1Comment permettre le développement des compétences professionnelles des enseignants ? Les référentiels de compétences institutionnels ne sauraient réduire à eux seuls l’habileté nécessaire aux praticiens pour relever les défis que présentent les situations d’exercice auxquelles ils sont confrontés. Au-delà de la prescription que ces référentiels dessinent, il est nécessaire dans le champ de la formation professionnelle d’accéder à l’organisation de l’activité des professionnels pour en extraire des savoirs utiles à l’apprentissage du métier. C’est le projet de la didactique professionnelle (Pastré, 2008) qui prend pour objet d’analyser et de favoriser le développement des savoirs d’expérience, en ce qu’ils s’actualisent en situation. Il s’agit de repérer les connaissances en acte des praticiens, leur conceptualisation dans l’action (Vergnaud, 1996) à travers la mobilisation de schèmes d’action.
2D’abord centrée sur les métiers de l’interaction entre l’homme et la machine dans le secteur industriel, tels que la conduite de centrale nucléaire (Pastré, 2005) ou de presse à injection en plasturgie (Pastré, 1994, 2004), la didactique professionnelle s’est ensuite intéressée aux métiers du vivant comme la taille de la vigne (Caens-Martin, 1999) et à ceux de l’interaction humaine comme les activités de relation de service (Mayen, 1999). Parmi ces derniers, l’enseignement (Vinatier, 2009) interroge le poids du contexte sur le déroulement de l’activité en situation. Plus précisément, nous nous intéressons à la dimension culturelle inscrite dans les schèmes d’action des enseignants en ce qu’elle donne forme au déploiement de leur activité interactionnelle avec leurs élèves (Alletru, 2019a). Dans ce sens, l’enseignement linguistique et culturel constitue un domaine particulièrement intéressant pour repérer le poids de la culture dans les interactions scolaires.
3Que peut apporter une approche interactionniste de didactique professionnelle pour la formation des compétences des enseignants en classe de langue ? Quels objets de formation proposer à partir de l’analyse des schèmes d’action mobilisés en situation ? Nous proposons de répondre à ces questions en trois temps. Après avoir précisé depuis notre ancrage épistémologique de quelle manière nous concevons la compétence dans une orientation de didactique professionnelle, nous présenterons une illustration des connaissances en acte mobilisées en classe de langue. Quelques résultats issus d’une recherche collaborative conduite en Polynésie française dans le cadre de l’enseignement des Langues et Culture Polynésiennes (LCP) serviront notre propos. Ces résultats nous permettront pour finir de proposer quelques perspectives pour le développement des compétences des professeurs en didactique des LCP d’une part, mais plus largement pour le développement des savoirs d’expérience en formation initiale et continue des enseignants.
4Au départ réside la distinction entre tâche et activité, telle que nous l’ont montré les apports de l’ergonomie de langue française (Leplat et Hoc, 1983), la tâche étant ce qui est à faire sous certaines conditions, et l’activité ce que développe un sujet lors de la réalisation de la tâche. L’activité n’est donc pas réductible à la tâche imposée. Deux espaces sont conjoints dans l’activité du sujet, qui agissent mutuellement l’un sur l’autre : d’une part l’espace « objectif » de la situation, ses propriétés avec ses contraintes et ses ressources, et d’autre par l’espace « subjectif » de celui qui agit, c’est-à-dire dans sa relation à la tâche à accomplir. Selon son rapport à la situation, le sujet développe une activité produisant à la fois des résultats qui modifient l’état de la situation, et des effets qui modifient l’état du sujet. Dans ce sens, la compétence ne s’exprime pas dans le seul résultat de l’action, dans l’atteinte du but, mais également dans la manière d’agir en situation à travers entre autres la variété des procédures qui peuvent être mises en œuvre pour effectuer la tâche et l’adéquation des procédures aux caractéristiques de la situation. Car la compétence est avant tout un savoir-agir en situation pour faire face à un problème donné. Elle est ainsi contextualisée, toujours relative à une classe de situations déterminée, identifiée ou identifiable aux traits de famille que ces situations partagent, soit les caractéristiques invariantes quelles que soient les circonstances spécifiques de leur occurrence. Elle ne réside pas dans les connaissances et capacités à mobiliser, mais dans la mobilisation même de ces ressources.
5La compétence s’articule donc étroitement à la connaissance qui possède deux formes : une forme prédicative qui permet de décrire le réel, ses objets, leurs propriétés et leurs relations et une forme opératoire qui permet d’agir en situation, ce qui fait dire à Vergnaud (1996) que « la plupart de nos connaissances sont des compétences ». Ces deux formes de la connaissance ne sont pas strictement superposables, il existe toujours un écart entre la connaissance contenue dans l’action et celle explicite : en effet, un professionnel est capable de faire plus qu’il ne peut spontanément en dire, la mise en mots demandant un effort de conversion de la forme opératoire en forme prédicative. Ce point retient notre attention pour penser des dispositifs de recherche et de formation contribuant au développement des compétences des professionnels.
6La compétence renvoie donc à l’activité, et plus précisément à l’organisation de l’activité en situation. Il en découle que conduire l’analyse des compétences et de leur développement demande d’étudier les formes d’organisation de l’activité. Le noyau dur de cette organisation est de nature conceptuelle : les conceptualisations en acte élaborées dans le cadre d’une activité adaptative aux situations rencontrées. Le concept de schème exprime précisément ces formes d’organisation souple de l’activité. Le schème est une totalité dynamique fonctionnelle dont l’organisation structurelle ne varie pas pour une classe de situations donnée. En revanche, c’est la mobilité des éléments constituant la structure qui lui confère précisément son caractère flexible et adaptatif, l’adaptation ayant trait aux contingences des situations singulières.
7Un schème comprend quatre composantes (Vergnaud, 1996) :
-
une composante intentionnelle constituée de buts, sous-buts et anticipations ;
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une composante générative relevant de règles d’action, de prise d’information et de contrôle qui donnent lieu à des manières de faire permettant l’exécution, l’orientation et le contrôle de l’action ;
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une composante conceptuelle articulant propositions tenues pour vraies sur le réel et principes tenus pour pertinents pour l’action, soit des invariants opératoires ;
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une composante adaptative autorisée par des calculs en situation réalisés par la possibilité d’inférence.
Ces quatre constituants sont une clé d’identification des éléments déterminants de l’activité.
8Les schèmes sont distincts des compétences qu’ils produisent, ils en sont les générateurs : savoir résoudre une classe de situations revient à être compétent, mais le faire de telle manière renvoie au schème, chaque acteur mobilisant un modèle opératif qui lui est propre (Pastré, 2008). Les schèmes évoluent par extension, diversification et complexification, à la fois au contact des situations dans lesquelles ils sont mobilisés, et à la fois par la verbalisation qui figure le passage de la forme opératoire de la connaissance vers sa forme prédicative. L’explicitation des conceptualisations en acte favorise le développement des compétences grâce au langage qui permet la transformation des invariants opératoires : implicites dans l’action, ils deviennent explicites grâce à leur mise en mots et à l’argumentation qui accompagne le travail de prise de conscience. Cet aspect guide notre méthodologie de recherche dans une visée formative.
9Vinatier (2009) a prolongé les travaux de Vergnaud en croisant pour le champ de l’enseignement, la théorie de la conceptualisation dans l’action avec celle en linguistique interactionniste de Kerbrat-Orecchioni (1992). Au couple schème-situation central chez Vergnaud, elle substitue le triptyque schème-situation-sujet. Ce faisant, elle a mis au jour la dimension subjective des invariants opératoires. Pour Vinatier, les concepts organisateurs de l’action de l’enseignant ne sont pas uniquement de type situationnel, autrement dit les concepts à prendre en compte pour une action efficace, mais également et nécessairement de nature subjective. Cela signifie qu’ils interrogent le positionnement du professionnel dans l’interaction avec ses élèves relativement à des objets de savoir.
10Dans la dynamique interactionnelle, le discours coconstruit par les interactants relève d’enjeux de résolution d’une part, au niveau de l’objet même des échanges, et de satisfaction d’autre part, liés à la relation dans l’échange entre les interlocuteurs, tant au niveau du narcissisme que du territoire. Le positionnement des sujets s’y manifeste à travers trois dimensions de la relation : la verticalité s’exprime dans un jeu de pouvoir ou de prise d’ascendant dans les échanges ; l’horizontalité dans la plus ou moins grande proximité ou distance avec le ou les interlocuteurs ; et la coopération, cet axe allant du consensus au conflit.
11Les invariants du sujet sont de l’ordre des motivations, du jugement, des valeurs, tels qu’ils sont agissants dans le cadre de l’interaction : ils ont une valeur opératoire, au même titre que les invariants situationnels avec lesquels ils sont en tension (ils peuvent se renforcer ou s’opposer), donnant ainsi à voir l’identité en acte du professionnel à travers son activité orientée par ses valeurs et le sens qu’il lui confère en situation (Vinatier, 2013). Nous nous appuyons sur ces éléments conceptuels comme des analyseurs de l’activité en situation pour accéder aux compétences des praticiens.
12Nous considérons par ailleurs que toute activité est inscrite dans une culture (Bruner, 2008). Cette dernière donne forme de manière largement implicite aux pratiques des membres la constituant. Aussi nous croisons la théorie du schème avec la tradition historico-culturelle et l’orientation anthropologique de Bazin (2008). Le processus perpétuel de recréation de la culture opère par négociation intra- et interindividuelle, ce qui confère à celle-ci son caractère fondamentalement dynamique. La fonctionnalité du schème, qui vise l’adaptation aux situations, dessine son potentiel hautement créatif pour le développement des compétences. Nous avons donc pour intention de saisir la dimension culturelle des schèmes d’action des enseignants (Vergnaud, 2008).
13Or, la culture n’est pas faite que de mots, mais s’inscrit également dans des pratiques portées par des gestes et des artefacts. Sensibles à l’écologie de l’interaction dans une perspective hémique qui tient compte de la compréhension locale produite par les sujets de l’interaction, nous intégrons alors dans l’analyse la nature multimodale de l’activité en situation (Mondada, 2012). Nous prenons ainsi en considération les ressources multimodales mobilisées in situ par le sujet : celles-ci sont tout à la fois verbales, linguistiques, vocales et sonores, gestuelles, visuelles, corporelles, faciales, et composées d’artefacts.
14Analysant à un niveau générique l’activité des enseignants en relation avec leurs élèves, Vinatier (2016) met en visibilité la notion de « configuration interactionnelle culturelle » qui rend compte des attentes culturelles des interlocuteurs les uns vis-à-vis des autres. Les configurations interactionnelles culturelles, notion pertinente pour l’étude des situations d’interaction en milieu scolaire, peuvent être dévoilées par le repérage des tensions en jeu dans les échanges. Toute situation à visée d’apprentissage présente en effet des tensions pour l’enseignant. Celles-ci sont relatives à trois types d’enjeux : en termes d’avancée et de contrôle du savoir (enjeu Épistémique), de contrôle et de régulation de la tâche (enjeu Pragmatique) et de contrôle de la communication (enjeu Relationnel). Vinatier (2016) modélise le face-à-face pédagogique à travers ce modèle É-P-R dont nous proposons une extension par la prise en compte des constituants à la fois verbaux, paraverbaux (prosodiques et vocaux) et non verbaux (mimogestuels et posturaux) des interactions (Alletru, 2019 a, 2019 b).
15Notre méthodologie met en œuvre des recherches collaboratives (Vinatier et Morissette, 2015) qui engagent les professionnels volontaires à participer à l’analyse de leur propre activité à travers un dispositif de co-explicitation (Vinatier, 2007). Après avoir conjointement déterminé les situations pouvant faire l’objet d’une analyse de leur activité, parce que porteuses de compétences à élucider, nous procédons à une observation outillée par l’enregistrement vidéo de la situation d’enseignement choisie. S’ensuit un entretien d’autoconfrontation de l’acteur aux traces vidéo de sa séance, au cours duquel il explicite, soutenu par nos questions, ses actions, verbalisations, ce qu’il prend en compte dans la situation, les raisons qu’il a de le faire, la manière dont il s’y prend pour atteindre ses buts, ce qui est important à ses yeux, ainsi que tous les empêchements ou gênes qui contrarient et en même temps orientent son activité. Le croisement entre les données d’observation de la séance et de verbalisation en autoconfrontation nous permet ensuite de procéder à une analyse multimodale de l’activité en situation. À cette étape, nous construisons une matrice d’analyse (Alletru et Vinatier, 2021) qui articule le découpage de la séance en épisodes (sur la base de la transcription des éléments à la fois verbaux et non verbaux, les changements de thème dans les interactions indiquent l’apparition d’un épisode) et en unités de sens (sur la base du découpage opéré par l’enseignant lui-même lors de l’autoconfrontation, indice de ses conceptualisations). Nous intégrons dans la matrice la transcription de l’entretien en faisant coïncider les commentaires de l’acteur avec les passages de la séance concernés (cf. Tableau 1). Nous sommes alors en mesure d’inférer par unité de sens des éléments des schèmes d’action mobilisés en situation : buts, règles d’action, de prise d’information et de contrôle, invariants opératoires.
- 1 Pour une présentation détaillée du traitement de l’articulation des données verbales et « gestuelle (...)
Tableau 1 : Extrait d’une matrice d’analyse1
16À l’issue de ce dépouillement systématique, un travail de synthèse permet de repérer des co-occurrences et de relier les éléments épars pour faire apparaître leur cohérence dans une structure d’ensemble et mettre au jour un ou des schèmes organisant l’activité de l’enseignant. Lors d’un second entretien, nous soumettons à l’enseignant nos résultats provisoires, étayés par sur nos outils conceptuels, pour solliciter son activité réflexive. La co-explicitation consiste alors à discuter ces résultats, les infirmer, les nuancer, les approfondir jusqu’à ce que le sens en soit partagé et fasse consensus entre chercheure et praticien.
- 2 L’espace de cette contribution ne nous permet pas de développer cet aspect comme nous avons pu le f (...)
- 3 Pour une reprise exhaustive des évolutions statutaires de l’enseignement des LCP, voir Peltzer (199 (...)
17Une telle analyse a été conduite à Tahiti où des professeurs des écoles ont participé à un dispositif de co-explicitation visant à produire une analyse partagée de leur activité en classe de Langues et Culture Polynésiennes. Sans détailler ici les éléments contextuels du terrain polynésien (pour cela, voir par exemple Alletru et Salaün [2021]), nous retiendrons qu’il peut être caractérisé par une situation diglossique qui voit une domination de la langue française sur les langues polynésiennes, et celle du tahitien parmi les langues polynésiennes (Saint-Martin, 2013). Depuis la colonisation et l’imposition du français comme langue de scolarisation et plus largement comme langue de la réussite sociale, les Polynésiens vivent un rapport ambivalent d’insécurité linguistique à leurs langues et culture d’origine, mêlant fierté identitaire à la faveur d’un renouveau identitaire issu de la dernière partie du XXe siècle, et honte à la fois d’utiliser la langue minorée et de ne pas la maîtriser2. La langue vernaculaire largement utilisée relève de fait d’une interlangue, appelé localement « charabia », issu de la déperdition progressive des langues d’origine et de leur incrémentation au français. Sur le plan scolaire, après avoir été effacées des contenus d’enseignement, les langues d’origine sont progressivement réintroduites dans les curricula à compter de 19823 pour constituer une discipline spécifique intitulée Langues et culture polynésiennes (LCP).
- 4 École Plurilingue d’Outre-Mer : menée conjointement de 2009 à 2011 en Nouvelle-Calédonie, en Guyane (...)
18Nous prenons appui sur les résultats issus de l’analyse de l’activité de Tautiare, enseignante en CM1 exerçant en zone rurale défavorisée dans une école comportant une dizaine de classes élémentaires. Au moment de l’étude, Tautiare comptabilise treize années d’ancienneté et a participé quelques années auparavant au projet ECOLPOM4, programme expérimental d’enseignement renforcé des LCP. Elle se définit comme locutrice aisée, mais non pas experte du tahitien, très attachée à la langue et à sa culture d’origine.
- 5 L’emploi des guillemets pour les notions d’autonomisation et de responsabilisation indique la référ (...)
19Lors d’une séance de LCP, elle engage ses élèves à produire le résumé en tahitien de la légende du cocotier, par l’entremise d’illustrations vidéoprojetées de la légende. L’analyse révèle un schème arrimé à un but : « autonomiser » les élèves dans la réalisation orale et écrite du résumé, lui-même décliné en deux sous-buts : structurer les tâches des élèves et les « responsabiliser » dans ces tâches5. Nous avons identifié huit manières de faire (règles d’action, de prise d’information et de contrôle) réparties sur l’intégralité de la séance et distribuées quantitativement (cf. Figures 1 et 2).
Figure 1 : Répartition des manières de faire au fil de la séance
Figure 2 : Distribution relative des manières de faire dans la séance
20Ces huit manières de faire sont structurées autour de deux invariants opératoires visant l’autonomisation des élèves dans cet exercice : la rigueur pour structurer les tâches des élèves et une neutralité formelle. Nous les présentons ci-dessous en les référant aux règles d’action qui s’y rattachent. Des citations (entre guillemets) issues des données d’entretien ou de séance viennent illustrer notre propos.
- 6 « Cette rigueur est sécurisante aussi pour moi, pour me protéger aussi. […] Et de monter cette rigu (...)
- 7 « C’est un effet maître-élève. […] Ils sont aussi organisés, parce qu’ils voient que je suis organi (...)
21Nous avons repéré quatre manières de faire articuler au concept en acte de rigueur structurante. En premier lieu, la rigueur agit comme un principe d’action multiorienté. Tautiare manifeste des exigences linguistiques vis-à-vis de ses élèves dont elle estime les acquis relativement faibles en langue tahitienne. Sensible à la notion de pureté de la langue, elle refuse l’interlangue et s’impose une rigueur dont elle souhaite voir les élèves s’inspirer. Elle ne cède pas à la facilité, en favorisant des questions ouvertes plutôt que fermées par exemple, et structure fortement leur activité linguistique en mettant en œuvre des procédés de répétition et d’amorce-complément comme support pour mémoriser et produire d’autres réponses. Elle s’impose également d’être modélisante sur les plans de l’orthographe, de la graphie et de la prononciation. Par ailleurs, elle demande aux élèves de faire preuve de rigueur dans la réalisation des tâches qu’elle leur confie en se montrant autonomes. À ce titre, elle emploie divers procédés, comme par exemple imposer une organisation matérielle très précise ou leur fournir trois occasions de manifester leur incompréhension. Au-delà, ils devront se passer de son aide. La rigueur est un organisateur très puissant de son activité, sécurisante pour elle-même comme pour ses élèves6, tenant pour vrai que l’autonomie des élèves se construit par mimétisme avec la rigueur structurante de la maîtresse7.
22En second lieu, la rigueur de l’enseignante apparaît dans sa structuration didactique de la séance. Cela concerne les apprentissages linguistiques visés dans l’exercice de résumé qu’elle estime difficile pour les élèves comme pour elle-même, sans pour autant renoncer à cette exigence didactique. Son objectif didactique de faire produire le résumé de la légende oralement puis à l’écrit se décline en trois sous-buts : 1) faire dire et faire parler les élèves : en stimulant les prises de parole par un appui sur les élèves volontaires, une sollicitation des plus inhibés, silencieux ou décrochant sur le plan attentionnel ; 2) faire interpréter et non décrire les scènes vidéoprojetées de la légende : en mobilisant les habitudes des élèves acquises dans le domaine de la lecture d’œuvres picturales en arts visuels pour accéder au sens de l’histoire, en faisant ; 3) faire reconstituer la chronologie des scènes pour ordonner le texte du résumé. La structuration didactique de la séance repose sur trois étapes clairement balisées en écho à ce qu’elle interprète comme une prescription officielle : dire, lire, écrire. Tautiare privilégie l’oral dans une perspective communicationnelle en ne faisant intervenir l’écrit que lorsqu’une phrase orale est comprise des élèves.
- 8 Elle explique ainsi la codification multimodale de ses attentes : « Ils ne regardent plus l’image. (...)
23En troisième lieu, l’enseignante codifie ses attentes vis-à-vis des élèves. Pour cela, elle marque fortement sa présence par un volume de parole conséquent (87 % de l’interaction) qui lui confère une position haute, renforcée par son monopole des ouvertures et clôtures d’épisodes. Elle l’explique par son expérience auprès d’élèves plus jeunes requérant un fort encadrement. Elle marque également sa prosodie pour leur signifier ses attentes dans le but de les responsabiliser. Consciente de sa « présence très imposante », elle l’utilise à la fois dans une fonction de convocation et à la fois au service du rythme de la séance en augmentant son débit de parole ou à l’appui de gestes pour inciter les élèves à se montrer dynamiques, comme dans toutes les séances de LCP. Elle codifie également l’espace de manière multimodale, entre autres en articulant son questionnement à un jeu de positionnement physique et de déplacements dans la classe qu’elle veut significatifs de ses attentes vis-à-vis de l’activité des élèves : elle se place face aux élèves pour centrer leur attention sur elle, mais s’efface sur le côté pour les engager à se centrer sur ce qui figure au tableau et à ne pas se reposer sur elle lors de leurs prises de parole8. Sa posture récurrente, en évocation implicite avec le héros de la légende dont l’image est vidéoprojetée, est significative de sa position d’autorité en tant que maîtresse (cf. Figure 3).
Figure 3 : Homomorphisme entre la posture de Tautiare et celle du héros de la légende
Diapo vidéoprojetée de Maui debout.
24Son activité gestuelle est intense pour soutenir le rythme de la séance, capter l’attention des élèves et favoriser leur compréhension en évitant le recours au français. Elle peut ainsi symboliser une structure grammaticale, du lexique, une consigne, une scène, les étapes procédurales d’une tâche, etc.
- 9 « C’est implicite, […] je sais pas pourquoi j’avais cette posture-là, hein ! Peut-être j’ai gardé i (...)
25Enfin, l’enseignante prodigue des formes d’aide variées aux élèves pour les rendre autonomes. Elle leur fournit une méthodologie de travail, des indices et des repères visuels, matériels ou conceptuels pour les guider dans la réalisation des tâches. À cet égard, Tautiare entre en évocation avec les postures des personnages de l’histoire également pour guider les élèves vers la production du résumé. Ce procédé d’effet miroir, selon sa propre expression, est également reproduit relativement à l’autre personnage, Hina, qui s’apprête en se coiffant. La maîtresse joue en quelque sorte le personnage, et ce, à son insu9 (cf. Figure 4).
Figure 4 : Évocation posturale de Hina
- 10 « Elle fait comme moi. Ils reproduisent comme moi ».
26Même s’il n’est pas intentionnel, ce fonctionnement s’explique par sa conviction que les élèves apprennent « par mimétisme ». Elle appuie ce raisonnement sur la propension des élèves à imiter ses manières de faire10. En effet, nous trouvons aussi dans la séance des traces d’imitation posturale de la part des élèves (cf. Figure 5).
Figure 5 : Mimétisme avec l’enseignante
27La modélisation et la monstration sont également des procédés qu’elle utilise comme des étapes intermédiaires pour parvenir à rendre les élèves autonomes en réduisant progressivement l’aide qu’elle leur apporte. Pour ce faire, elle ritualise les activités tout en projetant de diminuer progressivement sa gestualité pour céder la place à la seule compréhension orale par les élèves.
- 11 « Maîtresse, elle vous autorise […]. »
- 12 « Si tu es une maîtresse qui enseigne en tahitien et qui dit des bêtises, ça serait quand même regr (...)
- 13 « Ils ont appris à me connaître […]. Ils m’observent. Et comme je pratique, on va dire, les mêmes m (...)
- 14 « Éducation morale, civique, et ensuite après scolaire. […] Les trois vont de pair ».
- 15 « Pour qu’ils soient autonomes plus tard, et qu’ils sachent se débrouiller tout seuls après ».
28Quatre manières de faire participent de ce second invariant opératoire visant l’autonomie et la responsabilisation des élèves dans la séance. Tout d’abord, elle se pose comme figure d’autorité en assumant pleinement son statut. Cela se traduit entre autres par sa position haute dans les échanges, comme nous l’avons vu plus haut, et également dans les appellatifs. Elle s’autodésigne en effet par son statut11, marquant ainsi par voie de conséquence, le rôle attribué aux élèves. C’est d’ailleurs par cet honorifique qu’ils s’adressent par exemple à elle par un « Maîtresse » prononcé en chœur lors des salutations. Elle est celle qui distribue la parole et dirige l’activité des élèves. Elle considère également que la maîtrise linguistique du tahitien et la capacité à endosser le rôle de modèle linguistique sont nécessaires au respect de son autorité12. De son point de vue, l’autorité de l’enseignante est assurée en ce qu’elle se pose en garante du cadre de fonctionnement. L’autonomisation des élèves en découle, par leur compréhension automatisée des attentes de la maîtresse, notamment grâce à sa gestuelle et sa posture13. Pour l’enseignante, les apprentissages sociaux ne sont pas dissociables des apprentissages disciplinaires14. Cette articulation vise l’autonomie des élèves, importante à ses yeux15.
- 16 Ainsi, elle prend garde à « ne pas trop aussi montrer d’affection […]. Il faut que je reste profess (...)
- 17 « Je n’aime pas aussi montrer mes émotions ».
- 18 « C’est pas moi que je dois faire passer, mais c’est plutôt les notions. Donc […] je dois rester ne (...)
29Ensuite, elle fait en sorte de masquer ses émotions. Bien que soucieuse du contexte personnel des élèves, la maîtresse fait en sorte de ne pas s’impliquer sur le plan affectif et de faire prévaloir les rôles et statuts, ce qui les responsabilise16. Elle cherche donc à se montrer formellement neutre en séance LCP. S’estimant spontanément très expressive, notamment par sa posture et son regard significatifs de ses attentes, elle est cependant pudique17. Masquer ses émotions lui demande donc un effort qu’elle considère néanmoins comme indispensable. Afficher une neutralité formelle vise à concentrer les élèves sur le contenu des apprentissages18.
- 19 « Elle se relâche [et] a besoin de quelqu’un de plus dynamique par derrière, pour euh, la bousculer (...)
30Elle prend garde également à protéger l’image de soi de chaque élève en affichant sa neutralité. À cet effet, elle s’applique à ne montrer aucune distinction entre les élèves, évite de valoriser de manière ostentatoire les réussites pour ne nuire au narcissisme d’aucun, félicite de manière neutre et identique pour tous, sans relever les éventuelles erreurs, mais en reformulant correctement le cas échéant. Les élèves adoptent le même procédé, par mimétisme. Protéger la face de ses élèves demande à Tautiare une importante vigilance, notamment par l’observation de leurs attitudes et regards. Elle s’adapte aux spécificités de chaque élève en faisant preuve de plus de tolérance dans ses exigences vis-à-vis de certains et conserve ses attentes premières vis-à-vis des autres. En conséquence, au titre du principe d’équité et non pas d’égalité, le guidage est individualisé à certains moments. Elle infléchit son mode d’adresse aux élèves en fonction de leur tempérament : à voix basse et de manière individuelle pour un élève peu sûr de lui qui tâtonne, ou en stimulant par une modulation de la voix et du volume sonore une élève qui nécessite d’être stimulée19. Dans sa volonté de protéger la face des élèves, un paradoxe apparaît entre un affichage explicite de son refus de distinction entre les élèves, et une adaptation implicite et discrète tenant compte de leurs différences. Selon elle, c’est parce qu’elle « ne porte aucun jugement » qu’elle parvient à trouver « le juste milieu ». Sensible à l’insécurité linguistique de ses élèves vis-à-vis de la langue tahitienne, l’enseignante soutient le maintien de leur estime de soi locuteur et de leur motivation en les incitant à s’encourager mutuellement et en favorisant leurs tentatives, mêmes imparfaites.
- 20 « Ce qu’ils doivent retenir, c’est pas Maîtresse. […] C’est le contenu. […] Donc euh… je dois reste (...)
- 21 « Si je suis trop théâtrale, les enfants ne réagissent plus, c’est-à-dire que c’est moi qui fais la (...)
31Enfin, la neutralité formelle de Tautiare est alimentée par le soin qu’elle prend à ne pas troubler l’activité des élèves. Elle évite deux facteurs de perturbation. Le premier est d’ordre proxémique : selon elle, une proximité physique prolongée auprès des élèves est susceptible de les contrarier, voire les inhiber. Elle s’assure par conséquent dans les phases individuelles que les élèves comprennent et réalisent les tâches demandées puis s’éloigne d’eux. Le second facteur concerne le risque encouru par un excès de théâtralité de sa part, estimant qu’une gestualité trop importante parasite l’activité et détourne l’attention des élèves. Ainsi, elle s’efforce de limiter la redondance sémantique aux seuls moments nécessaires à leur compréhension afin qu’ils se concentrent sur le contenu des apprentissages20. Elle entend les responsabiliser en les rendant acteurs de la dynamique interactionnelle dans la séance21. En évitant de perturber l’activité des élèves, le dosage subtil du jeu proxémique et de sa propre gestuelle signifiante agissent comme des moyens de favoriser leur autonomie.
32Après avoir présenté les deux invariants opératoires soutenant le schème de structuration de l’autonomie des élèves dans le résumé en tahitien d’une légende en langue polynésienne de l’enseignante, nous proposons une extension sur les connaissances en acte mobilisées en situation. Sur la base de l’ensemble du dispositif de co-explicitation, nous abordons ici une lecture élargie de l’activité de Tautiare qui dépasse le seul cadre de la situation étudiée. Deux éléments nous paraissent particulièrement révélateurs à la fois des compétences actualisées en situation et de tensions en termes de rapport aux élèves, au savoir et à elle-même, que ses valeurs et son enracinement culturel permettent de résoudre.
- 22 « On les a automatisés, non, déterminés […], depuis la maternelle. Ils ont […] une attitude scolair (...)
33Le concept de rigueur opère dans le sens de la conformation à la forme scolaire, c’est-à-dire l’inculcation d’un comportement et de manières d’agir et de penser de type scolaire. Les élèves observent une position empreinte de déférence : ils sont debout à l’entrée en classe, attendent que l’enseignante leur dise de s’asseoir, s’assoient dans le plus grand calme et attendent respectueusement le début de la séance. L’enseignante impose la même rigueur à chacun dans son métier d’élève au vu de ses possibilités, tout comme elle s’impose à elle-même avec rigueur un traitement équitable envers ses élèves. La combinaison de ses deux invariants opératoires lui permet d’établir « les limites qu’il faut ne pas dépasser », autrement dit le juste équilibre relationnel à ses yeux. Elle enseigne aux élèves comment se conformer aux conventions en usage qui régissent plus ou moins explicitement les rapports sociaux. En cela, elle s’inscrit dans le même mouvement que tous ses collègues, et plus largement du rôle que les enseignants font jouer à l’École22.
34Tout en cherchant à ne faire explicitement aucune distinction entre les élèves, l’enseignante prend néanmoins implicitement en compte la singularité de ses élèves en adaptant discrètement ses interactions et ses exigences. Cette contradiction apparente n’est pas vécue comme telle par Tautiare. Elle trouve une solution en faisant en quelque sorte primer l’équité sur l’égalité, se fiant pour cela à sa connaissance des élèves permise par sa fine observation de ces derniers. Elle évite un éventuel tiraillement entre parité absolue et individualisation en mobilisant le concept en acte de neutralité formelle. Celui-ci lui permet à la fois d’afficher formellement sa neutralité en positionnant clairement les statuts et les rôles respectifs, mais aussi de faire en sorte que cette neutralité ne soit que formelle, car l’élève est un « être humain avant [d’être] un apprenant ». La formation cognitive des élèves est subordonnée à ses valeurs humanistes.
- 23 « Il faut être un groupe pour taper sur la table et changer les choses. […] Agir tout seul, tu peux (...)
- 24 « Le savoir-vivre, en classe et le savoir-vivre en société ».
- 25 « On apprend le respect aux élèves. […] on doit savoir aussi vivre en société en respectant des règ (...)
35Tenant pour vrai que les élèves apprennent par mimétisme, Tautiare incarne physiquement ses attentes envers les élèves. En toute logique, elle mobilise parfois sciemment, parfois à son insu, ce qu’elle appelle l’effet miroir. Cette règle d’action est fortement liée à son rapport à l’environnement social et culturel. De l’avis de Tautiare, seul le collectif a un pouvoir d’action23. Aussi éprouve-t-elle de la satisfaction lorsqu’elle constate les élans de solidarité chez ses élèves pour s’entraider. La dimension collective et le sentiment communautaire24 sont importants à ses yeux et l’enseignante imprime en classe les rôles sociaux à construire25.
- 26 « J’ai envie qu’ils gardent leur langue et qu’ils voient la beauté de notre langue. […] Avec toute (...)
- 27 « Ça se sent quand j’enseigne ».
- 28 « [La langue tahitienne] a une valeur, on va dire, identitaire pour ma part » ; « c’est pour pouvoi (...)
- 29 « C’est un moyen de te, de te, on va dire, de te valoriser, par rapport à d’autres qui n’ont que ce (...)
36Relativement à l’enseignement LCP, l’action de Tautiare auprès de ses élèves consiste à « leur faire prendre conscience de la valeur de la langue ». Son intention de transmission patrimoniale est fortement liée à l’importance qu’elle accorde à la dimension communautaire26. Elle estime que son attachement au tahitien est perceptible27. Conformément à sa conception de l’apprentissage par mimétisme, elle considère que les élèves sont sensibles à son engagement dans cet enseignement. Elle cherche à transmettre son rapport affectif positif à la langue tahitienne, son « amour de la langue », laquelle est pour elle constitutive de l’identité28. Pour elle, la transmission patrimoniale va de pair avec la transmission linguistique. Revendiquer son appartenance culturelle par le biais de la langue constitue à ses yeux un moyen de valorisation personnelle29.
- 30 « Je suis revenue dans ma commune pour enseigner pour les élèves de ma commune ».
- 31 « On est entourés de légendes ici. C’est vraiment culturel, c’est vrai. Pour justifier par exemple (...)
37Son identité polynésienne assumée, ses valeurs liées à sa culture et son sentiment de loyauté envers ses origines30 orientent son activité interactionnelle et le choix d’artefacts didactiques. Les légendes constituent pour l’enseignante un emblème de l’identité polynésienne marquée par une culture de tradition orale31. Il n’est donc pas anodin qu’une légende soit l’artefact utilisé par Tautiare en séance LCP dans une perspective de transmission de la culture. En l’occurrence, La légende du cocotier met en scène Maui, qui n’est autre qu’un des grands héros mythiques de la Polynésie, notamment localement célèbre pour avoir pêché les îles du Pacifique. Il est en cela volontiers convoqué comme figure d’autorité, emblème populaire d’une identité résolument polynésienne. Nous avons abordé plus haut l’évocation mimétique par l’enseignante (à son insu) de la stature de Maui : elle peut, sans doute, être considérée comme emblématique de la figure d’autorité dans la culture polynésienne que représente Tautiare par son métier.
38La figure 6, représentant l’organisation systémique de l’activité de l’enseignante, distribue les manières de faire autour du triangle dynamique É-P-R. Dans la séance de LCP étudiée, les dimensions relationnelle et pragmatique de l’activité sont activement sollicitées pour favoriser la dimension épistémique. La culture agissante dans l’activité de Tautiare est façonnée par sa conceptualisation de la tradition orale originelle des Polynésiens, de l’apprentissage par mimétisme, du positionnement des rôles sociaux et statuts, d’une identité tahitienne fièrement assumée et de l’attention qu’il convient de prêter aux individus.
Figure 6 : Organisation systémique de l’activité de Tautiare
39Plus en détail, l’activité de l’enseignante, dans la situation analysée, nous semble articulée autour de ses concepts en acte inscrits au sein des tensions entre enjeux épistémiques (É), pragmatiques (P) et relationnels (R). D’une part, la neutralité formelle est ancrée dans le pôle relationnel, et d’autre part, la rigueur dans la structuration de l’activité des élèves est fortement liée au pôle pragmatique. La combinaison de ses deux concepts en acte converge vers la recherche de l’autonomie procédurale et comportementale des élèves. C’est là un préalable nécessaire selon l’enseignante à leur autonomie intellectuelle et cognitive en l’absence, pour l’heure, d’une maîtrise linguistique suffisante, afin de les responsabiliser dans les tâches proposées et de structurer leur activité. Des règles d’action sont mobilisées dans ce sens :
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Du point de vue des apprentissages sociaux, scolaires et hiérarchiques, l’autonomie des élèves dans la réalisation des tâches se construit par mimétisme grâce à l’exigence et la rigueur de la maîtresse qui propose une structuration didactique et méthodologique clairement balisée, garantit le cadre de fonctionnement en inculquant le vivre ensemble dans le respect mutuel et endosse un rôle modélisant ;
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La codification des attentes de l’enseignante, véhiculée de manière multimodale par sa très forte présence, sa gestualité marquée en évitant tout excès de théâtralité, ainsi que le jeu proxémique visant à donner confiance aux élèves, lui permet de se positionner comme figure d’autorité rassurante ;
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Associée à la prise en compte de l’individu derrière l’apprenant et à l’adaptation discrète au profil singulier de chacun grâce à une observation vigilante en classe et une connaissance approfondie des contextes personnels, la neutralité formelle – masquage des émotions, non-implication affective, constance dans la relation aux élèves sur un principe d’équité – est une attitude professionnelle qui protège l’image de soi-locuteur de l’élève ;
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Donner confiance et motiver les élèves en valorisant leur parole, en leur fournissant repères et indices s’estompant progressivement, permet de les désinhiber pour oser s’exprimer en langue tahitienne, dont l’apprentissage est favorisé par la dimension communicationnelle de l’oral ;
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L’apprentissage du tahitien et de sa culture, dont les légendes constituent un emblème et sont les seuls textes adaptés aux élèves, contribue à assumer fièrement son identité tahitienne.
- 32 Des résultats en sont présentés dans Alletru et Vinatier (2022) et Alletru et Vinatier (2023).
40Nous avons présenté les résultats issus de l’analyse de l’activité d’une des quatre participantes à la recherche collaborative. Le même type d’analyse a été conduit pour les trois autres enseignantes (sur la base de situations similaires)32, ce qui nous permet de les mettre en dialogue via une analyse transversale des dimensions partagées de l’activité d’enseignement des LCP des quatre enseignantes : que peut-on comprendre de ce qui est important pour elles dans ces configurations interactionnelles culturelles, lesquelles possèdent des traits de généricité au-delà des variations stylistiques interindividuelles ?
41Nous avons identifié un invariant opératoire dans les quatre activités analysées, celui d’apprentissage par observation-imitation. Étroitement lié à la notion polynésienne de ite, ce concept en acte cristallise en quelque sorte les manières de faire et les formes d’enseignement du tahitien que nous avons observées.
- 33 Voici plus en détail ce qu’il nous explique : « À chaque fois, tu as celui qui sait, qui te montre, (...)
42Le principe d’apprentissage par observation et imitation, bien qu’implicite, fonctionne de manière très puissante dans les séances d’enseignement des LCP et fait écho à la notion polynésienne de ite. Ite est un terme polynésien polysémique qui signifie à la fois savoir, voir, entendre, sentir, comprendre, témoin. Ayant fonction de verbe et de substantif, ite peut être combiné à d’autres mots pour étendre son sens. Pour définir cette notion, nous nous appuyons sur nos échanges avec une personnalité locale estimée pour son érudition, un matahiapo, par ailleurs enseignant, directeur d’école et ancien ministre de l’Environnement, en indiquant entre guillemets ses propos. Il évoque les modalités de transmission et la conception de l’apprentissage référées au ite comme « la transmission du savoir par “je vois, j’exécute et maintenant je sais” »33. Ainsi conçu, l’acte de transmission est incarné : il convoque un expert, « une personne » qui fait une démonstration, « une action » intentionnelle de réalisation d’un objet, « un produit ». L’observation attentive, le « ite » de ces trois éléments fondamentaux permet à l’apprenant de conceptualiser l’objet de savoir en passant par la reproduction des gestes observés : « une représentation mentale ». L’apprentissage est effectif lorsque le « produit », et non le geste, est « validé », sanctionné positivement par l’expert. En l’absence de validation, l’apprenant répète le geste jusqu’à obtention du produit reconnu comme acceptable par cet expert. C’est la situation initiale d’observation, incarnée via un expert, qui sert d’ancrage, « un référent » pour une remobilisation ultérieure de l’objet de savoir par l’apprenant. La mobilisation du ite nous permet de comprendre l’articulation du concept en acte d’apprentissage par observation-imitation aux règles d’action, de prise d’information et de contrôle de chacune des enseignantes en lien avec l’objet d’apprentissage (explicite ou implicite) de son activité.
43Nous proposons ici de monter en généralisation en dialectisant le principe d’apprentissage par observation-imitation et le modèle É-P-R (Vinatier, 2016) : en quoi les différents formats interactionnels des quatre situations investiguées rendent-ils compte de la présence et de la dimension opératoire du ite ? Comment le principe tenu pour vrai d’apprentissage par observation-imitation permet-il de comprendre la conceptualisation par les enseignantes, à un niveau partagé, des situations d’enseignement des LCP ? Nous schématisons ci-dessous (cf. Figure 7) les traits génériques de l’activité en nous appuyant sur la définition du ite et notre repérage des formats singuliers d’interaction.
Figure 7 : Modélisation de la présence du ite dans l’activité d’enseignement des LCP
Cette mise en perspective, modélisant la conceptualisation par les enseignantes à un niveau générique, permet de repérer les contours de la configuration interactionnelle culturelle des situations d’enseignement des LCP. Nous retenons les caractéristiques suivantes :
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L’apprentissage des élèves s’origine dans une situation de référence mettant en scène un artefact matériel ou symbolique emblématique et la modélisation par démonstration de la réalisation de la tâche porteuse du savoir visé par une personne experte incarnant ce savoir : l’articulation de ces trois éléments avec l’imitation du geste attendu imprime chez l’élève une représentation mentale lui permettant de conceptualiser la tâche (objet, propriétés, relations, action, transformation de l’objet…) ;
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L’apprentissage nécessite une éducation de l’attention et de la perception, par le regard et le corps, de l’élève pour observer et repérer les déterminants de l’action efficace à reproduire : le savoir s’acquiert par l’expérience sensible (voir, entendre), l’identification d’indices visuels et sonores pertinents, puis par réitération de la réalisation de la tâche. La démarche de modélisation-répétition requiert à la fois accessibilité de la tâche, ritualisation, adaptation et soutien sécurisant de l’engagement de l’élève ;
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Le savoir à acquérir fait écho à un savoir culturel local de nature emblématique : le sens de ce savoir découle de sa contextualisation et de la possibilité d’une continuité entre les univers référentiels scolaire et extrascolaire ;
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L’usage codifié de son corps par l’enseignant et le jeu proxémique sont significatifs des rapports de place et des règles interactionnelles à intégrer et à respecter : les codifications gestuelles sont symboliques d’un savoir social de référence en usage dans la communauté, leur observation attentive est source implicite d’apprentissage pour les élèves ;
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En matière linguistique, la parole de l’élève est gratifiée en tant qu’elle montre l’exemple pour les autres par un rôle modélisant, ou prouve l’engagement dans la tâche et l’esprit de persévérance : la protection de la face de l’élève soutient son estime du soi locuteur ;
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Les contenus à la fois culturels et linguistiques des LCP convoquent le sentiment d’appartenance communautaire à la fois comme finalité et comme moyen d’accès au savoir visé.
44D’après nos travaux, une didactique des LCP pourrait être pensée en tenant compte du point de vue des enseignants sur ces mêmes objets de savoir, c’est-à-dire les conceptualisations qui sous-tendent leur activité en contexte, de ce qui est important pour eux, notamment leurs valeurs, et de leurs besoins exprimés. Nous commençons par reprendre les caractéristiques de cet enseignement linguistique et culturel qui nous sont apparues, avant de formuler quelques propositions en termes de formation des enseignants.
45Nos analyses ont mis en évidence que les deux facettes, linguistique et culturelle, des LCP sont étroitement liées dans l’exercice professionnel. Le recours généralisé à des symboles, artefacts et pratiques emblématiques (par exemple la légende, ou le patautau, une comptine rituelle chantée collectivement) lors de séances conduites en tahitien montre en effet que contenu et forme scolaire semblent indissociables : l’usage de la langue tahitienne fait partie intégrante des pratiques culturelles, l’ensemble traduit et construit l’appartenance communautaire des membres de la classe. L’usage de codifications corporelles associé à une certaine forme de parole rituelle marque et instaure implicitement des rapports de place culturellement admis auxquels les élèves se conforment. Sont ainsi enseignés des savoirs sociaux de référence (par exemple, savoir se comporter dans l’interaction) en cohérence avec un principe organisateur qui est implicitement partagé par les quatre enseignantes : l’apprentissage par observation-imitation, et son corollaire l’enseignement par modélisation. Cette modalité didactique, appréhendable dans les interactions lors des séances, révèle une activité de transmission-construction de la culture en séance de LCP. L’activité conjointe des élèves et de leur enseignante participe au processus dialectique de production et de construction des savoirs (i.e. les pratiques linguistiques et culturelles) : par la voie de leur actualisation in situ. Les sujets agissent sur le réel en le modifiant et ce faisant, ils se transforment eux-mêmes. En somme, dans ces situations, on retrouve les dimensions productive et constructive de l’activité (Samurçay et Rabardel, 2004), l’une étant corrélativement le moyen et la visée de l’autre. Ainsi nous concluons que, dans ce contexte, les savoirs locaux ne se coulent pas dans la forme scolaire. La forme scolaire subit un processus d’indigénisation permettant de concilier, d’hybrider les deux univers référentiels en formant des passerelles pour faciliter la migration des élèves entre des savoirs d’un registre différent (Rigo, 2009). Ainsi se manifeste professionnellement la culture hybride des enseignantes qui incarnent, via l’usage de leur corps signifiant, une fonction de vecteur de concepts culturels (Isani, 2004).
46Bien que considérée par les enseignantes comme révélatrice et/ou porteuse d’un haut potentiel métalinguistique, l’interlangue franco-tahitien qui est somme toute la variété la mieux maîtrisée par les enfants n’est pas admise en classe, conformément à l’idéologie de pureté de la langue valorisant l’emploi des langues standard. Nous avons noté à cet égard des tensions dans l’activité : entre idéalisation du tahitien pur et faible sentiment de compétence linguistique, entre principe de séparation des langues et intérêt métalinguistique de l’interlangue, entre nécessité d’enseigner la langue et insécurité vis-à-vis de ses compétences didactiques.
47Le modèle didactique revendiqué par les concepteurs des programmes et ressources pour les LCP est celui du FLE (français langue étrangère), d’émanation occidentale par définition, sur lequel sont calquées les préconisations pour la didactique des langues polynésiennes. Cependant, de l’avis de linguistes spécialistes du FLE, de telles préconisations standardisées et l’émergence de principes dominants sont impossibles en raison de l’extrême variabilité des paramètres contextuels à prendre en compte (Castellotti et Chalabi, 2006 ; Castelloti et Moore, 2008) d’une part et de la difficulté à prendre en compte la variation linguistique dans les usages réels (Axampanopoulos, 2021) d’autre part. En revanche, nous avons davantage perçu la prégnance de préconisations issues de travaux du Conseil de l’Europe en matière de promotion de l’approche actionnelle. Cette dernière considère que communiquer c’est agir, vivre, manipuler, bouger et repose sur la mise en œuvre de trois principes : l’action de communication dans sa totalité pour l’acquisition de compétences linguistiques, pragmatiques et sociolinguistiques par la prise en compte du contexte et de la gestuelle ; la classe comme microsociété authentique où l’apprenant est un acteur social grâce au lien entre les membres agissants par un contrat social et des codes connus ou à acquérir ; la pédagogie par projets visant l’emploi de la langue cible dans la microsociété authentique qu’est la classe par le biais de projets favorisant les coactions incluant actes verbaux et non verbaux. Nos analyses des séances montrent que ces trois principes opèrent spontanément en séance de LCP, non pas au titre d’implémentation didactique spécifique, mais au titre de reflet d’habitus culturels de transmission.
48En tout état de cause, il nous apparaît heuristique de porter intérêt à la conceptualisation par les enseignants des situations d’enseignement des LCP, et de l’analyser avec eux, pour eux, afin de co-construire une didactique des LCP. Notre contexte d’étude offre potentiellement un formidable terrain pour étudier de quelle manière l’articulation entre didactique émergente d’une discipline et didactique professionnelle, peut contribuer à une réflexion sur les objets et démarches d’enseignement tenant compte des savoirs d’expérience des professionnels et des valeurs qu’ils associent à des objets de savoir culturellement situés.
49Au regard de nos analyses qui montrent de grandes variations interindividuelles, les contenus d’enseignement en séance de LCP peuvent constituer un objet de formation professionnelle. Plus précisément, il nous semble intéressant que les enseignants puissent mener une réflexion collective sur :
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Les contenus linguistiques : un premier point touche au statut des langues polynésiennes en tant que langue d’enseignement ou langue enseignée. Il s’agirait d’aborder les conditions d’emploi de la langue dans l’une ou l’autre fonction pour repérer les éventuels freins et/ou avantages à son utilisation et d’envisager les bénéfices d’une éducation biplurilingue pour l’ensemble des apprentissages scolaires ; le second point concerne précisément la langue enseignée, soit son registre (pur, familier, interlangue) refusé, admis ou valorisé sur les plans à la fois symbolique et pragmatique ; un troisième point se rapporte aux acquisitions linguistiques visées pour les élèves, ce qui conditionne l’adaptation des exigences sur les plans syntaxique et lexical ;
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Les contenus culturels : l’usage de la langue d’origine semble indissociable de symboles culturels tels que légende, héros mythique, chant, couronne de fleurs, vie quotidienne, pratiques traditionnelles, etc. Le choix du recours à des emblèmes et à la contextualisation des apprentissages dans l’environnement culturel de référence, de même que l’inculcation de savoirs sociaux, notamment en termes de rapports de place, nous semble être des sujets à investiguer par les professionnels eux-mêmes ;
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La mimogestualité conversationnelle : elle est de fait employée sans faire l’objet d’un enseignement explicite, contrairement au lexique ou à la syntaxe. Il semble à cet égard qu’une réflexion pourrait être engagée par les professionnels sur l’opportunité d’en faire un objet d’enseignement affiché ou de lui préférer une transmission tacite par modélisation ;
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L’éducation de l’attention : nous avons repéré que les élèves sont incités à faire preuve d’une grande attention en la manifestant par l’orientation de leur regard sur la cible voulue par l’enseignant et une attitude corporelle conforme à leur statut (assis, en posture d’écoute). Nous avons interprété cette éducation du regard et du corps de l’élève comme répondant au principe d’apprentissage par observation-imitation. Les enjeux associés à l’éducation du corps et du regard de l’élève ainsi que les moyens d’y parvenir sont, pour une large part, implicites, aussi les enseignants pourraient-ils gagner à en faire un objet de délibération collective.
50Parallèlement à ces types de contenus d’enseignement (linguistiques, culturels, procéduraux) destinés aux élèves, le curriculum de formation des enseignants pourrait investir avec profit les dimensions professionnelles suivantes :
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Le rapport à la langue : de notre point de vue, la formation ne peut faire l’impasse sur la question de l’estime de soi locuteur, qu’elle concerne le propre ressenti des enseignants ou les manifestations d’insécurité linguistique par les élèves. Le rapport inhibé à la langue génère une très forte résistance en séance de LCP, laquelle ne peut être ignorée pour accompagner la recherche et la construction de ressources pour l’action efficaces ;
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Les finalités de l’enseignement des LCP : au-delà du consensus formel, cet enseignement est investi de manière très variable et dépend de plusieurs paramètres dont la discussion permettrait aux professionnels de se situer en conscience relativement aux prescriptions : dimension linguistique et/ou culturelle, utilité sociale, légitimité de certains contenus, sentiment de compétence didactique ;
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Le lien langue-culture-identité : les interactions organiques entre ces trois dimensions sont apparues fortement dans notre étude. La finalité poursuivie semble être celle d’une construction identitaire des élèves autour du sentiment d’appartenance communautaire. Les enseignants auraient avantage à explorer, pour eux-mêmes et entre eux, l’explicitation de ces liens, lesquels semblent relativement tacites, et ce afin que se dégage une réflexion sociolinguistique nourrie des expériences de terrain et orientée vers la construction de savoirs du métier ;
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Le double circuit de communication : nos résultats mettent en évidence l’efficience du corps agissant, signifiant et socialisant de l’enseignant. La présence de codifications corporelles ainsi que le jeu proxémique dans leurs manières de faire montrent que la communication opère puissamment sur les registres à la fois verbal et infraverbal (c’est-à-dire qui relève de ce qui est communiqué sans parler, grâce au recours par exemple à des mimiques, à la gestualité, etc.). Ce processus de sémiotisation, non conscient chez les enseignants, peut constituer l’objet d’une analyse réflexive, d’une désincorporation, en termes d’intentionnalité (explicite et implicite), de procédés (conscients ou non), d’inférences (interprétation des indicateurs prélevés dans l’attitude des élèves, orientant l’action) et d’effets sur l’activité interactionnelle et les apprentissages des élèves ;
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Le lien de subordination entre oral et écrit : d’après nos observations, les enseignants entretiennent un rapport à l’écrit en tahitien qui mérite attention à double titre. D’une part, l’écrit engage le rapport à soi dans le sentiment partagé d’une gêne, voire d’une relative incompétence linguistique, et encore plus didactique. D’autre part, indépendamment du niveau de classe, une fonction instrumentale est attribuée à l’écrit, lequel est subordonné à la visée communicationnelle et surdéterminante de l’oral ;
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L’aptitude à l’observation régulatrice et évaluatrice : les enseignants semblent avoir développé une capacité affinée d’observation des élèves, ce qui génère une connaissance fine de leurs besoins et de leur personnalité, mais également une vigilance importante quant à leur attitude. Cette extrême attention, pour une large part tacite, contribue à leur faculté d’adaptation en situation. L’explicitation des indicateurs estimés significatifs et leur partage entre professionnels sont de nature à accroître leur pouvoir d’agir (Clot, 2001).
51Les travaux en ergonomie de langue française ont montré qu’il existe nécessairement un écart entre la tâche prescrite et la tâche effective (Leplat et Hoc, 1983) : c’est dans cet écart que s’exprime la créativité du sujet capable (Rabardel, 2005) qui est porté par ses valeurs du métier (Vinatier, 2009, 2013). Rabattre la formation des enseignants sur des prescriptions ignore la place fondamentale que tiennent les situations professionnelles dans l’apprentissage d’un métier (Pastré, 1999, 2008) ainsi que le rapport que le sujet entretient avec lesdites situations, lesquelles sont de nature interactionnelle. L’analyse réflexive est dans son principe un enjeu de formation. L’analyse du travail à des fins de formation professionnelle dans une orientation de didactique professionnelle s’appuie pour Vinatier (2009, 2013) sur le triptyque sujet-schème-situation, les schèmes étant significatifs de la conceptualisation à l’œuvre dans l’activité in situ (Vergnaud, 1996).
52Concernant les interactions avec les élèves, nous sommes attentive aux variations des règles d’action mobilisées par les participantes à la recherche. Sur la base de ces considérations, certaines régularités de l’enseignement des LCP entre les quatre enseignantes nous semblent susceptibles de faire l’objet d’une réflexion pour la formation. Faire émerger les tensions (Alletru, 2021) au niveau des valeurs propres et des contraintes de la situation, des buts explicites et implicites, des manières de faire, pour amener les professionnels à les discuter, ouvre une voie à l’émergence de concepts organisateurs des configurations interactionnelles culturelles. Ainsi, l’analyse de l’activité (singulière ou partagée) pourrait être engagée en s’articulant aux quatre dimensions constitutives du schème :
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Composante intentionnelle : élucidation des savoirs transmis, buts explicites et implicites se révélant sensiblement différents. Nous avons notamment repéré que dans l’activité interactionnelle, l’inculcation de codes sociaux vient se superposer, voire surdéterminer les apprentissages linguistiques affichés ;
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Composante procédurale (règles d’action) : traits de similarité entre les propres expériences d’apprentissage linguistique et plus largement sociolinguistique des enseignants, et les règles d’action, de prise d’information et de contrôle (modalités didactiques et pédagogiques) employées en classe ; fonction emblématique conférée de manière plus ou moins explicite à certains artefacts, postures et règles interactionnelles (évocation posturale d’une figure d’autorité, règles de distribution de la parole…), ainsi que la manière dont ils permettent la transmission de codes et concepts culturels ;
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Composante conceptuelle (invariants opératoires) : définition de principes tenus pour vrais sur l’apprentissage organisant l’activité interactionnelle en situation d’enseignement des LCP ; valeurs fondamentales des enseignants se révélant opératoires in situ dans le sens où elles orientent leurs décisions d’action : leur rôle dans l’interaction avec les élèves, les éventuelles tensions dans les modalités de leur manifestation ;
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Composante adaptative : manière d’ajuster en situation sa propre activité interactionnelle à la lecture de l’activité des élèves, le tout contribuant au processus de transmission-construction de la culture.
53Les aménagements de la forme scolaire tels que les enseignants parviennent, ou éventuellement peinent, à concilier les deux univers référentiels (celui d’une institution formellement dédiée à la transmission de savoirs prescrits et celui de leur culture hybride d’appartenance) pourraient également être l’objet d’une réflexion collective. De la sorte, questionner le métissage de la forme scolaire opéré et/ou opérable pourrait nourrir un éventuel débat sur une écriture de curricula propres à la Polynésie française en matière de LCP.
54À un niveau individuel, donner au professionnel l’occasion d’élucider les buts explicites et implicites qu’il poursuit, ses propres manières de faire, ainsi que les principes d’actions comme les valeurs sur lesquelles ses règles d’action reposent, en d’autres termes les éléments constitutifs de ses schèmes d’action, lui offre l’opportunité, pour son propre bénéfice, d’étendre son pouvoir d’agir en étendant, diversifiant et complexifiant ses schèmes d’action, et donc potentiellement l’expression de ses compétences : c’est tout l’enjeu d’une démarche réflexive dans une orientation interactionniste de didactique professionnelle dont la formation sur notre terrain d’enquête pourrait être porteuse.