialogues, voir J. Thomas, Le dépassement, ouvr. cité, p. 1 (...)
  • 28 Pour la Lusitanie, l’épigraphie donne quelques chiffres : ils représentent au plus dix fois cette s (...)

21Les magistratures municipales sont également évoquées. Comme le montrent les dialogues entre les participants de la cena Trimalchionis, l’édilité est une fonction civique qui importe aux affranchis qui vivent du négoce et sont à la merci d’un marché capricieux. Pétrone oppose en une controverse décousue Ganymède et Échion (xliv-xlvi)27. Le premier regrette le bon vieux temps de la vie civique. Il trace le portrait idéal d’un édile, Safinius, généreux et inflexible, qui connaissait tout le monde sans nomenclator, qui régnait sur le conseil des décurions comme Caton le Jeune sur le Sénat. Échion se moque de son discours en lui opposant les édiles qui sont en campagne, Titus et Mammea dont il attend beaucoup. Il est des intimes de ce Titus, qui vient d’hériter de son père et se déclare prêt à engloutir une partie de son patrimoine en ludi, en banquets, en distributions diverses, ob honorem, s’il est élu. Le fait qu’il soit prêt à engloutir 400 000 sesterces, soit le patrimoine nécessaire pour demander à être inscrit parmi les chevaliers romains, est‑il absurde ? Non, simplement exagéré28.

  • 29 CIL, IV, 522 ; 646 : « D(ignum) r(ei) p(ublicae » ; 616 : « Donatus rog(at) » ; 803 : « Scr(ipsit) (...)
  • 30 CIL, IV, 7273 et 875.

22En fait, si l’on prend les colonies d’Italie du Sud, on se rend compte que la description romanesque de la politique locale a beau prendre un tour comique en raison de l’inculture des convives de Trimalchion, elle est proche des réalités que laisse entrevoir l’épigraphie. Prenons pour exemple la campagne à l’édilité de M. Cerrinius Vatia à Pompéi. Elle est connue par un peu plus de soixante-dix inscriptions peintes, signes d’une campagne active, mais non sans remous, qui précède de peu l’éruption. Les affiches de campagne reprennent un formulaire bien connu : « Par votre voix, faites de Marcus Cerrinius Vatia un édile. » D’autres indications peuvent s’ajouter : il est digne du gouvernement de la cité, un tel le recommande, un autre a écrit la recommandation29. Ses soutiens s’impliquent, ce sont des corporations, les salinenses, les pomari, les saccari ; des individus qui disent le demander (rogat), le désirer (cupiens), ou qui se contentent d’écrire (scripsit), vingt-six personnes en tout, dont certaines apparaissent plusieurs fois, « ici et partout » ; plusieurs sont des figures populaires comme Euxinus l’aubergiste ; d’autres sont des notables, comme Fabius Eupor, qui a d’ailleurs soutenu d’autres candidats à l’édilité et qui s’intitulait lui‑même princeps libertinorum, un autre Trimalchion, donc, ou comme des membres de l’ordre des décurions comme L. Popidius Ampliatus, qui fut à son tour candidat à l’édilité (AE, 1915, 666). Ce dernier, jeune noble turbulent, fit aussi les quatre cents coups dans les venelles de Pompéi puisqu’il se vante sur un mur : « hic futuit cum sodalibus ». Effectivement, les soutiens puissants sont souvent des chefs d’amicales, les « sodalitates » et ces dernières sont un véritable souci pour les cités qui doivent surveiller les activités de ces groupes auto-constitués tout autant politiques, générationnels, politiques qui détiennent des moyens de pression en occupant rues et places. Les boulangers, puissante profession, ne soutenaient pas Vatia autant qu’on le sache, mais ils avaient partie liée avec d’autres candidats, Cn. Helvius Sabinus, pour l’édilité et Caius Iulius Poybius pour le duumvirat30. On peut supposer que, comme le déplore Ganymède, dans le roman, ce soit un soutien en échange d’une coupable cécité sur les prix pratiqués sur le pain. Les centonarii comme Échion n’apparaissent pas ici, mais ils sont bien représentés partout dans l’Empire sur des centaines d’inscriptions où ils rendent hommage à leurs patrons, parfois des sénateurs ou des chevaliers, qui leur ont donné, « en raison de l’honneur » d’un sacerdoce local ou d’une magistrature, de l’argent, un banquet. En retour, ils les honorent d’une inscription, parfois d’une statue.

23Pour en revenir à la campagne de Vatia, elle le met en scène, puissant et soutenu, digne de la res publica des Pompéiens, par tous les lieux et places, comme un autre Safinius. Mais cette publicité engendre la malice et certains intercalent de fausses annonces proclamant que des corporations fort peu honorables, les chapardeurs, les ivrognes noctambules et les fainéants du marché, appellent unanimement de leurs voix Vatia, ce qui jette un doute raisonnable sur sa moralité. Nonobstant ces fâcheux bruits, il est élu aux côtés d’un certain C. Sallustius (CIL, IV, 801).

  • 31 V. L. Campbell, The Tombs of Pompeii: Organization, Space, and Society, New York / Londres, Routled (...)
  • 32 J. Andreau, Les affaires de Monsieur Jucundus, Rome, École française de Rome (EfR), 1974, p. 172, 1 (...)

24M. Cerrinius Vatia est sans doute le fils d’un notable de Pompéi, M. Cerrinius Restitutus, dont nous connaissons le tombeau. Celui‑ci est accolé à la porte d’Herculanum, tout contre le mur extérieur, sur un terrain autrefois public, comme le proclame fièrement l’inscription qui indique que M. Cerrinius Restitutus, sévir augustal, a été enseveli en ce lieu concédé par décision du conseil des décurions. Virginia Campbell note l’honneur recherché que cela représentait, car il n’y a que deux tombes qui présentent ce formulaire exact et quelques autres qui expriment des variantes31. C’est une des marques de reconnaissance civique des plus distinguées. Que sait‑on des Cerrinii ? L’absence de filiation du propriétaire du tombeau et le rôle d’Augustalis de Restitutus dénoncent son statut d’affranchi. Mais, cette condition fut loin d’avoir été un handicap. De son vivant, Restitutus fut considéré presque au même niveau que les notables de la colonie puisqu’il est nommé, juste après eux, témoin des opérations financières de L. Caecilius Jucundus32.

  • 33 Sur la signification de cette scène, une apothéose héroïque digne des maisons nobles, voir le comme (...)

25Le tombeau lui‑même, qui prouve son rang exceptionnel dans la colonie, se présente comme un parallélépipède mesurant 6 m sur 2,50 m et est composé d’une niche qui abritait un autel et un décor stuqué dont subsiste des éléments : une représentation de Cerrinius en Mercure ailé et un petit cortège, effacé maintenant mais visible au temps de sa découverte. À côté, fut représentée la déesse Fortuna. Cette symbolisation de la réussite financière et sociale d’un affranchi se retrouve dans le Satiricon (xxix) : Encolpe admire les peintures de l’atrium relatant les res gestae de son hôte : Mercure tenant Trimalchion par le menton l’emportait au sommet d’un tribunal où trônaient également une Fortuna à la corne d’abondance bien pourvue et les Parques filant avec des poids en or33. La comparaison avec le monument permet de comprendre que le comique ne réside pas dans le choix de la scène — le décor des affranchis qui ont réussi recourt à ces thématiques —, mais dans la redondance ridicule : la corne d’abondance ne suffit pas, il faut qu’elle soit copiosa ; les poids de la destinée doivent être en or, insistance vulgaire sur la richesse ; Mercure ne se contente pas d’élever son protégé, il le place au sommet d’une estrade caractéristique du pouvoir magistral. Si l’on se reporte aux dimensions qu’envisage Trimalchion pour son tombeau, à peu près 30 x 60 m, cela représente pratiquement dix fois celui de Cerrinius mais avec des proportions semblables. Cerrinius, comme le personnage de Pétrone, a fait du tombeau un support pour offrir au passant le spectacle de sa réussite et celle‑ci se prolonge dans la carrière de son fils, Vatia, qui est de naissance libre et peut donc accéder aux honneurs municipaux. Comme le personnage du roman, Restitutus présentait sa réussite comme une quasi-apothéose, sans rire, reprenant à son rang, pourtant théoriquement modeste, les codes des représentations funéraires aristocratiques et impériales.

26La comparaison entre le Satiricon et les sources du réel — les inscriptions mais aussi la littérature technique et rhétorique connue des contemporains de l’auteur — permet de mieux cerner la portée de la satire politique qu’il contient. Tout comme les commentateurs littéraires qui reconnaissent dans la partie conservée au moins trois niveaux de lecture, l’historien peut discerner plusieurs degrés de critique : une représentation outrée des prétentions civiques des riches affranchis dans la cena, puis des coups d’épingle marqués, au niveau supérieur, celui des élites coloniales ; la satire vise peut‑être plus haut encore, les élites romaines, mais c’est très discret et c’est à chaque lecteur de voir où arrêter le curseur. Pétrone ne décrit pas une société fantaisiste, mais il caricature celle dont il est le témoin et l’acteur. En grossissant le trait de manière ostentatoire, il met tous les rieurs de son côté car ses lecteurs, qu’ils soient affranchis, domi nobiles, chevaliers ou sénateurs, ne peuvent que sourire, sachant que leur culture les met à l’abri du ridicule ainsi étalé. La lecture les conforte même dans leur position puisque, au fond, l’indignité civique ou morale des protagonistes du récit les rend plus légitimes dans leur autorité.

Haut de page

Bibliographie

Abramenko Andrik, Die munizipale Mittelschicht im kaiserzeitlichenItalien. Zu einem neuen Verständnis von Sevirat und Augustalität, Francfort / Berlin / Berne, Peter Lang, 1993.

Andreau Jean, Les affaires de Monsieur Jucundus, Rome, École française de Rome (EfR), 1974.

Auerbach Erich, « Fortunata », dans Id., Mimesis: The Representation of Reality in Western Literature, Princeton, Princeton University Press, 1953, p. 24‑49.

Bedon Robert, « Pétrone, Satiricon, XXX : le dispensator Cinnamus », BAGB, 1996/2, p. 151‑166.

Berrendonner Clara, Cébeillac-Gervasoni Mireille et Lamoine Laurent (dir.), Le quotidien municipal dans l’Occident romain, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008.

Bianchi Bandinelli Ranuccio, Torelli Mario, Coarelli Filippo et Giuliano Antonio, « Il monumento teatino di C. Lusius Storax nel Museo di Chieti », Studi Miscellanei, vol. 10, 1963‑1964, p. 55‑102.

Bragantini Irene et De Vos Mariette, Museo nazionale Romano, vol. II, part. 1 : Le pitture, Rome, De Luca, 1982.

Briand-Ponsart Claude, « Summa honoraria et ressources des cités d’Afrique », dans Il capitolo delle entrate nelle finanze municipali in Occidente ed in Oriente, Actes de la Xe Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain, Rome, EfR, 1999, p. 217‑234.

Campbell Virginia L., The Tombs of Pompeii: Organization, Space, and Society, New York / Londres, Routledge, 2015.

Cébeillac-Gervasoni Mireille (dir.), Les élites municipales de l’Italie péninsulaire des Gracques à Néron, Naples / Rome, Centre Jean Bérard, 1996.

Cébeillac-Gervasoni Mireille, Les magistrats des cités italiennes sous la République : le Latium et la Campanie de la seconde guerre punique à Auguste, Rome, EfR, 1998.

Cébeillac-Gervasoni Mireille, « Les élites politiques locales du Latium et de la Campanie de la fin de la République à Auguste : une révision vingt ans après », dans M. L. Caldelli, G. L. Gregori et S. Orlandi (dir.), Epigrafia 2006: atti della XIVe Rencontre sur l’épigraphie in onore di Silvio Panciera con altri contributi di colleghi, allievi e collaboratori, Rome, Quasar, 2008.

Dardaine Sylvie, « L’évergétisme ob honorem en Bétique », Ktèma, no 16, 1991, p. 281‑291.

Duchêne Hervé, « Sur la Stèle d’Aulus Caprilius Timotheos, Sômatemporos », BCH, vol. 110, 1986, p. 513‑530.

Duncan-Jones Richard, The Economy of the Roman Empire. Quantitative Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1974.

Dumont Jean-Christian, « Le décor de Trimalchion », MEFRA, t. 102, no 2, 1990, p. 959‑981.

Duthoy Robert, « La fonction sociale de l’augustalité », Epigraphica, vol. 36, 1974, p. 134‑154.

Duthoy Robert, « Les augustales », dans ANRW II, vol. 16/2., 1978, p. 1254‑1309.

Herman Jozsef et Rosen Hannah (éds), Petroniana. Gedenkschrift für Hubert Petersmann, Heidelberg, Universitätverlag Winter, 2003.

Kinsey T. E., « Latin Rhetoricians », Revue belge de philologie et d’histoire, t. 59, fasc. 1, 1981, p. 56‑59.

Laird Margaret L., Civic Monuments and the Augustales in Roman Italy, New York, Cambridge University Press, 2015.

Laubry Nicolas, « Storax et “associés”. Observations sur un complexe funéraire de Teate Marrucinorum (Chieti) », dans C. Apicella, M.‑L. Haack et F. Lerouxel (éds), Les affaires de Monsieur Andreau. Économie et société du monde romain, Pessac, Ausonius, 2014, p. 251‑258.

Martin René, « La “Cena Trimalchionis” : les trois niveaux d’un festin », BAGB, 1988/3, p. 232‑247.

Martin René, Le Satyricon. Pétrone, Paris, Ellipses, 1999.

Martin René, « Petronius Arbiter et le Satyricon : où en est la recherche ? », BAGB, 2009/1, p. 143‑168.

Méry L., « Fictions de l’imposture, impostures de la fiction : le Satiricon de Pétrone comme archétype », dans N. Kremer, J.‑P. Sermain et Y.‑M. Tran-Gervat (éds), Imposture et fiction dans les récits d’Ancien Régime, Paris, Hermann, 2016, p. 47‑64.

Monteix Nicolas, Les lieux de métier : boutiques et ateliers d’Herculanum, Rome, EfR, 2010.

Pichon René, « L’affaire des Rhetores latini », REA, t. 6, no 1, 1904, p. 37‑41.

Ripoll François, « Le Bellum Ciuile de Pétrone : une épopée flavienne ? », REA, t. 104, no 1‑2, 2002, p. 163‑184.

Thomas Joël, Le dépassement du quotidien dans l’Énéide, les Métamorphoses d’Apulée et le Satiricon. Essai sur trois univers imaginaires, Paris, Les Belles Lettres, 1986.

Tran Nicolas, « Un montage entre finances publiques et associatives au iie siècle de n.è. : à propos de l’organisation des ludi seuirales à Nîmes (AE, 1982, 680) », dans C. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine (éds), Gérer les territoires, les patrimoines et les crises, t. II : Le quotidien municipal, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2012, p. 179‑191.

Tran Nicolas, Dominus tabernae : le statut de travail des artisans et des commerçants de l’Occident romain (ier siècle av. J.‑C.-iiie siècle apr. J.‑C.), Rome, EfR, 2013.

Van Andringa William, Quotidien des dieux et des hommes : la vie religieuse dans les cités du Vésuve à l’époque romaine, Rome, EfR, 2012.

Van Haeperen Françoise, « Origine et fonctions des augustales (12 av. n.è. – 37). Nouvelles hypothèses », L’Antiquité Classique, t. 85, 2016, p. 127‑155.

Haut de page

Notes

1 F. Dupont, Le plaisir et la loi, Paris, Maspero, 1977, p. 12‑13 : « L’historien […] commet un pas fatal quand, après avoir repéré quelques réalités datées […] il décide que le texte où elles se trouvent est donc représentatif du monde de son auteur et prétend s’en servir comme document. Alors commence un cercle vicieux, une ronde infernale, qui va du littéraire à l’historien et vice versa : l’historien utilise le texte littéraire comme document pour décrire une partie de la société et le critique littéraire, s’appuyant sur le livre de l’historien crie au réalisme, “au pris sur le vif”. L’historien, fortifié dans sa méthode, utilisera sans vergogne, comme document, tout texte décrété comme réaliste par le littéraire, etc. »

2 L’idée que l’on puisse ne considérer le Satiricon que comme un projet à finalité littéraire peut se défendre en constatant qu’une grande partie des parodies de l’œuvre portaient sur la caricature de genres littéraires ; le texte est parsemé d’allusions intertextuelles aux romans grecs, à la poésie épique, à la satire ou au théâtre, traits satiriques qu’identifiaient sans peine les lecteurs de cette fiction. Cf. L. Méry, « Fictions de l’imposture, impostures de la fiction : le Satiricon de Pétrone comme archétype », dans Id., Imposture et fiction dans les récits d’Ancien Régime, Paris, Hermann, 2016, p. 45‑64, particulièrement p. 55, n. 19 et 20. Dans l’étude fondatrice qu’il a consacrée au réalisme du Satiricon, E. Auerbach (« Fortunata », dans Mimesis: The Representation of Reality in Western Literature, Princeton, 1953, p. 24‑49) a montré que Pétrone avait atteint les frontières du réalisme dans son genre mais qu’il ne saurait être question de placer l’intention réaliste comme le moteur de son œuvre.

3 R. Martin, dans « La “Cena Trimalchionis” : les trois niveaux d’un festin », BAGB, 1988/3, p. 232‑247, notamment p. 234‑237, répond à la critique de F. Dupont, d’abord en la replaçant dans son contexte : un jalon historique témoignant des débats intellectuels de la fin des années 1970 et du début des années 1980.

4 Il s’appuyait alors sur les résultats de F. Dupont, mais aussi sur d’autres commentaires littéraires comme ceux de J. Thomas, Le dépassement du quotidien dans l’Énéide, les Métamorphoses d’Apulée et le Satiricon. Essai sur trois univers imaginaires, Paris, Les Belles Lettres, 1986, p. 142.

5 J. Thomas, Le dépassement, ouvr. cité, p. 51‑55. L. Méry, art. cité, p. 60‑61, montre que l’imposture est un élément central de la narration, puisque la fiction est une imposture en elle‑même dont le lecteur est un acteur consentant.

6 L. Méry, art. cité, p. 54‑55, l’épisode du bateau de Lichas est une parodie de l’Odyssée, revendiquée par l’auteur au moyen d’allusions explicites.

7 Cette comparaison entre les deux types de documents a été menée de manière fructueuse par les linguistes. Dans les mélanges consacrés à la mémoire de H. Petersman (J. Herman et H. Rosen (éds), Petroniana. Gedenkschrift für Hubert Petersmann, Heidelberg, 2003), plusieurs savants ont confronté la prose de Pétrone au latin des Grecs et à la langue commune des correspondances privées (J. N. Adams, « Petronius and New Non-Litterary Latin », p. 11‑23) à la langue des graffiti, aux inscriptions d’Italie du Sud (J. Daheim et J. Blänsdorf, « Petron und die Inschriften », p. 95‑107). Il ressort de ces comparaisons l’adaptation de la prose de l’auteur à chaque personnage : la langue qu’il leur prête est celle que l’on peut retrouver dans le milieu que l’auteur leur a assigné. Pétrone n’innove pas et on peut dater son latin de la fin du premier siècle.

8 La littérature est immense sur ce point mais, il faut en tête rappeler les travaux fondateurs de M. Cébeillac-Gervasoni, Les magistrats des cités italiennes sous la République : le Latium et la Campanie de la seconde guerre punique à Auguste, sa thèse de 1987, sous la direction de C. Nicolet, Rome, EfR, 1998 ; « Les élites politiques locales du Latium et de la Campanie de la fin de la République à Auguste : une révision vingt ans après », dans M. L. Caldelli, G. L. Gregori et S. Orlandi (dir.), Epigrafia 2006: atti della XIVe Rencontre sur l’épigraphie in onore di Silvio Panciera con altri contributi di colleghi, allievi e collaboratori, Rome, Quasar, 2008 ; Les élites municipales de l’Italie péninsulaire des Gracques à Néron, Naples / Rome, Centre Jean Bérard, 1996. Du reste, l’expression « quotidien municipal » est empruntée au titre d’un des colloques tenus à Clermont-Ferrand, sous sa direction conjointe avec C. Berrendonner et L. Lamoine, Le quotidien municipal dans l’Occident romain, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008. Il faut mentionner aussi : W. Van Andringa, Quotidien des dieux et des hommes : la vie religieuse dans les cités du Vésuve à l’époque romaine, Rome, EfR, 2012 ; N. Tran, Dominus tabernae : le statut de travail des artisans et des commerçants de l’Occident romain (ier siècle av. J.‑C.-iiie siècle apr. J.‑C.), Rome, EfR, 2013 ; N. Monteix, Les lieux de métier : boutiques et ateliers d’Herculanum, Rome, EfR, 2010.

9 Sur la question de l’identité de l’auteur, G. Petronius Arbiter, auteur de fabulae, voir : R. Martin, Le Satyricon. Pétrone, Paris, Ellipses, 1999 ; P. Flobert, « Considérations intempestives sur l’auteur et la date du Satyricon sous Hadrien », dans Petroniana, ouvr. cité, p. 109‑122 ; et en dernier lieu la mise au point de R. Martin, « Petronius Arbiter et le Satyricon : où en est la recherche ? », BAGB, 2009/1, p. 143‑168, surtout p. 141‑152. Pétrone, qu’il faut donc définitivement distinguer du courtisan de Néron connu par Tacite, aurait écrit au début du iie siècle, entre le temps de Domitien et celui d’Hadrien. De nombreuses études convergent vers une datation au plus tôt flavienne (il connaissait l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien et la métrique de ses poèmes est caractéristique de la fin du ier siècle). Sur ce point, voir entre autres F. Ripoll, « Le Bellum Ciuile de Pétrone : une épopée flavienne ? », REA, t. 104, no 1‑2, 2002, p. 163‑184. P. Flobert fait descendre la datation d’une génération.

10 R. Martin, dans « Petronius Arbiter et le Satyricon : où en est la recherche ? », art. cité, p. 151, réfute les thèses qui maintiennent la critique de Néron. Cependant, il y a un jeu de miroir chronologique auquel tout critique se trouve piégé. Voir infra, n. 16 et § 14.

11 Le roman initial serait en 24 livres, dont ne subsisteraient que les livres 14, 15 et 16 (R. Martin, « Petronius Arbiter et le Satyricon : où en est la recherche ? », art. cité, p. 147).

12 Le tyran exigeant que les fils tuent leur père, voir Sen., Contr., ix, 4, 1‑22 ; le pirate qui libère son père, viii, 1, 1‑27 ; sur le thème du sacrifice de la fille, voir Suas., III, 1‑5, mais il s’agit d’Iphigénie et non d’épidémie.

13 À Pompéi, pour un même candidat, M. Cerrinius Vatia, dont il sera question ultérieurement, le qualificatif est régulièrement mis en avant par ses soutiens : CIL, IV, 124, 150, 151, 159, 221, 234, 264, 296, 355, 556, 646, 810.

14 Cic., Or., III, 24 ; Gell., xv, 11 ; R. Pichon, « L’affaire des Rhetores latini », REA, t. 6, no 1, 1904, p. 37‑41. T. E. Kinsey, « Latin Rhetoricians », Revue belge de philologie et d’histoire, t. 59, fasc. 1, 1981, p. 56‑59.

15 Le bandeau du registre supérieur du triclinium Palazzo Massimo, cf. I. Bragantini et M. de Vos, Museo nazionale Romano, vol. II, part. 1, Le pitture, Rome, De Luca, 1982.

16 La mention de Pompéi, détruite fin octobre 79, n’exclut pas une datation postérieure de l’œuvre, mais elle réduit le champ des possibles : le site n’a pas eu de réutilisation fastueuse même si le souvenir de ses richesses d’antan s’est conservé jusqu’au début des Antonins. On ne saurait placer l’écriture du Satiricon après Hadrien, et il serait vraisemblable de la situer sous Domitien, au plus tard sous Trajan. Le contexte du récit (c’est autre chose) fait nettement référence à la fin de l’époque julio-claudienne, au plus tard au temps de Vespasien (l’historiette de l’empereur qui refuse le verre incassable pour ne pas ruiner les métiers reprend une anecdote de Vespasien qui refuse d’utiliser une méthode de traction des colonnes pour ses grands travaux afin de ne pas priver la petite plèbe de ses revenus : Suétone, Vesp., xviii). Voir infra. Toutefois, il ne faut pas exclure un jeu de mot flatteur pour Trimalchion, voir infra.

17 Sur ce personnage, voir PIR2, P, no 754. Le festin est rapporté par Pline l’Ancien (Nat., xiv, 6).

18 Le choix même des décors héroïques, démodés à l’époque où le récit est censé se dérouler, époques néronienne et flavienne, est un archaïsme de bon aloi, doublement décalé, chronologiquement et socialement. Voir J.‑C. Dumont, « Le décor de Trimalchion », MEFRA, t. 102, no 2, 1990, p. 959‑981, ici p. 962.

19 R. Bedon, « Pétrone, Satiricon, XXX : le dispensator Cinnamus », BAGB, 1996/2, p. 151‑166, principalement p. 154‑155 (p. 154, n. 14), 163, 165‑166.

20 Comme le remarque J. Thomas (Le dépassement, ouvr. cité, p. 149) pour Troie et Rome dans les pseudo-épopées du Roman.

21 R. Duthoy, « La fonction sociale de l’augustalité », Epigraphica, vol. 36, 1974, p. 134‑154 ; « Les augustales », dans ANRW II, vol. 16.2, 1978, p. 1254‑130. A. Abramenko, Die munizipale Mittelschicht im kaiserzeitlichenItalien. Zu einem neuen Verständnis von Sevirat und Augustalität, Francfort / Berlin / Berne, Peter Lang, 1993 ; F. van Haeperen, « Origine et fonctions des augustales (12 av. n.è. – 37). Nouvelles hypothèses », L’Antiquité Classique, t. 85, 2016, p. 127‑155, principalement p. 134‑135.

22 R. Duncan-Jones, The Economy of the Roman Empire. Quantitative Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 134 ; il s’agit d’argent public, cf. N. Tran, « Un montage entre finances publiques et associatives au iie siècle de n.è. : à propos de l’organisation des ludi seuirales à Nîmes (AE, 1982, 680) », dans C. Berrendonner, M. Cébeillac-Gervasoni et L. Lamoine (éds), Gérer les territoires, les patrimoines et les crises, t. II : Le quotidien municipal, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2012, p. 179‑191.

23 F. van Haeperen, art. cité, p. 144 (remarques de N. Laubry).

24 Ibid., p. 141‑143.

25 CIL, V, 4482 ; M. Laird, Civic Monuments and the Augustales in Roman Italy, New York, Cambridge University Press, 2015, p. 20‑24. Le relief situé en dessous de la dédicace montre plusieurs scènes qui font écho à la description de Pétrone : Anteros est représenté dans une procession encadrée par des licteurs, en train de serrer des mains, puis, en compagnie de ses collègues sur une estrade, comme éditeur de jeux, ensuite en train de célébrer un sacrifice, selon un schéma iconographique commun à tous les reliefs du pouvoir.

26 SupplIt, 2, 1983, p. 158‑159, no 121, pour l’inscription ; pour le monument, voir R. Bianchi Bandinelli, M. Torelli, F. Coarelli et A. Giuliano, « Il monumento teatino di C. Lusius Storax nel Museo di Chieti », Studi Miscellanei, vol. 10, 1963‑1964, p. 55‑102. Ce tombeau représente le sévir s’acquittant de la summa honoraria et donnant des jeux. En outre, il montre que gravitaient autour de l’affranchi un petit groupe, composé de ses épouses, compagnes d’esclavage et de socii sur lesquels s’est penché N. Laubry. Voir N. Laubry, « Storax et “associés”. Observations sur un complexe funéraire de Teate Marrucinorum (Chieti) », dans C. Apicella, M.‑L. Haack et F. Lerouxel (éds), Les affaires de Monsieur Andreau. Économie et société du monde romain, Pessac, Ausonius, 2014, p. 251‑258, <halshs-01301916>. Mais il semble qu’il ne faut pas pousser trop loin l’identification entre la convivialité de Trimalchion et les socii de ce monument dont on peine à comprendre la nature de l’association.

27 Sur l’incommunication et la vacuité des dialogues, voir J. Thomas, Le dépassement, ouvr. cité, p. 142‑143.

28 Pour la Lusitanie, l’épigraphie donne quelques chiffres : ils représentent au plus dix fois cette somme (36 000 sesterces, AE, 1982, 520), comme le montre S. Dardaine dans « L’évergétisme ob honorem en Bétique », Ktèma, no 16, 1991, p. 281‑291. Ce montant moyen est conforme à la summa honoraria de la riche Afrique variant entre 22 000 et 44 000 sesterces. Voir C. Briand-Ponsart, « Summa honoraria et ressources des cités d’Afrique, dans Il capitolo delle entrate nelle finanze municipali in Occidente ed in Oriente, Actes de la Xe Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain, Rome, EfR, 1999, p. 217‑234, spécialement p. 224.

29 CIL, IV, 522 ; 646 : « D(ignum) r(ei) p(ublicae » ; 616 : « Donatus rog(at) » ; 803 : « Scr(ipsit) Florillus ».

30 CIL, IV, 7273 et 875.

31 V. L. Campbell, The Tombs of Pompeii: Organization, Space, and Society, New York / Londres, Routledge, 2015, p. 96.

32 J. Andreau, Les affaires de Monsieur Jucundus, Rome, École française de Rome (EfR), 1974, p. 172, 173, 177 (n. 5), 216, 241, 313.

33 Sur la signification de cette scène, une apothéose héroïque digne des maisons nobles, voir le commentaire de J.‑C. Dumont dans « Le décor de Trimalchion », art. cité, p. 967‑968.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Marie-Claire Ferriès, « La fiction, une réalité outrée ? Le Satiricon et la critique politique »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 03 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/10830 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.10830

Haut de page

Auteur

Marie-Claire Ferriès

Univ. Grenoble Alpes, LUHCIE, 38000 Grenoble, France
marie-claire.ferries@univ-grenoble-alpes.fr

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search