1Cet article pose un regard sur l’enseignement des sciences et technologie (désormais ST) dans un contexte d’exploitation d’outils numériques à l’école primaire (élèves âgés de 6 à 12 ans) dans les établissements scolaires du Québec au Canada (Gareau, 2022). Plusieurs rapports gouvernementaux et scientifiques sont clairs à ce sujet : la formation scientifique et technologique des enfants est nécessaire pour assurer le développement de compétences et de connaissances qui leur permettront de devenir des citoyens aptes à participer aux discussions et aux débats de demain (La Madeleine, 2014 ; MELS, 2006 ; MEQ, 2001 ; Samson, 2004). L’enseignement des ST s’avère un contexte fertile pour permettre aux élèves de mieux comprendre leur environnement et ainsi développer à la fois leur culture scientifique et technologique. Depuis quelques années déjà, le curriculum scolaire du Québec précise que « l’apprentissage de la science et de la technologie est essentiel pour comprendre le monde dans lequel nous vivons et pour s’y adapter. » (MELS, 2006 : 144). Par exemple, à l’école primaire, le cycle de l’eau est un concept enseigné aux élèves de façon à ce qu’ils comprennent tout le processus inhérent à ce cycle ainsi que l’impact que peuvent avoir les activités humaines sur ce dernier, notamment les changements climatiques.
2Malgré l’importance de l’enseignement des ST à l’école primaire, il semble, à la lumière de divers rapports (CSE, 1982, 2013) et de différentes études scientifiques (Couture, Dionne, Savoie-Zajc et Aurousseau, 2015 ; Milner, Sondergeld, Demir, Johnson et Czerniak, 2012 ; Minier et Gauthier, 2006), que cette discipline se situe dans un statut précaire. Couture et al. (2015) rappellent que le portrait actuel de l’enseignement des ST est similaire à celui observé dans les années 1980. Différentes raisons sont évoquées pour expliquer ce constat. En effet, devant un curriculum scolaire très chargé où on retrouve plusieurs connaissances à enseigner dans diverses disciplines, les enseignants manquent de temps pour couvrir l’ensemble de la matière et font parfois le choix de délaisser les ST au profit d’autres matières scolaires (Couture et al., 2015). À cela s’ajoute le faible sentiment de compétence qui ressort chez les enseignants, ainsi que le manque de formation, qui peuvent être des freins importants lors de l’enseignement des ST (Couture et al., 2015 ; CSE, 2013 ; Milner et al., 2012 ; Minier et Gauthier, 2006).
3Pour mieux soutenir les enseignants, des chercheurs (Chai, Jong, Yin, Chen et Zhou, 2019 ; Couture et al., 2015 ; Goodnough, Azam et Wells, 2019 ; MEES, 2018, 2019 ; Tavares, Vieira et Pedro, 2021) se sont questionnés sur l’apport possible de l’exploitation des outils numériques dans leurs pratiques d’enseignement en ST. Cette avenue s’inscrit dans un contexte où l’exploitation des outils numériques s’avère être un moyen pertinent pour amener des changements positifs dans les façons d’enseigner et d’apprendre des savoirs (Fowler et Leonard, 2021). Au Québec, les classes du primaire s’inscrivent dans un virage où l’usage des outils numériques est fortement encouragé. D’ailleurs, ce virage est soutenu par la mise en œuvre d’un Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur (PAN) (MEES, 2018) visait notamment à permettre aux enseignantes ainsi qu’aux élèves de développer leur Compétence numérique (MEES, 2019) lors de l’enseignement et de l’apprentissage de disciplines scolaires. Plus spécifiquement, le Réseau pour le développement des compétences des élèves par l’intégration des technologies de l’information et de la communication (RÉCIT) dans le domaine de la mathématique, de la science et de la technologie est un exemple de regroupement au Québec qui suggère d’envisager l’exploitation des outils numériques dans les pratiques d’enseignement afin de bonifier l’enseignement des ST au primaire.
4Parmi les études qui ont tenté de montrer la pertinence d’exploiter les outils numériques pour soutenir les pratiques d’enseignement en ST, certains constats ont émergé. Il ressort que les connaissances technologiques (Chai et al., 2019 ; Hechter et Vermette, 2014 ; Kersaint, Ritzhaupt et Liu, 2014 ; Tavares et al., 2021), pédagogiques (Goodnough et al., 2019 ; Hsiao et al., 2014 ; Hwang et al., 2014 ; Kung-Teck et al., 2013 ; Otrel-Cass et al., 2012 ; Töman et al., 2013) et disciplinaires (Akpinar, 2013 ; Isik-Ercan et al., 2014 ; Kerawalla et al., 2012) des enseignants influencent l’exploitation des outils numériques dans les pratiques d’enseignement. Tout d’abord, il appert que les pratiques d’enseignement qui reposent sur l’exploitation des outils numériques en ST sont tributaires des connaissances technologiques mobilisées par les enseignants du primaire. Certains enseignants ne semblent pas à l’aise avec l’utilisation des fonctionnalités offertes par les outils numériques dans l’enseignement des ST (Kersaint et al., 2014). Plusieurs enseignants se limiteraient à des applications d’animations ou de jeux (Hechter et Vermette, 2014 ; Tavares et al., 2021). Ainsi, il apparait que des connaissances technologiques restreintes ne permettraient pas une exploitation réussie des technologies et ainsi une bonification des pratiques d’enseignement, a fortiori dans le domaine des ST (Chai et al., 2019 ; Kersaint et al., 2014). De plus, il est à noter que les enseignants du primaire recourent à certaines technologies de façon limitée, comme le TNI (Hechter et Vermette, 2014) à cause de leurs connaissances technologiques restreintes.
5Ensuite, il émerge dans un contexte d’exploitation des outils numériques que les pratiques d’enseignement reposent sur des connaissances pédagogiques dans lesquels les enseignants doivent les mettre à profit afin de faciliter leur enseignement des ST. Parmi les résultats relevés, ceux de Hsiao et al. (2014) révèlent qu’une approche mettant en valeur l’utilisation des jeux numériques comparativement à une approche traditionnelle permettrait aux enseignants de bonifier leurs pratiques d’enseignement en ST. De plus, le fait d’opter, par exemple, pour l’intégration de la vidéo (Otrel-Cass et al., 2012) et de la cartographie conceptuelle (Hwang et al., 2014) dans une approche constructiviste soutient l’enseignement des ST en favorisant les échanges, en contribuant aux discussions, en permettant la construction de réseaux de connaissances et en favorisant la résolution de problèmes. L’étude de Kung-Teck (2013), pour sa part, montre le fait que de connaître certaines approches pédagogiques (support didactique et réalisation d’activités intégratrices) en lien avec l’utilisation des outils numériques permet de mieux soutenir les pratiques d’enseignement en ST. Toutefois, l’étude de Töman et al. (2013) spécifie que les connaissances pédagogiques de certains enseignants sont parfois insuffisantes, notamment sur le plan des potentialités offertes par les outils numériques lors de l’enseignement des ST. L’étude de Goodnough et al. (2019) ajoute que le sentiment d’efficacité des enseignants au regard du recours aux outils numériques peut influencer leurs pratiques d’enseignement ainsi que l’engagement des élèves dans leurs apprentissages en ST.
6Enfin, des études montrent que l’exploitation des outils numériques dans les pratiques d’enseignement influence les connaissances disciplinaires des enseignants lorsqu’ils enseignent en ST. En effet, à l’issue de l’étude d’Akpinar (2013), il semble qu’une bonne connaissance des contenus à enseigner permet de mieux soutenir l’enseignement des ST lors de l’intégration des outils numériques. Ce constat est aussi avéré dans l’étude de Kerawalla et al. (2012). Enfin, à l’instar d’Isik-Ercan et al. (2014), le fait de bien connaître les stratégies didactiques liées à l’apprentissage de certaines notions plus abstraites comme les phénomènes en astronomie, par exemple, les amène à mieux soutenir leur enseignement.
7Bien que les études posent un lien entre les pratiques d’enseignement intégrant des outils numériques en ST ainsi que les connaissances technologiques, pédagogiques et disciplinaires, il demeure qu’elles le font en vase clos, c’est-à-dire qu’elles perçoivent les connaissances technologiques, pédagogiques et disciplinaires comme étant séparées et non comme étant un tout faisant partie d’un ensemble. Malgré le fait que plusieurs études s’intéressent aux retombées de l’exploitation des outils numériques sur l’enseignement et sur les apprentissages, peu d’études se sont ainsi penchées sur l’arrimage des trois types de connaissances. Une étude plus en profondeur des pratiques d’enseignants du primaire au regard des connaissances à mobiliser a permis de mieux comprendre comment les outils numériques peuvent bonifier l’enseignement des ST. À notre connaissance, aucune étude n’avait été réalisée jusqu’à maintenant en lien avec cet objet de recherche au Québec. Cette problématique a mené à la question de recherche suivante : de quelles façons sont mobilisées les connaissances technologiques, pédagogiques et disciplinaires dans les pratiques d’enseignement d’enseignants québécois de niveau primaire exploitant les outils numériques en ST ?
8Rappelons que cet article s’inscrit dans un contexte où l’enseignement des ST au primaire est précaire et que les outils numériques sont de plus en plus intégrés dans les milieux scolaires. En cohérence avec cette situation, l’article porte sur l’étude des connaissances mobilisées par les enseignants du primaire exploitant les outils numériques pour soutenir leurs pratiques d’enseignement en ST. Pour répondre à la question de recherche, la définition de certains éléments conceptuels est nécessaire. On y retrouve les concepts suivants : les ST, les outils numériques, les pratiques d’enseignement ainsi que les connaissances mobilisées.
- 1 La technologie doit être considérée ici au sens de l’ingénierie, par exemple des engrenages, et non (...)
9Le curriculum scolaire au Québec distingue « sciences » et « technologie » en présentant le sens de chacun à l’intérieur de la formation scientifique et technologique des élèves du primaire. D’un côté, les sciences visent « à décrire et à expliquer le monde, le monde qui entoure les élèves, y compris les divers phénomènes naturels » (MELS, 2006 : 144). De l’autre côté, la technologie1 « applique les découvertes de la science tout en contribuant à son développement » (MELS, 2006 : 144), et ce, en tentant de répondre aux besoins technologiques des humains. Dans le cadre de la présente recherche, les ST ainsi que les outils numériques sont jumelés. Afin d’éviter toute confusion entre « technologie » et « outils numériques », il est important de clarifier la nuance.
10Le MEES (2019) différencie les types d’outils numériques en trois catégories : outils numériques disciplinaires (pour l’enseignement et l’apprentissage d’une discipline), outils numériques pédagogiques (pour l’enseignement et l’apprentissage dans une situation pédagogique) et outils numériques technologiques (pour l’enseignement et l’apprentissage des compétences technologiques). Il est ainsi possible de constater que le terme « outils numériques » ne renvoie pas seulement au côté technique du numérique, mais aussi aux diverses retombées qu’il peut avoir pour l’enseignement et l’apprentissage. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce terme est retenu et défini comme étant des outils en mesure d’influer sur la pédagogie, sur la discipline ainsi que sur la compétence numérique.
11Le terme « pratiques d’enseignement » est largement décrit par plusieurs auteurs (Araújo-Oliveira, 2012 ; Bru et Talbot, 2001 ; Charlier et al., 2002 ; Clanet et Talbot, 2012 ; Lefebvre, 2005 ; Lenoir et al., 2012 ; Spallanzani et al., 2001). Pour sa part, Lefebvre (2005) relève que les pratiques d’enseignement sont attribuées aux actions que pose l’enseignant en classe avec ses élèves. Pour certains auteurs, dont Araújo-Oliveira (2012), Lenoir et al. (2002) ainsi que Spallanzani et al. (2001), les pratiques d’enseignement reposent sur l’intervention éducative ciblée pendant différentes phases : les phases préactive, active et postactive. Il est retenu, au regard des auteurs cités précédemment, que ces pratiques se mobilisent aussi avant et après les pratiques déployées devant les élèves. En effet, il est considéré que ces pratiques sont issues d’intentions et de choix pédagogiques planifiés en amont et en aval de la séquence d’enseignement qui ont comme finalité l’apprentissage des élèves (Bru et Talbot, 2001). Bien que cette présente recherche se soit intéressée aux trois phases de l’enseignement, l’article ci-présent porte spécifiquement sur la phase active de l’enseignement.
12Pour définir le terme « connaissances mobilisées », la recherche s’appuie sur le modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009) illustré à la figure 1. Ce modèle définit différents types de connaissances (pédagogiques, disciplinaires, technologiques ainsi que leurs interrelations) et le contexte dans lequel elles sont mobilisées.
Figure 1 : Traduction libre du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009)
13Le modèle TPaCK est le fruit de plusieurs années de modifications et d’adaptations. En effet, il repose sur le modèle de Shulman (1986), qui déjà, à l’époque, s’intéressait aux connaissances pédagogiques et disciplinaires des enseignants. Au fil des années, plusieurs auteurs (Angeli et Valanides, 2009 ; Bachy, 2013 ; Chai et al., 2013 ; Mishra et Koehler, 2006) ont repris et adapté le modèle de Shulman pour un contexte d’exploitation d’outils numériques. Diverses manifestations observables agissent comme indicateurs pour catégoriser les pratiques d’enseignement au regard des connaissances mobilisées par les enseignants. Le tableau 1 présente des exemples de manifestations observables selon la connaissance mobilisée dans les pratiques d’enseignement.
Tableau 1 : Définition de connaissances mobilisées au regard des manifestations observables à partir du modèle TPaCK de Koelher et Mishra (2009)
Connaissances
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Manifestations observables du modèle TPaCK
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Technologiques
(T)
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– Exploitation de matériel informatique
– Habiletés à communiquer à l’aide d’outils numériques
– Préparation de supports visuels à l’aide d’outils numériques
– Réalisation de plusieurs tâches qui impliquent les outils numériques
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Pédagogiques
(P)
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– Connaissances des processus, pratiques et méthodes d’enseignement
– Bonne compréhension des théories d’apprentissage
– Connaissances des processus d’évaluation et de gestion de classe
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Disciplinaires
(C)
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– Connaissances des contenus à enseigner
– Connaissances liées aux concepts, aux procédures et aux théories du domaine
– Connaissances de la nature des savoirs à enseigner
– Connaissances des obstacles épistémologiques
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Technopédagogiques
(TP)
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– Connaissances relatives aux outils numériques en contexte d’enseignement et d’apprentissage
– Connaissances des potentialités des outils numériques lors d’une leçon, d’un projet ou d’une autre activité pédagogique
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Technologiques axées sur la discipline (TC)
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– Connaissance de la façon d’aborder du contenu à l’aide d’outils numériques
– Connaissance des potentialités d’un outil pour l’enseignement de contenu
– Connaissance des limites et des avantages de l’outil numérique en fonction de l’objet traité
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Pédagogiques axées sur la discipline (PC)
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– Connaissance de l’organisation des contenus et de leur appropriation par les élèves
– Connaissances des modalités favorisant l’apprentissage d’un contenu spécifique, notamment en faisant des liens avec les nouvelles notions et les connaissances antérieures
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Technopédagogiques axées sur le contenu disciplinaire (TPC)
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– Compréhension et négociation des relations entre les connaissances technologiques, pédagogiques et disciplinaires
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14Le modèle TPaCK a fait l’objet d’une brève mise à jour en 2019 par rapport à la clarification du contexte. Cette clarification était d’ailleurs souhaitée par plusieurs chercheurs qui soulignaient ce flou conceptuel (Chai et al., 2013). En effet, le contexte du modèle TPaCK de Koehler et Mishra est dorénavant identifié comme étant la connaissance X (Mishra, 2019). Cette connaissance X correspond aux connaissances contextuelles de l’enseignant en lien tout d’abord avec les facteurs personnels et pédagogiques qui peuvent influencer les connaissances T, P et C, par la suite avec la disponibilité du matériel et pour finir avec les politiques institutionnelles. Pour ce qui est des facteurs personnels et pédagogiques, il est possible de faire référence à la vision et à l’intérêt de l’enseignant au regard du recours à de nouvelles stratégies pédagogiques ou à des outils numériques pouvant soutenir son enseignement. Du côté de la disponibilité du matériel, cela réfère au choix et à la possibilité de recourir à des outils numériques fonctionnels pour l’enseignement et les apprentissages. Enfin, pour les politiques institutionnelles, cela fait référence à la vision de l’école, au projet éducatif de celle-ci ou aux différentes orientations prescrites par le ministère en place.
15L’objectif général de cette recherche porte sur l’étude de l’interrelation entre les connaissances pédagogiques, disciplinaires et technologiques des enseignants qui exploitent en classe les outils numériques en vue de soutenir leurs pratiques en ST pour chaque phase de l’enseignement. Considérant que cet article présente un volet de la présente recherche, c’est-à-dire les données provenant de la phase active de l’enseignement, l’objectif poursuivi ici vise au regard du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009) à identifier et à décrire les connaissances mobilisées dans les pratiques d’enseignement d’enseignants du primaire à la phase active en ST.
16Cette recherche en est une qualifiée de qualitative à visée descriptive et s’inscrit dans un pôle interprétatif. Pour faire état de la recherche, la démarche méthodologique, les participants, les outils de collectes de données ainsi que l’analyse des données sont présentés.
17Pour répondre aux objectifs poursuivis dans l’actuelle recherche, l’étude multicas (Merriam, 1988 ; Miles et Huberman, 1984 ; Stake, 2006) a été retenue comme méthode de collecte des données. Considérant la nature de cette méthode, il a été important de bien sélectionner les cas. Pour ce faire, il a été décidé d’opter pour un déroulement de la sélection des cas en quatre temps : (1) envoi de courriels aux directions d’école et aux conseillers pédagogiques pour solliciter la candidature d’enseignants ; (2) sélection des participants à partir de critères inspirés des études de Bernet et Karsenti (2013), Kung-Teck et al. (2013), Sun et al. (2014) et Töman et al. (2013) pour guider nos choix. Parmi ces critères se retrouvent la nécessité d’exploiter des outils numériques dans l’enseignement des ST au primaire, la reconnaissance des pairs comme étant un utilisateur des outils numériques et l’intérêt manifesté par l’enseignant pour participer à la recherche. Au total, 7 enseignants ont répondu à l’appel et 5 enseignants ont été retenus ; (3) rencontre avec chaque enseignant retenu pour discuter des modalités de la recherche et de leur intérêt ; (4) passation d’un sondage d’enquête (Raby, 2004) pour mieux connaître le contexte d’enseignement des participants.
18Le déroulement de la collecte de données s’est réalisé en trois temps, et ce, pour chaque enseignant. Tout d’abord, il y a une entrevue semi-structurée d’une durée d’environ 60 minutes pour la phase préactive de l’enseignement. Par la suite, plusieurs périodes d’observation en classe ont été planifiées pour consigner des données de la phase active de l’enseignement. Enfin, une entrevue semi-structurée d’une durée approximative de 60 minutes a été réalisée pour la phase postactive de l’enseignement. Le présent article fait état spécifiquement des données issues des périodes d’observation réalisées lors de la phase active de l’enseignement.
19Les cinq participants à la recherche proviennent d’école primaire francophone du Québec (Canada). À des fins de confidentialité, des pseudonymes leur ont été attribués : Julie, Line, Manon, Alice et Luc. Le tableau 2 présente sommairement le portrait de chacun de ces participants au regard de leur genre, de leur expérience en enseignement, du niveau scolaire enseigné, du nombre d’élèves et du sujet enseigné en ST. Tous les enseignants enseignent au deuxième et/ou au troisième cycles du primaire, c’est-à-dire de la quatrième année à la sixième année. L’âge des enfants varie de neuf à douze ans. De plus, il comprend le nombre de périodes d’observation réalisées en classe.
Tableau 2 : Portrait global des enseignants participant à la recherche
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Cas 1
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Cas 2
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Cas 3
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Cas 4
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Cas 5
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Pseudonyme
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Julie
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Line
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Manon
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Alice
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Luc
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Genre
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Femme
|
Femme
|
Femme
|
Femme
|
Homme
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Expérience d’enseignement (années)
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10
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20
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20
|
3
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2
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Niveau enseigné
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5e
(10-11 ans)
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6e
(11-12 ans)
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4e
(9-10 ans)
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4e et 5e
(9-11 ans)
|
4e
(9-10 ans)
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Nombre d’élèves
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22
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25
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25
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24
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18
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Sujet enseigné
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Saisons/
Germination
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Robotique
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5 sens
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Caractéristiques des feuilles
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Projet d’ingénierie
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Périodes d’observation
(≈ 1 heure chacune)
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2
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4
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3
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8
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4
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20Pour répondre à l’objectif de ce volet de la recherche à la phase active de l’enseignement, un outil de collecte de données a été utilisé : l’observation de terrain. Pour favoriser une observation neutre et sans interaction de la part du chercheur, une première période d’acclimatation avec les élèves a été planifiée. L’objectif étant que la venue du chercheur en classe ne distrait pas les élèves et l’enseignant. Afin de concevoir une grille d’observation, la Grille d’observation des pratiques TIC de l’enseignant (GopTICe) de Raby (2004) a été sélectionnée. L’argumentaire qui a mené à s’inspirer de cette grille repose sur le fait que cette auteure s’est intéressée aux pratiques d’enseignement avec le numérique. En effet, cette grille permet, selon Raby (2004), de « [c]onsigner les caractéristiques de la séance d’observation, de l’enseignant, du groupe et de la leçon, de décrire l’ambiance et les évènements de la classe, de cibler et décrire les séquences particulièrement intéressantes et de noter toutes autres informations pertinentes » (p. 68). La grille comprend donc trois sections. La première section porte sur les données contextuelles. À travers ces données, l’intention du chercheur est d’identifier l’école, l’enseignant, le groupe, le niveau, la période, la date, l’observateur et le code de l’observation. La deuxième section traite de données pédagogiques. Tout d’abord, les caractéristiques (nombre d’élèves, caractéristiques des élèves, projet éducatif particulier, etc.) du groupe sont définies. Par la suite, un plan de la classe est dessiné afin d’avoir un aperçu de la disposition de l’enseignant, des élèves et du matériel pédagogique incluant les outils numériques. Puis, la nature de l’activité est identifiée ; par exemple, elle peut être une leçon ou un projet. Les outils numériques exploités ainsi que les savoirs essentiels abordés en classe sont identifiés. Aussi, une section est dédiée aux commentaires de l’observateur au besoin. La troisième section porte plus spécifiquement sur les pratiques observées en classe au regard des connaissances issues du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009). Les indicateurs présentés dans le tableau 1 ont permis d’une part, de bien identifier les diverses connaissances mobilisées et d’autre part, de dégager des liens entre ces connaissances et les pratiques d’enseignement dans un contexte bien défini.
21Afin de bien circonscrire chacun des cas, plusieurs périodes d’observation ont été nécessaires. Ce nombre a varié d’un enseignant à l’autre considérant la nature du projet, la planification de l’activité, le nombre de périodes d’observation prévu, le déroulement général de la séquence d’enseignement et les besoins du chercheur quant à la vérification de certaines données.
22L’ensemble des observations a été retranscrit dans un document à des fins d’analyse. Pour procéder à cette analyse, chaque élément observé par le chercheur a été catégorisé dans une grille associée aux connaissances mobilisées issues du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009). Chaque unité de sens et chaque manifestation issue des observations qui se rapportent à la définition de ces connaissances (voir le tableau 1) ont été codées et catégorisées. De plus, chaque élément contextuel a également été consigné dans la grille de façon à être analysé par le chercheur. Cette analyse de contenu est à la fois déductive et inductive. Elle est déductive puisque des catégories, c’est-à-dire les définitions proposées par Koehler et Mishra (2009), existent déjà au regard des connaissances mobilisées par les enseignants. La catégorisation des unités de sens est ainsi structurée selon une codification qualitative (Anadón et Guillemette, 2006 ; Miles et Huberman, 2003) permettant de mieux identifier et décrire les connaissances mobilisées dans les pratiques d’enseignement lors de l’exploitation des outils numériques en ST. Elle est aussi inductive puisqu’à partir des données recueillies, des manifestations de connaissances et des éléments contextuels ont émergé des propos des enseignants. Cette approche inductive, comme le souligne Merriam (2009), permet de mieux interpréter les données codées au regard du modèle retenu, c’est-à-dire le TPaCK de Koehler et Mishra (2009).
23Pour assurer la validité du codage des éléments observés, une double validation à l’aveugle a été réalisée sur les données obtenues à cette étape de la collecte. À la suite du premier tour de double validation, le chercheur n’était pas satisfait des résultats et a donc procédé à un deuxième tour de validation afin de s’assurer de la clarté de la grille de codage. Cette insatisfaction pouvait, par exemple, être en lien avec la confusion entre l’identification de certaines stratégies didactiques et certaines stratégies pédagogiques. Avec succès, le taux de validation a été de 100 %.
24Dans le cadre de cet article, les résultats sélectionnés représentent les faits saillants du portrait des cinq participants, et ce, au regard des objectifs ciblés. Ainsi, la structure des résultats fait ressortir la prédominance des connaissances mobilisées dans chaque cas. Il est donc à noter que cela n’exclut pas le fait qu’il y ait eu d’autres types de connaissances mobilisées par les participants. Cette section est divisée en trois parties. La première traite de l’interaction entre l’enseignant, les élèves, le contenu disciplinaire ainsi que les outils numériques. La deuxième porte sur les diverses stratégies pédagogiques dans un contexte d’exploitation des outils numériques. La troisième s’intéresse à l’utilisation des outils numériques pour soutenir l’enseignement des ST.
25Les résultats issus des observations dans les classes de Manon et de Line révèlent que leur contexte d’enseignement semble propice à l’émergence de connaissances TPC. Ayant toutes les deux 20 années d’expérience en enseignement, ces deux enseignantes présentent des contextes similaires. Du côté de Manon, elle enseigne en quatrième année auprès d’élèves (n=25) d’environ 9-10 ans. Elle préconise une approche d’enseignement basée sur l’enseignement en grand groupe, l’enseignement coopératif, la résolution de problèmes et les différentes démarches employées en ST. Dans son enseignement en classe, il a été observé que l’usage d’un outil numérique pour soutenir son enseignement lui a permis d’aborder de façon concrète avec ses élèves des concepts en lien avec la thématique des cinq sens (ouïe, odorat, toucher, goût, vue). En effet, elle s’est appuyée de différentes vidéos (une vidéo par sens) disponibles sur la plateforme YouTube. L’objectif était de permettre à ses élèves d’en apprendre davantage sur les caractéristiques de chaque sens et de compléter en collaboration un document qu’elle avait conçu. Pour l’enseignante, il était fort important de maintenir l’interaction entre les élèves, le contenu disciplinaire ainsi que la vidéo projetée au tableau numérique interactif (TNI). À la lumière du modèle TPaCK (Koehler et Mishra, 2009), cette adéquation s’inscrit dans la connaissance TPC. Comme présenté dans la figure 2, il est possible d’observer que l’enseignante est en mesure d’arrimer à la fois un outil numérique (TNI et vidéos sur YouTube), des contenus disciplinaires (cinq sens) ainsi qu’une stratégie pédagogique (travail collaboratif en équipe-classe).
Figure 2 : Manifestation d’une connaissance TPC par Manon dans la phase active de l’enseignement
26Du côté de Line, elle enseigne en sixième année auprès d’élèves (n=25) de 11-12 ans. L’enseignante privilégie une approche d’enseignement par projet où les élèves sont constamment actifs dans leurs apprentissages. Elle aime leur faire vivre des expériences de résolution de problème dans un contexte de coopération. Souhaitant aborder la robotique pédagogique avec ses élèves, Line a décidé d’opter pour l’usage des iPad et plus spécifiquement de la programmation à l’aide de l’application Mindstorm. L’intention de Line était de permettre aux élèves de s’engager activement dans la démarche d’apprentissage et ainsi de susciter leur motivation. Ainsi, en classe, les élèves ont dû se familiariser avec les fonctionnalités de l’application afin de programmer leur robot, ce dernier ayant été construit par eux-mêmes étape par étape. En fonction du modèle TPaCK (Koehler et Mishra, 2009), il est possible d’observer que cette manifestation s’inscrit comme étant une connaissance TPC. En effet, l’arrimage entre le recours à l’iPad comme outil de programmation, l’ensemble de construction de robotique en ST ainsi que la préoccupation de l’enseignante par rapport à l’impact de l’activité sur l’engagement et la motivation des élèves se rapportent à la connaissance TPC comme illustré à la figure 3.
Figure 3 : Manifestation d’une connaissance TPC par Line dans la phase active de l’enseignement
27Le contexte d’enseignement a mené certains enseignants à mobiliser des connaissances technopédagogiques. Il ressort des observations menées dans les classes d’Alice et de Julie une grande préoccupation quant à l’usage des outils numériques par les élèves. En effet, dans les deux cas, une période d’appropriation des outils numériques a été nécessaire. Enseignante depuis trois ans dans une classe (n=24) en quatrième et cinquième année, Alice apprécie mobiliser l’investigation scientifique comme approche didactique en ST. Au laboratoire informatique, Alice a demandé aux élèves d’effectuer des recherches en lien avec les caractéristiques des feuilles récoltées préalablement dans la cour de l’école. Pour assurer une recherche efficace et ainsi permettre de développer de bonnes méthodes de travail dans un environnement numérique, Alice a pris soin de modéliser l’usage des moteurs de recherche en expliquant l’importance d’utiliser de bons mots-clés. Cette modélisation a permis aux élèves de développer leurs compétences informationnelles et ainsi procéder à une recherche d’informations fiables. À la lumière du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009), la figure 4 montre ainsi le lien entre l’usage des outils numériques à des fins de recherche d’information ainsi que la stratégie pédagogique employée par Alice pour s’assurer que les élèves puissent bien s’approprier l’usage des moteurs de recherche.
Figure 4 : Manifestation d’une connaissance TP par Alice dans la phase active de l’enseignement
28Enseignante depuis dix ans dans une classe (n=22) de cinquième année, Julie préconise l’enseignement en grand groupe dans sa classe ainsi que les projets collaboratifs en ST. D’ailleurs, dans le cadre de l’activité observée en classe, les élèves devaient travailler en coopération afin de réaliser les tâches demandées par l’enseignante. Ces tâches consistaient à consigner les différentes étapes de leur progression en lien avec la démarche scientifique entamée autour de la thématique des saisons. Faisant face à diverses problématiques liées à la gestion de classe (répartition difficile des tâches dans l’équipe par les élèves) et de données (document effacé par un élève), Julie a dû prendre le temps de modéliser à l’avant de la classe une opérationnalisation réussie du travail d’équipe en simulant le rôle que devait jouer chaque élève au sein de cette même équipe. L’objectif étant ici que les élèves puissent s’approprier l’usage de l’iPad et d’un document collaboratif en ligne (Google Documents) dans un contexte coopératif. Tel que défini par le modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009), la figure 5 montre la mobilisation de connaissance TP par Julie considérant l’arrimage entre la modélisation du travail d’équipe via la simulation des rôles de chaque membre de l’équipe ainsi que les méthodes de travail efficaces pour le travail collaboratif en ligne assisté de divers outils numériques.
Figure 5 : Manifestation d’une connaissance TP par Julie dans la phase active de l’enseignement
29Dans certains contextes d’enseignement, l’usage des outils numériques permet de soutenir davantage l’enseignant. C’est le cas de Luc, enseignant dans une classe (n=18) de quatrième année depuis deux ans, qui a mobilisé des connaissances TC dans ses pratiques d’enseignement comme le montre la figure 6. Les approches pédagogiques qu’il préconise dans ses pratiques sont principalement les projets de recherche ainsi que l’enseignement magistral. Lors des périodes d’observation, Luc a soutenu son enseignement magistral en projetant au TNI un diaporama illustrant divers mécanismes afin d’expliquer aux élèves les erreurs les plus fréquentes lors de la fabrication du produit dans le cadre d’une démarche technologique. En effet, ces mécanismes présentaient diverses erreurs de fabrication à ne pas répéter par les élèves lors de la conception de leur produit. À la lumière du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009), il est possible d’identifier l’arrimage de l’utilisation du TNI en support à la présentation de divers mécanismes d’erreurs de conceptions technologiques comme étant une connaissance TC mobilisée par Luc.
Figure 6 : Manifestation d’une connaissance TC par Luc dans la phase active de l’enseignement
30Rappelons l’objectif de recherche poursuivi dans cet article qui est d’identifier et de décrire les connaissances mobilisées à la lumière du modèle TPaCK dans les pratiques d’enseignement d’enseignants du primaire à la phase active en ST. On observe dans les résultats que l’usage des outils numériques se fait à géométrie variable selon les divers contextes d’enseignement et/ou les cas. En effet, il ressort une mobilisation des connaissances TPC, TP et TC chez les participants rencontrés. Dans cette section, des pistes de discussion inhérentes aux divers contextes de l’enseignement permettront d’expliquer les résultats ci-haut obtenus. Pour ce faire, trois pistes sont retenues : la disponibilité et le choix des outils numériques, la culture institutionnelle et le sentiment de compétence des enseignants.
31Dans l’actualisation du modèle TPaCK par Mishra (2019), la disponibilité du matériel et le choix des outils numériques se sont avérés être des facteurs fort importants dans la mobilisation des connaissances à la fois technologiques, pédagogiques et disciplinaires. En effet, comme le mentionnent Chai et al. (2013), l’accès à des outils fonctionnels peut faciliter ou restreindre la possibilité chez les enseignants d’exploiter des outils numériques en vue de soutenir leurs pratiques d’enseignement et les apprentissages. Dans le cadre de cette recherche, il convient de mentionner que les outils numériques utilisés par les participants n’étaient pas toujours pleinement fonctionnels ou en mesure de répondre aux intentions pédagogiques de départ des enseignants. Par exemple, du côté d’Alice, le pavé tactile de son TNI était défectueux. Bien qu’elle ait été en mesure d’amener ses élèves dans un laboratoire informatique pour leur permettre de manipuler les ordinateurs et ainsi de réaliser leur projet, il demeure qu’en classe, il était difficile pour elle de pleinement mobiliser ses connaissances TPC. Son TNI ne lui permettait tout simplement pas d’interagir à la fois avec les contenus disciplinaires et les élèves. Pour favoriser l’engagement et la créativité de ses élèves, il a donc fallu qu’elle ajuste son enseignement et qu’elle déplace ses élèves dans le laboratoire informatique afin qu’ils puissent prendre part activement aux activités d’apprentissage. Malgré les connaissances technologiques qu’elle a au regard du TNI, la défectuosité de l’appareil lui a rendu la tâche plus difficile et ne lui a pas permis de favoriser une exploitation interactive du tableau dans l’enseignement des savoirs en ST. Ce résultat s’arrime avec les constats d’autres études s’étant penchées sur l’usage du TNI en classe (Al-Qirim, 2011 ; Samson et al., 2016 ; Skutil et Maněnová, 2012).
32Par ailleurs, il est possible d’expliquer que la variation de la mobilisation des connaissances TPC, TP et TC en phase active repose dans la planification du choix des outils numériques pour soutenir l’enseignement et les apprentissages. Comme le précisent Hechter et Vermette (2014), Kerawalla et al. (2012), Kung-Tech et al. (2013) ainsi que Mulet et al. (2019), la planification d’une séquence d’enseignement qui prend en compte le choix et les apports des outils numériques pour l’enseignement des ST, les savoirs en ST à enseigner et diverses stratégies pédagogiques permettant d’engager activement les élèves jouera un rôle important dans la façon de mobiliser les diverses connaissances T, P et C. Par exemple, du côté de Line, une planification rigoureuse de l’usage des tablettes électroniques dans un contexte où les élèves devaient programmer des robots lui a permis d’atteindre un de ses objectifs qui était de soutenir l’engagement et la motivation de ses élèves à travers l’apprentissage de savoirs en ST. Comme le précisent Goodnough et al. (2019), cette compréhension du choix et des apports des outils numériques pour l’enseignement d’une discipline suggère un contexte d’apprentissage engageant pour tous les apprenants. Du côté de Luc, malgré le fait qu’il ait souhaité que ses élèves puissent activement recourir au TNI pour soutenir leurs apprentissages lors de la construction de leur prototype, cela ne s’est toutefois pas concrétisé en phase active de son enseignement. Contrairement à Line, les retombées anticipées par Luc ne lui ont pas permis d’amener ses élèves à utiliser le TNI à son plein potentiel d’où la mobilisation accrue de connaissances TC dans son cas. Il est possible qu’une meilleure planification de l’usage de cet outil lui ait permis de mobiliser davantage de connaissances TPC dans sa pratique lors de la phase active. Un manque de formation en lien avec une planification qui met de l’avant l’arrimage entre les intentions pédagogiques ainsi que les retombées potentielles des outils numériques envisagés peut, comme l’avance Mastafi (2015), être à l’origine de ce constat.
33La culture institutionnelle semble avoir joué un rôle important dans la variation de la mobilisation des connaissances T, P et C chez les participants. Du côté de Line, de Manon et de Julie, ces enseignantes préconisent dans leurs pratiques d’enseignement une approche où la coopération occupe une grande place dans l’apprentissage. Pour ces participantes, l’élève doit être constamment actif dans ses apprentissages. Comme le soulignent Chai et al. (2013), la culture institutionnelle qui comprend notamment la philosophie de l’école, son projet éducatif de même que sa vision teinte les pratiques d’enseignement. Certaines écoles, à vocation particulière, peuvent d’ailleurs favoriser la mobilisation des connaissances T, P et C. C’est le cas de l’école de Line où l’on favorise une approche de type « pédagogie par projet ». Dans ce type d’approche, les élèves sont constamment en action et ils doivent développer leur autonomie, et ce, aussi dans un contexte où l’on exploite les outils numériques. Line a mobilisé des connaissances TPC tout au long de la phase active de son enseignement. Sa vision de l’enseignement de même que la culture de son institution auront favorisé cette mobilisation de connaissances TPC.
34Pour Manon et Julie, l’enseignement par projet occupe également une grande place considérant le projet éducatif de l’école qui mise sur une approche où les élèves sont au centre de leurs apprentissages et doivent développer une grande autonomie, y compris dans l’usage des outils numériques. Considérant que l’enseignement des ST pose un réel défi pour les enseignants du primaire (Couture et al., 2015 ; Milner et al., 2012 ; Minier et Gauthier, 2006), ce contexte où les outils numériques ont pu être laissés aux mains des élèves a pu favoriser une mobilisation accrue des connaissances T, P et C chez les participantes.
35Le sentiment de compétence des enseignants peut s’avérer être un bon prédicteur quant à la mobilisation des connaissances T, P et C du modèle TPaCK comme l’indiquent Chai et al. (2019). En effet, Stockless et al. (2018) ainsi que Chai et al. (2019) soulignent qu’un bon sentiment de compétence lié à l’exploitation des outils numériques peut conduire à une mobilisation accrue de connaissances TPC. Au contraire, un enseignant en début de carrière avec moins d’expérience pourrait, par exemple, connaître certaines difficultés par rapport à l’exploitation réussie des outils numériques dans son contexte d’enseignement. Dans le cadre de la présente étude, ce constat est ressorti pour certains participants. Dans le cas de Line, une enseignante d’expérience se qualifiant comme étant « excellente » dans l’exploitation des outils numériques en classe, elle a mobilisé plusieurs connaissances TPC tout au long de la phase active. Quant à Luc, un enseignant possédant peu d’expérience et se qualifiant comme étant « moyen » dans l’exploitation des outils numériques en classe a manifesté de façon moindre des connaissances TPC au profit des connaissances TC.
36Pour accroître leur sentiment de compétence et pour inspirer les enseignants en début de carrière ou novice en matière d’exploitation des outils numériques, Stockless et Beaupré (2014) rappellent l’importance de poursuivre des formations spécifiques. Ces formations doivent, selon eux, mettre de l’avant l’apport pédagogique des outils numériques sur les pratiques d’enseignement. Plus spécifiquement, de nombreux auteurs (Callahan et al., 2015 ; Hughes et al., 2020 ; Ling Koh, 2019 ; Sugar et van Tryon, 2014) mentionnent qu’il pourrait s’avérer pertinent d’amener les enseignants à se questionner sur l’arrimage de leurs pratiques d’enseignement entre les diverses phases d’enseignement. L’idée étant d’assurer une cohérence entre les phases d’enseignement au regard des connaissances mobilisées par les enseignants.
37Cet article dresse un portrait des pratiques d’enseignement en ST dans un contexte d’exploitation d’outils numériques. Plus spécifiquement, il permet, au regard du modèle TPaCK de Koehler et Mishra (2009), d’identifier et de décrire certaines connaissances mobilisées par des enseignants lors de la phase active de l’enseignement. Ainsi, il ressort à la suite de l’analyse des données issues des observations menées en classe que les enseignants mobilisent principalement des connaissances TPC, TP et TC. Devant une situation où l’enseignement des ST s’avère parfois difficile pour les enseignants du primaire, il apparait que l’usage des outils numériques a pu soutenir les participants. Les retombées de ce support ont eu un impact variable d’un enseignant à l’autre.
38En effet, même si les enseignants avaient l’intention d’arrimer l’usage des outils numériques avec l’enseignement des ST et ainsi de mobiliser des connaissances TPC, il demeure qu’en classe, cela s’est parfois traduit autrement. Pour expliquer ce constat, certains éléments contextuels ont été identifiés : la disponibilité et le choix du matériel, la culture institutionnelle ainsi que le sentiment de compétences des enseignants au regard de l’usage des outils numériques. D’ailleurs, ces éléments contextuels sont en cohérence avec les résultats obtenus dans le cadre d’autres recherches (Chai et al., 2013 ; Chai et al., 2019 ; Goodnough et al., 2019 ; Mastafi, 2015 ; Stockless et al., 2018) s’étant intéressés à la valeur ajoutée de l’usage des outils numériques dans les pratiques d’enseignement.
39Pour aller plus loin, il serait fort pertinent de poursuivre les recherches et de questionner les pratiques d’enseignement exploitant les outils numériques au regard du Cadre de référence de la compétence numérique (MEES, 2019). Ce cadre de référence a été mis sur pied au Québec dans le but de permettre aux enseignants, aux élèves ainsi qu’aux citoyens de développer leur compétence numérique selon 12 dimensions inhérentes à l’usage d’outils numériques. En effet, il s’avérait intéressant de tisser des liens entre la compétence numérique des enseignants et les connaissances qu’ils mobilisent dans leur enseignement. Cela pourrait s’effectuer dans la formation initiale des enseignants (par exemple en stage) et dans la formation continue. De cette façon, les enseignants pourront mieux comprendre d’une part, les enjeux liés à l’usage des outils numériques et d’autre part, profiter des retombées technologiques, pédagogiques et disciplinaires de ces outils numériques.