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Charnière. Histoire et Roman, un face à face fécond

Les « Carnets de notes des Mémoires d’Hadrien » : entre méthode historique et technique romanesque

“The Notebook of Hadrian’s Memoirs”: Between Historical Method and Novelistic Technique
«Il quaderno di appunti delle Memorie di Adriano»: tra metodo storico e tecnica romanzesca
Clément Chillet

Résumés

L’article se penche sur les « Carnets de notes » et sur la « Note » qui achèvent les Mémoires d’Hadrien de M. Yourcenar. Ces deux textes qui constituent des « seuils » du roman au sens où G. Genette emploie ce mot, offrent un point de vue de l’auteur sur son travail pour la rédaction de la partie principale du roman. L’article s’intéresse aux liens qui peuvent exister entre le regard rétrospectif que M. Yourcenar porte sur son travail et la méthode historique.

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Texte intégral

  • 1 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), (...)

1S’il est de tradition d’opposer le roman et l’histoire sur la question du rapport à la vérité, on reconnaît souvent à l’un et à l’autre bien des points communs, le premier et le plus évident étant de constituer l’un et l’autre des genres littéraires du récit. P. Veyne, dans son essai Comment on écrit l’histoire, après avoir établi les points communs des méthodes respectives du romancier et de l’historien, fait résonner dans une formule ramassée dont il a le secret l’un et l’autre de ces aspects contradictoires en concluant : « L’histoire est un récit d’événements vrais1. »

2Quelle contribution peut apporter à cette discussion épistémologique une œuvre comme les Mémoires d’Hadrien, dont la vérification des faits et de l’intrigue repose sur une armature de notes de recherche qui occupent certains cartons des archives fichées dans le fonds Yourcenar d’Harvard2 ? L’intérêt de l’œuvre est d’être dotée par ailleurs, depuis la seconde édition3, de « Carnets de notes » et d’une « Note » comprenant à la fois des réflexions rétrospectives et des indications bibliographiques et qui constituent un exposé de la méthode ne disant pas explicitement son nom. Cet article voudrait se pencher sur ce que ces paratextes, ces seuils, pour reprendre le terme forgé par G. Genette, nous disent de la méthode de la romancière et, en contrepoint, sur ce qu’ils peuvent apprendre à l’historien. En abordant ces deux textes courts par cet angle de vue, nous croiserons les questions qui sont au cœur du dossier publié dans ce volume : quelle place donner au fait passé dans le projet romanesque ; quelles sont les raisons qui poussent le romancier à s’intéresser à une période révolue ; quelles sont les conditions matérielles de l’écriture du roman historique et quelles sont leurs conséquences sur l’œuvre produite ? Nous chercherons à déterminer les points de convergence et de divergence de la méthode de la romancière avec celle des historiens, autrement dit à voir comment les réflexions de Marguerite Yourcenar croisent celles de l’historien en tant que chercheur et en tant qu’auteur, sur sa matière et sa production écrite.

  • 4 M. Yourcenar, Essais et Mémoire, Paris, Gallimard, p. 5‑21 ; sur cet essai, voir N. Saint, « L’écri (...)
  • 5 M. Yourcenar, Essais et Mémoire, Paris, Gallimard, 1991, p. 289‑311.
  • 6 Voir la réunion de la correspondance dans M. Yourcenar, D’Hadrien à Zénon. Correspondance 1951‑1956(...)
  • 7 Voir M. Poignault, L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Bruxelles, Latomus, coll. « La (...)
  • 8 B. Blanckeman, « Le déni du “roman historique” : Mémoires d’Hadrien dans la correspondance de Margu (...)

3Dans le travail qui suit, nous nous limiterons à l’analyse des deux « seuils » ajoutés à la fin de la partie principale de l’œuvre : les « Carnets de notes » et la « Note ». Cette précaution liminaire donne la limite de notre travail qui est double. D’une part, la réflexion de Marguerite Yourcenar sur l’écriture de l’histoire est une constante dans son œuvre : on note son essai intitulé Les visages de l’Histoire dans l’Histoire Auguste, dont le titre originel sous forme d’article était « L’Histoire Auguste : quand l’histoire dit‑elle la vérité ?4 », et celui intitulé Ton et langage dans le roman historique5, ainsi qu’un grand nombre de lettres et d’interviews qui reviennent sur ces thèmes6 et que nous n’utiliserons que très ponctuellement. D’autre part, nous ne reviendrons pas dans le présent article sur la partie principale du roman qui est composée d’une longue lettre d’Hadrien à Marc Aurèle et sur les points de correspondance entre cette écriture romanesque et la méthode historique7, autrement dit, nous ne prendrons pas la partie principale de l’œuvre comme pierre d’essai de nos réflexions pour nous intéresser seulement aux parties liminaires dans lesquelles l’auteure décrit et juge sa méthode et son travail. Cette limitation peut paraître drastique, mais elle a aussi sa logique. D’abord parce que, quoique rattachés à un ensemble éditorial conçu comme tel par l’auteure elle‑même quasiment depuis l’origine de la publication de l’œuvre, les « Carnets de notes » et la « Note » constituent néanmoins, par la rupture générique, par la typographie et par leur contenu, des seuils. Ils sont en cela une première tentative, pérenne pourrait‑on dire, car attachée éditorialement à l’œuvre, de garder une forme de contrôle sur la partie principale du livre et sur la manière dont il sera lu. Cela justifie de laisser de côté les prises de paroles au sujet de l’œuvre et de sa méthode qui se sont développées successivement dans des contextes publics ou privés (dans la correspondance notamment avec son éditeur, sur la caractérisation à porter à l’œuvre8, mais aussi dans les interviews accordées sur le sujet) qui restent, pour le plus grand nombre, hors du champ du lecteur.

1. La question des sources : des documents au traitement des faits

  • 9 Sur l’ambiguïté cependant, de M. Yourcenar vis-à-vis des sources primaires et des documents, voir C (...)
  • 10 « Carnets de notes », p. 523. Toutes les citations issues du carnet de notes sont issues de l’éditi (...)

4Soulignons, pour entamer l’analyse du rapport de Marguerite Yourcenar avec l’histoire, deux points. D’une part, l’importance du document, en tant que pièce matérielle, trace du passé chez une auteure qui répète pourtant à l’envi qu’elle a plusieurs fois au cours de sa vie brûlé des souvenirs du passé9. On se rappellera en particulier que dans la série de ses ouvrages biographiques, elle intitule un volet Archives du Nord, précisément parce qu’elle a en sa possession des documents, tandis qu’elle en intitule un second Souvenirs pieux, du fait de l’absence de sources tangibles. Cette double dénomination indique une sensibilité à la source que ne dément pas, d’autre part, la masse de lectures, de notes accumulées pour la rédaction des Mémoires d’Hadrien. Si Yourcenar a brûlé une première fois ses notes lorsqu’elle décida d’abandonner son projet d’écriture10, elle reconstitue son corpus de sources primaires et secondaires lorsqu’elle le reprend.

  • 11 Voir M. Poignault, cité note 7. À côté des sources citées textuellement, il existe cependant d’autr (...)
  • 12 « Note », p. 550‑551.
  • 13 « Carnets de notes », p. 525 : « Seule, une autre figure historique m’a tentée avec une insistance (...)

5Sources primaires d’abord avec Dion Cassius (qu’elle lit dans une édition du xvie siècle), L’Histoire Auguste dont elle cite le fameux poème Animula vagula blandula attribué à Hadrien lui‑même ; elle utilise en partie le périple d’Arrien11, mentionne ses visites des musées, de la villa Hadriana, et rappelle qu’elle a cherché à voir un certain nombre de statues d’Antinoüs12. Le problème de l’accès aux sources antiques a été pour elle crucial puisqu’il a contribué à déterminer son sujet : certains thèmes possibles furent évacués parce qu’elle ne pouvait pas avoir accès direct aux sources13.

  • 14 « Note », p. 551 : « La même remarque s’applique naturellement à beaucoup d’ouvrage mentionnés ici. (...)
  • 15 Elle critique par exemple certaines hypothèses d’historiens en se fondant sur les documents : « Sur (...)
  • 16 « Carnets de notes », p. 536 : « Quoiqu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. (...)

6Sources secondaires ensuite, que l’on trouve dans l’impressionnante liste de quatre-vingt-onze titres que l’on peut extraire de la « Note » finale. Cette bibliographie, digne d’un travail de chercheur, est très à jour et s’arrête à la date de la première publication en 1951. On y retrouve de grandes références attendues (Theodor Mommsen, Léon Homo, Jérôme Carcopino…), de grandes revues scientifiques (Journal of Roman studies, Harvard Studies in Classical Philology, Mélanges de l’institut allemand de Rome, Revue internationale de numismatique, Bullettino della Commissione Archeologica Comunale di Roma…), de grandes collections (la Bibliothèque des Écoles françaises d’Athènes et de Rome, la Cambridge Ancient History…) qui ne dépareraient pas dans la bibliographie d’un article scientifique. C’est d’autant plus remarquable que Marguerite Yourcenar n’a jamais eu de pratique des institutions universitaires, sa famille lui ayant donné une éducation et une instruction hors du système scolaire. Elle se plaint d’ailleurs de la difficulté d’accès à ces sources savantes qui semblent réservées à un cénacle de ce qu’elle appelle « les érudits »14. Elle traite par ailleurs ces sources secondaires avec recul en évaluant les raisonnements qu’elles proposent à l’aune des sources primaires15. La volonté assumée est de s’imprégner de la culture de l’époque, de baigner dans les éléments qui permettent de toucher à cette époque. En cela les sources, qui sont des traces d’un passé révolu, constituent le matériau fondamental de l’écriture16.

7La réflexion de Marguerite Yourcenar dans les « Carnets de notes » sur le champ des sources est sous-tendue par deux questions : d’une part, comment fait‑on l’épreuve de ces « pierres authentiques » ? ; d’autre part, comment comble‑t‑on les lacunes de nos sources (autrement dit que met‑on entre ces pierres authentiques), pour construire le récit ? Sa réponse se fonde sur le probabilisme et sur la place de l’imagination.

  • 17 « Carnets de notes », p. 524 : « L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : re (...)
  • 18 Voir, sur l’exécution d’Apollodore rattachée au complot de Servianus, « Note », p. 544 : « une hypo (...)
  • 19 Sur les liens possibles de M. Yourcenar aux Annales, voir J. Body, « Marguerite Yourcenar et l’écol (...)
  • 20 « Notes », p. 545 : « La brève esquisse du milieu familial d’Antinoüs n’est pas historique, mais ti (...)

8Un des motifs qui revient régulièrement lorsque Marguerite Yourcenar décrit son travail et se penche sur sa manière de concevoir sa proximité avec les sources est sa volonté de reconstituer la bibliothèque d’Hadrien, pour essayer de savoir quel était l’horizon mental d’un homme du iie siècle17. Cette démarche lui sert à s’emparer de la question du possible, du probable. Lorsqu’il s’agit de trancher entre deux sources contradictoires, de combler une lacune des sources, que choisir ? À ses yeux ce sera ce qui lui semble être, en vertu d’une grande fréquentation des sources et de la reconstitution de l’univers mental du personnage, l’hypothèse la plus probable18. Sa démarche dans les notes vise à jauger, à soupeser les hypothèses, en cherchant, celle que le contexte rend possible. On entrevoit derrière une telle démarche la diffusion des thèses de l’école des Annales, qui sont contemporaines de la longue gestation des Mémoires d’Hadrien19. Les historiens de ce mouvement né à la fin des années 1920 visaient à replacer l’événement dans les possibles ouverts par des structures dont l’échelle de temps comme l’échelle géographique étaient très vastes. Quand Marguerite Yourcenar cherche à restituer l’univers mental de l’empereur, à « reconstituer sa bibliothèque » pour reprendre ses mots, elle se place dans le temps long de l’histoire des mentalités (une des grandes structures de F. Braudel), et cet univers mental tout comme les cadres sociaux20, bornés par les structures qui valent à son époque, rendent plausibles ou non ses hypothèses de reconstruction. La question de savoir ce qui est éventuellement possible à une époque donnée est par exemple fondamentale dans Le Problème de l’incroyance au xvie siècle, de L. Fèbvre, publié en 1942.

  • 21 A. Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu, 1798‑1876, Pa (...)

9À ce stade, une question se pose : le probable, le possible du romancier sont‑ils ceux de l’historien ? Pour l’historien des Annales, il s’agissait d’explorer ce qui relevait de la structure dans l’événement, autrement dit ce que, à partir d’un événement, l’emboîtement conjoncture/structure rendait possible. Ce n’est pas exactement le choix que fait Marguerite Yourcenar, qui tranche en faveur d’une hypothèse quand le champ des possibles ne permet pas de privilégier une source plutôt qu’une autre ou bien en faveur de ce qui est « révélateur », quand bien même l’authenticité n’en est pas assurée. Marguerite Yourcenar, en s’appuyant sur un personnage connu par des sources pourtant très nombreuses tente d’éclairer le monde qui l’entoure. Même si ce personnage n’a rien d’un anonyme, la distance chronologique et la nature des sources rend nécessaire, pour bien le cerner, d’en recréer le monde quotidien, à la manière du Monde retrouvé de Louis-François Pinagot d’Alain Corbin21.

  • 22 Voir l’opposition méthodologique entre Fergus Millar, partisan d’une histoire fondée sur l’evidence(...)
  • 23 F. Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011 (2005), p. 55 utilise la (...)
  • 24 L’expression est de P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no(...)

10Ne réouvrons pas la question de la place de l’imagination dans le processus scientifique sinon pour nous demander, en filant la métaphore de Marguerite Yourcenar elle‑même, ce qu’il faut mettre entre les pierres authentiques pour que tienne l’édifice ? Chez les historiens, ce débat est loin d’être anodin22, en particulier dans le domaine spécifique de la biographie23. Adepte avant l’heure de l’optimisme d’une « connaissance mutilée24 », Marguerite Yourcenar fait en la matière preuve de pragmatisme. Par ailleurs, les buts de l’historien et ceux de la romancière divergent largement : si l’historien s’attache au monde du contingent, du « sublunaire », pour reprendre à nouveau une expression de P. Veyne, M. Yourcenar, elle, cherche à atteindre l’universel dans l’humanité comme nous allons le voir en ouvrant un deuxième champ de réflexion, commun à l’écriture de fiction et à celle de l’histoire.

2. Le rapport au temps

11La question du rapport au temps telle qu’elle est traitée dans les « Carnets de notes » et dans la « Note » est complexe, car elle présente des facettes contradictoires qui sont peut‑être le reflet d’une évolution de l’auteur.

  • 25 « Carnets de notes », p. 527 : « Le temps ne fait rien à l’affaire. Ce m’est toujours une surprise (...)
  • 26 « Carnets de notes », p. 520 : « Expériences avec le temps : dix-huit jours, dix-huit mois, dix-hui (...)
  • 27 « Carnets de notes », p. 528 : « Travailler à lire un texte du iie siècle avec des yeux, une âme, d (...)
  • 28 « Carnets de notes », p. 524 : « Refaire du dedans ce que les archéologues du xixe siècle ont fait (...)

12Si l’on suit certaines notes des « Carnets », il semble que Marguerite Yourcenar veuille abolir la distance qui sépare son sujet et le temps du roman ou au moins le temps de l’écriture. Elle affiche sa volonté d’abolir la distance temporelle et surtout l’accumulation des strates historiques qui la séparent de son objet historique. L’établissement d’un contact entre le iie siècle et l’époque de la romancière25 n’aboutit cependant pas à prendre en considération cette distance, mais à tenter de l’abolir26. Cette démarche qui implique une position de l’auteure par rapport à sa matière, se traduit par un rapport aux sources qui cherche à faire table rase de la tradition, des strates d’interprétation des textes27 et vise clairement à la reconstruction de l’univers mental de l’objet de la recherche, pour, en voyant de l’intérieur, reconstituer au plus juste son univers28.

  • 29 « Carnets de notes », p. 536 : « Quoiqu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. (...)
  • 30 « Carnets de notes », p. 534 : « Ceux qui auraient préféré un Journal d’Hadrien à des mémoires d’Ha (...)
  • 31 « Carnets de notes », p. 525 : « Cette nuit‑là, je rouvris deux volumes parmi ceux qui venaient aus (...)
  • 32 « Carnets de notes », p. 519 : « Retrouvé dans un volume de la correspondance de Flaubert, fort lu (...)
  • 33 « Carnets de notes », p. 528 : « […] prendre seulement ce qu’il y a de plus durable, de plus essent (...)

13On trouve cependant des notes qui vont dans un sens tout différent. Il y est question de l’impossibilité de regarder les événements avec d’autres yeux que ceux de son époque. L’auteur de roman, comme l’historien, recompose le passé avec ses propres outils29. On notera que le dispositif narratif du roman est celui des mémoires, genre rétrospectif dans lequel le temps de l’écriture est largement éloigné de la période des faits narrés, à la différence de celui du journal que M. Yourcenar a écarté30. La tradition qui, d’après ce qu’écrit M. Yourcenar, devait d’abord être condamnée à l’abolition, se trouve changée en un moyen d’éclaircir la vision de l’objet du roman31. En réalité, les deux propositions ne s’opposent pas. Ce dont l’auteur devait se départir, c’était de ses souvenirs, tandis que c’est l’expérience vécue qui enrichit la vision du passé. L’apparente contradiction face à l’abolition du temps historique a un but précis. En choisissant un sujet placé loin dans le passé pour son œuvre, Marguerite Yourcenar cherche à atteindre les invariants, les linéaments d’une nature humaine pure et nue32. Abolir le temps semble avoir pour objectif de rendre le sujet an‑historique et par‑là représentatif d’expériences communes à tous les hommes, quelle que soit leur époque33.

14Si l’on s’éloigne par‑là indéniablement des buts que se fixe l’historien, le double mouvement d’appropriation puis de séparation radicale permet de poser, en termes de méthode historique, la question de l’altérité de l’objet historique. Et l’on sait que la question est loin d’avoir reçu chez les historiens une réponse univoque. Le postulat de l’altérité radicale de l’Antiquité est un fondement méthodologique de ce qu’on a appelé l’École de Paris fondée autour de Vernant, et dont Florence Dupont, théoricienne de « l’Antiquité, territoire des écarts », est aujourd’hui la représentante.

3. Le rapport à l’objet de l’écriture : la question de l’énonciation

15Cette interrogation sur l’altérité de l’objet recoupe, sur le plan littéraire, celle de l’énonciation puisque le dispositif qui aboutit à la production du discours dépend du positionnement par rapport à l’objet du discours. L’objet historique, l’événement, est normalement marqué par sa singularité. Marguerite Yourcenar en fait au contraire une voie d’accès au général au point que l’individu Hadrien disparaît parfois comme on l’a vu, derrière l’homme, celui du iie siècle d’abord, mais pour atteindre ensuite la composante humaine au sens large : l’abolition du temps entre la romancière et l’empereur a aussi pour conséquence de faire disparaître la singularité de son objet. Hadrien s’efface devant le type humain. Qu’est‑ce que cela implique en termes d’écriture ?

  • 34 « Carnets de notes », p. 527 : « Portrait d’une voix. Si j’ai choisi d’écrire ces Mémoires d’Hadrie (...)
  • 35 « Carnets de notes », p. 537 : « Ce livre n’est dédicacé à personne. Il aurait dû l’être à G. F., e (...)
  • 36 « Carnets de notes », p. 520 : « La seule phrase qui subsiste de la rédaction de 1934 : “Je commenc (...)
  • 37 « Carnets de notes », p. 536 : « En un sens, toute vie racontée est exemplaire ; on écrit pour défe (...)
  • 38 Voir textes cités n. 30.

16Dans le dispositif d’énonciation du roman, le narrateur est Hadrien, auteur d’une longue lettre écrite à Marc Aurèle. Il n’y aurait donc pas de narrateur extérieur à l’action. La voix unique est celle du personnage Hadrien ; la voix narrative derrière laquelle aurait pu se cacher la romancière prétend s’effacer totalement34. C’est le dispositif qui se rapproche le plus de l’idée de « vision de l’intérieur » défendue par l’auteure. Cette absence de narrateur extérieur est poussée à l’extrême : la partie principale du roman a pour toute dédicace un poème de la main d’Hadrien, comme si lui‑même assumait la publication de ce paratexte, tandis que seuls les « Carnets de notes » possèdent une dédicace qui renvoie à la vie de l’auteure35. De fait, le dispositif des « Carnets » et de la « Note » est tout autre. Même si dans la note bibliographique, c’est souvent le « on » impersonnel qui apparaît et non pas le « je » de l’historien, le dispositif du post-texte constitue une reprise de contrôle de la romancière sur le texte qui lui avait échappé en raison de sa publication. Dans ces deux seuils, la narratrice tente de présenter une écriture spontanée (comme si on était face à des carnets écrits sur le moment, au cours de l’écriture de la partie principale), ce qui n’est manifestement pas le cas : les carnets ont été rédigés en partie a posteriori comme en témoignent les verbes au passé. C’est un point de vue de l’auteure sur son œuvre. Quel fut alors le regard de Marguerite Yourcenar sur Hadrien ? En suivant les « Carnets », on peut apporter deux réponses. D’abord, elle offre un point de vue rétrospectif et englobant (qui est d’ailleurs celui du personnage Hadrien sur sa vie, dans le dispositif romanesque). Malgré sa volonté de saisir le personnage de l’intérieur, la vie d’Hadrien est d’abord considérée de l’extérieur, comme un ensemble fixé par l’Histoire et donné en modèle. L’auteur se place en quelque sorte en position de porte-parole36. Dans un second temps, les « Carnets » marquent la volonté de « comprendre » le personnage de l’intérieur, ce qui distinguerait la romancière du biographe37. L’idée de l’exemplarité est une autre manière de sortir l’objet du temps. La compréhension de l’humain le rend exemplaire. Le fait de ne s’occuper que de lui, dans son intérieur, d’oublier dans l’individu le particulier pour atteindre au général, qui fait le point de contact entre Hadrien et l’auteur, tout cela éloigne le danger de la biographie trop systématique qui consisterait, selon Yourcenar, à construire l’éloge ou le blâme. En cela aussi, on retrouve une manière de définir le point de vue de l’auteur : c’est en « départicularisant » son sujet qu’il sera possible d’atteindre une objectivité garantie par l’aspect général des observations faites38.

  • 39 P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62‑63, 1 (...)
  • 40 « Carnets de notes », p. 528 : « Lorsque deux textes, deux affirmations, deux idées s’opposent, se (...)
  • 41 « Carnets de notes », p. 527‑528 : « Tout nous échappe, et tous, et nous-mêmes. La vie de mon père (...)

17Ces remarques touchent de près les préoccupations de la méthode biographique. Genre au succès jamais démenti, mais mal aimé des historiens académiques, la biographie a souffert des assauts répétés et venant de toute part des sciences sociales. Dans la lignée de la sociologie, l’école des Annales a fait tomber l’individu de son piédestal pour le replacer comme nous l’avons dit dans la structure, la psychanalyse a montré combien prétendre connaître l’individu et l’expliquer était une gageure. Enfin, pour dresser un tableau plus que rapide, en allant jusqu’à Bourdieu, il a été montré combien la forme même du récit biographique était trompeuse. Prétendant unifier dans un tout ordonné des événements qui ne deviennent cohérents que parce qu’ils sont regardés a posteriori, unifiés par un récit et placés sous le fallacieux élément d’unité que constitue le nom propre, le récit biographique serait incapable de rendre compte du fait que l’individu forme un bouquet de positions sociales parfois inconciliables39. Le récit donnerait du sens, ou plutôt donne un sens à ce qui n’en n’a pas. Marguerite Yourcenar révèle cependant une conscience nette de ces problèmes en utilisant le terme de « facettes40 », ou de manière moins anecdotique en prenant en compte le fait que le « je » est opaque aux autres et jusqu’à lui‑même41.

  • 42 F. Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011 (2005), p. 213.
  • 43 Courant historiographique né en Italie dans les années 1970.
  • 44 Voir « Carnets de notes », p. 530 par exemple.

18La question de l’exemplarité a aussi été posée à l’historien avec plus d’acuité par la biographie : quel est le statut de l’objet choisi ? Un être exceptionnel ? Un être représentatif (ce que Dosse appelle la biographie modale42) ? La micro-storia43 a de son côté recherché les cas limites, les identités singulières pour échapper à cette idée de représentativité. Marguerite Yourcenar, en revanche, semble ne pas participer à cette réflexion en prenant pour objet le Prince en tant que Prince, parce qu’il est le plus à même d’agir sur les structures du fait de sa position44.

4. Le rapport au genre littéraire

  • 45 Voir note 9 sur le conflit avec l’attribution de l’œuvre à la catégorie de roman historique.

19Ce point sur le genre biographique nous conduit naturellement à nous interroger sur les réflexions de la romancière quant au genre littéraire qu’elle avoue pratiquer, aux limites qu’elle lui assigne et à celles qui apparaissent entre ce dernier et l’histoire45.

20D’abord, la lecture des « Carnets de notes » a le mérite de rappeler que l’histoire est un genre littéraire. Le terme d’histoire souffre de ce paradoxe qu’il est à la fois son objet et le discours tenu sur cet objet. Les carnets de notes rappellent donc que l’histoire, comme tout genre, obéit à des codes et que ceux‑ci sont soumis à la variation des goûts, des modes et des exigences intellectuelles du temps qui les produit. Car, si aujourd’hui les règles d’écriture de l’histoire interdisent à un auteur d’utiliser la première personne pour mettre son récit historique dans la bouche d’un des acteurs de l’histoire, c’est-à-dire le rendre narrateur de l’histoire, il faut rappeler que cela n’a pas toujours été le cas.

  • 46 Lettre citée dans : M. Yourcenar, D’Hadrien à Zénon. Correspondance 1951‑1956, C. Godin et R. Poign (...)
  • 47 « Carnets de notes », p. 546 : « Une reconstitution du genre de celle qu’on vient de lire, c’est-à- (...)
  • 48 « Carnets de notes », p. 535 : « Le roman dévore aujourd’hui toutes les formes ; on est à peu près (...)
  • 49 M. Yourcenar, « Ton et langage dans le roman historique », La Nouvelle Revue française, no 238, 197 (...)
  • 50 R. Poignault, « L’oratio togata dans Mémoires d’Hadrien. Lectures de Marguerite Yourcenar », dans B (...)
  • 51 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), (...)

21M. Yourcenar fut attentive à la question générique. Cette attention dénote d’abord par son intérêt pour un autre seuil de son œuvre, celui de la définition éditoriale (donc potentiellement imprimée sur l’ouvrage, comme sous‑titre, mais aussi dans les éléments publicitaires développés par l’éditeur). M. Yourcenar tenait à la caractérisation des Mémoires comme essai historique et non comme roman proposée par G. Gallimard46. Ensuite, les deux paratextes que nous étudions abordent bien évidemment de manière directe la question du genre. Les tout premiers mots de la « Note » sont consacrés à l’incertitude générique qui caractérise l’œuvre, entre roman et poésie47. L’auteur reconnaît par ailleurs la primauté du sujet sur les formes que peut prendre son traitement, qui restent soumises elles‑mêmes à l’historicité : la forme romanesque tient aux conditions du siècle de l’écriture plus qu’au projet de l’auteur48. C’est une manière de signifier que la définition générique n’est pertinente que dans la mesure où elle ne prend pas l’ascendant sur ce dernier. Enfin, M. Yourcenar, a tenté, dans d’autres textes, de définir un genre historique particulier qu’elle nomme oratio togata49, concept qu’elle forge intégralement, sur le modèle de classification antique des comédies en togatae et palliatae par exemple, selon qu’elles empruntaient leur sujet au monde romain ou grec. La formulation d’oratio togata, chez Yourcenar, n’a pas vocation à inscrire l’œuvre spécifiquement dans le monde romain, mais plutôt à définir un style propre à traiter le sujet historique qu’elle s’est donné50. Sur la question de l’histoire en tant que genre littéraire, M. Yourcenar est somme toute assez proche de la position de P. Veyne qui oppose dans un premier temps l’outillage herméneutique et scientifique, à l’œuvre écrite, produite finalement et lue, pour montrer finalement que la part artistique du genre historique se trouve précisément dans son effort d’objectivité scientifique51.

  • 52 « Carnets de notes », p. 538 : (après avoir appris la mort de deux historiens dont elle avait utili (...)
  • 53 « Carnets de notes », p. 529 : « Qu’est Hécube pour lui ? se demande Hamlet en présence de l’acteur (...)
  • 54 « Carnets de notes », p. 536 : « Grossièreté de ceux qui vous disent “Hadrien c’est vous.” »
  • 55 « Carnets de notes », p. 519‑520 : « J’imaginais longtemps l’ouvrage sous forme d’une série de dial (...)
  • 56 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), (...)
  • 57 « Carnets de notes », p. 528 : « S’arranger pour que les lacunes de nos textes, en ce qui concerne (...)

22Cette analyse du genre historique chez M. Yourcenar peut se poursuivre par quelques éléments de réflexion sur les buts assignés à l’œuvre qui conditionnent la manière d’écrire de l’auteur. Le premier but est d’évoquer, de faire surgir ce qu’elle appelle une « armée du souvenir » : l’histoire, comme le roman, selon Marguerite Yourcenar, sert à faire perdurer le souvenir des événements et des individus et, en tant qu’auteur, elle déclare partager la tâche des historiens52. Le deuxième but est de représenter : Marguerite Yourcenar cite Hamlet et se réfère à l’illusion théâtrale en se gardant bien d’en faire un déclencheur du processus d’assimilation. Représentation n’est pas identification53. Elle n’exprime d’ailleurs que colère et mépris contre ses lecteurs qui lui reprocheraient de s’assimiler à Hadrien54. Au contraire, dans sa référence à Hamlet, elle insiste bien sur la définition de la représentation lors de laquelle l’acteur rend présent, c’est une banalité de le dire, la scène. Pour l’auteur, un des buts de l’histoire est bien celui‑là et non pas, bien sûr, de provoquer l’identification. Troisième but enfin, faire entendre, c’est-à-dire montrer, mettre en valeur. Marguerite Yourcenar donne les raisons de son choix de ne mettre en scène qu’une seule voix, quitte à couper cette voix de son environnement. Elle veut faire entendre la seule voix d’Hadrien, pour qu’elle soit entendue et comprise55. C’est là un dilemme qui frappe aussi l’historien : atteindre la totalité est une illusion et, nous l’avons dit, P. Veyne décrit l’histoire comme une connaissance mutilée56. L’antiquisant le sait bien, qui n’a accès qu’à une toute petite partie des sources disponibles. Mais quand bien même il disposerait de plus de témoignages, il ne pourrait jamais restaurer une totalité dont on a vu qu’elle était une illusion de cohérence forcée et trompeuse. Marguerite Yourcenar pousse l’expérimentation à l’extrême en choisissant, par le biais du genre des fausses mémoires, de ne faire entendre qu’une voix. Ce faisant, elle cherche certes à supprimer le reste des voix qui accompagnaient celle d’Hadrien, mais elle prétend aussi supprimer celle du narrateur qui s’efface derrière son personnage. La romancière ne cherche pas à combler les inévitables manques qu’engendre ce choix : pour ce qui concerne son personnage, plutôt que de reconstruire, M. Yourcenar suggère, s’adaptant à la réalité fuyante et discontinue des faits, que le style épouse le même rythme que son objet et propose de faire en sorte que les silences de l’œuvre soient aussi ceux des sources57.

  • 58 « Carnets de notes », p. 541 : « Mais j’ai cessé de sentir de ces êtres l’immédiate présence, de ce (...)

23Enfin, une dernière leçon de ces « Carnets de notes » est qu’ils montrent comment le romancier se rapproche de l’historien. L’implication de l’un comme de l’autre dans l’acte d’écriture crée des conditions particulières de proximité, malgré qu’il en ait, avec le sujet qu’il traite. Même si les conditions réelles d’écriture et de publication montrent que Marguerite Yourcenar, pour les Mémoires d’Hadrien, mais aussi pour nombre de ses autres œuvres, a tenté de garder la main sur la lecture, le plus longtemps possible (à l’échelle d’une édition en plaçant ces notes finales ; à l’échelle des rééditions en modifiant constamment ces apparats), les « Carnets de notes » s’achèvent sur l’idée qu’une fois l’œuvre écrite, il est nécessaire de se départir de l’objet du récit, de rendre à chacun la place qui lui est due58.

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Notes

1 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), p. 23.

2 Voir les inventaires de la Houghton Library :
<https://hollisarchives.lib.harvard.edu>.

3 Dans la première édition, chez Plon en 1951, le carnet et la note ne sont pas présents. Ils sont ajoutés en 1953 dans une édition par le Club du meilleur livre avant de faire partie de toutes les autres éditions. Le roman, dans l’édition de la Pléiade compte 232 pages, les « Carnet de notes » 23 et la « Note » 13.

4 M. Yourcenar, Essais et Mémoire, Paris, Gallimard, p. 5‑21 ; sur cet essai, voir N. Saint, « L’écrivain et sa source : l’essai sur l’Histoire Auguste », Bulletin de la SIEY, no 13, 1994, p. 71‑84 ou R. Poignault, « L’Histoire Auguste au carrefour du temps », dans C. Biondi, F. Bonali Fiquet, M. Cavazzuti et E. Pessini (dir.), Marguerite Yourcenar essayiste. Parcours, méthodes et finalités d’une écriture critique, Tours, SIEY, 2000, p. 197‑212.

5 M. Yourcenar, Essais et Mémoire, Paris, Gallimard, 1991, p. 289‑311.

6 Voir la réunion de la correspondance dans M. Yourcenar, D’Hadrien à Zénon. Correspondance 1951‑1956, texte établi par C. Gaudin et R. Poignault, Paris, Gallimard, 2004. Pour Les Mémoires d’Hadrien, voir spécifiquement B. Blanckeman, « “En faveur de l’exact et du nu” : Mémoires d’Hadrien dans la correspondance de Marguerite Yourcenar », dans Id., Lectures de Marguerite Yourcenar. Mémoires d’Hadrien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 255‑274.

7 Voir M. Poignault, L’Antiquité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, Bruxelles, Latomus, coll. « Latomus, no 228 », 1995, sur le traitement de la matière antique dans l’œuvre de Yourcenar.

8 B. Blanckeman, « Le déni du “roman historique” : Mémoires d’Hadrien dans la correspondance de Marguerite Yourcenar », Bulletin de la SIEY, no 35, 2014, p. 25‑40.

9 Sur l’ambiguïté cependant, de M. Yourcenar vis-à-vis des sources primaires et des documents, voir C. Gaudin, « Le roman de l’histoire : l’archive yourcenarienne entre relique et ruine », dans B. Blanckeman (dir.), Lectures de Marguerite Yourcenar. Mémoires d’Hadrien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 207‑218.

10 « Carnets de notes », p. 523. Toutes les citations issues du carnet de notes sont issues de l’édition de la Pléiade : M. Yourcenar, Œuvres romanesques, présentées par Y. Bernier, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1982.

11 Voir M. Poignault, cité note 7. À côté des sources citées textuellement, il existe cependant d’autres références aux textes antiques utilisés sur le mode de la variation. L’exemple le plus flagrant en est la dédicace finale, qui utilise, en les combinant et en les modifiant légèrement, deux inscriptions romaines : CIL, VI, 984 et 985, M. Poignault, op. cit., p. 626‑627.

12 « Note », p. 550‑551.

13 « Carnets de notes », p. 525 : « Seule, une autre figure historique m’a tentée avec une insistance presque égale : Omar Khayyam, poète astronome. Mais la vie de Khayyam est celle du contemplateur, et du contemplateur pur : le monde de l’action lui a été par trop étranger. D’ailleurs, je ne connais pas la Perse en n’en sais pas la langue. »

14 « Note », p. 551 : « La même remarque s’applique naturellement à beaucoup d’ouvrage mentionnés ici. On ne dira jamais assez qu’un livre rare, épuisé, procurable seulement sur les rayons de quelques bibliothèques, ou un article paru dans un numéro ancien d’une publication savante, est pour l’immense majorité des lecteurs totalement inaccessible. […] Ce que nous appelons notre culture est plus qu’on ne le croit une culture à bureaux fermés. » On remarquera que c’est d’ailleurs, dans toute l’œuvre, la seule note de bas de page, forme textuelle caractéristique des écrits « savants ».

15 Elle critique par exemple certaines hypothèses d’historiens en se fondant sur les documents : « Sur Aelius César, voir S. L. Farquharson, On the Names of Ælius Cæsar, Classical Quarterly, II, 1908, et J. Carcopino, L’Hérédité dynastique chez les Antonins, 1950, dont les hypothèses ont été écartées au profit d’une interprétation plus littérale des texte » (« Note », p. 549‑550) ; ou bien, sur le jour de naissance d’Antinous : « […] précision contestée par Mommsen, mais acceptée par des érudits moins hypercritiques » (« Note », p. 548). Son travail sur les sources primaires est en revanche plus critiquable : voir, malgré sa bonne connaissance de l’Histoire Auguste, les remarques faites par Sir Ronald Syme dans une conférence prononcée en 1986, citée dans H. Levillain, Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, Paris, Gallimard, coll. « Foliothèque, no 17 », 1992, p. 218.

16 « Carnets de notes », p. 536 : « Quoiqu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c’est déjà beaucoup de n’employer que des pierres authentiques. »

17 « Carnets de notes », p. 524 : « L’une des meilleures manières de recréer la pensée d’un homme : reconstituer sa bibliothèque. Durant des années, d’avance, et sans le savoir, j’avais ainsi travaillé à remeubler les rayons de Tibur […]. »

18 Voir, sur l’exécution d’Apollodore rattachée au complot de Servianus, « Note », p. 544 : « une hypothèse, peut‑être défendable » ; sur l’apothéose de Sabine, « Note », p. 545 : « il a fallu choisir entre les hypothèses des historiens ; on s’est efforcé de ne se décider que pour de bonnes raisons » ; rencontre avec Straton de Sardes, « Notes », p. 544 : « rien ne prouve, rien n’empêche que l’empereur l’ait rencontré ».

19 Sur les liens possibles de M. Yourcenar aux Annales, voir J. Body, « Marguerite Yourcenar et l’école des Annales : réflexions sur le “possibilisme” », dans B. Blanckeman (dir.), Lectures de Marguerite Yourcenar. Mémoires d’Hadrien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 255‑274.

20 « Notes », p. 545 : « La brève esquisse du milieu familial d’Antinoüs n’est pas historique, mais tient compte des conditions sociales qui prévalaient à cette époque en Bithynie. »

21 A. Corbin, Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot : sur les traces d’un inconnu, 1798‑1876, Paris, Flammarion, 1998.

22 Voir l’opposition méthodologique entre Fergus Millar, partisan d’une histoire fondée sur l’evidence (en anglais à la fois source et preuve, l’objet et le procédé) et Keith Hopkins : « Rules of Evidence », The Journal of Roman Studies, vol. 68, 1978, p. 178‑186. Analyse du débat dans S. Benoist : « Un parcours d’“évidence”. Fergus Millar et le monde romain, de la République au Principat », Revue historique, no 630, 2004, p. 371‑390. Sur la question du statut de la source comme trace, voir C. Ginzburg, « Traces. Racines d’un paradigme », dans Id., Mythes, emblèmes, traces : morphologie et histoire, M. Aymard (trad.), Paris, Flammarion, coll. « Nouvelle bibliothèque scientifique », 1989.

23 F. Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011 (2005), p. 55 utilise la métaphore de la technique culinaire du « roux », reprise à C. Jouhaud, La main de Richelieu, Paris, Gallimard, 1999, pour désigner le « liant » destiné à combler les vides dans les sources dans le récit biographique qui s’est longtemps voulu totalisant.

24 L’expression est de P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), p. 26. Pour illustrer le point de vue de M. Yourcenar, « Carnets de notes », p. 528 : « Ce qui ne signifie pas, comme on le dit trop, que la vérité historique soit toujours et en tout insaisissable. Il en va de cette vérité comme de toutes les autres : on se trompe plus ou moins. »

25 « Carnets de notes », p. 527 : « Le temps ne fait rien à l’affaire. Ce m’est toujours une surprise que mes contemporains, qui croient avoir conquis et transformé l’espace, ignorent qu’on peut rétrécir à son gré la distance des siècles. »

26 « Carnets de notes », p. 520 : « Expériences avec le temps : dix-huit jours, dix-huit mois, dix-huit années, dix-huit siècles. Survivance immobile des statues, qui, comme la tête de l’Antinoüs Mondragone, au Louvre, vivent encore à l’intérieur de ce temps mort. Le même problème considéré en termes de générations humaines ; deux douzaines de paires de mains décharnées, quelque vingt-cinq vieillards suffiraient pour établir un contact ininterrompu entre Hadrien et nous. »

27 « Carnets de notes », p. 528 : « Travailler à lire un texte du iie siècle avec des yeux, une âme, des sens du iie siècle ; le laisser baigner dans cette eau-mère que sont les faits contemporains ; écarter s’il se peut toutes les idées, tous les sentiments accumulés par couches successives entre ces gens et nous. […] s’interdire les ombres portées ; ne pas permettre que la buée d’une haleine s’étale sur le tain du miroir […]. »

28 « Carnets de notes », p. 524 : « Refaire du dedans ce que les archéologues du xixe siècle ont fait du dehors. » « Carnets de notes », p. 526 : « Parlons plutôt d’une participation constante, et la plus clairvoyante possible, à ce qui fut. » Ibid. : « Un pied dans l’érudition, l’autre dans la magie, ou plus exactement, et sans métaphore, dans cette magie sympathique qui consiste à se transporter en pensée à l’intérieur de quelqu’un. » « Carnets de notes », p. 519‑520 : « Je ne parvenais pas à organiser ce monde vu et entendu par un homme ».

29 « Carnets de notes », p. 536 : « Quoiqu’on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c’est déjà beaucoup de n’employer que des pierres authentiques. »

30 « Carnets de notes », p. 534 : « Ceux qui auraient préféré un Journal d’Hadrien à des mémoires d’Hadrien… »

31 « Carnets de notes », p. 525 : « Cette nuit‑là, je rouvris deux volumes parmi ceux qui venaient aussi de m’être rendus, débris d’une bibliothèque dispersée. C’était Dion Cassius dans une belle impression d’Henri Estienne, et un tome d’une édition quelconque de l’Histoire Auguste, les deux principales sources de la vie d’Hadrien, achetés à l’époque où je me proposais d’écrire ce livre. Tout ce que le monde et moi avions traversé dans l’intervalle enrichissait ces chroniques d’un temps révolu, projetait sur cette existence impériale d’autres lumières, d’autres ombres. Naguère, j’avais surtout pensé au lettré, au voyageur, au poète, à l’amant ; rien de tout cela ne s’effaçait, mais je voyais pour la première fois se dessiner avec une netteté extrême, parmi toutes ces figures, la plus officielle à la fois et la plus secrète, celle de l’empereur. Après avoir vécu dans un monde qui se défait m’enseignait l’importance du Prince. »

32 « Carnets de notes », p. 519 : « Retrouvé dans un volume de la correspondance de Flaubert, fort lu et fort souligné par moi vers 1927, la phrase inoubliable : “Les dieux n’étant plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été.” Une grande partie de ma vie allait se passer à essayer de définir, puis à peindre, cet homme seul et d’ailleurs relié à tout. »

33 « Carnets de notes », p. 528 : « […] prendre seulement ce qu’il y a de plus durable, de plus essentiel en nous, dans les émotions des sens ou dans les opérations de l’esprit, comme point de contact avec ces hommes qui comme nous croquèrent des olives, burent du vin, s’engluèrent les doigts de miel, luttèrent contre le vent aigre et la pluie aveuglante et cherchèrent en été l’ombre d’un platane, et jouirent, et pensèrent, et vieillirent, et moururent. » « Carnets de notes », p. 529 : « La substance, la structure humaine ne changent guère. Rien de plus stable que la courbe d’une cheville, la place d’un tendon, ou la forme d’un orteil. Mais il y a des époques où la chaussure déforme moins. Au siècle dont je parle, nous sommes encore très près de la libre vérité du pied nu. » « Carnets de notes », p. 535 : « Note de 1949. Plus j’essaie de faire un portrait ressemblant, plus je m’éloigne du livre et de l’homme qui pourraient plaire. Seuls, quelques amateurs de destiné humaine comprendront. » « Carnets de notes », p. 537 : « Tout ce qui a vécu l’aventure humaine est moi. »

34 « Carnets de notes », p. 527 : « Portrait d’une voix. Si j’ai choisi d’écrire ces Mémoires d’Hadrien à la première personne, c’est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût‑ce de moi‑même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi. » « Carnets de notes », p. 536 : « Je me suis assez vite aperçue que j’écrivais la vie d’un grand homme. De là, plus de respect de la vérité, plus d’attention, et, de ma part, plus de silence. » A. Wyss, « Auteur, narrateur, personnage : quelle historiographie pour Mémoires d’Hadrien », dans B. Blanckeman (dir.), Lectures de Marguerite Yourcenar. Mémoires d’Hadrien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 483‑491 propose une autre interprétation sur le plan historiographique de ce dispositif énonciatif.

35 « Carnets de notes », p. 537 : « Ce livre n’est dédicacé à personne. Il aurait dû l’être à G. F., et l’eût été, s’il n’y avait eu une espèce d’indécence à mettre une dédicace personnelle en tête d’un ouvrage d’où je tenais justement à m’effacer. »

36 « Carnets de notes », p. 520 : « La seule phrase qui subsiste de la rédaction de 1934 : “Je commence à apercevoir le profil de ma mort.” Comme un peintre établi devant un horizon, et qui sans cesse déplace son chevalet à droite, puis à gauche, j’avais enfin trouvé le point de vue du livre. » Ibid. : « Prendre une vie connue, achevée, fixée (autant qu’elles peuvent jamais l’être) par l’Histoire, de façon à embrasser d’un seul coup la courbe tout entière ; bien plus, choisir le moment où cet homme qui vécut cette existence la soupèse, l’examine, soit pour un instant capable de la juger. Faire en sorte qu’il se trouve devant sa propre vie dans la même position que nous. »

37 « Carnets de notes », p. 536 : « En un sens, toute vie racontée est exemplaire ; on écrit pour défendre ou attaquer un système du monde, pour définir une méthode qui nous est propre. Il n’en est pas moins vrai que c’est par l’idéalisation, ou par l’éreintement à tout prix, par le détail lourdement exagéré ou prudemment omis que se disqualifie presque tout biographe : l’homme construit remplace l’homme compris. »

38 Voir textes cités n. 30.

39 P. Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 62‑63, 1986, p. 69‑72.

40 « Carnets de notes », p. 528 : « Lorsque deux textes, deux affirmations, deux idées s’opposent, se plaire à les concilier plutôt qu’à les annuler l’une par l’autre ; voir en eux deux facettes, deux états successifs du même fait, une réalité convaincante parce qu’elle est complexe, humaine parce qu’elle est multiple. »

41 « Carnets de notes », p. 527‑528 : « Tout nous échappe, et tous, et nous-mêmes. La vie de mon père m’est plus inconnue que celle d’Hadrien. Ma propre existence, si j’avais à l’écrire, serait reconstituée par moi du dehors, péniblement, comme celle d’un autre ; j’aurais à m’adresser à des lettres, aux souvenirs d’autrui pour fixer ces flottantes mémoires. Ce ne sont jamais que murs écroulés, pans d’ombre. S’arranger pour que les lacunes de nos textes, en ce qui concerne la vie d’Hadrien, coïncident avec ce qu’eussent été ses propres oublis. »

42 F. Dosse, Le pari biographique. Écrire une vie, Paris, La Découverte, 2011 (2005), p. 213.

43 Courant historiographique né en Italie dans les années 1970.

44 Voir « Carnets de notes », p. 530 par exemple.

45 Voir note 9 sur le conflit avec l’attribution de l’œuvre à la catégorie de roman historique.

46 Lettre citée dans : M. Yourcenar, D’Hadrien à Zénon. Correspondance 1951‑1956, C. Godin et R. Poignault (éd.), Paris, Gallimard, 1994, p. 197.

47 « Carnets de notes », p. 546 : « Une reconstitution du genre de celle qu’on vient de lire, c’est-à-dire faite à la première personne et mise dans la bouche de l’homme qu’il s’agissait de dépeindre, touche par certains côtés au roman et par d’autres à la poésie ; elle pourrait donc se passer de pièces justificatives ; sa valeur humaine est néanmoins singulièrement augmentée par la fidélité aux faits. »

48 « Carnets de notes », p. 535 : « Le roman dévore aujourd’hui toutes les formes ; on est à peu près forcé d’en passer par lui. Cette étude sur la destinée d’un homme qui s’est nommé Hadrien eût été une tragédie au xviie siècle ; c’eût été un essai à l’époque de la Renaissance. »

49 M. Yourcenar, « Ton et langage dans le roman historique », La Nouvelle Revue française, no 238, 1972, p. 101‑123.

50 R. Poignault, « L’oratio togata dans Mémoires d’Hadrien. Lectures de Marguerite Yourcenar », dans B. Blanckeman (dir.), Lectures de Marguerite Yourcenar. Mémoires d’Hadrien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 53‑66.

51 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), p. 302‑303 : « L’intérêt d’un livre d’histoire est là ; il n’est pas dans les théories, les idées et les conceptions de l’histoire, toutes emballées pour être livrées aux philosophes ; il est plutôt dans ce qui fait la valeur littéraire de ce livre. Car l’histoire est un art comme la gravure ou la photographie. »

52 « Carnets de notes », p. 538 : (après avoir appris la mort de deux historiens dont elle avait utilisé les travaux et avoir discuté d’un graveur actif à la villa Hadriana), « Sentiment d’appartenir à une espèce de Gens Aelia, de faire partie de la foule des secrétaires du grand homme, de participer à cette relève de la garde impériale que montent les humanistes et les poètes se relayant autour d’un grand souvenir. »

53 « Carnets de notes », p. 529 : « Qu’est Hécube pour lui ? se demande Hamlet en présence de l’acteur ambulant qui pleure sur Hécube. Et voilà Hamlet bien obligé de reconnaître que ce comédien qui verse de vraies larmes a réussi à établir avec cette morte trois fois millénaire une communication plus profonde que lui‑même avec son père enterré de la veille, mais dont il n’éprouve pas assez complètement le malheur pour être sans délai capable de le venger. »

54 « Carnets de notes », p. 536 : « Grossièreté de ceux qui vous disent “Hadrien c’est vous.” »

55 « Carnets de notes », p. 519‑520 : « J’imaginais longtemps l’ouvrage sous forme d’une série de dialogues, où toutes les voix du temps se fussent fait entendre. Mais, quoi que je fisse, le détail primait l’ensemble ; les parties compromettaient l’équilibre du tout ; la voix d’Hadrien se perdait sous tous ces cris. Je ne parvenais pas à organiser ce monde vu et entendu par un homme. »

56 P. Veyne, Comment on écrit l’histoire, Paris, Seuil, coll. « Point Histoire, no 226 », 1996 (1971), p. 26.

57 « Carnets de notes », p. 528 : « S’arranger pour que les lacunes de nos textes, en ce qui concerne la vie d’Hadrien, coïncident avec ce qu’eussent été ses propres oublis. »

58 « Carnets de notes », p. 541 : « Mais j’ai cessé de sentir de ces êtres l’immédiate présence, de ces faits l’actualité : ils restent proches de moi, mais révolus, ni plus ni moins que les souvenirs de ma propre vie. Notre commerce avec autrui n’a qu’un temps ; il cesse une fois la satisfaction obtenue, la leçon sue, le service rendu, l’œuvre accomplie. Ce que j’étais capable de dire a été dit ; ce que je pouvais apprendre a été appris. Occupons‑nous pour un temps d’autres travaux. » Pour une interprétation sur le plan de la technique romanesque de ce conseil, voir M. Berger, « Histoire et roman : comment s’en défaire ? », dans B. Blanckeman (dir.), Lectures de Marguerite Yourcenar. Mémoires d’Hadrien, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, p. 29‑38.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Clément Chillet, « Les « Carnets de notes des Mémoires d’Hadrien » : entre méthode historique et technique romanesque »Cahiers d’études italiennes [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cei/10745 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cei.10745

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Auteur

Clément Chillet

Univ. Grenoble-Alpes, LUHCIE, 38000 Grenoble, France
clement.chillet@univ-grenoble-alpes.fr

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