1Le but de cet article est de présenter un projet de recherche dont l’objectif principal était la constitution d’un corpus représentatif de pratiques éducatives en milieu scolaire et familial sur l’ensemble du territoire de la Polynésie française, intitulé Pratiques Éducatives Enseignantes et Parentales en Polynésie française (et identifié avec l’acronyme PrEEPP). La recherche en question est à la fois longitudinale, car elle s’étend sur plusieurs années, les enseignants et parents étant interviewés à des moments différents, et à la fois exploratoire car, à notre connaissance, c’est la première recherche de ce type sur le territoire de la Polynésie française.
2Décrire et analyser les pratiques éducatives (enseignantes et parentales) dans les contextes où l’enfant évolue nous permettra de comprendre les dynamiques interactives actuelles et leur impact sur les apprentissages scolaires des enfants polynésiens. Par ailleurs, en précisant l’impact des styles éducatifs des adultes sur les apprentissages des enfants, les rôles et fonctions de la famille dans les différents contextes culturels et leur impact sur l’adaptation et les résultats scolaires, cette étude permettra de proposer des orientations pour la sensibilisation et la formation des parents et des enseignants dans le contexte plurilingue et pluriculturel spécifique de la Polynésie.
3C’est ainsi que nous avons été amenés à formuler plusieurs questions de recherche dans le cadre de ce projet : quelles sont les pratiques éducatives familiales dans les cinq archipels de la Polynésie française ? Quelles sont les pratiques enseignantes et les interactions en classe ? Existe-t-il une variabilité interactive selon le type d’activité (langues polynésiennes, anglais, mathématique, sciences) ? Ou encore, existe-t-il une variabilité selon le contexte linguistique et culturel ? Existe-t-il une variabilité interactive entre les différentes pratiques familiales, notamment entre les populations des cinq archipels ou encore entre les familles habitant le même archipel ? Les questions citées ont été synthétisées dans la problématique générale de projet suivante : dans quelle mesure la variabilité interactionnelle entre le contexte éducatif familial et le contexte scolaire pourrait-elle influencer l’adaptation scolaire de l’enfant polynésien ?
4De nombreuses recherches s’accordent sur le fait que les pratiques et les représentations éducatives des adultes pourraient être des variables intermédiaires entre le milieu social et l’adaptation scolaire de l’enfant. Ainsi, il y aurait une corrélation élevée entre développement et adaptation scolaire (Pourtois, 1979 ; Bloom, 1964). Nous présentons une revue de littérature succincte référant aux deux contextes interactions éducatifs, en famille et en classe.
5Dans un examen récent de la littérature scientifique internationale concernant les pratiques et les représentations, Ailincai (2015) souligne que de nombreux auteurs s’accordent sur le fait que les déterminants majeurs des apprentissages fondamentaux et des troubles du comportement concernent les pratiques familiales (Khanna et Kendall, 2009) et les modes d’interaction parent-enfant (Weil-Barais et Lacroix, 2010). Par ailleurs, certaines recherches soulignent l’impact des pratiques éducatives parentales sur la réussite scolaire et le fait que les pratiques varient suivant le sexe des enfants (Anciaux, Delcroix et Alby, 2011 ; Deslandes et Cloutier, 2005). Pourtois (1979) note que les réalités familiales (comportements, attitudes, traits de personnalité et potentiel intellectuel des parents, statut et environnement social) peuvent expliquer plus de 84 % de la variance des acquisitions scolaires.
6Plusieurs études se sont intéressées aux rapports entre le fonctionnement des sociétés traditionnelles et la présence de l’école au sein de ces sociétés. Les avis sont partagés : si certains auteurs soulignent le caractère culturellement inadapté de l’école, l’écart entre deux mondes, les problèmes liés à la langue (Erny, 1977 ; Mukene, 1988 ; Nyerere, 1972), la grande majorité constate les mérites de la scolarisation des enfants sur la diffusion des savoirs, des connaissances ; la conscientisation liée aux droits ; l’alphabétisation ; des informations utiles notamment liées à l’hygiène, à la santé, aux diverses techniques (etc.) (Kagitçibasi, 1996 ; Freire, 1974 ; Alby et Launey, 2007 ; Alby et Léglise, 2007 ; Grenand, 2000).
7La description des pratiques éducatives parentales dans les contextes où l’enfant évolue nous permettra, d’une part, de comprendre les dynamiques interactives actuelles et leur impact sur les apprentissages scolaires et, d’autre part, de proposer des orientations pour la sensibilisation et la formation des parents dans le contexte plurilingue et pluriculturel spécifique de la Polynésie. Si des études récentes ont fait état du plurilinguisme et de la prise en compte des langues locales dans les parcours scolaires, il n’y a pas à notre connaissance, d’études concernant les pratiques éducatives parentales et leur impact sur les résultats scolaires des enfants polynésiens. Or, le rôle et l’importance des liens entre les pratiques éducatives parentales et la réussite scolaire sont désormais clairement établis. Dans ce sens, on citera, entre autres, l’impact des styles éducatifs des adultes sur les apprentissages des enfants, les rôles et fonctions de la famille dans les différents contextes culturels et leur impact sur l’adaptation et les résultats scolaires, l’influence des représentations sur les compétences cognitives des enfants.
8Le rôle des interactions dans le processus d’enseignement-apprentissage, amplement étudié ces dernières années, a inspiré un éventail de recherches soulignant notamment l’importance des interactions, qu’elles soient de tutelle ou entre pairs (Ailincai 2015). Piaget (1978), convaincu de l’importance d’autrui dans la stimulation de la pensée, situe le rôle sociocognitif de ce dernier dans un cadre de relations égalitaires. Les travaux de Doise et Mugny (1981), de Perret-Clermont (1996) et Perret et Bell (1991), à travers le concept de conflit sociocognitif, accordent un rôle essentiel à la collaboration entre pairs qui provoque des confrontations d’idées, générant la remise en cause de représentations. Vygotski, à travers la notion de zone proximale de développement, a pensé le rôle d’autrui dans une dissymétrie des compétences entre les partenaires (Vygotski, 1997). Bruner (1998) conceptualise le rôle joué par les interactions de tutelle dans le développement psychologique de l’enfant, en termes de mécanismes d’étayage. Les deux types d’interactions en classe (qu’elles soient de tutelle ou entre pairs) ont retenu notre attention, les hypothèses de recherche s’intéressant tout particulièrement à la variable liée au contexte multi-pluri-culturel polynésien.
9Du côté des sociolinguistes, plusieurs publications ont interrogé la relation que l’école entretenait avec le plurilinguisme qui caractérise ce territoire (Nocus et al., 2014 ; Paia et Vernaudon, 2002 ; Vernaudon et al., 2014). Côté études anthropologiques, la thèse de Alì (2016) signale une inadéquation entre l’école française et les réalités polynésiennes : une non prise en compte des spécificités culturelles, un non accompagnement de l’enfant éloigné de son milieu, jusqu’à la fin de sa scolarité, etc. Ho-A-Sim, dans sa thèse doctorale (2004) propose à partir d’une approche ethnologique un tableau des écarts culturels : d’une part, les valeurs scolaires et, d’autre part, les valeurs familiales. Son étude concerne trois groupes distincts de Guyane, les Kali’na, les Ndyuka et les Hmong, ces groupes se retrouvant, selon l’auteure, sur quelques valeurs communes (voir la colonne « valeurs familiales » du tableau 1).
Tableau 1 : Tableau des écarts culturels (Ho-A-Sim, 2004 : 92)
Valeurs familiales
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Valeurs scolaires
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Valeurs communautaires
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Valeurs individualistes
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Famille élargie
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Famille nucléaire
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Mode de vie traditionnel
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Mode de vie plutôt urbain
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Savoir-faire (maîtriser une activité), savoir être
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Savoir livresque, savoir être
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Apprentissage du milieu
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Apprentissage hors contexte
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Mode de transmission indirect (imitation, observation)
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Mode de transmission didactique
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Élaboration de projets à court et à moyen terme
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Stratégie de projets à long terme
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Appréhension du temps inféodé aux tâches
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Emploi du temps découpé en 1 ou 2 heures
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Langue maternelle
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Français
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Attitude de respect et de soumission aux adultes
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Respect sans soumission
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Pas de regard direct face aux adultes
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Regard direct
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Pratiques magico-religieuses ou religieuses
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Laïcité
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Culture de tradition orale
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Culture de tradition écrite
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Autonomie pratique précoce (ex. enfant débrouillard)
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Autonomie intellectuelle (ex. enfant déluré)
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10Ces « écarts culturels » sont à questionner également sur le terrain de recherche qui est le nôtre. La thèse de Alì (2016) et les recherches de Saura (2008) nous fournissant déjà des éléments de réponse.
11Aux éléments qui viennent d’être présentés – les constats des anthropologues et linguistes concernant l’incompatibilité école/contexte culturel et les résultats de certaines études référant aux représentations positives des élèves « autochtones » concernant l’école (Vernaudon et al. 2014) –, se rajoutent les résultats peu encourageants des élèves polynésiens aux évaluations, même si, par ailleurs, des « réussites paradoxales » sont de plus en plus rapportées (Dean, 2015). Ces constats parfois contradictoires, qui ont également été rapportés par Ailincai (2015) lors d’une recherche menée dans un autre contexte, la Guyane, rendent toujours d’actualité la problématique de l’adaptation scolaire des enfants fréquentant deux microsystèmes de développement très éloignés du point de vue des valeurs et de l’environnement. Notre corpus de recherche pourra certainement enrichir la réflexion et apporter des éléments de réponse supplémentaires à la question posée.
12Le présent projet se différencie des précédents projets réalisés sur le territoire par l’objectif et la méthode de recueil des données. Si la majorité des études a procédé aux observations et entretiens, dans ce projet nous avons filmé les interactions en classe et en famille et nous envisageons une analyse comparative entre le contexte scolaire et familial, appartenant à des groupes socioculturels spécifiques.
13Ces considérations nous ont amenés à formuler l’hypothèse que le style interactif familial influencerait le style interactif de l’élève en classe et affecterait son adaptation scolaire. La vérification de cette hypothèse demande dans un premier temps la réalisation d’un corpus de données dans le contexte scolaire et familial et, dans un deuxième temps, des analyses comparatives fines, que nous allons suggérer plus loin dans ce même texte. Ainsi, le projet PrEEPP visait d’une part le recueil des pratiques éducatives effectives, c’est-à-dire les pratiques observées et filmées par les chercheurs et, d’autre part, le recueil des pratiques éducatives déclarées, c’est-à-dire les pratiques recueillies par le biais des entretiens compréhensifs. D’autres hypothèses, liées plus particulièrement aux disciplines observées, ont été formulées et ont déjà fait l’objet des analyses et des publications (Ailincai, Gabillon, Vernaudon, Paia et Alì, 2016). Quelques exemples sont présentés dans le chapitre 6, « Perspectives d’analyse(s) du corpus ».
14Le projet PrEEPP a reçu un avis favorable en comité de sélection national à l’appel à projets de recherche du ministère des Outre-mer du 17 juin 2014, bénéficiant ainsi du financement de l’État à hauteur de 35 % TTC. Le reste du co-financement étant assuré par l’Université de la Polynésie française, l’Université des Antilles, la Direction générale de l’éducation et des enseignements (DGEE) de la Polynésie française et le Vice-Rectorat de la Polynésie française.
15La première partie du projet, visant le recueil du corpus, s’est déroulée entre le mois de novembre 2014 et décembre 2016. Depuis, une seconde étape a été lancée, actuellement en cours, qui consiste dans la transcription des données vidéo, un processus long et fastidieux, mais nécessaire pour une meilleure exploitation et diffusion des données. En parallèle les premières analyses des données ont commencé. Un diagramme du projet faisant état du détail du déroulement des actions est présenté plus loin.
16Les chercheurs participants au projet appartenaient au laboratoire EASTCO de l’Université de la Polynésie française et au laboratoire CRREF de l’université des Antilles Nous avons veillé à ce que dans chaque binôme il y ait un locuteur de langues polynésiennes (voir figure 1).
Figure 1 : Organisation initiale des binômes selon la maîtrise d’une langue polynésienne
17Le recueil des données a été réalisé pendant deux ans, entre 2015 et 2016, au cours de plusieurs séjours, plus ou moins longs, sur les sites sélectionnés pour notre étude. Le diagramme de Gantt (cf. figure 2) présente le déroulement prévisionnel du recueil des données entre novembre 2014 et décembre 2016.
Figure 2 : Diagramme du projet 2014 – 2016
18Les missions dans les quatre autres archipels ont eu une durée d’environ deux semaines, avec parfois des retours, selon les besoins du projet, afin de compléter le corpus. Le recueil de corpus dans l’archipel de la Société, a été prévu sur toute la durée du projet, la majorité des écoles se trouvant dans les Iles Du Vent (voir figure 3).
Figure 3 : Répartition géographique des élèves (Rapport DGEE, 2013)
19Même si la majorité des élèves se trouve dans l’Archipel de la Société, une attention particulière a été accordée aux autres archipels pour au moins deux raisons : premièrement plusieurs études ont déjà été menées dans l’Archipel de la Société, notamment dans les îles de Tahiti et Moorea (Ailincai et al., 2016) et deuxièmement, les autres archipels offrent une diversité marquée par l’utilisation d’une langue locale, en plus du français et tahitien (paumotu, mangarévien, marquisien). Effectivement, en Polynésie française, environ 62 % de la population parle l’une des principales langues polynésiennes. Dans certaines écoles les enseignants nous ont proposé spontanément une activité menée dans la langue maternelle de élèves (par exemple des mathématiques en langue rurutu, l’une des langues australes ; ou encore des sciences en ‘eo enana Nord, langue du nord-marquisien).
20Par ailleurs, les évaluations menées par la DGEE ont mis en évidence des fortes inégalités entre les résultats scolaires des établissements de Tahiti et ceux des autres îles, surtout des archipels plus éloignés, chose qui constitue un défi pédagogique pour la prise en compte de la diversité socioculturelle et linguistique de la population scolaire (rapport de la cour des comptes, 2016). L’objectif visant la collecte d’un corpus représentatif des pratiques éducatives sur l’ensemble du territoire, nous nous sommes proposés de couvrir les cinq archipels de la Polynésie française. Pour avoir un échantillon représentatif des pratiques éducatives, nous avons identifié dans chaque archipel des îles contrastées : une ou deux îles peuplées et avec des facilités de contact avec Tahiti et une ou deux îles isolées. La figure 4 donne un aperçu général de la répartition des classes observées dans l’ensemble de la Polynésie.
Figure 4 : Répartition des sites observés dans les 5 archipels, avec l’identification des îles peuplées (en rouge) et des îles moins peuplée (en bleu)
21Ces caractéristiques, milieu peuplé et vallées isolées pouvaient se retrouver parfois sur la même île ; c’est le cas des écoles de Nuku Hiva (archipel des Marquises), de l’île Fakarava (Archipel de Tuamotu) et de l’île (archipel Gambier). Sur l’île de Tahiti ont été sélectionnées des écoles situées dans des endroits favorisés et défavorisés.
22Les déplacements sur le terrain ont nécessité une phase importante de préparation. Avec l’aide de nos partenaires de la DGEE, nous avons sélectionné les îles, les écoles et nous sommes entrés en contact avec les directeurs des écoles.
23La répartition de la population se caractérise par un regroupement autour de Papeete, les autres archipels, parfois très éloignés (Tuamotu, Gambier, Australes et Marquises), ayant une faible densité de population (environ 25 % des élèves du primaire en 2012). En 2013-2014, l’année du démarrage du projet, l’enseignement primaire dans l’Archipel de la Société (îles du Vent et les îles Sous-le-Vent) regroupait (public et privé), un total de 31 998 élèves sur un total de 36 799 élèves dans l’ensemble de la Polynésie ce qui représentait 87 % d’élèves du primaire (cf. tableau 2).
Tableau 2 : Récapitulatif général des écoles publiques et privés, des effectifs et des classes par archipel (année scolaire 2013-2014)
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Maternelle
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Primaire
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Elémentaire
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ARCHIPELS
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Effectifs
|
Classes
|
Écoles
|
Effectifs
|
Classes
|
Écoles
|
Effectifs
|
Classes
|
Écoles
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Australes
|
|
|
|
1 036
|
50
|
9
|
|
|
|
Iles du vents
|
6 157
|
248
|
28
|
10 562
|
486
|
45
|
10 443
|
490
|
33
|
Iles sous le vents
|
345
|
13
|
1
|
3 903
|
184
|
28
|
578
|
27
|
3
|
Marquises
|
|
|
|
1 474
|
81
|
26
|
|
|
|
Tuamotu Gambier
|
|
|
|
2 259
|
128
|
42
|
42
|
2
|
1
|
Total général
|
6 502
|
261
|
29
|
19 234
|
929
|
150
|
11 063
|
519
|
37
|
24Les observations ont été faites au cours de plusieurs séjours, plus ou moins longs, sur les sites sélectionnés pour notre étude. Sur ces sites ont été retenus les écoles disposant des classes de CM2, qui accueillent des élèves âgés entre 9 et 11 ans. Le tableau 3 présente les écoles sélectionnées et les périodes où les observations ont été réalisées.
25Sur certains sites, en absence des classes de CM2, nous avons filmé des classes de CM1 ou des classes mixtes CM1 et CM2. Le choix de l’observation des classes de CM2 se justifie premièrement par la nécessité de la réduction des variables afin de conforter les analyses comparatives entre les différents sites. Effectivement des nombreux auteurs s’accordent sur le fait que les professeurs ajustent leur pratique enseignante selon les savoirs à enseigner et l’âge des enfants. Deuxièmement, les objectifs spécifiques de recherche (l’utilisation de l’approche EMILE – Enseignement d’une Matière Intégré à une Langue Étrangère ; ou encore l’enseignement d’une séance de géométrie) nécessitaient l’observation des classes de cycle 3 et plus précisément des classes de CM2. Troisièmement, ce projet se situait dans le prolongement d’autres projets ayant eu comme population les élèves de cycle 3, l’âge des élèves constituant une variable importante dans le cas des éventuels renvois et références entre les résultats.
Tableau 3 : Synthèse des missions réalisée pour le recueil des données
Les archipels
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Période
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Iles et écoles pour les enregistrements
Noms des chercheurs
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Archipel de la Société
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Toute la période du projet de 2014 à 2016
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Îles du Vent, Tahiti : Écoles : Papeete - To’ata ; Paea – Tiapa ; Paea – Papehue ; Punaauia - Maehaanui
Chercheurs : Jacques Vernaudon, Eléda Petit
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Archipel des Tuamotu
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Novembre/décembre 2015
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Ile : Rangiroa - École : Avatoru et Tiputa
Ile : Fakarava - École : Rotoava
Chercheurs : Zehra Gabillon, Mirose Paia
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Archipel des Gambier
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avril - juin 2015
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Écoles de Mangareva : Maputeoa
Chercheurs : Zehra Gabillon, Edgar Tetahiotupa
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Les Îles Australes
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avril - juin 2015
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Ile Rurutu : Avera ; Moerai
Ile de Tubuai : Teina ;
Chercheurs : Rodica Ailincai & Ernest Marchal
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Les Îles Marquises
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Janvier/février 2016
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Ile de Nuku Hiva
Écoles : Aakapa ; Hatiheu ; Taipivai ; Taiohae
Chercheurs : Rodica Ailincai & Ernest Marchal
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26Afin de réduire les variables liées aux caractéristiques personnelles, ont été sollicitées les enseignants ayant eu la même formation, notamment à l’IUFM de Tahiti, ayant au moins cinq années d’expérience et étant âgés d’au moins 30 ans. Les autres critères de choix étaient liés au sexe (des hommes et femmes) et à la langue (tous les enseignants parlaient le français et le tahitien et maîtrisait l’anglais pour l’enseigner ; certains étaient locuteurs de la langue maternelle de l’île, autre que le tahitien). Les critères d’exclusion étaient : les professeurs contractuels, les professeurs n’ayant pas été formés à Tahiti.
27Les parents participant à l’étude devaient avoir un enfant dans l’une des clases observées. Ils étaient volontaires, ainsi que leur enfant. Les observations se sont déroulées en famille et/ou à l’école, les deux interactants étant en situation expérimentale (une activité à caractère scientifique, proposée par le chercheur). Les autres critères de choix étaient liés au sexe (des hommes et femmes), à la responsabilité éducative de l’adulte (parents ou personne responsable de l’enfant : grands-parents, tantes, etc.) et à la langue (étaient acceptés les parents locuteurs d’une autre langue que le français). Les critères d’exclusion étaient : un autre adulte qui n’avait pas l’autorité parentale (voisin, frère ou sœur, etc.).
28Si dans le cadre scolaire les élèves ont été observées dans le contexte classique d’une activité de classe au quotidien, il s’agissait dans le cadre familial d’une situation expérimentale, proposée par les chercheurs. La préférence pour la situation expérimentale en famille s’explique par l’un des objectifs spécifiques du projet, notamment l’étude des interactions éducatives à visée d’apprentissage, que nous avons nommées « épistémiques » (Ailincai, 2015), dans les deux contextes, scolaire et familial. Or, la réalité du terrain ne nous a pas permis l’observation de ce type d’interactions dans le cadre du quotidien familial, d’où la nécessité de déclencher les situations interactives épistémiques, parent-enfant.
29Ce choix nous permettra premièrement une analyse comparative des interactions en classe et en famille et, deuxièmement, à un niveau plus micro, l’analyse comparative entre la conduite interactive en situation d’apprentissage d’un même élève, avec l’enseignante et avec ses parents. Afin de rendre possible cette dernière analyse, nous avons identifié (avec l’aide des enseignants), des parents qui acceptaient de participer à l’étude. Cela nous a permis d’observer plus particulièrement leurs enfants d’abord en interaction en classe, à l’aide d’une seconde caméra dirigée discrètement vers eux et, dans un second temps, ces mêmes enfants en interaction avec leur parent.
30Toutefois, le contexte interactionnel naturel (pour la classe) et expérimental (avec le parent) pourrait constituer un des biais de la recherche, que nous allons souligner dans les limites de certaines analyses.
31Dans le cadre scolaire nous avons demandé aux enseignants de nous présenter, au choix, une activité dans l’un des quatre domaines disciplinaires suivants :
-
- 1 Les langues enseignées sont le reo tahiti (Société), le reo pa’umotu et ses variantes (Tuamotu), le (...)
la langue polynésienne enseignée à l’école1 ;
-
l’anglais langue étrangère ;
-
les mathématiques ;
-
les activités à caractère scientifique et technique.
32Le choix de ces domaines disciplinaires se justifie par notre volonté de situer ce projet dans le prolongement des recherches précédemment réalisées sur le territoire de la Polynésie française (pour le tahitien et l’anglais), ou bien pour alimenter les recherches en cours (les mathématiques, les sciences, le tahitien, le français – dans le cadre de travaux de thèse) ou encore dans la perspective de projets de recherches futurs (le domaine des sciences, l’anglais, le tahitien et le français). L’utilisation du français (standard et/ou local) sera analysée de manière transversale, dans l’ensemble des situations observées.
33Concernant les parents, nous avons opté pour une situation expérimentale, une activité parent-enfant portant sur les circuits électriques (d’une durée de 7 à 15 minutes), qui a déjà été étudiée avec des groupes socioculturels de la Guyane française, suivie d’une fiche évaluative, où l’enfant pouvait bénéficier de l’aide du parent. Il s’agissait d’une activité à caractère scientifique et technique qui visait la réalisation d’un circuit électrique. Le tableau 4 présente synthétiquement les notions qui pouvaient être abordées par le parent ainsi que les brèves interventions du chercheur.
34Comme pour les activités scolaires, cette activité a été choisie afin de pouvoir procéder à des analyses comparatives avec des recherches précédemment menées en Guyane française (Ailincai et al. 2016). Comme pour les enseignants, cette séance était suivie d’un entretien avec le parent (cf. Ailincai et al., 2016). S’agissant de la même situation expérimentale que dans nos précédentes recherches, nous allons pouvoir comparer le style interactif parental des populations polynésiennes avec le style interactif parental des populations guyanaises.
Tableau : Fiche synthétique avec le déroulement du projet
Le chercheur
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Les notions que les parents peuvent aborder selon leurs compétences :
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Ouverture par le chercheur :
1) Reconnais-tu ce matériel ? Veux-tu bien le nommer ? À quoi sert une pile ? etc.
2) S’il te plait allume cette ampoule avec la pile, sans aucun autre matériel.
3) « Madame (Monsieur) vous pouvez l’aider »
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Le chercheur intervient juste pour la consigne suivante
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Les deux bornes de la pile sont la borne + et la borne –
Les deux bornes de l’ampoule sont le plot et le culot
Pour allumer l’ampoule avec la pile, il faut mettre en contact l’une des bornes de la pile avec le culot de l’ampoule et l’autre borne de la pile avec le plot de l’ampoule.
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Si on éloigne l’ampoule de la pile, comment on pourrait allumer l’ampoule ? Tu peux utiliser le matériel que tu veux.
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Tableau 4 – Image 1
Tableau 4 – Image 2
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En utilisant des fils électriques, nous obtenons un circuit fermé. Quand le circuit est fermé l’ampoule reste allumé ; quand nous détachons d’un côté, le circuit est ouvert. L’ampoule n’éclaire plus.
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Et si on ajoutait une deuxième ampoule ?
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Tableau 4 – Image 3 
Tableau 4 – Image 4  |
Si deux « obstacles » se retrouvent sur le même circuit, le courant est partagé. Les deux ampoules éclairent toujours mais faiblement. On appelle cela un circuit en série.
Dans un circuit en série : les éléments sont placés les uns à la suite des autres. Les lampes brillent faiblement. Lorsqu’une lampe est grillée ou mal vissée, toutes les lampes sont éteintes.
(Pour ajouter un élément en série dans un circuit il faut prendre un seul fil supplémentaire, ouvrir le circuit et intercaler l’élément.)
Si nous utilisons pour chacune des ampoules deux circuits indépendants, relié à la même pile, les deux ampoules vont éclairer normalement. On appelle cela un circuit en en dérivation.
Dans un circuit en dérivation :
Dérivation : Les lampes sont placées sur deux circuits différents (les bornes sont communes). Les lampes brillent alors normalement. Lorsqu’une lampe est grillée les autres fonctionnent.
(Pour ajouter un élément en dérivation sur une portion de circuit, il faut prendre deux fils supplémentaires et ne pas ouvrir le circuit initial.)
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Pour que l’ampoule ne reste pas allumée en continu, qu’est-ce qu’on pourrait ajouter à ce circuit ? (Comment allumes-tu le soir dans la maison ? avec l’interrupteur). Je te propose d’ajouter un interrupteur (le chercheur indique l’interrupteur et laisse l’enfant faire – trois fils sont nécessaires).
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Tableau 4 – Image 5 
Tableau 4 – Image 6  |
L’interrupteur et l’ampoule doivent être sur le même circuit : un circuit en série.
L’interrupteur dans un circuit électrique commande l’ouverture ou la fermeture du circuit, c’est-à-dire qu’il laisse ou pas le courant électrique circuler jusqu’à l’ampoule.
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Optionnel : le buzzer
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Laisse passer le courant dans un seul sens.
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Deux ampoules montées en série brillent moins que si chacune était seule dans le circuit. Si une ampoule « grille », l’autre ne s’allume pas.
Deux ampoules montées en parallèle brillent autant que si chacune d’elles était seule dans le circuit. Si une ampoule « grille », l’autre reste allumée.
Les deux ampoules peuvent s’allumer indépendamment l’une de l’autre.
Réflexion possible sur le fonctionnement de la lampe : rechercher les causes de pannes d’une des lampes (mauvais contact, filament grillé…)
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35S’agissant des corpus oraux, avec des éléments majoritairement linguistiques mais également extralinguistiques qui se produisent lors de l’apprentissage, nous avons privilégié la démarche ethno-méthodologique, en utilisant des instruments adaptés à la collecte de données en vue des analyses qualitatives (des enregistrements vidéo et son, des entretiens) : les pratiques éducatives effectives (enseignantes et parentales) ont été filmées et enregistrées, alors que les pratiques déclarées ont été seulement enregistrées ; nous avons pratiqué l’entretien ouvert.
36Un recueil des données complémentaire a été réalisé à l’aide du questionnaire de compétences parentales de Terrisse et Larose (2009), qui sera présenté plus loin dans le texte.
37La réalisation du corpus (enregistrement vidéo et audio) a nécessité l’acquisition d’un matériel technique spécifique (camera fish-eye + enregistreur et micros déportés). En outre, les membres du projet se sont formés à l’utilisation de ce matériel et ont mis en place un protocole de captation à respecter par toutes les équipes de terrain, afin de faciliter l’identification et l’exploitation des données (cf. le site du projet). L’enregistreur et la caméra étaient installés dans la classe (parfois deux caméras étaient installées, en fonction de l’organisation de la classe). Le rôle de l’enregistreur était de sécuriser l’enregistrement. Les chercheurs se retiraient, laissant l’enseignant seul avec les élèves. L’entretien avec l’enseignant suivait la séance filmée. Des transcripteurs externes ont été sollicités et sensibilisés par aux exigences du projet. Des exemples de transcriptions et quelques images des enregistrements sont présentés dans les résultats.
38L’équipe projet a élaboré le contenu des trames d’entretien pour les enseignants et les parents. Le site du projet présente les deux trames d’entretien. Nous présentons dans la figure 5 l’entretien avec les enseignants. Pour des raisons liées à la longueur de cet article nous envoyons le lecteur au site du projet pour l’entretien avec les parents : http://itereva.org/mompepe/frontend/images/familles_entretien.pdf.
Figure : Trame d’entretien avec les enseignants
Sur la pratique enseignante spécifique, liée à la séance observée :
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Pouvez-vous décrire la séance que vous venez de faire ?
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Si vous étiez amené à refaire cette séance, comment la feriez‐vous ? (Pouvez-vous décrire ce que vous auriez aimé faire ; ce qui vous a réussi ou bien ce que vous aimeriez changer ?)
Sur la pratique enseignante en général :
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Pouvez-vous décrire une séance habituelle en… (anglais, LP, mathématiques, sciences) ?
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Connaissez-vous les approches actuelles conseillées dans l’enseignement de… (anglais, LP, mathématiques, sciences) ?
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3. Avez-vous une matière que vous préférez ou dans laquelle vous êtes le plus à l’aise (vs. le moins à l’aise) ?
Sur la formation :
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Quelle formation avez-vous suivie pour devenir enseignant(e) ?
Sur la pratique parentale :
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Que pensez-vous des pratiques éducatives des parents de vos élèves ?
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Valorisent-ils l’école ? Apportent-ils (ou un membre de la famille) du soutien pour la préparation des activités scolaires ?
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Les pratiques éducatives parentales vous semblent-elles importantes pour la réussite des élèves ?
Culture(s) et langue(s) de l’enseignant :
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Quelles langues parlez-vous ?
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Quelle est (ou quelles sont) votre langue maternelle ?
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Si ce n’est pas une de vos langues familiales, comment avez-vous appris le tahitien ?
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À quelle(s) culture(s) vous identifiez-vous ?
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39Les parents ont également répondu à un questionnaire de « mesure des compétences éducatives parentales », conçu par Terrisse et Larose (2009). Ce questionnaire a été adapté au contexte du projet (cf. site du projet). Le questionnaire permet d’identifier les compétences éducatives parentales, référant plus aux composantes affective et conative des attitudes et moins à la composante cognitive (Pourtois, 1978). L’objectif de ce questionnaire est de permettre des analyses comparatives entre les conduites parentales quotidiennes (questionnaire) et les conduites parentales dans une activité à caractère cognitif (le style éducatif « épistémique ») (Ailincai, 2015).
40Les parents ont répondu aux questionnaires avant le début de l’activité. Étant donnée la longueur du questionnaire et les spécificités linguistiques des diverses îles, nous avons regroupé les parents afin qu’ils puissent avoir des éventuelles explications ou traduction des questions. Ainsi ils ont rempli le questionnaire en même temps, mais individuellement. Les questions étaient lues et/ou ou traduites par l’enseignante (ou bien par la directrice ou la conseillère pédagogique). Les parents devaient « cocher » la réponse qui leur semblait adaptée (cf. extrait présenté dans la figure 6).
Figure 6 : Extrait du Questionnaire (Terrisse et Larose, 2009) adapté à la Polynésie
- 2 Inspecteur de l’éducation nationale.
41Des autorisations pour filmer et enregistrer les enfants, les enseignants et les parents ont été rédigées et ensuite traduites dans les langues maternelles des îles concernées. Elles ont été envoyées dans les archipels pour signature, accompagnées d’un document descriptif pour une sensibilisation des acteurs au projet. Trois types d’autorisations ont été distribuées : l’accord des enseignants, l’autorisation des parents d’élèves (via le maître, sous couvert des IEN2) pour filmer les élèves en classe et l’autorisation des parents ayant accepté de participer à l’étude expérimentale (via les directeurs d’école, sous couvert des IEN) pour les filmer en interaction avec leur enfant.
42Le programme garantit l’anonymat des enseignants et des élèves. Les données primaires (films, enregistrements) sont strictement réservées à l’usage des chercheurs pour l’analyse des interactions. Aucune donnée primaire n’est communiquée à des tiers. Les transcriptions anonymées seront mises à la disposition de la communauté scientifique sur le site du projet. Des extraits de ces transcriptions peuvent être utilisés dans des publications scientifiques et des formations. Si certaines séquences enregistrées présentent un intérêt en formation en raison de leur exemplarité, une autorisation préalable de diffusion sera demandée à l’enseignant concerné avant toute utilisation.
43Nous rappelons le but du projet qui était, dans un premier temps, de réaliser un corpus d’enregistrements des situations éducatives en famille et en classe, à raison de huit films par archipel : quatre activités dans une île peuplée et quatre activités dans une île peu peuplée, plutôt isolée. Dans un second temps, ont été prévus des entretiens ouverts post-activité, tant avec les enseignants qu’avec les parents. In fine, nous avons prévu la transcription simple des enregistrements vidéo.
44Par rapport aux enregistrements prévus en classe, nous avons souvent dépassé le nombre des films et également accepté de la part des enseignants des propositions originales comme l’utilisation spontanée de l’approche EMILE. En effet, les analyses que nous allons effectuer sur ce type d’activité porteront sur l’enseignement/apprentissage des connaissances prévues tant dans la matière, que dans la LVE/LVR (langue vivante étrangère ou langue vivante régionale) : d’une part l’analyse des échanges entre les élèves, compréhension et acquisition des nouvelles connaissances dans les deux disciplines et, d’autre part, le type d’étayage déployé par le professeur (les stratégies d’enseignements utilisées). Quelques publications à ce sujet ont déjà été faites (Gabillon et Ailincai, 2016, 2017). Nous présentons par la suite les principales caractéristiques du corpus réalisé dans chaque archipel.
45Dans l’archipel des Australes, nous avons effectué neuf enregistrements dans les classes (sur huit enregistrements prévus dans le projet initial).
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Sur l’île de Rurutu, considérée dans le projet comme la plus isolée, nous avons filmé toutes les disciplines visées dans le projet. L’activité de mathématiques a fait l’objet de deux enregistrements : une activité classique et une autre activité réalisée en reo rurutu. Ce dernier type d’activité mentionnée correspond à l’utilisation de l’approche EMILE citée précédemment.
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Sur l’île de Tubuai, considérée dans le projet comme une île peuplée (présence de l’aéroport principal pour le groupe des îles Australes, dont elle est le chef-lieu), en plus des disciplines visées, a été filmée une autre séance de mathématiques, mais en anglais, participant ainsi à la réalisation d’un corpus spécifique de l’utilisation de l’approche EMILE avec des jeunes élèves en Polynésie.
46Les enseignants ont été volontaires et à l’initiative de la présentation des deux activités utilisant l’approche EMILE.
47Par rapport aux interactions épistémiques parent-enfant, dans l’archipel des Australes, vingt-deux parents ont participé à l’étude (sur huit prévus dans le projet) : dix parents à Tubuai et douze parents à Rurutu. À Tubuai, parmi les dix parents filmés, il y avait trois pères et sept mères. Toutes les activités ont eu lieu à l’école. À Rurutu, parmi les douze parents participant à l’étude il y avait trois hommes (deux pères et un grand-père) et neuf femmes (huit mères et une grand-mère). Quatre activités ont eu lieu à l’école, le reste des expérimentations ayant lieu dans la famille.
48Sur l’île de Mangareva, à Rikitea, deux séances ont été filmées dans l’école Maputeoa, une séance d’anglais et une séance de Mangarevien. Sur les îles de Fakarava et de Rangiroa ont été filmées treize activités, dans les quatre disciplines visées : quatre activités d’anglais, quatre activités de Reo, trois activités de sciences et deux activités de mathématiques.
49Concernant les interactions parent-enfant, sur l’île de Mangareva, à Rikitea, six parents ont été filmés. Le corpus de cette île est intéressant car les parents ont été filmés ou bien en interaction avec leurs deux enfants d’âge différent (CM1 et CM2) et du même genre (deux filles), ou bien les deux parents (mère et père) en interaction avec leur seul enfant (garçon). Ces différentes variables (âge et genre des enfants et aussi des parents) offrent la possibilité des analyses fines, en termes de style interactif parental selon les deux variables, âge et genre de l’enfant.
50Sur les atolls de Fakarava et de Rangiroa sept dyades ont été filmées : quatre dyades à Fakarava–Rotoava et trois dyades à Rangiroa, Tiputa et Avatoru. Dans quelques cas, les deux parents ont participé à l’activité. De plus, certaines familles ont opté pour réaliser l’activité chez eux, dans le cadre familial, d’autres dans une salle de classe à l’école. Ce critère se présentant également dans les autres archipels, une étude comparative des interactions parent-enfant selon le cadre environnemental pourrait être faite.
51Dans l’archipel des Marquises, les huit séances de classe prévues dans le projet ont été filmées sur l’île de Nuku Hiva. Quatre activités ont été filmées dans l’école située à Taiohae, le principal village de l’île ; et quatre autres activités ont été filmées dans les vallées plus isolées – il s’agit notamment des écoles d’Aakapa (anglais), Hatiheu (mathématiques), Taipivai (sciences) –. En plus de quatre disciplines prévues dans le protocole initial, une activité de sciences a été présentée en marquisien, afin de compléter le corpus utilisant l’approche EMILE dans les archipels.
52Les interactions parents-enfant ont été également recueillies à Nuku Hiva. Neuf dyades ont été filmées, deux à Taipivai, cinq à Taiohae, une à Hatiheu, une à Aakapa. Toutes les dyades ont été filmées à l’école, dans une salle de classe disponible. Lors de l’entretien avec le parent l’élève rejoignait sa classe. Ce contexte sera considéré comme un biais, les conduites des deux interactants (parent et enfant) pouvant être influencées par le cadre scolaire et le moment de la journée.
53Dans l’archipel de la Société, le recueil de corpus a été réalisé sur toute la durée du projet. Les enregistrements ont été réalisés dans les communes de Faa’a, Paea, Punaauia et Papeete (les écoles Faraheinui, Papehue, Tiapa, To’ata, Maehaanui – le corpus étant complété avec des enregistrements effectués à l’école "2+2 =4"). Une autre série d’observations a été réalisée à Bora-Bora. Comme prévu dans le projet, les quatre disciplines ont été filmées.
54Également, plusieurs activités de tahitien et anglais (huit à la place de deux prévues initialement) ont été filmées et trois en sciences. Il s’agissait des séances classiques (apprentissage de la LVE ou LVR) ou bien des séances utilisant l’approche EMILE.
55Pour le corpus d’interactions parentales de l’archipel de la Société nous avons réalisé quatorze films, cinq à Tahiti et quatre à Bora-Bora. Le corpus de Tahiti a la spécificité d’être formé de quatre activités scientifiques et de six activités de lecture d’un album en reo tahiti. La variable « contenu de l’activité » sera utilisée pour une analyse de la variabilité des pratiques parentales selon le type de contenu. Par ailleurs, le type d’activité (manipulation/tâtonnement versus lecture) pourrait avoir un impact également sur la conduite de l’enfant.
56Nous présentons dans la figure 7 deux captures d’images réalisées pendant le recueil du corpus des interactions en classe. L’image de gauche présente une vue d’ensemble de la classe, et réfère davantage à la pratique enseignante et aux interactions dans la classe. L’image de droite présente une capture de l’enregistrement qui s’intéressait à un ou deux élèves plus particulièrement, notamment à ceux qui seront ultérieurement filmés avec leur parent.
Figure 7 : Extrait d’activité de classe. À gauche, enregistrement frontal des interactions. À droite, enregistrement des élèves qui seront observés ultérieurement avec leur parent
57Les deux images présentes dans la figure 8 réfèrent à des postures parentales lors de la réalisation de la fiche évaluatives, après la réalisation de l’activité sur les circuits électriques.
Figure 8 : Images extraites des activités expérimentales avec les parents
58Le projet initial prévoyait des transcriptions simples, dites aussi « au kilomètre ». Finalement nous avons utilisé cette formule de transcription seulement pour les entretiens. Concernant les films, nous avons opté pour une transcription fine, à l’aide d’un logiciel de transcription professionnel, Elan (Eudico Linguistic ANnotator). Ce logiciel, en libre accès, exige une formation préalable à son utilisation et également est plus couteux en temps. Toutefois, il présente de multiples avantages, dont on citera : « la création d’annotations complexes sur les ressources vidéo et audio, un nombre illimité d’annotations aux sources audio et/ou vidéo, une annotation peut être une phrase, un mot ou un gloss, un commentaire, une traduction ou une description de n’importe quelle caractéristique observée depuis la source. Les annotations peuvent être créées sur les couches multiples, appelées des tiers. Les tiers peuvent être hiérarchiquement interconnectés » (Colón de Carvajal, 2013).
59De plus, le choix du logiciel se justifie également par la possibilité qu’il offre de créer autant de lignes (en anglais « tiers », littéralement « gradin ») qu’il y a d’intervenants qui prennent la parole ou qui effectuent des actions individuelles significatives. Cette possibilité qu’il offre est particulièrement intéressante dans le cas des transcriptions de séance de classe. Dans la figure 9 nous présentons une capture d’écran qui illustre bien cette possibilité.
Figure 9 : Capture d’écran de la transcription d’un enregistrement de classe avec le logiciel Elan
60Par ailleurs, concernant la transcription des enregistrements en classe, afin de faciliter l’identification des interactants, des numéros ont été apposés préalablement sur une capture d’image en guise de plan de classe (cf. figure 10).
61Le site du projet présente de manière détaillée le protocole de transcription du corpus et les consignes pour l’utilisation du logiciel ELAN adapté au projet PrEEPP.
62Nous avons également introduit une exigence supplémentaire dans la transcription des films, notamment la convention de transcription du « corpus verbal » (ICOR) de l’UMR 5191 ICAR (CNRS – Lyon 2 – ENS de Lyon) et la « Convention de transcription des gestes » (Mondada, 2008), ce qui est détaillé sur le site du projet.
Figure 10 : Identification des élèves sur une capture d’écran afin de faciliter la reconnaissance lors de la prise de parole
63Ces deux outils de transcription s’apparient très bien, car il est très souvent utile de renvoyer la transcription à une capture d’écran du geste et il est important de préciser à quel moment exact se réfère l’image. Or, dans le cas de l’utilisation du logiciel Elan, les codes sont directement introduits dans la page de transcription, par la création d’une ligne du non-verbal. L’utilisation de la convention ICOR facilitera des analyses ultérieures plus fines, correspondant aux codes utilisés dans les domaines de la sociolinguistique, de la psychologie et de l’éducation (cf. figure 11).
Figure 11 : Extrait de transcription de texte, exporté depuis le logiciel Elan.
À gauche une activité parent-enfant, à droite une activité de classe
64Ce type de transcriptions, étant d’une grande qualité, est très couteux en temps. Nous avons fait le choix de transcrire selon cette méthode seulement les activités scolaires et parentales qui, après un visionnage préalable, nous ont semblés être les plus représentatives.
65Nous présentons dans ce chapitre quelques perspectives d’analyse de ce corpus tant pour les interactions en classe que pour les interactions en famille. Au niveau macro, nous allons questionner les éventuels « écarts culturels » entre les deux milieux éducatifs en Polynésie, notamment la culture scolaire et la culture familiale par rapport à l’éducation de l’enfant. Au niveau micro, nous allons proposer plusieurs analyses comparatives référant aux différentes interactions recueillies, que nous présentons par la suite.
66Par rapport aux interactions en classe, la variable socioculturelle, notamment le contexte linguistique et l’isolement des îles, anime l’une des premières questions de recherche : peut-on identifier des conduites interactives spécifiques (enseignantes et/ou des élèves) selon le contexte linguistique et culturel de chaque archipel ? Afin de répondre à cette question des constantes ont été identifiés, notamment l’âge des enseignants, la formation initiale suivie, ainsi que l’âge des élèves (cycle 3, élèves de 9 à 11 ans), présentées plus amplement dans le chapitre population de l’étude. D’autres analyses comparatives pourront être menées. Nous en présentons ci-après quelques exemples.
67Analyse 1 : après identification des pratiques et stratégies d’enseignement des professeurs, nous allons rechercher l’existence possible d’un pattern interactif, spécifique à chaque archipel, pattern qui pourrait s’expliquer par les spécificités géographiques, socio-économiques et culturelles, selon le schéma ci-après.
Schéma 1
68Analyse 2 : une seconde analyse référant aux pratiques enseignantes portera sur la recherche des constantes de styles et stratégies d’enseignement selon la discipline. Seront étudiées les pratiques de tous les enseignants participants à l’étude, indépendamment de la variable sociolinguistique et culturelle. Existe-t-il une variabilité interactionnelle enseignant-élève(s) selon le type d’activités (langues polynésiennes ; anglais ; mathématiques ; sciences) ?
Schéma 2
69Selon les conditions rencontrées sur le terrain, nous avons adapté le protocole de manière à affiner ce type d’analyse. Par exemple, nous avons filmé deux fois un même professeur, mais sur des activités différentes, afin d’approfondir les résultats liés à la variabilité versus stabilité de styles et stratégies d’enseignement, pour un même enseignant, en fonction du type d’activité.
70Analyse 3 : le corpus nous permettra également de discuter les pratiques effectives (filmées) et les pratiques déclarées (lors de l’entretien), l’éventuel écart entre dire et faire.
Schéma 3
71Analyse 4 : en termes d’analyses disciplinaires, nous allons étudier les stratégies d’étayage utilisées par les enseignants lors d’une activité particulière : par exemple l’utilisation de l’approche EMILE (les sciences expérimentales en anglais ou encore les mathématiques en rurutu). Une recherche préalable (Gabillon et Ailincai, 2017) a déjà examiné si cette approche pouvait être appliquée efficacement avec des jeunes apprenants de niveau débutant. L’analyse s’est également intéressée aux éventuelles différences entre une activité type EMILE (L2) et une activité classique (L1) en ce qui concerne : a) l’enseignement/apprentissage du contenu disciplinaire (sciences) et de la LVE (anglais) ; b) l’intérêt des élèves pour les deux activités ; c) les types d’interactions utilisés en classe. Les résultats ont indiqué que : (1) l’utilisation de l’approche EMILE est possible avec des jeunes apprenants de niveau débutant ; (2) les échanges dialogiques peuvent être utilisés à la fois comme un moyen d’étayage pour le contenu et pour l’apprentissage des langues.
72Dans un premier temps, nous sommes intéressés par l’identification des styles interactifs des parents dans les cinq archipels. De la même manière que pour les enseignants, nous nous interrogeons sur l’influence du contexte et de la variable socioculturelle sur le style éducatif parental : quelles sont les pratiques éducatives familiales dans les cinq archipels considérés ? Constate-t-on une variabilité entre les différentes pratiques familiales, entre les cinq archipels, entre les familles habitant le même archipel ?
73Analyse 1 : une première analyse comparative s’intéressera à la variabilité interactionnelle « inter-archipels », entre les dyades ne partageant pas la même langue maternelle (cf. figure 12, image de gauche) : quel est le pattern interactif parental selon l’archipel ?
74Analyse 2 : une seconde analyse comparative se préoccupera de la variabilité interactionnelle « inter-îles », entre les dyades partageant la même culture, habitant le même archipel, mais sur des îles différentes (cf. figure 12, image de droite).
75Analyse 3 : une autre analyse comparative approfondira la variabilité interactionnelle « intra-île », entre les dyades appartenant au même groupe socioculturel, parlant la même langue maternelle et habitant le même site (cf. figure 13).
Figure 13 : Analyse de la variabilité interactive entre les dyades appartenant à la même île
76Cette analyse pourrait être synthétisée selon le schéma suivant :
Schéma 4
77Analyse 4 : in fine, une analyse comparative des pratiques parentales effectives et pratiques déclarées. Pour chaque dyade, les styles éducatifs épistémiques, observés suite à l’analyse des films, seront comparés aux styles éducatifs déclarés par les parents, lors de l’entretien final, après l’activité.
78Certains corpus étant très riches, comme celui des Australes et de l’archipel de la Société, plusieurs analyses pourront être effectuées selon les variables présentes, par exemple : les variables contexte familial versus scolaire, l’âge et genre des parents, le genre des enfants, les interactions dans la dyade grands-parents. L’ensemble de ces analyses comparatives facilitera les discussions et réflexions sur la problématique de départ, qui interrogeait la conduite et l’adaptation scolaire de l’enfant dans les deux contextes interactifs, scolaire et familial.
79Les questionnaires des parents sont en train d’être évalués à l’aide d’un outil créé à cet effet. Le questionnaire a été notamment rendu interactif. Il s’agit de sélectionner/cocher les réponses données par chaque parent (cf. figure 14) afin d’obtenir une analyse automatique à l’étape suivante du questionnaire (cf. figure 15).
Figure 14 : Extrait du questionnaire interactif, sur le site du projet
Figure 15 : Exemple du résultat par questionnaire renseigné
80Ce corpus des compétences quotidiennes pourra être discuté en référence aux pratiques observées lors des expérimentations (dans le cadre d’un tutorat dispensé dans des activités à caractère épistémique), afin d’étudier l’éventuel écart entre les conduites déclarées et pratiques effectives. Les résultats pourront également être discutés par rapport aux recherches ayant utilisées le même questionnaire. Ce questionnaire est également mis en libre-service sur le site du projet, afin de tester ses propres compétences éducatives : http://itereva.org/mompepe/frontend/index.php?page=6
81Ce travail avait comme objectif la constitution d’une base de pratiques éducatives en Polynésie française. Le corpus devait concerner les pratiques effectives et déclarées dans la classe et dans le milieu familial. Cet objectif a été largement atteint, aujourd’hui nous disposons de 52 films présentant les interactions en classe, dans quatre disciplines différentes et de 62 films présentant les interactions épistémiques en famille. Chaque film est accompagné d’un entretien final, cela constituant un corpus de 114 témoignages des pratiques déclarées. Nous avons réalisé un corpus supplémentaire d’environ 80 questionnaires portant sur les compétences éducatives parentales, recueillies à l’aide du questionnaire ECEP de Terrisse et Larose (2009) : 62 questionnaires ont été réalisés auprès des parents qui ont participé à l’étude, le reste de questionnaires complétant les données. En outre, des variables supplémentaires ont été introduites, comme l’âge et le genre des parents et enfants, variables qui permettrons des diversifier et affiner les analyses.
82Un site internet a été réalisé pour la mutualisation des outils de recueil des données et la présentation générale du projet et des résultats. Il présente l’organisation du projet, l’équipe, la logistique générale, les transcriptions réalisées, ainsi que la centralisation et l’analyse des questionnaires. Ce site est actuellement sur le point d’être finalisé à l’adresse suivante : http://www.itereva.org/mompepe/frontend/
83En termes de valorisation de la recherche, les données recueillies dans le cadre du projet PrEEPP ont déjà fait l’objet de cinq communications scientifiques dans des congrès nationaux et internationaux et de 14 publications dans des revues scientifiques et actes de colloques. D’autres publications sont en cours.
84Par ailleurs, les données issues de ce projet permettront la réalisation d’analyses scientifiques ultérieures qui fourniront aux professionnels de l’éducation des informations importantes liées, par exemple, aux pratiques de régulation en apprentissages des langues (française, tahitienne et anglaise) ; aux styles éducatifs interactifs et à leur efficacité dans les situations d’apprentissage ; aux relations entre les styles interactifs familiaux et scolaires et leur impact sur le développement de l’enfant. En outre, des analyses comparatives seront effectuées avec les pratiques éducatives dans d’autres collectivités d’Outre-mer, notamment en Guyane française et aux Antilles. Ces analyses seront discutées également dans le cadre des séminaires/ateliers de recherche au sein des ESPE correspondantes, en vue d’alimenter la réflexion sur la formation initiale et continue. Le corpus a aussi pour objectif de fournir des informations utiles pour l’élaboration de politiques éducatives favorisant la mise en œuvre des différents programmes de formation (par exemple : formations des enseignants ; sensibilisation des parents ; partenariat école/famille), adaptés aux caractéristiques des publics apprenants en contexte bi/plurilingue. L’objectif à moyen et long terme vise une amélioration des résultats scolaires des élèves de la Polynésie française et des autres collectivités d’Outre-mer.
85La vérification de l’hypothèse d’un possible écart entre les deux formats interactionnels (famille/école) pourrait, non pas tant résoudre la problématique de l’adaptation scolaire, mais contribuer à améliorer la formation des enseignants exerçant dans ces contextes et, par voie de conséquence, favoriser les conditions d’adaptation scolaire des élèves.
86Enfin, les résultats fourniront aux les enseignants des informations utiles pour des réflexions liées à l’adaptation de leur enseignement au contexte (physique et culturel). Il s’agirait de prendre en compte les spécificités de l’éducation familiale (notamment les styles interactifs parentaux) ; de prévoir un travail en concertation avec les intervenants en langue et culture maternelles (ILCM) ; ou encore d’étudier la possibilité d’une alphabétisation en langue maternelle à cinq et six ans, le français venant en complément et dans la continuité ; de développer le tutorat entre pairs et l’aide aux devoirs au sein de la famille, pour que les savoirs scolaires soient réinvestis en-dehors de l’école, selon un type relationnel familial traditionnel. La prise en compte de ces aspects et la collaboration avec les familles pourraient permettre une structuration harmonieuse de l’enfant, indispensable aux apprentissages scolaires, et pourrait limiter, sinon faire disparaître, les antagonismes entre les deux cadres éducatifs, informel et formel qui, pour les populations considérées, présentent des spécificités et écarts importants.