1Dans le système scolaire anglais, il subsiste un déséquilibre de l’enseignement de la grammaire dans les classes d’anglais langue maternelle/langue de scolarisation, et les classes de langues étrangères (désormais LÉ). Les enseignants du cycle primaire enseignent peu la grammaire dans leur classe (Hudson et Walmsley, 2007). À l’inverse, les enseignants de LÉ du cycle secondaire ont naturellement recours à des descriptions, de nature implicite ou explicite, sur l’objet même d’enseignement : la langue.
2De ce déséquilibre nait un constat sans appel : les élèves entamant le cycle secondaire ne possèdent pas, ou très peu de notions grammaticales dans leur langue. La transition entre les cycles primaire et secondaire se révèle complexe, tout particulièrement dans le domaine des langues étrangères : comment l’enseignant est-il amené à décrire une langue à des apprenants qui n’ont pas, ou peu été confrontés à la grammaire de l’anglais ?
3Nous souhaitons explorer les pratiques grammaticales et analyser l’emploi de la terminologie grammaticale, et plus précisément les variations autour du concept d’infinitif.
4Le premier volet de notre contribution expose le cadre contextuel dans lequel s’ancrent les problématiques liées à l’enseignement de la grammaire en Angleterre. Elles constituent l’arrière plan contextuel de notre recherche et participent à une meilleure interprétation des résultats. Dans un deuxième temps, nous présentons le concept de contextualisation avant d’introduire quelques résultats d’analyse.
5À l’instar de Chiss et Cicurel (2005 : 6), nous souscrivons à l’idée qu’ : « En s'intéressant aux contextes, on fait entrer dans le champ de la didactique la pluralité des conditions de transmission des savoirs, on considère comme déterminant le poids des facteurs nationaux, linguistiques, ethniques, sociologiques et éducatifs ». L’analyse de certains éléments contextuels parait nécessaire et pertinente pour la compréhension des pratiques enseignantes. De là, notre propos se mue en une réflexion centrée non seulement sur l’étude des terminologies grammaticales employées en classe de langues mais en un questionnement actualisé, qui imbrique les pratiques grammaticales observées au contexte global, c'est-à-dire, à l’environnement dans lequel les enseignants opèrent.
6En effet, les variables contextuelles, relevant de dimensions diverses, modifient naturellement les situations d’enseignement-apprentissage des langues. Peut émaner du contexte global une myriade de facteurs qui influe sur les pratiques enseignantes. Mais pour autant, il est primordial de ne pas perdre de vue qu’il s’agit bien de l’enchevêtrement d’éléments contextuels divers, instables, muables, qui concourent à créer un contexte global dynamique, contexte au sein duquel l’enseignant fait des choix sur les pratiques à adopter. Il nous semble éclairant de resituer la situation actuelle concernant l’enseignement de la grammaire en Angleterre afin de mieux comprendre les désaccords existant autour de la question de la grammaire.
- 1 Nous avons traduit « comprehensive schools » par « école unique ».
- 2 Notamment la théorie de l’apprentissage naturel (Krashen et Terrell, 1983).
- 3 The Education Reform Act.
7L’enseignement de la grammaire décline dès les années 1960 lors de l’essor du modèle de l’école unique1 ; on assiste alors peu à peu à « la mort de la grammaire » (Hudson et Walmsley, 2007 : 593) dans les classes d’anglais comme de langues étrangères. Les enseignants d’anglais, souhaitant rompre avec les méthodologies traditionnelles trop centrées sur la langue, évacuent la dimension grammaticale (Hudson et Walmsley, 2007). Par ailleurs, les influences des recherches acquisitionnistes du continent nord américain2 et l’avènement de l’approche communicative ont contribué à l’abandon total de la grammaire dans les classes de langues étrangères. La réforme de 19883 vient rompre avec le mouvement anti-grammaire qui s’était pérennisé. De cette réforme découle le premier curriculum national qui impose un retour en force de la grammaire dans les programmes d’enseignement d’anglais. Dès lors, « le grand débat sur la grammaire » (Klapper, 1997) se réactive dans un climat de tensions. La grande majorité des enseignants opposés au retour de la grammaire craignent une régression pédagogique et un retour à l’enseignement de l’anglais normé (Paterson, 2010).
- 4 « Afin de comprendre les débats actuels portant sur le rôle de la grammaire et la connaissance de l (...)
- 5 « [….] on n’enseignait pratiquement pas de grammaire dans les écoles publiques alors que l’on conti (...)
8Parallèlement à l’introduction du curriculum national, se met en place une politique des marchés scolaires qui cloisonne un peu plus le système scolaire entre secteurs privés et publics, sélectifs et non-sélectifs, laissant entrevoir des différences de pédagogies et de contenus importantes. Les marqueurs sociaux sont à nouveau visibles dans le système scolaire. Clark souligne que le clivage entre les classes sociales est perceptible à travers l’apprentissage des langues : « To understand current debates about the role of grammar and knowledge about language in the UK English school curriculum, one has to understand the ways in which language is inextricably linked with notions of social class »4 (Clark, 2010 : 38). La grammaire devient synonyme d’érudition et d’élitisme et le fossé se creuse entre l’enseignement de l’anglais dans les écoles publiques et privées : « […] virtually no grammar at all was taught [in any state schools], though it persisted in some fee-paying schools »5 (Hudson, à paraître).
9Bien que depuis les années 1980 on voit renaître un enseignement grammatical dans les classes d’anglais et de langues, les représentations et la période de déclin ont contribué à établir une culture grammaticale modeste dans les établissements publics d’Angleterre. Dès lors, les élèves qui intègrent le secondaire n’ont bien souvent qu’une connaissance limitée en grammaire et possèdent peu de compétences analytiques nécessaires à l’étude d’une première langue étrangère. À cela s’ajoute un manque cruel de métalangage grammatical destiné à expliciter la langue étrangère, celle qu’on ne peut que décrire lorsqu’on ne la parle pas encore. Vasseur et Grandcolas font déjà état de cette situation en 1997, lorsqu’ils rapportent les impressions de stagiaires français, en formation dans une école britannique : « Les stagiaires déplorent massivement l'absence de connaissances grammaticales en langue maternelle et donc la difficulté à structurer l’apprentissage de la nouvelle langue sans s’appuyer sur un métalangage précis. Ils désespèrent de pouvoir, faute d'outils terminologiques et d’entraînement à l’analyse chez les élèves, faire un travail réflexif sur la langue » (Vasseur et Grandcolas, 1997 : 125).
- 6 Tel que défini par le groupe de recherche GRAC (Grammaire et contextualisation) : « Grammatisation (...)
10Pourtant, il est difficile de concevoir un enseignement purgé de toute grammaire dans la classe de LÉ, qu’elle soit implicite ou explicite (Besse, 1980). La réflexion linguistique peut bien être insufflée par l’emploi d’un métalangage grammatical approprié (issu des grammaires de référence ou des grammaires pédagogiques par exemple), transformé et adapté à un public non-grammatisé6. Par ailleurs, les recommandations curriculaires récentes recommandent l’usage de terminologies grammaticales. Il est donc légitime de s’interroger sur la nature de la terminologie employée dans les classes de langues étrangères
- 7 Pour ne citer qu’eux : le projet de recherche GRAC, ou bien encore le projet CECA (Culture d’Enseig (...)
11L’objectif de la didactique contextualisée serait de « répondre aux insuffisances des adaptations le plus souvent pratiquées qui sont souvent des placages ou ressentis comme tel de dispositifs élaborés “hors contexte” » (Anciaux, Forissier et Prudent, 2013 : 147). De nombreuses études en didactique des langues tendent également vers une didactique des langues contextualisée7. Celle-ci permettrait de prendre en compte les phénomènes contextuels pesant dans les situations d’enseignement apprentissage des langues étrangères.
12Dans le cadre de l’enseignement-apprentissage de la grammaire du français, Beacco appuie le constat de Anciaux, Forissier et Prudent (2013) et explique que : « les activités grammaticales continuent à privilégier les grammaires extérieures, c’est-à-dire l’exposition des apprenants à des descriptions élaborées en dehors de leur capital métalinguistique et des ressources pour l’apprentissage que constituent les langues de leur répertoire » (Beacco 2014 : 20).
- 8 Pour définir les savoirs savants, nous reprenons la définition donnée par Beacco : « Par savoirs sa (...)
13Du point de vue de notre étude, nous remarquons également un décalage entre le contexte de la classe et les outils pédagogiques. Ainsi, les méthodes d’enseignement des LÉ sont fondées sur le postulat que les apprenants possèdent, à leur entrée au collège, une connaissance explicite relative de la grammaire de l’anglais (langue de scolarisation) issue des enseignements dispensés en cycle primaire. Les auteurs de manuels de langues étrangères par exemple, répertorient des formes de descriptions de la langue en ayant naturellement recours à un métalangage grammatical savant8. Il est alors commun de lire dès l’année 7 (équivalent de la 6ème dans le système scolaire français) un métalangage explicite dont les dénominations « verbe », « nom », « adjectif », « genre » pour ne citer qu’eux, sont employées à des fins descriptives. Les apprenants sont alors confrontés à des terminologies qu’ils ne maîtrisent pas dans leur langue maternelle. Nous nous interrogeons alors sur la façon dont l’enseignant de langue aborde la question de la terminologie : emploient-ils ou non des concepts terminologiques pour décrire le système de la langue cible ? Si oui, peut-on voir des formes adaptées ou contextualisées au public non-grammatisé ?
14Afin de procéder à une étude comparative de l’emploi du métalangage grammatical, nous avons constitué un corpus de six observations de classe de LÉ provenant de trois établissements publics de la banlieue de Londres. Le contexte social diffère considérablement selon le statut des écoles et le milieu géographique dans lequel elles se trouvent :
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- 9 Les academies sont des établissements autonomes qui peuvent avoir plusieurs sources de financement. (...)
L’école A est une école publique financée par les autorités locales (comprehensive school). Elle est située dans la banlieue éloignée de Londres dans une zone désindustrialisée et dans laquelle le taux de chômage est relativement élevé. Les faibles taux de réussite à l’examen final mettent en péril le maintien de l’école, en menace de fermeture définitive ou en possible reconversion en Academy9.
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- 10 Il s’agit de la banlieue proche de Londres (celle qui ceinture le Greater London : Grand Londres). (...)
L’école B vient récemment d’être convertie en Academy. Elle jouit depuis peu de nouvelles infrastructures et d’une plus grande flexibilité par rapport au curriculum national. Elle est située dans le Inner London10, dans une zone ou le taux de chômage est également élevé.
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L’école C est une Grammar School, école publique sélective située dans la banlieue proche de Londres.
15Nous avons conduit six observations de classes sans préférence relative à la langue enseignée, considérant que le travail métalinguistique ne dépend pas spécifiquement d’une langue. Les langues les plus enseignées au collège étant majoritairement le français, puis, en deuxième position, l’espagnol, notre corpus est composé de quatre leçons de français et de deux leçons d’espagnol. Nous avons privilégié les classes de Year 7 et Year 8 (6ème et 5ème), considérant que c’est dès leur entrée au collège que les enseignants introduisent des formes de métalangage. Six entretiens semi-directifs provenant des enseignants observés complètent le corpus d’observations.
Tableau 1 : Aperçu du corpus
École A
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École B
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École C
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Enseignant
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Matière
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Enseignant
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Matière
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Enseignant
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Matière
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1
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français
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3
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espagnol
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5
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espagnol
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2
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français
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4
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français
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6
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français
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16À partir des transcriptions, nous avons relevé les termes désignant l’infinitif. Afin d’interpréter les motifs de variations terminologiques, les données obtenues ont été croisées, lorsque cela était possible, avec les dires des enseignants recueillis lors des entretiens.
17Les indices de fréquence de l’emploi du terme infinitif nous ont dirigé vers l’étude des désignations utilisées dans les différents établissements.
18Le discours des enseignants est truffé d’appellations tout à fait surprenantes ; elles relèvent d’une terminologie innovante, imaginée et imaginaire. L’éclectisme terminologique est révélé ci-dessous à travers un continuum que nous avons élaboré et qui rend compte de la déclinaison des termes employés allant de la désignation la plus savante, à savoir l’infinitif, à la non-désignation, à savoir ici, l’identification par un code couleur.
Tableau 2 : Aperçu des désignations qualifiant le verbe infinitif
19La comparaison des termes permet de montrer comment les formes d’adaptation s’éloignent progressivement de la référence savante. Il est alors possible de mesure l’écart entre la forme normée/savante à s’avoir l’infinitif et les terminologies inventées qui s’en éloignent progressivement :
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- 11 Au sens où l’entend Beacco à propos de la grammaire ordinaire : « communément admis en grammaire fr (...)
La désignation verbes en -er/ -ir/ -re est en relation étroite avec le terme infinitif puisque celle-ci décrit la forme infinitive par le biais des trois groupes verbaux (se terminant en -er/ -ir/ -re). Il s’agit d’une description que l’on qualifierait d’ordinaire11 car elle souvent utilisée dans les manuels et permet d’aborder la conjugaison sous un angle ordonné.
-
Les désignations suivantes, beaucoup plus innovantes : the naked verb, the raw verb, the verb in its purest form ont été regroupées puisqu’elles insufflent une notion imagée de la forme infinitive. Elles indiquent toutes, à leur façon, la spécificité même de la forme infinitive qui est de ne pas contenir de marques temporelles ou de marques de personnes. On peut comprendre alors le verbe nu comme le verbe sans ses habits, c'est-à-dire sans ses marques de temps, de personnes. Le verbe cru sera certainement cuit une fois conjugué, et que dire encore du verbe dans sa forme la plus pure ? Probablement qu’il deviendra un verbe de forme composite ou dissolue par les diverses marques qu’on y apposera. Ces trois formes ont un écart modéré avec la référence infinitif dans le sens où elles décrivent le verbe infinitif à l’aide du terme verbe.
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- 12 Nous ne nous attachons pas à commenter les termes doing word ou action word qui posent souvent prob (...)
Dans ce sens, elles se coupent des désignations suivantes qui occultent la notion de verbe pour faire place à une description encore plus accessible par les termes mot qui fait et mot action. Ces derniers serviraient à identifier la forme infinitive ou encore le verbe dans les phrases. L’idée de l’action/de l’agir communique l’idée que le verbe (dans toutes ses formes) est un agent dynamique de la phrase et qu’il est reconnaissable par le fait que les actions sont toujours décrites par des verbes12.
- 13 On ne peut, à ce stade, qu’apporter des interprétations au langage descriptif employé par les ensei (...)
- 14 Nous proposons ce terme.
20Cet éclectisme terminologique reflète l’effort des enseignants à transposer les savoirs ordinaires en savoirs accessibles aux apprenants13. Ces transformations se font souvent par le biais de l’image et témoignent d’une grande source d’inventivité de la part de l’enseignant. Et d’ailleurs, bien qu’on puisse parler de discours adapté, on pourrait surtout qualifier ces terminologies de personnalisées14 dans le sens où elles portent toutes la marque de la créativité de l’enseignant.
21Le continuum des descriptions de l’infinitif ne correspond pas à un emploi homogène dans les trois écoles observées. En effet, si l’on recoupe les terminologies avec le contexte scolaire dans lesquels elles sont employées, force est de constater qu’il existe une variation selon les écoles et au sein de chacune d’entre elles.
Tableau 3 : Aperçu de la variation terminologique autour du verbe infinitif
École A
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École B
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École C
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doing word
code couleur
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the infinitive
verbs in –er / -ir / -re
the naked verb
the raw verb
the verb in its purest form
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the infinitive
verbs in –er / -ir / -re
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22Les désignations que l’on qualifiera de plus savantes telles que l’infinitif ou ordinaires tels que les verbes en -er/ -ir/ -re sont les plus utilisées. Néanmoins, ces formes se retrouvent surtout dans le discours des enseignants de l’école C. Notons que les enseignants ne recourent pas à des formes imagées dans cette école.
23Que peut-on déduire de cette synthèse ? Probablement que les usages varient en contexte, mais selon quel critère ? La gestion des discours de nature métalangagière est parfois expliquée dans les entretiens recueillis, ces propos corroborent l’hypothèse que laisse deviner le tableau 3 : la terminologie grammaticale varierait selon le type d’établissement dans lequel les enseignants exercent, et, probablement selon le contexte social.
24Les extraits suivants évoquent tous la contrainte du milieu dans lequel les enseignants exercent.
- 15 « J’adapte ma langue pour parler LEUR langue. Si je commence à employer des mots chics “qu’est-ce q (...)
École A : « I adapt my language to speak like THEIR language, if I start speaking posh words "what’s the infinitive ?", "what’s the verb conjugation ?" [ton moqueur], they will just start thinking "what’s going on ? what are you talking about ? are you all right ?" »15.
École A : « Ici les élèves ils viennent de milieux difficiles si on commence à leur parler de verbe, participe passé, d’accord de l’adjectif et cetera c’est fini !»
25Les deux extraits issus de deux entretiens d’enseignants exerçant dans l’école A tendent à indiquer que le contexte « milieux difficiles » ne leur permet pas d’adopter un métalangage grammatical plus savant : « verbe, participe passé, accord de l’adjectif, etc. ». Ce métalangage est perçu comme une langue étrangère à part, inconnue des élèves de la classe si l’on en croit l’enseignante qui fait bien la distinction entre « leur langue » et « ma [sa] langue ». On identifie clairement le fossé qu’il existe entre la terminologie officielle, lourde de représentations, qui est associée à un langage chic pour reprendre les propos de l’enseignante : « si je commence à employer des mots chics ». L’analogie entre « langage chic » et métalangage montre que, d’après l’enseignante, la transmission explicite des terminologies est incompatible avec le public de l’école A, considérant que ces derniers ne seraient pas à même de comprendre de quoi on leur parle : « qu’est-ce qu’il se passe ? De quoi vous parlez ? Vous-vous sentez bien ? ».
26Les extraits issus de l’école B témoignent du poids du statut d’Academy auquel l’établissement appartient désormais :
École B : « on essaye de faire de plus en plus de grammaire, d’ailleurs maintenant qu’on est une Academy c’est plutôt mieux ».
27Il semblerait que la conversion en Academy permette à cet enseignant d’envisager un renouveau méthodologique : « faire de plus en plus de grammaire ». Sa collègue, en revanche, considère que le milieu dans lequel elle exerce « Inner London » ne lui permet pas d’enseigner trop de grammaire (« à fond dans l’enseignement de la grammaire »). Elle adopte une approche grammaticale en fonction du « contexte urbain » :
École B : « là on enseigne dans ce qu’on appelle Inner London, en contexte urbain… y a plein de trucs qui font que on peut pas vraiment aller… vraiment à fond dans l’enseignement de la grammaire, donc faut essayer de contourner tout ça et de trouver un moyen ».
28Dans le cas de l’école C, on assume sans ambages l’emploi de « vrais mots », que l’on peut comprendre comme un métalangage grammatical savant :
École C : « on est dans une Grammar school quand même, donc on essaie de relever le niveau, on va essayer de faire plus de grammaire avec les vrais mots pour expliquer ».
29Par ailleurs, l’enseignante souhaite « relever le niveau », c’est-à-dire, se distinguer des autres types d’écoles, en particulier des écoles non-sélectives, en prônant un apprentissage des langues fondé sur une grammaire « vraie ».
30L’interprétation des résultats nous permet-elle de mentionner une contextualisation du discours grammatical ?
31Si l’on considère, à l’instar de Marcel que « […] les processus de contextualisation désignent l’ensemble des relations interactives entre l’enseignant et le contexte en cours d’action » (Marcel, 2002 : 104), on peut estimer que le facteur social constitue une partie de cet ensemble et pèse sur le contexte en cours d’action, à savoir l’utilisation du métalangage. En effet, les enseignants semblent indiquer que le facteur social a une influence sur leur discours.
32L’emploi de la terminologie varierait fortement selon :
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le contexte scolaire dans lequel les enseignants exercent : « academy, grammar school » ;
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l’environnement dans lequel les établissements sont situés : « Inner London, milieu urbain, milieux difficiles ».
- 16 Nous proposons ce terme. Il s’agit d’identifier des types de contextualisations didactiques qui se (...)
33Il est à considérer que le métalangage s’actualise selon le contexte dans lequel se situe l’enseignement-apprentissage des langues. Il s’agirait alors de ce que l’on pourrait identifier comme une contextualisation localisée16.
34Pour autant, il est possible de suggérer qu’il s’agit davantage d’une adaptation du discours. Notons qu’une enseignante de l’école A précise : « J’adapte ma langue pour parler LEUR langue ». Il s’agirait alors d’utiliser un langage à un public d’apprenants jugés moins « aptes » à apprendre et à conceptualiser le métalangage savant d’une langue. Dans ce cas, l’adaptation du discours pourrait s’apparenter à une forme de différenciation anticipée mais pour le moins peu justifiée. Néanmoins, l’adaptation du discours serait pensée en fonction de l’environnement dans lequel l’enseignant opère.
35Dans les deux cas, et à travers l’exemple de la variation terminologique, il est toujours possible de percevoir la corrélation entre enseignement-apprentissage des langues et environnement social (Clark, 2010).
36Consciente des limites de notre étude, nous ne sommes pas en mesure de généraliser les analyses et leurs interprétations. Cependant, il nous semble important de considérer la dimension sociale comme un facteur contextuel de grande influence dans l’enseignement des langues. Par ailleurs, nous pensons que la frontière entre adaptation et contextualisation est relativement fine et qu’elle mériterait d’être plus approfondie.
37Plusieurs questions, en guise de perspective de recherche, se profilent : l’adaptation/la contextualisation des savoirs est-elle toujours forcément positive ? Dans le sens où, comme nous l’avons vu, elle peut être déterminée, partiellement ou non, par le facteur social (l’environnement). Si les apprenants possèdent le même antécédent linguistique (culture grammaticale faible), pourquoi privilégier le paramètre social comme facteur capital de la transformation des savoirs ? Car même si l’intention est noble, ne se dirige-t-on pas vers une inégalité des apprentissages linguistiques ?