- 1 Depuis les années 1970, les francophones de la Saskatchewan ont adopté le nom « Fransaskois » pour (...)
1Dans les provinces et les territoires canadiens où le français revêt un statut minoritaire, le poids démographique des personnes ayant le français comme langue maternelle (L1) tend à diminuer. À titre d’exemple, en 2001, 1,7 % de la population de la Saskatchewan, l’une des trois provinces des Prairies, a déclaré le français comme L1 ; en 2021, ce pourcentage a toutefois baissé à 1,1 (Statistique Canada, 2019, 2022). Selon la Charte canadienne des droits et libertés, par ailleurs, tout parent qui a lui-même été scolarisé en français à l’ordre élémentaire peut faire scolariser ses enfants dans cette langue (Foucher, 2010 ; Thibeault et Fleuret, 2020). Cette charte, mise en vigueur en 1982 et visant la protection des langues officielles là où elles sont minoritaires, assure ainsi l’existence du Conseil des écoles fransaskoises (CÉF)1, lequel administre 15 écoles où le français est la langue d’enseignement (CÉF, 2021a). Qui plus est, à l’instar de plusieurs conseils scolaires de langue française dans différents contextes minoritaires du Canada (Division scolaire franco-manitobaine, 2012 ; Gouvernement de l’Ontario, 2022), le CÉF permet à d’autres élèves – anglophones ou immigrants – de se joindre à sa communauté en leur octroyant ce qu’il nomme une permission d’admission (CÉF, 2021b). Pour obtenir une telle permission, les parents doivent formellement faire une demande en expliquant les raisons qui les motivent à vouloir faire scolariser l’enfant dans le système scolaire fransaskois ; cette demande est par la suite évaluée par un comité mandaté pour gérer l’admission de ces élèves, comité qui peut choisir d’en accepter ou d’en évacuer la candidature.
2Les écoles de langue française en contexte minoritaire, situées là où la langue hégémonique anglaise est utilisée par la majorité des citoyens, sont ainsi le lieu privilégié de socialisation en français pour plusieurs élèves (Gauthier et Cormier, 2017 ; Plessis-Bélair et al., 2020). Dans cette optique, les acteurs scolaires se soucient constamment de créer des espaces où les élèves peuvent apprendre et s’épanouir en français (Fédération canadienne des enseignants, 2014). Cependant, étant donné que la langue de l’école est fréquemment confinée à ses murs et, plus particulièrement, à ceux de la salle de classe, elle revêt un caractère quelque peu artificiel pour plusieurs (Blain et al., 2018 ; Cavanagh et Blain, 2009). L’anglais peut donc se faire une langue de communication entre élèves (Mady, 2019), ce qui mène parfois à l’adoption, par les écoles, de règlements décourageant son usage et promouvant des mécanismes incitatifs d’émulation qui visent l’usage exclusif du français (Bangou et al., 2021 ; Fleuret et al., 2013). Puisqu’ils vivent en outre une exposition fluctuante au français à l’extérieur de l’environnement scolaire, et parce qu’ils évoluent dans un milieu éducatif qui tend à mettre seulement en valeur les usages linguistiques auxquels recourent les communautés qui sont jugées légitimes (le Québec, par exemple) (Levasseur, 2017, 2020), les élèves ne perçoivent pas toujours la langue de l’école comme un outil de communication leur permettant de participer à des conversations authentiques avec autrui. Par le fait même, plusieurs se sentent peu interpelés par la mission que poursuit l’établissement scolaire, celle d’assurer la pérennité du groupe francophone.
3Par ailleurs, les élèves qui sont scolarisés en français en contexte minoritaire, en raison des particularités sociolinguistiques mentionnées précédemment, affichent des compétences hétérogènes en ce qui concerne la langue d’enseignement (Cavanagh et al., 2016), compétences qui sont souvent inférieures à celles de leurs pairs du même âge scolarisés en contextes majoritaires (Groupe DIEPE, 1995 ; Thibeault et al., 2018). En outre, dans le domaine de la compréhension en lecture, les apprenants des contextes francophones minoritaires tendent à afficher des performances plus faibles en comparaison avec leurs homologues scolarisés en anglais (Blain, 2023 ; Conseil des ministres de l’Éducation, 2019). Afin de les soutenir dans le développement de compétences fécondes en français et de les amener à déconstruire le sentiment d’artificialité qu’ils peuvent se construire à son égard, la collectivité de recherche a mis en avant des propositions didactiques qui sont susceptibles d’orienter le travail enseignant. À titre d’exemple, certains préconisent le recours à des approches plurilingues, des approches dans le cadre desquelles les langues que connaissent les élèves sont valorisées et mises à profit lorsqu’on leur enseigne le français (Moore et Sabatier, 2014 ; Lory et Prasad, 2020 ; Thibeault et al., 2022). D’autres relèvent quant à eux la pertinence de l’enseignement de contenus relatifs à la langue dans l’ensemble des disciplines scolaires (Cormier, 2020 ; Cormier et Rivard, 2011). Grâce à cette intégration, les apprenants seraient en effet susceptibles de maximiser leur apprentissage de la langue et de constater que celle-ci est en fait un outil par l’intermédiaire duquel se construisent les contenus disciplinaires. L’apprentissage de la discipline non linguistique en serait dès lors facilité, car les élèves seraient dotés des compétences linguistiques dont ils ont besoin pour construire les savoirs relatifs à elle.
4C’est dans la lignée de ces travaux que nous avons réalisé le projet de recherche au cœur de cet article. Pour appuyer les compétences en lecture des élèves fransaskois, nous nous sommes intéressés aux apports potentiels d’une approche d’enseignement qui repose sur l’inclusion d’activités relatives à l’art dramatique aux séances de lecture en groupe d’une œuvre intégrale de littérature jeunesse. Dans le cadre de cette étude, nous avons recouru à des assises théoriques qui conceptualisent l’art dramatique comme une forme de littératie multimodale permettant aux élèves de prendre part à des évènements où le sens, coconstruit entre eux et à partir du texte, n’est pas exclusivement généré à partir de ce dernier. Nous abordons maintenant cette perspective afin de situer notre recherche en fonction des écrits scientifiques pertinents.
5Postulant que l’art dramatique peut offrir des avenues didactiques prometteuses pour développer chez les élèves des compétences en langue, notamment en lecture, nous le considérons dès lors comme une forme de littératie multimodale. La littératie multimodale, selon les travaux phares du New London Group (1996), renvoie aux habiletés de l’individu à produire, à comprendre et à interpréter des éléments sémiotiques par l’intermédiaire d’une pluralité de modes (les sons, les images, le corps, le numérique, etc.). Délaissant ainsi une centration exclusive sur le texte écrit, le cadre de la littératie multimodale considère que ce dernier existe dans et par le monde dans lequel il prend son essor. De ce fait, il est en constante interaction avec d’autres formes de communication, qui lui sont complémentaires et qui contribuent tout autant à l’édification de sens (Kress, 2003 ; Dagenais, 2012 ; Rowsell, 2013).
6Dans le domaine de la didactique des langues, que ce soit en langue première (Booth, 2005 ; Dubois et Tremblay, 2015 ; Miller et Saxton, 2004) ou seconde (Galante et Thomson, 2016 ; Kao et O’Neill, 1998 ; Kim, 2017 ; Lutzger, 2022 ; Piazzoli, 2011), la communauté de recherche reconnait que les activités liées à l’art dramatique ont le potentiel de favoriser le développement de compétences linguistiques. En ce qui concerne plus particulièrement l’art dramatique et la lecture, Medina et al. (2021), dans une réflexion théorique ancrée dans les écrits scientifiques sur la pertinence des pratiques imaginées que permet la réalisation d’activités relatives à l’art dramatique à l’école, ont exploré les interactions qui peuvent exister entre le développement de compétences lectorales et leur arrimage à des activités d’art dramatique. Selon elles, les activités d’art dramatique, lorsqu’elles sont mises en place à partir d’une œuvre de littérature lue en classe, amènent l’élève lecteur à réimaginer et à recontextualiser le contenu du texte lu, et à le mettre en relation avec ses croyances, ses attitudes et ses expériences. Grâce à de telles activités, le texte littéraire, dès lors interprété et réapproprié par une variété de processus sémiotiques, prend vie et existe par l’entremise des modes que les élèves lui assignent. Les autrices relèvent également le caractère ludique qui est associé aux activités d’art dramatique, en plus des possibilités d’interactions de qualité entre les élèves qui, à partir de l’œuvre littéraire, peuvent être générées grâce à la mise en place de telles activités. L’œuvre littéraire, de son côté, offre un espace où l’élève est susceptible de mobiliser des ressources subjectives et affectives pouvant se manifester, entre autres, par l’identification aux personnages (Lemieux, 2016 ; Lemieux et Lacelle, 2016). Ces ressources, si elles sont exploitées dans une perspective de multimodalité, peuvent dès lors être mises à profit lors de la réalisation d’activités en art dramatique élaborées à partir du livre.
7En contexte minoritaire francophone, un nombre limité de chercheurs a exploré l’intégration d’activités artistiques dans les cours de français. Lowe, qui a réalisé des recherches collaboratives au Nouveau-Brunswick francophone, a travaillé de concert avec une enseignante de deuxième année (2002) et de troisième année (2004) de l’élémentaire. Dans ces projets, ses collègues enseignantes étaient invitées à mettre à l’essai, dans une optique interdisciplinaire, des activités dans le cadre desquelles les contenus scolaires relatifs à des disciplines artistiques (la musique, l’art dramatique, l’art visuel et la danse) étaient arrimés à des contenus relatifs au français, notamment en ce qui a trait à la lecture. L’ensemble des activités conçues semble avoir permis aux élèves de développer des compétences fécondes en lecture, compétences qu’ils ont été à même de transférer d’une discipline à l’autre. Les élèves ont, de surcroit, appris à présenter leur compréhension d’une histoire à l’aide de modes de communication afférents aux arts et à entretenir des relations respectueuses avec leurs pairs, et ce, en français.
8De son côté, se concentrant plus particulièrement sur l’intégration d’activités relatives à l’art dramatique par des enseignants de français du Nouveau-Brunswick au secondaire, St-Cœur (2004) a tenté de cerner les perceptions de ces personnes quant à cette intégration et au vécu de leurs élèves. Grâce à une série d’entrevues semi-dirigées menées auprès de dix enseignantes, l’auteur avance que ses participantes semblent ouvertes vis-à-vis du recours à l’art dramatique en cours de français, mais qu’elles se sentent aussi peu formées et, de ce fait, démunies en la matière. Selon les participantes de la recherche, les activités liées à l’art dramatique permettraient notamment de « créer un sens à la lecture » (p. 59), ce qui favoriserait notamment la motivation des élèves dont l’engagement est moindre en français. Les participantes de cette recherche semblent en outre s’entendre sur l’importance d’une formation initiale des enseignants qui inclut des modules portant sur l’utilisation de l’art dramatique comme soutien à l’apprentissage, notamment dans le domaine linguistique.
- 2 Un tableau vivant est une représentation figée élaborée par un groupe de personnes. Les personnes q (...)
9Plus récemment, l’une de nous (Schroeter et Girard, 2020) a travaillé de concert avec une enseignante de la 9e année dans une école de langue française de la Colombie-Britannique afin d’intégrer des activités relatives à l’art dramatique dans son cours de sciences humaines, plus particulièrement dans une séquence didactique multimodale focalisant sur la Révolution française. Au fur et à mesure de la réalisation de cette séquence, les élèves ont été appelés à s’engager dans une série d’activités reposant sur l’art dramatique (des tableaux vivants2, des jeux de rôle, etc.) afin de s’approprier et de faire vivre en classe les évènements historiques qu’ils abordaient avec l’enseignante. Dans leur article, les autrices analysent en outre les productions écrites que trois élèves ont rédigées alors qu’ils adoptaient la voix d’un personnage historique (une écriture « en rôle ») et les ont comparées à celles qu’ils ont écrites à partir de leur propre voix (une écriture « hors rôle »). L’analyse qualitative de ces textes montre notamment que la mise en œuvre d’activités en art dramatique et le recours à l’imaginaire des élèves auraient stimulé leur écriture, les productions en rôle présentant souvent une plus grande fluidité dans les idées et des structures syntaxiques plus complexes.
10Il est, en somme, reconnu que l’art dramatique, offrant une variété de pratiques d’enseignement associées à la littératie multimodale, est susceptible de faire générer des compétences fécondes s’il est intégré à d’autres disciplines scolaires, notamment au français. Au Canada, en contexte francophone minoritaire, la recherche sur cette question tend à s’être principalement concentrée sur la province du Nouveau-Brunswick, celle-ci offrant des pistes précieuses pour la recherche future. Plus récemment, nous avons de notre côté réalisé des travaux dans la province de la Colombie-Britannique, mais notre attention s’est alors focalisée sur l’art dramatique et son intégration en histoire et en écriture. Il nous est donc paru pertinent de réaliser une recherche dans un autre contexte minoritaire, celui de la Fransaskoisie, et de miser sur un arrimage d’activités en lecture et en art dramatique. De telles activités, d’ailleurs, sont en phase avec le programme d’études fransaskois en lecture puisque, dans ce document, il est indiqué que l’élève doit apprendre à « [r]eprésente[r] les images véhiculées dans le texte sous différentes formes telles qu’un collage, un slam, une saynète » (ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, 2017a : 42). Dans cette perspective, le recours à des activités d’art dramatique suit aussi les recommandations de pédagogie différenciée du ministère, qui préconise notamment de « [c]ouper le temps d’enseignement par des activités tactiles et des exercices physiques » (ministère de l’Éducation de la Saskatchewan, 2017b : 11). Ainsi, à la lumière de la pertinence didactique que revêt l’art dramatique pour l’apprentissage des langues et des prescriptions ministérielles de la Saskatchewan, nous tenterons dans cet article de répondre à la question de recherche suivante : comment des élèves fransaskois de la 5e année expérimentent-ils l’intégration d’activités reposant sur l’art dramatique à une séquence didactique visant la lecture d’une œuvre littéraire pour la jeunesse ?
11La recherche au cœur de cet article s’est déroulée en contexte urbain au mois de mai 2019 dans une école élémentaire fransaskoise. Elle est née d’une collaboration entre deux chercheurs universitaires, les deux premiers auteurs du présent texte, et deux enseignantes, les deux autres autrices, chacune d’elles étant titulaire d’une classe de 5e année de la même école. L’objectif que s’est initialement fixé l’équipe était de construire une séquence didactique intégrant l’art dramatique au cours de français afin de rendre cette dernière discipline plus motivante pour les élèves. Ensemble, les membres de l’équipe ont donc construit une séquence à partir de la traduction française du livre de jeunesse intitulé I love my purse (DeMont, 2017), œuvre choisie par les enseignantes qui raconte l’histoire d’un garçon qui décide, un jour, d’apporter un sac à main à l’école.
12Suivant les principes du story drama (Booth, 2005 ; Miller et Saxton, 2004), cette séquence didactique, créée de manière à segmenter la lecture du livre en plusieurs séances et à pouvoir y intégrer une variété d’activités multimodales liées à l’art dramatique au fil des moments de lecture, s’est échelonnée sur cinq séances de 75 minutes. Chaque séance, par ailleurs, a été mise en œuvre à deux reprises, d’abord dans la classe de la première enseignante, puis dans la classe de la seconde, la même journée. Ce sont les deux chercheurs qui ont coenseigné les séances, les enseignantes procédant alors à une observation non participante pendant le coenseignement. Un résumé de la séquence divisé en fonction des cinq séances se trouve dans le tableau 1.
Tableau 1 : Résumé de la séquence didactique
Séances
|
Activités réalisées pendant la séance
|
Séance 1
|
-
Chaque élève doit faire un dessin de son objet préféré et le présenter à un petit groupe de camarades.
-
Chaque élève s’imagine avec son objet préféré et se présente en statue avec cet objet à un groupe de camarades. Le groupe discute des statues.
-
Les chercheurs présentent la première de couverture du livre ; les élèves, à l’écrit, doivent proposer des prédictions par rapport au sujet du livre et faire des liens avec les activités réalisées précédemment.
|
Séance 2
|
-
En plénière, les chercheurs animent une discussion sur les prédictions émises par les élèves lors de la séance précédente.
-
Les chercheurs lisent à voix haute les premières pages du livre et animent une discussion sur son contenu.
-
Les chercheurs proposent un jeu de mime sur les mots à basse fréquence dans les pages lues.
-
Les élèves réalisent des tableaux vivants en équipes ; ces tableaux représentent des prédictions de ce qui arrivera au protagoniste quand il arrive à l’école avec son sac à main.
-
À la suite de la présentation de chaque tableau vivant, les élèves discutent de leurs prédictions en plénière.
|
Séance 3
|
-
Les chercheurs animent une discussion afin d’amener les élèves à résumer les premières pages du livre.
-
Les chercheurs poursuivent la lecture du livre à voix haute.
-
Les élèves, dans le cadre d’un travail d’équipe, réfléchissent aux traits qui caractérisent un personnage en particulier. Chaque équipe se focalise sur un personnage différent.
-
Chaque équipe doit préparer et présenter une saynète représentant la relation qu’entretient ce personnage avec le protagoniste.
-
La lecture en grand groupe se poursuit ; les élèves sont invités à faire la lecture aux autres quand le personnage sur lequel ils se sont penchés pour la saynète est en avant-plan.
|
Séance 4
|
-
Les chercheurs animent une discussion pour que les élèves confirment ou infirment leurs prédictions initiales ; ils en émettent d’autres au besoin.
-
Les élèves, en binômes, poursuivent la lecture du livre.
-
Chaque élève doit prendre la photo d’un camarade présentant sa réaction à l’égard d’un évènement qui est survenu dans l’histoire.
-
Les élèves présentent leur photo au groupe.
-
Les chercheurs font une lecture à voix haute des prochaines pages du livre.
-
Les élèves font un dessin à l’aveugle de l’une des pages du livre ; un camarade doit dessiner ce qui arrive dans le livre avec les yeux cachés. Un camarade lui fait la description de la page à l’oral pour l’orienter dans la réalisation du dessin.
|
Séance 5
|
-
Les chercheurs poursuivent la lecture à voix haute, jusqu’à la fin du livre.
-
Les élèves préparent et présentent une saynète pour illustrer comment la morale de l’histoire peut s’appliquer à leur vie.
-
Les élèves écrivent une entrée de journal intime en adoptant la voix du protagoniste de l’œuvre.
|
13Pour rendre compte de ce projet sur le plan empirique, au fur et à mesure du déploiement de la séquence, nous avons recouru à de nombreux outils de collecte permettant la production de données qualitatives : nous avons documenté la réalisation des activités en prenant des photos, les chercheurs et les enseignantes ont pris des notes de terrain après chaque séance, nous avons enregistré une discussion de recherche entre les quatre collaborateurs à la fin du projet et les élèves ont été interviewés par les chercheurs après la séquence. Pour le présent article, afin de répondre à la question de recherche que nous y posons, nous nous concentrerons sur les résultats d’analyses que nous avons réalisées à partir de ces entretiens individuels.
14La classe de la première enseignante comptait 22 élèves, tandis qu’il y en avait 21 dans l’autre. Tous les élèves des deux classes ont pris part aux activités de la séquence, mais nous avons seulement obtenu le consentement parental pour 20 d’entre eux. Ce sont donc ces 20 élèves qui ont été interviewés, 12 garçons et 8 filles. Au moment de l’entrevue, 9 d’entre eux avaient 10 ans, les autres avaient 11 ans. La moitié des élèves (n=10/20) a déclaré utiliser le français et l’anglais à la maison, 3 n’y utilisent que le français et 3 n’y parlent que l’anglais. Les quatre autres élèves utilisent au moins une des deux langues officielles du Canada à la maison, en plus d’une autre langue : le lingala, le japonais, l’espagnol ou l’allemand.
15Le guide d’entrevue que nous avons construit pour cette étude a été divisé en deux principaux thèmes. Pour le premier, nous voulions poser des questions qui permettraient aux élèves de décrire comment ils ont vécu l’intégration d’activités d’art dramatique à la lecture de l’œuvre littéraire retenue. Pour le second, nous désirions plutôt qu’ils nous parlent de la thématique du livre, celle des stéréotypes qui sont souvent associés aux genres masculin et féminin. Fondamentales au présent article, les questions ayant mené à l’exploration du premier thème étaient au nombre de sept, chacune d’elles étant accompagnée de relances pour que le participant puisse préciser ses propos. Ces sept questions, à titre indicatif, se trouvent à l’annexe 1 de cet article. Mentionnons au demeurant que, au début de l’entrevue, nous demandions aux participants s’ils préféraient que nous posions les questions en français ou en anglais ; nous gérions ensuite les langues de l’interaction selon les préférences de l’élève, en lui permettant constamment le recours à l’autre langue s’il le souhaitait.
16Pour procéder à l’analyse de ces données, nous avons d’abord transcrit les entretiens en verbatim. Puis, en nous inspirant de l’analyse thématique à caractère inductif que proposent Paillé et Mucchielli (2021), nous avons progressivement, au gré de nos lectures des verbatims, fait émerger une série de codes ; chaque code, associé à un passage de verbatim, relatait donc un élément lié à l’expérience de l’élève interviewé quant à l’intégration art dramatique/lecture. Pour concevoir la grille d’analyse, les deux premiers auteurs de ce texte ont pris part à des séances de codage et de contre-codage. Quand la liste de codes a été stabilisée, chaque code a pu être regroupé dans l’une des cinq catégories suivantes : la compréhension de l’œuvre lue, le caractère ludique des activités, le mouvement, l’incarnation des personnages et la prise de parole en français. Forts d’une grille d’analyse finalisée, nous avons alors repris le codage du début à l’aide du logiciel NVivo.
17Pour présenter les résultats de notre recherche, nous allons nous arrêter, de manière séquentielle, à chacun des cinq thèmes qui ont vu le jour à partir de l’analyse de nos données provenant des entretiens individuels. Pour chaque thème, nous relaterons des éléments qui ont été particulièrement discutés par les élèves et nous mettrons en exergue des extraits de verbatim évocateurs qui appuient nos propos.
18La grande majorité des élèves (n=19/20) a mentionné que les activités relatives à l’art dramatique ainsi que la séquence que nous leur avons proposée de manière générale ont favorisé leur compréhension du texte. En effet, mettre en scène certains des évènements du livre et en prédire le déroulement à l’aide de représentations multimodales semblent leur avoir permis une compréhension fine de l’histoire et des personnes qui en font partie. Grâce aux activités, selon leurs dires, les participants ont pu progressivement s’engager dans la lecture de l’œuvre et en construire ainsi une compréhension nuancée :
– Élève : […] Il avait des mots que j’ai pas vraiment compris et je pouvais mieux comprendre l’histoire.
– Chercheur : Okay, comment ? Est-ce que tu peux élaborer ? Comment les activités ont aidé ?
– Élève : Ça m’a juste aidé de plus, hum, mettre en morceaux, de mettre en morceaux l’histoire et après le mettre tout ensemble. C’était plus facile de comprendre, donc l’histoire était plus amusant.
– Chercheur : Okay, okay.
– Élève : Au lieu de juste lire toute seule.
19Comme l’explique ce participant, la segmentation de la lecture de l’œuvre et la collaboration entre élèves, permises grâce à l’inclusion d’activités d’art dramatique au gré de la séquence, l’auraient mené à mieux saisir chacune des différentes parties du livre. Pour d’autres participants, comme celui dans le passage suivant, c’est le ralentissement de la cadence habituelle et le temps consacré à un seul livre qui en aurait soutenu la compréhension :
– Chercheur : Est-ce que les activités qu’on a faites ensemble t’ont aidé à comprendre le livre qu’on a lu ?
– Élève : Euh oui. Comme parce que d’habitude, comme on fait pas ça. Pis des fois, comme, il y a des parties que je manque un peu, mais parce qu’on a été comme lentement, cela comme tout bien fonctionné.
20Si la presque totalité des élèves ayant pris part à l’entretien a mentionné que certains des aspects relatifs à l’art dramatique et à la séquence ont favorisé leur compréhension du livre, certains d’entre eux (n=5/20) ont également soulevé des nuances. En effet, pour eux, les activités d’art dramatique s’avéraient parfois inutiles étant donné qu’ils n’en avaient pas besoin pour comprendre le passage faisant l’objet de l’activité. Ce participant, à titre d’exemple, mentionne qu’il est un fervent lecteur et que, par conséquent, il a développé une aisance en la matière au fur et à mesure de ses lectures :
– Chercheur : […] Est-ce que les activités qu’on a faites t’ont aidé à comprendre le livre qu’on a lu ?
– Élève : Hum pas tellement. Comme, j’avais déjà compris parce que… je l’ai compris parce que j’aime lire des livres et je lis beaucoup de livres. Alors, je peux comprendre.
21Nombreux sont également les élèves qui ont mentionné le caractère ludique des activités d’art dramatique (n=16/20). Abordant cette dimension, certains ont mis en évidence la dimension collaborative et interactive comme vecteur de plaisir. D’autres ont quant à eux précisé qu’ils ont trouvé dans ces interactions à saveur théâtrale un espace pour rire avec leurs camarades. Les propos de cet élève, à cet égard, représentent bien ce que nous avançons :
– Élève : […] C’était amusant et drôle de voir d’autres personnes, hum, faire leur […] action en art […].
– Chercheur : Qu’est-ce que t’as trouvé, qu’est-ce qui était drôle ? Pourquoi c’était drôle et amusant ?
– Élève : Moi, j’pense que c’était drôle parce que faire des pauses dans les actions.
– Chercheur (acquiesçant) : Hum-hum.
– Élève : Et hum amusant parce que j’ai eu la chance de, euh, comme faire l’art avec mes amis.
22Certains, quoiqu’un peu moins nombreux, ont toutefois déprécié certaines des activités que nous leur avons suggérées (n=13/20). En effet, la nature même de certaines activités entrait en tension avec les intérêts de ces élèves, qui perdaient alors momentanément le plaisir qu’ils avaient autrement vécu pendant la séquence. C’est le cas de cet élève, qui déclare entretenir un rapport difficile à l’écriture et qui, de ce fait, n’a pas trouvé amusante l’activité lors de laquelle il a été appelé à écrire en adoptant la voix du protagoniste de l’œuvre :
– Chercheur : […] Quelle activité qu’on a faite que tu as le moins aimée ?
– Élève : Hum… Hum, l’écriture sur le livre, je crois. […] Je suis pas vraiment une personne qui aime écrire.
23Il convient toutefois de rappeler que, dans notre guide d’entrevue, nous avons inclus la question mise en exergue dans l’extrait précédent, afin que les élèves nous mentionnent ce qu’ils n’avaient pas apprécié dans la séquence. Bien que, comme l’élève dans l’extrait supra, certains aient mis en avant des activités spécifiques qui ne leur avaient pas plu, la plupart d’entre eux n’ont pas répondu en fonction des activités liées à l’art dramatique : certains nous ont parlé des moments où les chercheurs ont lu à voix haute, d’autres nous ont dit qu’ils n’ont pas aimé écrire leurs prédictions quand nous leur avons demandé. Certains élèves, enfin, n’ont pas su répondre à la question, soulignant que « tous les activités qu’on a faits, c’était comme amusant ».
24L’engagement physique et le recours au corps pour donner vie aux personnages de l’histoire sont également des éléments qui ont été soulevés par les participants. En effet, parce que les activités que nous leur avons proposées s’ancrent dans des fondements multimodaux délaissant l’analyse exclusive du texte écrit au moment de lire l’ouvrage, plusieurs (n=15/20) ont souligné que le dynamisme des activités et le mouvement leur étant associé n’étaient pas représentatifs des pratiques d’enseignement auxquelles ils avaient l’habitude de prendre part :
– Élève : It’s a lot funner than sitting down on a chair and listening, to talking, so yeah.
– Chercheur : Okay. Anything else you want to share? So it’s more fun. How is it more fun?
– Élève : Well, we get to do plays a little more active.
– Chercheur : Hum-hum.
– Élève : So yeah. And we don’t like… it’s not like naming things all the time, we actually get engaged inside the project […]. That makes me feel, like, this is fun.
25Le mouvement a été à ce point apprécié qu’aucun élève ne l’a mentionné comme composante dépréciée de notre séquence. En fait, quand certains élèves se sont permis une critique par rapport aux interprétations physiques qui l’ont ponctuée, c’est soit pour mentionner qu’elles n’étaient pas assez fréquentes, soit pour souligner que certaines des activités axées sur le recours au corps gagneraient à impliquer plus de mouvement. C’est le cas de cet élève, qui se rappelle la statue qu’il a imaginée pour présenter son objet préféré à ses camarades de classe :
– Chercheur : […] Which activity did you like the least? And you can be honest with me.
– Élève : When we had to do the statue.
– Chercheur : Oh, okay. Why? Did you not, why was it your least favourite activity?
– Élève : Hum like, I’m not used to be freezed […].
– Chercheur : Okay. And, so, you didn’t like that? Why not?
– Élève : Because, well, sometimes I’m not comfortable just staying in one spot, because I gotta move.
26Là où plusieurs élèves ont relevé que les activités en art dramatique ont favorisé leur compréhension du déroulement de l’histoire, certains d’entre eux (n=9/20) ont aussi précisé que ces activités, dans le cadre desquelles ils étaient fréquemment appelés à interpréter les personnages de l’histoire, les ont amenés à faire preuve d’empathie à leur endroit. En adoptant leur perspective et en s’imaginant leurs interactions avec d’autres personnages, ils ont eu l’impression de mieux les comprendre et ont pu développer une sensibilité vis-à-vis des émotions qui les habitent :
– Chercheur : […] what activity that we did together that you like the most?
– Élève : Doing impro.
– Chercheur : Okay, why?
– Élève : Because… It’s fun to be another character.
– Chercheur : Okay.
– Élève : Than yourself.
– Chercheur : Hum-hum. And did that help you with the book, being a character, interpreting a character? How so?
– Élève : You’re the character and you’re just, hum… I gotta think.
– Chercheur : Think, think please.
– Élève : Like you know the characters’ feeling. And you know sometimes what they're thinking too.
– Chercheur : Hum-hum, hum-hum. And does that better, help you understand the book better? How?
– Élève : It makes sense.
27Dans ce passage, l’élève s’arrête à l’incarnation des personnages et précise que, parce qu’elle favorise une compréhension de leurs émotions et de leurs pensées, elle renvoie à un outil sémiotique lui permettant de s’engager autrement dans l’œuvre lue. Cela n’est pas sans rappeler les dires d’autres participants, lesquels mentionnent que l’art dramatique les aide « à comprendre un peu, un peu mieux comment les characters se sentaient », à saisir « s’ils étaient contents, nerveux, tristes, fâchés ». Ainsi notons-nous que l’art dramatique, en raison de la composante interprétative qui sous-tend la grande partie des activités didactiques qui lui sont associées, semble certes lié à une compréhension du déroulement effectif de l’histoire dans l’œuvre ; cela étant, il encouragerait en outre l’élève à se questionner par rapport à l’univers affectif dans lequel vivent les personnages de l’histoire. En reconnaissant les émotions qui les animent, les élèves semblent donc à même de construire une compréhension de l’histoire qui ne trouve pas sa source dans l’objectivité des péripéties qui sont décrites par l’autrice. Dans ce contexte, c’est plutôt grâce au rapport subjectif et affectif que l’élève entretient avec les personnages qu’il rencontre au gré de sa lecture qu’il est à même d’affiner sa compréhension du livre.
28Le dernier thème sur lequel nous nous penchons renvoie à un enjeu caractérisant l’éducation de langue française en contexte minoritaire canadien, celui de la prise de parole en français par les élèves. Rappelons-le, puisqu’ils évoluent dans un environnement marqué par la dominance de l’anglais, ce dernier se glisse souvent dans les interactions entre élèves. Or, selon quatre des participants, la mise en œuvre de l’art dramatique dans l’enseignement de la lecture aurait favorisé un climat de classe dans lequel le français prend naturellement place. Comme le mentionne ce participant, « [o]n a eu la chance de parler en français plus et on est venus plus proches de nos amis qu’on avait parce qu’il fallait qu’on pens[e] avec nos amis pour les pièces de théâtre ». Il est ainsi intéressant de remarquer que, pour cet élève, la séquence didactique aurait favorisé une certaine proximité avec ses camarades. Cette proximité, émanant des interactions au cœur des activités en art dramatique, se serait aussi développée en français, phénomène qui, dans les écoles fransaskoises, ne va pas toujours de soi. Un autre élève, de son côté, souligne que l’art dramatique lui aurait permis de « rigoler » avec ses amis en français :
– Chercheur : […] Est-ce que tu recommanderais aux enseignants d’enseigner la littérature comme on l’a fait nous, avec l’art dramatique ?
– Élève : Oui.
– Chercheur : Oui, pourquoi ?
– Élève : Parce que c’est amusant et ça aide les personnes à parler en français. Mais aussi à rigoler.
– Chercheur : Okay, donc vous avez pu rigoler et vous avez parlé en français. Pourquoi ça vous a aidé à parler en français ?
– Élève : Parce qu’on a dû utiliser notre imagination, mais aussi en français. Alors, ça a aidé.
29L’élève dont les propos sont mis en relief dans ce passage tisse en fait des liens entre plusieurs des thèmes que nous avons abordés au fur et à mesure de notre article. Il débute en mentionnant qu’il s’est amusé grâce aux activités liées à l’art dramatique. Il précise à cet effet qu’elles offrent des occasions aux élèves de rigoler avec leurs camarades tout en s’exprimant en français. Il avance au demeurant qu’en prenant part à des activités d’art dramatique en français, il a pu déployer son imagination, et y recourir pour s’entretenir avec ses pairs et interagir avec le livre au cœur des activités. Le français est ainsi devenu la langue par l’entremise de laquelle les élèves ont communiqué dans une situation authentique ; pour cet élève, cela dit, il a également été la porte d’entrée à partir de laquelle il s’est imaginé un monde où les personnages de l’histoire prennent vie.
30L’analyse des données dont nous avons rendu compte dans cet article nous encourage, de manière générale, à reconnaitre le potentiel didactique de l’art dramatique pour l’enseignement des langues (Dubois et Tremblay, 2017 ; Galante et Thomson, 2016 ; Kim, 2017), particulièrement le français en contexte minoritaire canadien (Lowe, 2002, 2004 ; Schroeter et Girard, 2020). Les propos des élèves de cette étude, qui jettent un regard principalement positif sur l’expérience qu’ils ont vécue, confirment notamment ce qu’avancent Medina et al. (2021) en ce qui concerne le recours à des activités liées à l’art dramatique pour engager les apprenants dans la lecture d’œuvres littéraires. En effet, selon ces autrices, en sus d’instaurer une dimension ludique à l’acte de lire, l’art dramatique offre la possibilité à l’élève d’interagir avec l’œuvre en faisant intervenir des processus qui sont autant cognitifs qu’affectifs, ce qui en favoriserait la compréhension. Si la lecture d’une œuvre littéraire, en raison de la finalité esthétique qui lui est associée, permet sans conteste la mobilisation de tels processus (Lemieux, 2016 ; Lemieux et Lacelle, 2016), les activités multimodales qui ont été insérées au gré de notre séquence didactique semblent en avoir favorisé l’activation (Booth, 2005 ; Medina et al., 2021). D’après les propos des participants, la collaboration entre eux, le recours au corps et au mouvement, ainsi que l’incarnation des personnages sont autant d’éléments qui leur ont permis de comprendre le déroulement de l’histoire, ainsi que les nuances et les subtilités qui sont liées aux personnages qui la composent. En mettant ainsi en scène leurs visions des personnages, des évènements et des péripéties au cœur du livre, les participants semblent avoir été en mesure de se construire un imaginaire collectif qui les a amenés à s’engager dans des interactions riches et de s’approprier, par une variété de modes, les différents aspects de l’œuvre lue (Kao et O’Neill, 1998).
31Les résultats de cette recherche nous paraissent particulièrement porteurs puisqu’elle a été réalisée dans un contexte sociolinguistique où le français est une langue minoritaire. Alors que les apprenants y affichent fréquemment des compétences en lecture qui sont plus faibles que celles de leurs pairs du même âge scolarisés en anglais (Blain, 2023 ; Conseil des ministres de l’Éducation, 2019), il importe que la collectivité scientifique se questionne quant à la conception et à la mise à l’essai de dispositifs didactiques qui permettront aux apprenants de vivre des succès en lecture. L’art dramatique, en ce sens, pourrait offrir des pistes qui mériteraient d’être mises à l’essai à une échelle plus grande que celle de la recherche dont nous témoignons dans cet article. Pour les élèves évoluant en contexte minoritaire, cette forme de littératie multimodale leur offrirait de surcroit un cadre bienveillant dans le cadre duquel ils peuvent échanger avec les membres du groupe-classe en français. Il convient néanmoins de faire preuve de prudence en proclamant que tous les participants se sont sentis à l’aise de prendre la parole en français au fil des activités, car seuls quatre d’entre eux ont mentionné cet aspect dans les entretiens. La recherche ultérieure, croyons-nous, pourrait donc se focaliser sur les enjeux qui sous-tendent la prise de parole en français lors de la réalisation d’activités d’art dramatique en contexte minoritaire.
32Quoique les élèves aient, pour la majorité, fait preuve d’enthousiasme à l’égard de l’inclusion de l’art dramatique à notre séquence didactique sur la lecture d’une œuvre littéraire, nous souhaitons, en guise de conclusion, mettre l’accent sur certaines limites de notre recherche. Étant donné le nombre limité de participants, et considérant que nous n’avons pas obtenu le consentement parental de plusieurs des élèves qui auraient autrement été éligibles à prendre part aux entretiens, nous ne saurions proclamer une quelconque représentativité de nos résultats. Pour la recherche future, il est important que l’arrimage d’activités d’art dramatique à l’enseignement de la lecture soit étudié à l’aide de différents devis méthodologiques, afin d’en comprendre plus finement les apports, certes, mais aussi les limites. Une telle recherche, dans cette perspective, pourrait reposer notamment sur une évaluation des compétences de compréhension en lecture des élèves prenant part à un projet similaire au nôtre. En effet, en nous concentrant sur les dires des élèves, nous n’avons pas pu, dans cet article, rendre compte des retombées du projet sur leurs compétences en lecture en procédant à une mesure de leur compréhension en amont et en aval de la séquence.
33Quoi qu’il en soit, nonobstant ces limites, nous sommes d’avis que la lecture et son enseignement gagnent à être envisagés dans une perspective multimodale et que, pour y arriver, l’enseignant devrait réfléchir aux avenues didactiques relatives à l’art dramatique. Pour les contextes minoritaires canadiens, une telle forme de littératie offre notamment la possibilité aux élèves d’interagir avec autrui en construisant des connaissances et en faisant du français l’outil qui permet l’interaction. Dans des milieux où le recours au français par les élèves est une question préoccupant plusieurs acteurs éducatifs (Bangou et al., 2021 ; Fleuret et al., 2013 ; Mady, 2019), il demeure important, d’une part, de leur proposer des situations d’apprentissage ludiques dans lesquelles la langue de l’école peut prendre vie et, de l’autre, de former les enseignants à l’intégration de cette approche en salle de classe (St-Cœur, 2004).