« […] il faut toujours considérer que la recherche sur les concepts fait partie intégrante de la recherche ; il faut les considérer non comme des objets stables, mais comme des sujets vivants » (Puren, 2013 : 6).
- 1 Une équivalence étant alors établie entre « langue maternelle » et « langue première ».
- 2 Le terme officiel utilisé pour désigner la discipline d’enseignement de ces langues est : Langues e (...)
1Les travaux qui problématisent la notion de langue maternelle (désormais LM) au Cameroun sont récents et très peu nombreux (Feussi, 2006 ; Daouaga Samari, 2016). Pourtant, comme le dit Puren (2013) dans l’extrait que nous avons mis en exergue, la réflexion sur les concepts fait partie de la recherche. La plupart des études qui se sont intéressées à cette notion au Cameroun par le passé n’avaient pas d’habitude une orientation explicitement épistémologique, mais visaient, très souvent, la critique de l’enseignement du français comme langue première1, à la lumière du contexte sociolinguistique local. D’autres études (Tadadjeu, Sadembouo et Mba, 2004 ; Tabi-Manga, 2000, par exemple) sont plus centrées sur l’intégration et l’enseignement des langues d’origine locale2. Ces travaux considèrent ces langues comme des « langues maternelles ». Habituellement, l’usage de cette notion est considéré comme allant de soi ; pourtant, elle est d’une complexité remarquable (Moore, 2006 ; Thamin, 2007 ; Daouaga Samari, 2016). À l’heure où des travaux reconnaissent de plus en plus le caractère non pertinent de cette notion, surtout en contexte plurilingue, elle reste cependant présente en milieu éducatif camerounais.
- 3 Il y a dix régions au Cameroun, dont huit francophones et deux anglophones.
2Le Cameroun compte entre 240 et 280 langues d’origine locale (Grimes, 1996). Ce sont ces langues qu’on appelle officiellement « langues nationales » et qu’on enseigne sous l’appellation de « Langues et Cultures Nationales ». Ces langues sont réparties en trois phylums : Nilo-saharien, Afro-asiatique et Congo-Kordofan (Métangmo-Tatou, 2001). En plus de ces langues, on retrouve le français et l’anglais, langues officielles du pays, et des langues comme le pidgin-english et le francanglais. Du point de vue institutionnel, le français et l’anglais sont dominants puisqu’utilisés dans toutes les activités officielles. Même si certaines langues locales sont déjà enseignées, la plupart restent encore pratiquées uniquement dans le cadre familial. Mais dans les pratiques, la situation change relativement. Dans les grandes villes comme Yaoundé et Douala (Feussi, 2006 ; Ndibnu Messina Ethé, 2010), le français est pratiqué comme L1 par des enfants. Mais dans la partie septentrionale (où se trouve la ville où nous avons mené notre enquête), la situation est différente. Située dans une région francophone3, la ville de Ngaoundéré a comme langue officielle dominante le français, à côté de l’anglais, deuxième langue officielle mais très peu pratiquée dans la région. Les pratiques linguistiques sont caractérisées dans cette ville par la forte présence du fulfulde, puis d’autres langues d’origine locale comme le dii, le mbum, le gbaya, entre autres, en général pratiquées comme langues premières respectivement par des Dii, des Mbum et des Gbaya. Le fulfulde est par conséquent la langue véhiculaire dominante dans cette ville (Métangmo-Tatou et Tourneux, 2010 ; Métangmo-Tatou, 2001). Selon Calvet, « une langue véhiculaire est une langue utilisée pour la communication entre locuteurs ou groupe de locuteurs n’ayant pas la même première langue » (1997 : 289). C’est exactement ce rôle que le fulfulde joue dans la ville de Ngaoundéré.
3Dans un contexte aussi complexe que celui du Cameroun, il est rare de trouver une personne qui ne pratique qu’une seule langue. Très souvent, le répertoire linguistique d’un enfant est riche d’au moins trois langues, comme l’affirme Yaguello : « Trois ou quatre langues sont ainsi acquises dans la petite enfance et parlées quotidiennement. C’est une situation extrêmement banale en Afrique » (1988 : 31). Le schéma suivant, profilé par Leconte, entérine cet état de fait :
[…] en Afrique noire, un individu est souvent conduit à apprendre cinq, six langues, ou même plus au cours de son existence. Bien que les situations soient très variables, on peut imaginer le scénario théorique suivant : un enfant africain pourra apprendre en premier lieu la langue de son père, qui deviendra sa langue ethnique et celle de sa mère si elle est différente de la précédente, puis les langues des coépouses éventuelles et des groupes voisins et alliés. Il apprendra aussi, par la suite, une ou plusieurs langue(s) véhiculaire(s) du pays ou de la région. Enfin, s’il est scolarisé, il apprendra la langue européenne médium d’enseignement (Leconte, 2001 : 82-83).
4Les apprenants arrivent donc, bien évidemment, à l’école avec un répertoire linguistique aussi riche. L’observation du fonctionnement de la notion de LM en contexte éducatif camerounais, fortement plurilingue (Métangmo-Tatou, 2001 ; Feussi, 2006), met en relief toute la difficulté à prétendre enseigner des langues comme « langues maternelles ». Cette difficulté s’observe d’abord au niveau des usages de cette notion floue, qui varient selon qu’on passe d’une discipline linguistique à une autre, en l’occurrence du français aux Langues et Cultures Nationales (désormais LCN). Ces usages sont à leur tour liés à des enjeux plus idéologiques que didactiques qui en constituent les ressorts. Le choix de cette notion ne repose pas sur des questions fondamentalement didactiques, à l’exemple de la prise en compte des besoins des apprenants et donc de leurs niveaux de compétence dans les langues enseignées, mais plus sur des considérations sociales autour de ces langues. Cette situation n’est pas sans conséquences sur l’enseignement des langues concernées, à savoir dans ce travail le français et les LCN. Ce sont ces usages variés, ces enjeux que l’on verra opposés et ces conséquences sociodidactiques que ce travail propose d’analyser non sans avoir rappelé le cadre et la méthodologie de l’enquête menée pour la réalisation de cette étude.
5Ce travail s’inscrit dans un cadre de recherches plus large sur l’éducation bi/plurilingue français/LCN dans la région de l’Adamaoua au Cameroun. La réflexion entamée nous a amené à nous intéresser à des questions épistémologiques, notamment au sujet de certaines notions qui passent souvent pour des évidences dans des discours ordinaires, dans le milieu éducatif et même dans les discours des chercheurs. La présente étude s’insère donc logiquement dans ce cadre et continue le débat entamé dans Daouaga Samari (2016). Le débat dont il est question concerne les usages que les chercheurs font de la notion de langue maternelle (désormais LM). Profitant du flou notoire qui caractérise cette notion (Moore, 2006), certains chercheurs en font des usages stratégiques qui donnent souvent lieu à des interprétations contradictoires. Ainsi, certains (comme Tadadjeu, Sadembouo et Mba, 2004 ; Tabi-Manga, 2000) considèrent comme LM toute langue d’origine camerounaise. Dans ce sens, parler de LM au Cameroun selon eux, c’est simplement exclure les langues d’origine étrangère comme le français et l’anglais. La LM serait alors l’équivalent de langue ethnique. Mais cette définition devient complexe si l’on tient compte du fait que dans une famille, les deux parents peuvent être d’origine ethnique différente. En effet, quelle langue serait la LM de l’enfant ? Celle du père ou celle de la mère ? Habituellement au Cameroun, les enfants ont tendance à prendre la langue de leur père pour leur LM. Mais selon Bitjaa Kody (2004), même si c’est le cas, tant que cette langue n’est pas transmise à l’enfant par sa mère, elle ne saurait être considérée comme sa LM. Par ailleurs, d’autres recherches (Feussi, 2006 ; Ndibnu Messina Ethé, 2010) soutiennent que le français est désormais la première langue de socialisation de plusieurs enfants dans la partie sud du pays, et donc la LM de ces enfants. Ici, la LM équivaut à la L1. Ce point de vue est contraire à celui des auteurs comme Tadadjeu, Sadembouo, Mba, Bitjaa Kody dans la mesure où il intègre les langues d’origine étrangère (comme le français), ce que ces auteurs n’admettent pas. Pour d’autres auteurs encore (comme Biloa et Tankhu Yamo, 2007), la LM renvoie tout simplement à la langue usuelle ou à la langue dans laquelle le locuteur a un niveau de compétence élevé. Dans Daouaga Samari (2016), l’une des conclusions tirées est que le sens de la notion de LM ne peut se construire sans les locuteurs. Tenir compte de ces derniers demande que le chercheur revoie son cadre épistémologique, en abandonnant une étude monologique pour une approche plurielle fondée sur la complexité du contexte sociolinguistique local et sur les conceptions des locuteurs. Ainsi, l’on pourra envisager qu’un locuteur puisse avoir plusieurs LM. En conséquence, si c’est au locuteur de révéler sa/ses LM, entreprendre dans la recherche d’imaginer cette/ces langue(s) sans impliquer le locuteur ne peut que s’avérer infructueux.
- 4 Bien entendu, nous ne considérons pas cette date comme celle qui marque le début des réflexions sur (...)
6Cette réflexion s’inscrit ainsi dans la perspective des travaux qui s’intéressent à cette notion problématique. Nous ne donnons ici que quelques-uns de ces travaux pour des besoins d’illustration. En 19824 par exemple, Urbain soutenait que « la langue maternelle, ensevelie au cours du temps sous un monceau de synonymes relatifs, est une notion dont l’unité et la valeur opératoire doivent être ici remises en question » (Urbain, 1982 : 8). Autour de cette notion en effet, foisonnent d’autres termes qui, selon qu’on passe d’un auteur à un autre, se présentent comme des synonymes à la notion de LM. C’est cet « éclatement terminologique », pour utiliser l’expression de Thamin (2007 : 166), qui rend difficile l’appréhension de cette notion. En contexte plurilingue, le terme devient tout simplement sans pertinence : « Il reste, en effet, difficile, voire hasardeux, de réussir à identifier ou caractériser la langue maternelle des individus dans un contexte de plurilinguisme » (Moore, 2006 : 106).
- 5 Conventions de transcription : E = enquêteur. E1 = enseignant de LCN. E2 = enseignante de français. (...)
7Le travail actuel poursuit alors la problématisation de cette notion. Les observables analysés ont été obtenus d’une part par observation des leçons. Présent personnellement dans la salle de classe en tant qu’observateur, nous avons enregistré des leçons tout en prenant des notes. L’analyse de ces leçons nous permettra logiquement de voir comment s’utilise la notion de LM dans les discours, lesquels s’insèrent dans une situation d’interaction didactique. Les interactions ne sauraient par conséquent être éludées dans ce travail. D’autre part, nous avons eu des entretiens avec différents acteurs éducatifs (E1, enseignant de LCN ; E2, enseignante de français ; et R, responsable d’encadrement des enseignants de LCN). Ces entretiens reposent certes sur une grille, mais il ne s’agissait que de simples indications puisque l’ordre des questions n’avait pas d’importance et les enquêtés avaient la latitude de faire des commentaires plus ou moins longs comme l’exige l’entretien compréhensif (Kaufmann, 2007). Troisièmement, nous avons analysé les programmes d’études. Les leçons et entretiens enregistrés ont été d’abord retranscrits5. L’établissement où s’est déroulée l’enquête est le lycée classique et moderne de Ngaoundéré. Les deux disciplines qui nous concernent dans ce travail sont le français et les LCN. L’approche globale qui sous-tend la réflexion est ethnographique, donc qualitative (Blanchet, 2011).
- 6 Le sous-système anglophone est le deuxième sous-système éducatif du Cameroun.
8Deux disciplines linguistiques sont enseignées comme langue maternelle (LM) au Cameroun de nos jours, du moins dans le sous-système francophone6 : le français et les LCN. Chacune d’elles adopte une stratégie d’usage spécifique de la notion de LM, donnant lieu à des enjeux totalement opposés.
- 7 L’enseignement des LCN était expérimenté dans le cadre du Programme Opérationnel Pour l’Enseignemen (...)
- 8 Ministère des enseignements secondaires.
9La politique d’enseignement des langues camerounaises est presque inséparable des questions identitaires. En effet, elle est intimement liée à l’histoire du pays dans la mesure où elle peut être comprise comme une réaction à la politique linguistique éducative mise en œuvre depuis l’époque coloniale au Cameroun. Cette politique a fait des langues officielles les seules pratiquées en milieu éducatif (Stumpf, 1979), excluant les langues d’origine locale dont la pratique était sanctionnée par l’enseignant (Métangmo-Tatou, 2001). Pour (re)valoriser ces langues et cultures, dont la plupart sont présentées en perte de vitesse (Bitjaa Kody, 2004), le pays décide enfin de les protéger et de les promouvoir (cf. République du Cameroun, 1996), notamment dans le secteur éducatif (cf. République du Cameroun, 1998). C’est ainsi que les LCN sont officiellement intégrées dans l’éducation (en tenant compte des acquis des expérimentations privées7 faites dans quelques établissements) à la faveur des réformes ayant conduit à la réécriture des programmes. L’objectif assigné à la nouvelle discipline (LCN) est donc l’enracinement culturel des apprenants (Minesec8, 2014a). D’après les programmes, il est question de combattre le déracinement culturel en amenant les enfants camerounais à connaître leurs langues et leurs cultures. La politique éducative monolithique, coloniale et postcoloniale (Métangmo-Tatou, 2001), et le phénomène de mondialisation sont mis à l’index quand on parle du déracinement des apprenants. Voici par exemple ce que laissent lire les programmes :
Les enjeux de l’enseignement des cultures nationales sont indissociables de ceux de l’enseignement des langues nationales, celles-ci constituant les véhicules de celles-là. De nos jours, on parle régulièrement du déracinement de la jeunesse camerounaise parce qu’elle manifeste tout son intérêt pour les valeurs occidentales au détriment des siennes. C’est donc principalement dans l’intérêt d’assurer l’enracinement culturel de l’apprenant que se trouve l’enjeu principal de l’enseignement des cultures nationales dans notre système éducatif. (Minesec, 2014c : 14).
- 9 La notion d’identité nous semble plus englobante parce que sans aucune précision, elle pourrait ren (...)
10Cet objectif met en avant la dimension identitaire9 ou, plus clairement, ethnique de l’enseignement de ces langues et cultures. Cet enseignement renforce la conscience qu’ont les élèves de leur appartenance, chacun, à un groupe ethnique précis. En effet, si nous partons de l’idée que « le terme ethnie a pris, en sociolinguistique une extension beaucoup plus large, pour désigner toute communauté dont les membres partagent une même origine géographique et culturelle » (Tchitchi, 1997 : 142), il est clair que la langue ethnique (donc la LM) ne peut se définir, dans cette perspective, sans l’idée d’attachement à un groupe. On comprend alors pourquoi l’appartenance à une communauté occupe une place centrale dans cette définition de Tabi-Manga : « Les langues maternelles constituent l’ensemble des langues parlées par les communautés ethno-culturelles camerounaises. Nous savons que le Cameroun compte 248 langues » (Tabi-Manga, 2000 : 185).
11Comme l’enseignement des LCN s’appuie sur les expériences du programme éducatif Propelca, la conception que les acteurs se font des langues d’origine locale, donc des langues nationales (désormais LN), épouse également la définition qu’en donnent ce programme et d’autres chercheurs allant dans le même sens. Comme l’enseignement est orienté vers l’enracinement culturel des apprenants, le terme LN, plus neutre, est remplacé dans les discours par celui de LM, plus marqué dans la mesure où il est rattaché directement à l’ethnie à laquelle appartient l’apprenant. Selon le Propelca, en effet, les LN sont tout simplement des LM, c’est-à-dire des langues ethniques (Tadadjeu, Sadembouo et Mba, 2004). C’est exactement la définition que donne R, responsable d’encadrement des enseignants de LCN, de la notion de LM dans un entretien tenu le 30 novembre 2015 :
Celui qui dit qu’on enseigne les langues nationales veut dire qu’on enseigne les langues maternelles, les langues camerounaises, les langues africaines, puisque les langues camerounaises sont des langues africaines. (R).
12Plus tard dans l’entretien, il ajoute :
Aux enseignements secondaires, ce qu’on appelle langues maternelles, ce sont les 239 langues ethniques, les 239 langues camerounaises. (R)
13Cette volonté de considérer les LM comme uniquement des langues ethniques cadre parfaitement avec la finalité de cette discipline : l’enracinement culturel.
14Certains acteurs sont tellement attachés à cette finalité qu’ils récusent le terme de LN, préférant LM ou langue camerounaise (désormais LC). Alors qu’en réalité, les LN ne sont rien d’autre (en tout cas au Cameroun) que les langues d’origine camerounaise. Donc dans la perspective de l’enseignement Propelca dont s’inspirent les décideurs, tel que le confirme plus haut un responsable d’encadrement des enseignants, LM, LN et LC sont tous des termes synonymes. Mais ce n’est pas ce que pense E1, enseignant de LCN. Dans l’extrait suivant par exemple, alors qu’il poursuivait son cours de LN en classe de 5e, il s’excuse d’avoir utilisé l’expression « langues nationales », qu’il remplace immédiatement par « langues camerounaises » :
(Classe de 5e, leçon de LN, 04 décembre 2015)
P : alors allons-y donc + « dans les langues nationales dans les langues came/pardon dans les langues camerounaises » pas « langues nationales » + « dans les langues camerounaises virgule + dans les langues camerounaises virgule + dans les langues camerounaises virgule + nous rencontrons plusieurs types des mots + nous rencontrons plusieurs types des mots » (à un élève) xx S hein ? tu n’as pas… ?
15De manière très claire, l’enseignant fait savoir à ses élèves qu’il a fait une erreur en utilisant le terme « langues nationales », d’où cette mise en garde : « pas “langues nationales” ». En récusant cette appellation, pourtant utilisée dans l’intitulé même de la discipline (LCN), E1 catégorise la notion de LN comme étant différente de LC. En classe de 6e, c’est un apprenant que l’enseignant va reprendre parce qu’il a utilisé le terme de LN :
(Classe de 6e, leçon de CN, 13 novembre 2015)
P : […] bien ok voilà donc le devoir que vous allez faire à la maison ++ devoir + devoir + xx à la maison
A : monsieur
P : oui
A : xxx
P : devoir ++ ho ho ++ en langue xx ça veut dire quoi ?
A : langue nationale
P : langue… ?
AA : maternelle
P : voilà + voilà bon eh voilà ce que je vous demande de définir en eh langues maternelles naissance, cordon ombilical + hein ? vous demandez/vous demandez à vos parents hein
16Dans cet extrait, l’enseignant ne valide pas la réponse de son apprenant, et notamment qu’il puisse parler de « langues nationales ». C’est pour cette raison qu’il reprend le mot « langue » avec une intonation montante qui, non seulement, laisse entendre à l’apprenant qu’il doit compléter ce que son enseignant vient d’initier, mais également, se présente comme une stratégie visant à attirer l’attention sur ce qui doit être dit par la suite. En fait, l’enseignant appelait à une correction. On ne s’étonne donc pas qu’un groupe d’élèves réponde à l’unisson « maternelle » pour compléter la phrase de l’enseignant et, dans le même temps, corriger ce que leur camarade vient de dire. Pourtant, parler de LN n’est pas un problème, bien entendu. L’attitude de cet enseignant, accroché à la dimension identitaire, plus visible dans le terme « LM » puisque utilisé comme synonyme de langue ethnique, indique que, par moments, celui-ci arrive à concevoir que les LN soient des langues officielles (désormais LO). Il n’est pas rare d’ailleurs que des personnes pensent que les termes « langue nationale » et « langue officielle » soient synonymes. Dans l’extrait d’entretien suivant, E2, enseignante de français, affirme que le français et l’anglais sont les deux « langues nationales » du pays, ce qui, selon elle, justifie leur caractère incontournable pour les apprenants :
E2 : Ah pour moi, le… le français leur sert… leur sert au quotidien. Toutes les autres matières en dehors des langues… étrangères, les AUTRES langues étrangères se font en français. Le français c’est une langue nationale, l’une des deux langues nationales. Donc pour moi le français est incontournable. D’après moi hein !
17Il apparaît donc, selon cette enseignante, que le terme « LN » est considéré comme renvoyant à « LO ». Ce sens donné à cette notion de LN est propre au contexte européen, français en l’occurrence, où la langue nationale, dont l’emploi est sous-tendu par des velléités idéologiques d’homogénéisation, passe pour la langue de toute la nation (Baggioni, 1997) ; elle est supposée être pratiquée de tous. Mais au Cameroun, comme dans bien d’autres pays africains, la langue nationale ne se confond pas avec la langue officielle, habituellement d’origine étrangère (Baggioni, 1997).
- 10 Tels que les enseignements sont organisés en LCN de nos jours, ce n’est qu’à partir de la quatrième (...)
18Même si les programmes reconnaissent le terme de « langues nationales particulières » (Minesec, 2014a : 15) pour désigner les LN enseignées à partir de la classe de quatrième10, c’est le terme « langue maternelle » qui est plus utilisé par les acteurs. Cela est dû, comme nous venons de le voir, au fait que, dans l’imaginaire de certains acteurs, la LN renvoie à la langue officielle, alors que chez les chercheurs (Baggioni, 1997) et les responsables de l’éducation, le problème semble réglé à ce niveau : la LN est toute langue d’origine camerounaise. Mais surtout, l’usage préférentiel de « LM » par les acteurs s’explique, comme analysé plus haut, par l’objectif d’enracinement culturel assigné à l’enseignement des LCN. Le terme « LM » considéré comme langue ethnique passe alors dans les représentations pour le terme approprié pour désigner ces langues. En français, la situation est tout autre.
19Dans l’enseignement du français au Cameroun, on n’utilise pas le terme de LM. On préfère dire que cette langue est enseignée comme langue première (L1). C’est ainsi par exemple que le titre qui introduit les contenus des nouveaux programmes de français à l’époque de l’Approche par compétences est clairement : « programme d’études de français première langue (6e/5e) » (Minesec, 2014b : 13). Dans ces programmes d’études, l’on lit également que « les enjeux de l’enseignement du français langue première11 sont d’abord politiques et sociaux, en ce sens que le français est une des langues grâce à laquelle l’apprenant – futur citoyen – peut entrer en contact avec les services publics et sociaux et intégrer la communauté nationale » (Minesec, 2014b : 15). Mais du point de vue didactique, que signifie enseigner une langue comme L1 ? De nombreux chercheurs, au rang desquels Cuq (1995), savent qu’enseigner une langue comme L1, c’est l’enseigner comme « LM ».
20Deux (entre autres) raisons fondamentales et liées incitent les responsables de l’éducation à contourner le terme de « LM » dans l’enseignement du français au Cameroun, à notre avis. La première est que le terme L1 leur permet de se débarrasser de la connotation ethnique reconnue souvent au terme LM, comme nous l’avons signalé plus haut. Plus précisément, le terme « français langue première » déjoue le rôle joué par la mère dans la transmission de cette langue, le français, justement, n’étant encore (pour l’instant) transmis au Cameroun par la mère que dans très peu de cas :
En ce qui concerne le français langue maternelle, on peut considérer que cet item est une facilité de langage. Il est en effet un peu trop centré sur la transmission de la langue par la seule mère, alors qu’on connaît de très nombreux contre-exemples, y compris au niveau de sociétés. On préférera donc utiliser langue première, ou langue de première socialisation, ou mieux, langue de départ, c’est-à-dire, le premier (ou les premiers) idiome(s) dans le(s)quel(s) l’enfant se construit. (Cuq, 1995 : 3)
21Bien plus, il est question de contourner la critique qui a toujours été formulée à l’endroit du français : celle de son enseignement comme LM à des apprenants qui l’ont comme L2. Avec le terme L1, les concepteurs des programmes peuvent se défendre en convoquant des travaux qui soutiennent que dans les grandes villes comme Yaoundé et Douala, il y a des enfants qui ont le français comme L1. Cela est vrai ; mais est-ce pertinent de généraliser l’enseignement du français comme L1 alors que les apprenants qui pratiquent cette langue comme L1 sont minoritaires, puisque concentrés pour le moment dans les grandes villes ?
22Si en LCN le terme « LM » est revendiqué – dans l’optique d’une politique de revendication identitaire – au point d’être en concurrence avec le terme officiel de « LN », en français, il est contourné au profit de « L1 », supposé plus neutre. Mais quelle que soit la stratégie adoptée, les conséquences de ce choix sur l’enseignement de chacune des deux disciplines sont très souvent fâcheuses.
23Les conséquences de l’emploi du terme « LM » en milieu éducatif ou de l’enseignement des langues comme telles sont nombreuses. Elles ont trait autant aux attitudes et représentations qu’aux pratiques d’enseignement effectives.
24Comme nous l’avons souligné plus haut, la notion de LM, puisque considérée en général dans les pratiques d’enseignement comme l’équivalent de langue ethnique, permet aux apprenants de s’identifier à un groupe ethnique précis. Les conséquences de l’utilisation de ce terme sont alors nettes.
- 12 L’Adamaoua est l’une des dix régions du Cameroun. Située dans la partie septentrionale du pays, cet (...)
25L’utilisation du terme « langue maternelle » en milieu éducatif (c’est généralement le cas quand on parle de l’enseignement des LN) active chez les apprenants des germes d’irrédentisme linguistique, entendu comme l’amour prononcé qu’une personne a envers sa langue identitaire (Nacro, 1984 cité par Napon, 2003). Les enseignants et les responsables d’encadrement se référant constamment à ce terme dès qu’il est question de l’enseignement des LN en sous-cycle d’orientation, comme dans l’Adamaoua12, les apprenants dont la langue enseignée n’est pas leur langue ethnique prennent parfois leur distance parce qu’ils rattachent cette langue à un groupe ethnique différent de celui auquel ils appartiennent. Cette situation constitue une source de démotivation à ne pas prendre à la légère. Selon Raby et Narcy-Combes, « aucun chercheur, actuellement, ne pourrait nier le rôle des émotions dans le déclenchement ou le maintien de la motivation » (2009 : 8). D’ailleurs, certains apprenants ne tardent pas à justifier leurs erreurs en classe lors de l’enseignement de ces langues en convoquant l’idée que ce n’est pas « leur » langue qui est enseignée.
26Pour comprendre ces réactions, il convient d’avoir à l’esprit la composition des classes de LCN et l’organisation des enseignements de cette discipline à partir de la quatrième. Les apprenants camerounais sont plurilingues, il n’y a aucun doute ; les salles de classe sont par conséquent très hétérogènes sociolinguistiquement (Mahama, 2016). Lors des leçons ordinaires (français, géographie, mathématiques, par exemple), les élèves d’une même classe suivent les cours en français comme d’habitude à partir de la quatrième. Toutefois, à l’heure des LCN, les élèves se regroupent par atelier de langues, ce qui signifie qu’à l’heure de la leçon du fulfulde en quatrième par exemple, les élèves viennent de toutes les classes de quatrième de l’établissement pour se retrouver dans la salle réservée à l’atelier de cette langue ; ainsi va-t-il du dii, du mbum et du hausa, langues enseignées à Ngaoundéré. La conséquence de ce regroupement est que la classe de langue (peule, dii, mbum ou hausa) constituée contient des élèves dont beaucoup n’ont pas la langue enseignée comme langue ethnique. Parfois, certains élèves apprennent pour la première fois la langue enseignée. On a alors des élèves dont les compétences vont du niveau initial au niveau très avancé. Ainsi, dès que ceux qui ont la langue enseignée comme langue de l’un de leurs parents font état de certaines compétences en situation de classe, en donnant par exemple la réponse attendue par l’enseignant, les autres adoptent parfois des attitudes négatives à l’égard de leurs camarades.
- 13 La leçon en question a eu lieu le 06 mars 2015 au lycée classique de Ngaoundéré, entre 13h 30 et 15 (...)
- 14 Deux enseignants étaient présents dans la salle de classe : le premier est l’enseignant titulaire d (...)
27Pour illustrer cette situation, prenons ces deux exemples au cours d’une même leçon13 de Langue et Culture dii, en classe de 4e. Lorsque le deuxième enseignant14 a posé une question en langue dii à une apprenante et que celle-ci a donné une réponse correcte, appréciée par l’enseignant, un apprenant a rétorqué :
« Elle est Dii non » [Note prise en situation de classe]
28Quelques minutes plus tard, quand l’enseignant apprenait à toute la classe à prononcer la lettre « a » avec les différents tons qu’elle peut porter en langue dii, un autre élève a déclaré :
« C’est pas ma langue » [Note prise en situation de classe]
29À la moindre difficulté d’apprentissage, ces apprenants se résignent. Certes la manière dont l’enseignement des LCN dans son ensemble est piloté peut être critiquée, notamment au niveau de l’orientation des élèves dans le choix de ces langues. Mais nous soutenons que tant que des stratégies efficaces ne sauront pas mises sur pied pour amener progressivement ces apprenants à se focaliser moins sur le côté identitaire de ces langues que sur leurs fonctionnalités dans la vie réelle, la probabilité que ces apprenants fassent des efforts est très faible. C’est par exemple le cas des élèves que nous venons de citer. Ils construisent leurs relations avec les LCN enseignées en ayant à l’esprit que ces langues ne les rattachent pas à leurs propres groupes ethniques. Nous pensons que s’ils se réfèrent à l’ethnie ou justifient la performance de leurs camarades en les rattachant à l’ethnie locutrice de la langue, c’est, entre autres et en grande partie, parce qu’ils savent (puisqu’on leur dit) qu’ils apprennent une « langue maternelle ». Cette résignation risquerait de devenir, si elle n’est pas influencée, une redoutable source de démotivation pour cette catégorie d’apprenants. Tout cela est susceptible de freiner la réussite de la politique d’enseignement des LCN.
30Enseigner le français comme L1 au Cameroun – donc comme LM ainsi que le dit Cuq (1995) ? Les études à ce sujet abondent. Nous reconnaissons que le français se vernacularise dans les grandes villes du pays, notamment à Yaoundé et à Douala (Bitjaa Kody, 2004 ; Feussi, 2006 ; Ndibnu-Messina Ethé, 2010). D’après ces travaux, le français, langue d’origine étrangère, s’est tellement imposé dans des familles qu’il passe désormais pour la langue utilisée principalement pour la communication entre les membres de la famille. C’est très courant dans ces villes de voir des parents qui ne pratiquent que le français avec leurs enfants. Cela entraîne alors une rupture dans la transmission aux enfants des langues ethniques de ces parents. Mais cette situation n’est pour l’instant que limitée à ces villes. Dans les autres zones, le français n’est pas « L1 », tout comme il n’est pas tout à fait langue étrangère (Maurer, 1995). Il fonctionne comme langue seconde (Tabi-Manga, 2000). Il est possible que le français s’étende à toutes les autres zones en devenant L1 comme le prévoit Bitjaa Kody (2004), si rien n’est fait pour promouvoir davantage les LCN. Seulement, il s’agit d’un processus relativement long qui ne cadre pas encore avec les contextes actuels. En conséquence, enseigner cette langue comme L1 dans tout le pays, c’est mépriser l’état actuel de cette langue au profit de sa situation future supposée (Daouaga Samari, 2017).
31Et les LCN ? Nous ne pensons pas non plus qu’enseigner les LCN comme LM à partir de la classe de 4e soit pertinent. Le contexte dans lequel se déroulent les leçons est d’autant plus complexe que la langue peut ne pas avoir le même statut pour tous les apprenants.
- 15 Il ne s’agit pas d’éviter dans le sens de contourner comme cela se fait dans l’enseignement du fran (...)
32Éviter le terme « LM » en milieu éducatif camerounais pourrait offrir quelques avantages. D’une part, cela pourrait épargner les acteurs didactiques des ambiguïtés et des confusions semées (confusions chez des enseignants entre LN, LM et LC d’une part, et entre LN et LM d’autre part), surtout qu’« une notion comme celle de langue maternelle, en dépit du sème “maternité” et de ses connotations possiblement figurables [qui] relève, sauf erreur, de l’irreprésentable ! » (Fresnault-Deruelle, 1982 : 114). Enseigner des langues comme le dii, le fulfulde, le hausa, le français, entre autres, comme LM dans une classe implique que cette langue ait ce statut chez chacun des apprenants, car « il n’y a de langue maternelle que singulière à chacun » (Casanova, 1982 : 113). Or au Cameroun, les conceptions multiples et souvent opposées donnent lieu à l’existence d’une pluralité de LM chez une même personne (Daouaga Samari, 2016), a fortiori dans toute une classe !
33D’autre part, l’abandon de l’usage du terme LM en milieu éducatif contribuerait à débarrasser l’enseignement des LCN de toute question tribale. Cela demande que l’on donne une nouvelle orientation à l’enseignement des LCN. Car, le succès de cette politique « dépendra de l’aptitude [de la communauté éducative] à “‘détribaliser”’ le débat linguistique. Une langue ne doit plus seulement être considérée comme attachée à un groupe ethnique : il faudrait désormais envisager son efficacité fonctionnelle à chaque échelon de la vie » (Métangmo-Tatou, 2001 : 50). On passerait alors de toute référence à un « locuteur natif, campé dans une culture nationale ou ethnique dont il serait le représentant » (Lemaire, 2012 : 208) à un enseignement de langues désethnicisé, reçu par les apprenants comme pouvant les aider pour leurs besoins de communication et en même temps pour leurs relations avec les autres. Dans ce sens, l’appellation « LM » attribuée aux langues locales enseignées à partir de la 4e laisserait place aux « LCN spécifiques » ou « particulières ». Ces termes ne sont pourtant pas méconnus du personnel d’encadrement des enseignants ; sauf qu’ils n’ont pas pu supplanter « LM ». Pour qu’ils puissent être effectivement utilisés en milieu éducatif, ils demandent à être expliqués et diffusés. Mais la tâche ne sera sans doute pas aisée, d’autant qu’il s’agit de se défaire d’une croyance solidement ancrée dans les habitudes, d’une notion, mieux « d’un discours, d’une pensée hégémoniques […] perçus comme des évidences qu’on n’imagine pas de remettre en question » (Blanchet, 2016 : 52).
34La notion de LM est marquée par sa complexité sémantique en contexte éducatif plurilingue. Elle renvoie en effet à plusieurs langues à la fois selon qu’on passe d’un critère définitoire à un autre. Même dans les travaux de recherche, cette notion continue de poser de sérieux problèmes (Daouaga Samari, 2016). Les conceptions que des auteurs en ont sont souvent contradictoires, ce qui fait que quand cette notion n’est pas problématisée avant son emploi, elle donne lieu à une diversité d’interprétations. Ce flou ainsi que les problèmes afférents se trouvent transposés en contexte éducatif au Cameroun, d’autant que la notion de LM est présente dans les discours des acteurs éducatifs. Ainsi, en passant de l’enseignement des LCN à l’enseignement du français, on remarque deux usages différents qui reposent sur des enjeux spécifiques à chacune de ces disciplines.
35L’enseignement des LCN repose sur la politique que le système colonial et même postcolonial et a contribué au déracinement des enfants camerounais. En conséquence, la mission de cet enseignement est d’enraciner les apprenants dans leurs cultures, c’est-à-dire de les aider à connaitre et à pratiquer leurs langues et cultures d’origine. Le terme LM est alors considéré comme synonyme de « langue ethnique ». Dans ce sens, l’usage préférentiel du terme de LM au détriment de LN, pourtant présent dans le titre de la discipline (LCN), s’explique dès lors qu’on prend acte du fait que le terme LM rattache mieux que LN (plus neutre) à une communauté ethnique d’origine. Par contre, dans l’enseignement du français, cette langue n’étant pas une langue d’origine camerounaise mais d’origine étrangère, le terme de LM est évité au profit de L1 qui, malgré tout, renvoie du point de vue didactique à LM. L’usage de L1 permet de contourner la dimension ethnique reconnue au terme LM tel que nous venons de le souligner. Ces usages ne sont pas sans conséquences sur l’enseignement de ces langues. En classe de LCN, dans la mesure où le terme LM rappelle une origine ethnique, l’utilisation de ce terme suscite entre autres des réactions irrédentistes chez des apprenants qui ont une langue ethnique différente de celle qui est enseignée. Enseigner le français et les LCN comme LM dans des classes hétérogènes semble également décontextualisé d’autant que tous les apprenants de la classe n’ont pas cette langue comme « LM ».
36Faut-il abandonner ou continuer d’utiliser le terme « LM » dans l’éducation au Cameroun ? Tout dépend de ce qui semble essentiel pour les responsables de l’éducation. Si les questions idéologiques leur semblent plus importantes que les préoccupations didactiques, ce terme nourrit bien cette orientation. Revendiqué comme en LCN ou contourné comme en français, ce terme sert dans cette perspective des intentions avec des conséquences fâcheuses sur le plan sociodidactique. Cependant, nous avons bien vu que si cette notion n’est pas mobilisée en contexte éducatif et que le français et les LCN ne sont pas enseignés tels quels, la rentabilité du point de vue didactique pourrait être forte. Nous pensons qu’il serait plus bénéfique que des mesures soient prises pour juguler ce problème. En classe de LCN par exemple, les termes de « langue nationale » et de « langue nationale particulière » sont utilisés dans les programmes officiels mais très peu employés par contre par les acteurs. L’on pourrait sensibiliser ces acteurs sur l’importance de l’usage de ces termes. En français, l’on pourrait enfin envisager l’enseignement de cette langue comme langue seconde comme le conseillent des chercheurs depuis plusieurs décennies déjà.
37Mais les idéologies sont très difficiles à ébranler (Blanchet, 2016), et la notion de LM est bien entourée de celles-ci. Cette notion est devenue tellement banale qu’elle est peu problématisée et remise en question. Heureusement que des voix de chercheurs (Moore, 2006 ; Blanchet, 2016 ; Daouaga Samari, 2016, par exemple) s’élèvent de plus en plus pour relever l’absurdité de cette notion et en présenter les effets pervers. C’est l’objectif que s’est fixé cette étude centrée sur le contexte éducatif camerounais. Le moins que l’on puisse dire pour conclure est qu’en enseignant ces langues comme « LM » au Cameroun, les responsables optent pour des orientations glottopolitiques discriminatoires, puisqu’elles sont en défaveur de beaucoup d’apprenants. Enseigner une langue comme LM, dans une classe où les apprenants n’ont pas la même langue, ne peut qu’être en faveur de ceux qui l’ont apprise depuis leur enfance. Comme ces apprenants n’ont pas le même niveau de compétence dans la langue enseignée, il ne sera pas étonnant que les plus performants soient ceux qui considèrent la langue enseignée comme leur LM. Il serait d’ailleurs important d’approfondir cette étude en scrutant davantage les effets discriminatoires de cette notion dont très peu (en l’occurrence certains acteurs éducatifs et chercheurs) sont prêts à se défaire.