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Dossier

Les ressources pédagogiques numériques des musées de sciences français : un rapport instrumental aux contenus de la culture scientifique

Digital educational resources of French science museums: an instrumental relation to the content of scientific culture
Alain Sénécail

Résumés

Cette étude s’intéresse aux statuts des contenus des visites scolaires de l’école primaire dans les musées de sciences tels qu’ils sont véhiculés par les ressources pédagogiques numériques. En considérant l’apprentissage en sciences comme relevant de l’établissement d’un rapport à la culture (Simard et Falardeau, 2007), le présent article vise alors à décrire le statut de ces contenus spécifiques et le type de rapport pédagogique à la culture qui en découle. L’analyse d’un corpus des ressources pédagogiques numériques de 28 musées de sciences français montre alors que les contenus des visites scolaires sont souvent assujettis aux programmes de l’école et que les pratiques imposent un rapport instrumental à la culture scientifique.

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Texte intégral

1. Introduction

1Le musée et l’école, bien que tenus par des missions communes d’éducation, sont des institutions distinctes et spécifiques. Ainsi, à l’école, les disciplines organisent les situations d’enseignement et d’apprentissage alors que le musée relève plutôt d’une approche thématique. De même, si l’élève est tenu d’apprendre, ce n’est pas le cas du visiteur (Cohen, 2001). Pourtant, musées de sciences et école entretiennent des relations organiques depuis le large développement des visites scolaires des dernières décennies (Cohen et Girault, 1999). D’un point de vue didactique, analyser les moments de rencontre entre les institutions engage donc une forme de réflexion autour de ce que sont les contenus de la visite scolaire.

  • 1 Voir à ce propos les rapports PatrimoStats du ministère français de la culture qui montrent une pro (...)

2Le public scolaire représente une part non négligeable des effectifs visiteurs des musées1. Ce faisant, l’attraction et l’accueil des publics scolaires relèvent d’un véritable enjeu pour les institutions muséales. Cela se traduit notamment par la mise en place de programmes éducatifs spécialement conçus pour les écoles et par une diligence certaine à l’égard des enseignants et de leurs attentes. Ainsi, les musées multiplient les ressources à l’usage des enseignants. Se retrouvent alors des formations sur site ou en ligne, des visites virtuelles, mais surtout des ressources documentaires. Ces documents sont légion sur les sites web des musées et sont de nature variée (livrets, dossiers pédagogiques, présentations d’ateliers, séquences clés en main). Que disent alors ces ressources documentaires de la visite scolaire ? Quels sont les statuts des contenus en circulation dans ces documents ? Quelles relations s’établissent entre spécificités du musée et exigences des programmes de l’école ? Quelle image ces ressources véhiculent-elles de la discipline scolaire et de l’institution culturelle ? Quel rapport à la culture scientifique en découle-t-il ?

3Pour répondre à ces questions, et dans une approche originale, je propose une analyse didactique des ressources documentaires mises en ligne par 28 musées de sciences de France métropolitaine concernant les visites scolaires de l’école primaire.

4Ainsi, dans un premier temps, je présente les grandes lignes du réseau conceptuel dans lequel s’ancre cette étude, ce qui me permet de revenir sur l’intérêt didactique d’analyser les visites scolaires du point de vue des contenus. Ensuite, je présente les choix effectués et les modalités d’analyse et de reconstruction de ces contenus et de leur statut. Ce temps est suivi de la présentation des résultats et de leur discussion. Enfin, je montre en quoi l’analyse des documents pédagogiques éclaire à un niveau plus général le statut du musée en tant que lieu de ressources pour l’enseignement.

2. Les contenus de la visite scolaire au musée de sciences comme objet de recherche

2.1. Les contenus en sciences et le rapport à la culture scientifique

2.1.1. La culture scientifique : des contenus variés

5La notion de contenus telle que je l’envisage renvoie à « tout ce qui est objet d’enseignement et d’apprentissages, implicites ou explicites » (Delcambre, 2007/2013 : 43). Ce faisant, c’est donc à une diversité d’objets que je fais référence et qui entretiennent entre eux des relations complexes (Reuter, 2010 ; Daunay, Fluckiger et Hassan, 2015). Concernant l’enseignement et les apprentissages des sciences, cette pluralité d’objets se retrouve dans les usages récents du syntagme « culture scientifique ». En effet, en France, depuis les années 2000 et la mise en place du plan de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie (Ministère de l’Éducation nationale, 2000), la culture scientifique est présentée comme un « enjeu majeur » pour l’école et la société. Cette insistance se retrouve par ailleurs à l’échelle internationale et transparait dans les dispositifs évaluatifs tels que PISA. Dans ce cadre, la culture scientifique est définie selon trois « types de savoirs » : content knowledge, practical knowledge et epistemic knowledge (OCDE, 2018). Ce faisant, un lien fort s’établit entre l’élaboration des savoirs scolaires et leur implication dans la société (Albe, 2011 : 125). Au-delà des connaissances d’ordre scientifique ou technique, la culture scientifique met donc également en jeu des savoir-faire, des savoir-être, des rapports à la science (Fourez, 1997 : 907) ; et ce, dans le but de donner aux élèves des outils pour penser au-delà de l’école (Roberts, 2007). Il est alors question de contenus relatifs aux sciences, mais également à la nature des sciences (Maurines, Fuchs-Gallezot et Ramage, 2017).

6Non sans lien, il est aussi question de développer l’affectivité des élèves à propos des sciences (Venturini, 2007). Ainsi, s’intéresser aux contenus en sciences c’est prendre en compte les valeurs et attitudes envers les sciences (Braun, Buyer et Randler, 2010), mais également les émotions (Petersen et Dohn, 2017). Ceci est d’autant plus prégnant quand il s’agit d’analyser les situations de visites scolaires puisque le musée ne vise pas tant la construction de savoirs que celle d’une image et d’un rapport aux sciences (Guichard et Martinand, 2000 ; Meunier, 2008).

7Ainsi considérée, la culture scientifique peut alors être envisagée comme relevant d’une appropriation personnelle, d’un apprentissage de connaissances, de comportements et de manières de penser relatifs à cette culture. Cette appropriation est alors en lien avec les fonctionnements de la culture scientifique dans les différentes sphères de la vie sociale. C’est cette intrication complexe de contenus de nature et de forme différentes qu’il est question de définir dans cette recherche.

2.1.2. Le rapport à la culture comme outil d’analyse de la complexité des contenus

8Dans leurs travaux inscrits en didactique du français, Érick Falardeau et Denis Simard (2007) élaborent, sur la base des nombreux travaux en sociologie (par exemple, Charlot, Bautier et Rochex, 1992), un modèle d’analyse de l’enseignement comme rapport à la culture. Ce faisant, ils proposent non plus de considérer la culture comme objet de transmission, mais plutôt comme rapport spécifique des sujets aux objets de culture. Penser ainsi les situations didactiques permet alors d’interroger tant les dimensions épistémiques et subjectives que sociales (Falardeau et Simard, 2007). Prendre en compte le rapport à la culture scientifique permet alors de considérer des contenus protéiformes et d’en interroger les relations d’intrication. Il s’agit en cela de prendre en compte les manières qu’ont les sujets de mobiliser les savoirs (dimension épistémique), mais aussi les valeurs et le sens qu’accordent les sujets aux savoirs et pratiques (dimension subjective) et cela, dans une prise en compte des interactions du sujet avec autrui (dimension sociale). En effet, « le développement du sujet ne peut se faire que dans l’interaction avec l’autre, qui sera nécessairement porteur d’une culture que l’individu intègrera ou non à ses projets personnels et à sa compréhension du monde » (Falardeau et Simard, 2007). Se cultiver procède donc d’une forme de dépassement de soi, du passage d’une culture première à une culture seconde (Falardeau et Simard, 2007). La culture se conçoit dès lors comme un processus de construction et de transformation du sujet. Suivant les propositions de Godin (1999) de considérer les sciences et la culture scientifique comme partie intégrante de la culture, l’hypothèse méthodologique est donc ici de considérer que ce modèle est transférable à l’analyse des situations d’enseignement et d’apprentissages des sciences, dès lors que des dimensions culturelles sont explicitement mises en jeu.

9Toujours selon ces auteurs et concernant les situations d’enseignement et d’apprentissage, ce rapport peut être analysé au plan individuel (celui d’un sujet particulier), mais il peut également l’être au plan pédagogique. C’est-à-dire qu’il peut s’agir du « rapport qu’entretient l’enseignant avec la culture de l’élève » (Falardeau et Simard, 2007). Dans cet écrit, je m’attache à reconstruire le rapport pédagogique à la culture scientifique tel qu’il transparait dans ressources en ligne des musées de sciences ; c’est-à-dire, au rapport pédagogique à la culture scientifique tel qu’il est envisagé par les services éducatifs des musées de sciences.

10Quatre types de rapports à la culture sont alors envisageables (Falardeau et Simard, 2007) :

  • le rapport désimpliqué (Jellab, 2001), pour lequel il y a une forme d’autosuffisance du sujet, sans rencontre avec les objets de culture. Le sujet interprète le monde depuis sa culture première. Dans cette conception, « la culture, ce n’est pas véritablement l’affaire de l’école » (Falardeau et Simard, 2007 : 140) ;

  • le rapport scolaire se rapproche de manières de faire relatives au métier d’élève. Le sujet s’inscrit dans une continuité avec la forme scolaire et la culture se constitue comme objet légitime qu’il s’agit de s’approprier sans le questionner dans une dimension réflexive. C’est-à-dire que « la culture occupe un rôle très important dans la classe, mais exclusivement à travers les savoirs qui en sont issus » (Falardeau et Simard, 2007 : 142) ;

  • le rapport instrumentaliste consiste en une prise en compte réelle de la culture dans la classe. Elle n’est cependant pas vue comme un processus en construction et sur lequel il faut réfléchir. Dans ce type de rapport, la culture légitime les savoirs, elle peut également être une source de motivation. En cela, la culture est intégrée en classe parce qu’elle est utile (Falardeau et Simard, 2007 : 144) ;

  • le rapport intégratif-évolutif amène à une vision de la culture comme processus dynamique qui constitue une médiation entre le sujet élève et le monde. À l’école, ce rapport « s’organise autour des disciplines mais sans s’y réduire ». Les élèves sont sensibilisés au sens des contenus culturels en jeu, ce qui leur permet non seulement d’apprendre, mais également d’intégrer ces contenus de façon critique à leurs pratiques culturelles, même en dehors de l’école (Falardeau et Simard, 2007 : 148).

11La façon dont les enseignants mettent en relation les pratiques culturelles scolaires avec des enjeux non scolaires joue un rôle fondamental dans leur rapport pédagogique à la culture. Or, la visite scolaire au musée se trouve être un point de rencontre entre les sphères scolaires et extrascolaires. Reste alors à construire la relation qu’entretiennent visites scolaires et contenus de la culture scientifique.

2.2. La lecture de l’exposition comme contenu de la culture scientifique

12Les chercheurs en éducation muséale et en didactique (Allard et Boucher, 1991 ; Cohen, 2001) ont tôt fait de montrer la nécessité de prendre en compte certaines spécificités de l’institution muséale dès lors qu’il s’agit d’analyser les situations de visites scolaires. En effet, des différences significatives entre les institutions sont souvent mises au jour (voir à ce propos l’ouvrage de Guichard et Martinand, 2000). Cette caractérisation des institutions a conduit très tôt la recherche en didactique à inscrire les analyses dans une forme de dichotomie (ce que Cohen a déjà mis en évidence en 2001) qui de fait établit des tensions entre les contenus muséaux et scolaires. Plus récemment, certains chercheurs (Cohen-Azria et Dias-Chiaruttini, 2014 ; Sénécail, 2021) proposent de penser la visite comme inscrite dans une histoire scolaire, dans un continuum didactique (Cohen-Azria et Dias-Chiaruttini, 2014). De ce fait, les contenus de la visite scolaire ne seraient pas en tension, mais seraient spécifiques de la situation. En cela, ils résultent de la transformation des contenus des deux institutions. C’est dans cette perspective que j’inscris cette recherche. Il ne s’agit pas de comprendre si tel ou tel contenu relève d’une institution plutôt qu’une autre ; il s’agit plutôt de caractériser les contenus spécifiques à cette rencontre entre les institutions.

13Pour autant, il n’est pas question de nier ce qui fait précisément l’originalité du musée, c’est-à-dire, l’exposition. En effet, à la suite de nombreuses recherches (Allard et Boucher 1991 ; Cohen, 2001 ; Cohen-Azria et Dias-Chiaruttini, 2014 ; Meunier, 2011), je considère que la formation des visiteurs passe par une forme d’acculturation. Visiter un musée demande des compétences diverses relatives à la lecture d’exposition, telles que l’observation, le questionnement et la formulation d’hypothèses (Allard et Meunier, 1999). En effet, depuis longtemps les muséologues montrent comment la mise en exposition relève d’une forme de langage (Davallon, en 1986, parle d’une langue de l’exposition scientifique). Dans ces conditions, « la mise en espace de l’exposition par la sélection et les choix relatifs à la présentation devient “un espace écrit” » (Chaumier, 2011). En cela, l’exposition relève d’une grammaire dont les objets peuvent être considérés comme des mots qui ne prennent sens que par le contexte et le co-texte, c’est-à-dire les autres objets, la scénographie… La place de l’objet authentique, déjà mise en avant comme attribut propre à l’espace muséal (Van Praët et Poucet, 1992) est alors centrale. Polysémique par nature, l’objet devient support d’un discours scientifique par la lecture qui est faite par le visiteur de l’exposition. L’exposition peut alors être vue comme une œuvre « ouverte » au sens de Eco (1965) et l’interprétation y tient alors une place centrale, elle est une forme de médiation spécifique entre le sujet et l’objet et elle procède de certains « protocoles intériorisés » et de croyances (Fish, 1976). Ce faisant, les différentes expériences des visiteurs s’organisent sous forme d’imprégnation par laquelle les sujets s’appuient pour interpréter l’exposition, ce qui leur permet de reconstruire un discours scientifique. En définitive, je constitue l’expérience de visite scolaire comme un contenu dont les références peuvent s’interroger au regard des spécificités de l’espace muséal. Dans ces conditions, la lecture de l’exposition est alors considérée comme un contenu de la culture scientifique. Que disent alors les ressources pédagogiques des contenus de cette culture pris au prisme de la visite scolaire ?

3. Des ressources pédagogiques aux contenus de la visite scolaire

14Reconstruire les contenus des ressources pédagogiques des musées signifie que je m’intéresse aux contenus tels qu’ils sont véhiculés dans l’espace des recommandations ; c’est-à-dire dans l’espace de l’encadrement des pratiques (Reuter et Lahanier-Reuter, 2004/2007). En effet, comme le précise Anik Meunier (2011 : 5), « un outil pédagogique représente un instrument qui privilégie une stratégie ou une manière de procéder dans le but spécifique de soutenir les visiteurs dans l’appropriation des contenus du musée ou de l’exposition ». Et bien qu’il n’y ait guère de caractère prescriptif quant à leur consultation ou leur utilisation et qu’aucune intentionnalité subjective ne puisse être prêtée, il n’en demeure pas moins que ces ressources pédagogiques donnent à voir l’image qu’ont les services des musées des publics scolaires et de leurs attentes. Analyser la documentation pédagogique permet de reconstruire les objectifs et stratégies que le musée (en tant qu’institution) met en place pour accueillir les classes. En d’autres termes, analyser ces documents permet de penser les contenus de la visite scolaire visés par les professionnels du musée. L’intérêt d’explorer l’espace des recommandations est d’autant renforcé que très peu de travaux en didactiques se penchent sur la documentation pédagogique des musées de sciences.

3.1. Construction du corpus : quelles ressources pédagogiques en ligne ?

3.1.1. Un panel de 28 musées de sciences

15Dans un souci d’accessibilité des ressources et de représentativité, le choix d’un travail exclusif sur les documents en ligne s’est imposé. C’est aussi parce que ces ressources numériques sont citées comme l’un des principaux supports de la préparation par de nombreux enseignants (Sénécail, 2021) qu’il apparait pertinent de les interroger.

16La sélection des musées s’est faite sur la base d’une liste des « musées de France » établie par le ministère de la Culture à laquelle une série de critères d’inclusion a été appliquée. Cette sélection a permis de stabiliser une liste de 28 établissements. Pour des raisons éthiques, cette liste est anonyme, mais il s’agit de musées de province, tous implantés en France métropolitaine.

3.1.2. Corpus de documents-ressources pour les visites scolaires de l’école primaire

17Puisque je m’intéresse aux pratiques de visites scolaires de l’école primaire dans les musées de sciences, ce sont tous les documents relatifs à ces visites pour chacun des musées qui ont été colligés. Ce corpus forme alors un ensemble de 215 documents de natures variées. Ainsi se retrouvent des activités et exercices à faire en classe (38 documents) avant ou après la visite ; des brochures et plaquettes de présentation du musée (11 documents), de l’exposition et des visites proposées ; des dossiers pédagogiques (45 dossiers pédagogiques) ; des fiches d’activités et livrets que les élèves peuvent utiliser durant la visite (47 documents) ; des fiches pédagogiques à l’usage des enseignants (32 documents) et plus rarement des fiches spécifiques à un objet (7 documents), qui présentent et décrivent certains objets d’exposition, ainsi que des règlements (3 documents). À ces catégories de documents s’ajoutent les pages de sites (32 documents), c’est-à-dire une liste de l’offre éducative proposée directement mise en ligne. Cette dernière catégorie se retrouve pour la plupart des musées et constitue parfois la seule ressource disponible en ligne.

18Ces types de ressources se retrouvent en proportions variables sur les différents sites des musées avec toutefois une certaine prépondérance de trois types de ressources en matière de représentativité dans les différentes institutions. Il s’agit des pages de sites et des dossiers pédagogiques qui présentent l’exposition et ses possibles exploitations, et enfin, des fiches d’activités dont les élèves peuvent se saisir durant la visite.

  • 2 Je note également une forte disparité dans la forme des documents. Alors que certains documents tie (...)

19Le corpus se caractérise donc par un ensemble relativement hétérogène2 de 215 documents unis par leur statut : ils sont des ressources possibles aux situations de visites scolaires et ils en proposent une conception particulière en lien avec les contenus des visites scolaires. C’est cette conception qu’il s’agit alors de saisir par une méthodologie centrée sur les contenus.

3.2. Une analyse en deux étapes

3.2.1. Étape 1 : De la lecture flottante à l’analyse thématique

20Le corpus constitué fait l’objet d’un traitement catégoriel proche des méthodes d’analyse de contenu (Bardin, 1977) en ce qu’il tente de reconstruire le sens contenu dans les documents, mais aussi en ce qu’il permet d’accéder au caché, au latent et au non-dit (Bardin, 1977 : 9). Pour autant, cette analyse s’en éloigne dans la mesure où le traitement qualitatif est au cœur de la démarche. En cela, je construis une posture dite de « proximité » (Paillé, 2007) ; c’est-à-dire à la fois proche de la complexité de la vie, proche des contextes immédiats du phénomène étudié, mais aussi proche de ma subjectivité de chercheur (Paillé, 2007 : 432).

21Cette première phase d’analyse permet alors une décontextualisation des documents par le biais de découpages et de regroupements objectivés (voir Tesch, 1990, cité par Savoie-Zajc, 2000). L’analyse approfondie de certains sous-ensembles permet en retour de recontextualiser (voir Tesch, 1990, cité par Savoie-Zajc, 2000) le corpus au regard de la question des contenus en jeu dans les situations de visites scolaires. En cela, cette première étape donne à saisir la coloration générale qui traverse le corpus et qui s’organise autour de quatre axes qui interrogent le statut des contenus en jeu :

  • le type de sujet à qui s’adresse les documents ;

  • l’approche pédagogique privilégiée ;

  • le type de références présentes dans les documents, et notamment les références à l’école, à ses textes et à ses fonctionnements ;

  • le type de thématiques abordées pendant les visites.

22Dans la continuité de cet effort de décontextualisation/recontextualisation, et pour mieux saisir les enjeux que rattachent les services muséaux aux visites scolaires, une deuxième étape est mise en œuvre.

3.2.2. Étape 2 : Du statut de l’objet de musée dans les tâches proposées aux élèves

23Pour aller plus loin encore dans l’identification des contenus et des possibles stratégies mises en œuvre par les musées, une deuxième étape consiste à interroger le type de tâches qui sont directement proposées aux élèves, notamment à travers les livrets d’accompagnement et fiches d’activités. Dans une approche purement qualitative, cette étape permet une réflexion sur les statuts possibles accordés aux spécificités du musée et particulièrement aux objets de musée. Cette approche met alors au jour les relations possibles entre sujets et objets telles qu’elles peuvent être reconstruites au travers des tâches. Cette analyse amène ainsi à considérer que le type de rapport pédagogique à l’institution muséale dépend en partie du statut accordé aux objets et que ce statut est corrélé aux objectifs visés par la visite scolaire.

4. Les ressources pédagogiques des musées, un rapport scolaire et utilitaire à la culture scientifique

4.1. Des sujets scolaires et des thématiques disciplinaires au centre des situations

4.1.1. L’Éducation nationale comme cosignataire des documents pédagogiques

24Bien que les auteurs des ressources ne soient pas toujours identifiables, il faut tout de même noter que lorsque c’est possible, l’Éducation nationale est souvent cosignataire. Ainsi, 40 documents sur 215 sont signés ou estampillés « Éducation nationale ». Bien que cela puisse s’expliquer par certaines pratiques historiques de partenariats entre l’école et le musée (notamment par le détachement d’enseignants dans les services des musées), cette présence de l’Éducation nationale comme autrice des ressources pédagogiques n’est pas neutre. En effet, cela donne une forme de légitimation du musée, alors autorisé à proposer des activités pédagogiques autour de contenus prescrits par l’institution scolaire. En cela, c’est donc aussi la référence des contenus des visites scolaires qui est interrogée dans la mesure où le lien entre les institutions précède le moment même de rencontre entre les sujets de la visite scolaire. À ce premier niveau de description – encore très général – il est donc possible de dire que les contenus véhiculés par ces ressources sont jalonnés par l’institution scolaire et ses prescriptions.

4.1.2. Des ressources adressées aux enseignants pour former des élèves

25Les documents analysés s’adressent en priorité aux enseignants et plus rarement aux élèves (jamais aux parents ou aux accompagnateurs des visites, exception faite de deux règlements). Les documents destinés aux élèves sont essentiellement des fiches d’accompagnement à la visite et des fiches d’activités. Pour autant, les élèves constituent des destinataires secondaires en ce sens que les enseignants restent libres de relayer l’information en classe. Cet aspect est renforcé par le fait que les ressources – livrets et fiches d’activités mis à part – évoquent massivement les élèves sans jamais s’adresser directement à eux. En cela, l’enseignant prend un rôle d’orchestration générale des contenus, il régit et choisit ce qu’il fait entrer ou non dans la situation scolaire.

26Cette adresse spécifique faite au public scolaire est intéressante du point de vue des visées générales qu’accordent les services des musées aux visites scolaires. En effet, en faisant majoritairement référence à la classe et à l’école, les sujets visiteurs sont considérés par essence dans une composante scolaire. Ceci est d’autant plus prégnant que la documentation des sections pédagogiques propose des ressources distinctes de celles dédiées aux autres visiteurs. En cela, la visite scolaire n’est pas synonyme de visite familiale ou extrascolaire. Ce constat peut être fait sur le principe d’une identification des ruptures dans l’homogénéité du corpus. En effet, si j’exclus les livrets et fiches d’activités (destinés également aux élèves), seuls quatre documents ne s’adressent pas exclusivement aux enseignants (deux pages de site présentant l’offre éducative, un règlement intérieur et un dossier pédagogique). Pour trois de ces documents, des liens sont faits entre enseignants, animateurs de centre de loisirs et famille. Dans ce cadre, les activités proposées par les musées sont mutualisées, aussi bien en matière de tâches que de contenus (scientifiques). Et pour l’un des documents, des liens anecdotiques sont faits entre enseignants et « chercheurs » en sens où le musée leur offre l’accès à une partie des collections. Ces exceptions dans le corpus donnent à voir une grande homogénéité des pratiques au sein des musées, avec une attention particulière portée aux visiteurs scolaires.

27La prise en compte spécifique des particularités du public scolaire se retrouve encore dans la dénomination des sujets en jeu. Ainsi, si j’en reviens à l’identification des irrégularités du corpus, seul un document (un règlement) évoque des visiteurs : « […] les visiteurs sont tenus de déposer à l’entrée […] les cartables et sacs des élèves » (extrait du corpus). Pour le reste, les visiteurs scolaires sont toujours qualifiés de « groupe », « classe » ou « élèves », et dans une moindre mesure « enfants » ou « jeunes ». En définitive, le choix des termes « élèves » et « enfants », s’il ne permet pas d’élucider la place accordée à l’une ou l’autre des dimensions du sujet, permet en revanche de se questionner sur la place relative accordée à la dénomination « visiteurs ». Dans le cadre des visites scolaires, le musée n’accueille pas des visiteurs, il dit accueillir des jeunes ou des élèves qu’il est question de former.

28Mais sont-ce des élèves génériques, sujets scolaires, dont il est question ? Ou alors sont-ce plutôt des élèves en sciences, sujets disciplinaires qu’il s’agit de former ? Une analyse des modalités pédagogiques et des thématiques proposées pour les visites donne à voir quelques éléments de réponse.

4.1.3. Une pédagogie ludique, éloignée de l’école ?

29Les modalités pédagogiques adoptées pour les visites scolaires, bien qu’elles ne soient pas décrites en détail, sont très souvent évoquées dans la documentation et se définissent en ce qu’elles ne sont pas ; c’est-à-dire une pédagogie héritière de l’école. Cela fait écho aux représentations qu’ont les enseignants et les guides (Cohen, 2001 ; Sénécail, 2021) : au musée, il s’agit de faire autrement qu’à l’école. Cette forme de rupture annoncée avec les fonctionnements de l’école s’établit essentiellement par un appel au ludique et au jeu qui se retrouve massivement dans la documentation (20 musées sur les 28 considérés). Si cet appel au ludique permet au musée de rompre avec la conception « poussiéreuse » du musée véhiculée dans les médias (Van Praët A., 2011), elle agit aussi comme stratégie de séduction du public scolaire. Et pourtant, le jeu n’est pas l’apanage des pratiques culturelles extrascolaires et les visites proposées aux élèves réintroduisent certaines composantes de la forme scolaire et de l’organisation des apprentissages dans leurs pratiques.

4.1.4. La visite scolaire inscrite disciplinairement dans les curriculums

30La grande majorité des musées du corpus (24 musées sur 28) propose au moins un des découpages suivants :

  • un découpage maternelle-élémentaire-secondaire (26 documents sur 215) ;

  • un découpage par cycle (94 documents sur 215) ;

  • un découpage par niveau de classe (153 documents sur 215).

31Ce découpage est en lien direct avec les contenus proposés pour les visites scolaires. En effet, non seulement les visites proposées sont structurées du point de vue des découpages structurels en classe d’âge et en curriculum, mais en plus les documents pédagogiques permettent aux enseignants d’identifier clairement des points des programmes scolaires concernés. En cela, le musée reprend à son compte la répartition temporelle des contenus en fonction du niveau des élèves et des visites sur une même thématique proposent alors des objectifs différents selon le niveau de classe auquel elles s’adressent. Certains musées proposent même des répartitions des contenus visés par niveau de complexité allant du début de l’école primaire à la fin du secondaire. Ces objectifs sont alors en relation très forte avec les textes prescriptifs de l’école, qui servent de référence à la construction en amont des situations.

32Le poids des prescriptions est à prendre en compte puisqu’elles représentent les principales (et parfois les seules) références citées dans la documentation (22 musées sur 28). En cela, les objectifs des programmes sont clairement repris dans la documentation pédagogique des musées et en constituent le point d’ancrage. Et si le socle commun de connaissances et de culture demeure l’une des prescriptions les plus citées, la spécification disciplinaire en « sciences » est bien établie ; et ce aussi bien par des appels aux programmes des différents cycles de l’école élémentaire (« découverte du monde », « questionner le monde », « sciences expérimentales », par exemple), qu’à travers les thématiques abordées durant les visites.

4.1.5. Notions et phénomènes scientifiques au cœur des thématiques de visite

33Pour l’ensemble des 28 musées, 77 thématiques sont explicitement énoncées pour les visites scolaires de l’école primaire. Si certaines thématiques sont spécifiques à une institution parce qu’elles sont liées notamment à la nature des collections et donc à un effet de localisme ; un certain nombre de ces thématiques préfigurent des « incontournables » et sont largement partagées par les institutions. Ainsi, les thématiques liées à la biodiversité (17 musées), à la classification des espèces (16 musées) ou encore aux réseaux trophiques (11 musées) et à l’évolution (7 musées) se retrouvent fréquemment. Or ces mêmes thématiques constituent des points essentiels des programmes concernant les sciences naturelles au primaire (MEN-2, 2015).

34Ces thématiques peuvent encore être réparties en six grandes entrées (Tableau 1), relativement aux contenus auxquels elles réfèrent.

Tableau 1 : Catégorisation des entrées privilégiées par les musées pour aborder une thématique

Catégorisation des thèmes de visite

Nombre de thèmes
(sur 77)

Nombre de musées
concernés (sur 28)

Entrée par une notion, un phénomène ou un processus scientifique

32

24

Entrée disciplinaire

15

15

Entrée par les objets de musée

13

14

Entrée par une thématique « locale »

5

10

Entrée par les spécificités du musée

6

9

Autres entrées

7

7

35Au-delà du fait que cette analyse renvoie à une image de la discipline envisagée comme agrégat de contenus thématiques tels qu’ils sont envisagés à l’école (Cohen-Azria, 2012 ; Lahanier-Reuter et Reuter, 2013), ce tableau montre que les musées envisagent ces contenus à partir d’entrées privilégiées. Ainsi, les services muséaux proposent plutôt des visites centrées autour de notions et de processus scientifiques ou ancrées dans une approche disciplinaire. Ces entrées mettent en jeu des savoirs notionnels (content knowledge) au détriment d’autres types de contenus scientifiques (practical knowledge, epistemic knowledge). Quant à elles, les entrées centrées sur l’approche de certains spécimens ou (plus rarement) sur les spécificités mêmes de l’espace muséal laissent apparaitre une relative importance de l’expérience de visite et de la rencontre avec les objets et le lieu. Ces types de visites interrogent directement des contenus muséaux spécifiques qui semblent alors pouvoir prendre une place de choix dans certaines situations. Toutefois, cette dernière dimension est beaucoup moins représentée (seulement 6 thématiques). En cela, l’accent est plutôt mis sur la dimension épistémique de la culture scientifique où le savoir joue un rôle central dans la pratique culturelle.

36L’analyse met ainsi au jour un mode d’organisation des contenus relativement morcelé entre disciplines et phénomènes scientifiques postés au premier plan, et sur un second plan met en jeu certaines spécificités muséales. Ce que montre encore cette analyse, c’est qu’en ciblant des savoirs scientifiques identifiés et découpés relativement aux prescriptions scolaires, le discours scientifique visé précède le moment même de la visite scolaire. Dans ces conditions, quelle est la place laissée à l’interprétation et la lecture de l’exposition ?

4.2. Des objets assujettis aux notions, le musée comme lieu de ressources pour les pratiques scolaires

37Cette étape du travail se concentre plus particulièrement sur les tâches et exercices proposés aux élèves dans les fiches d’activités et livrets d’accompagnement à la visite (47 documents). Dans ces tâches, il ne s’agit pas de saisir le contenu scientifique visé, mais plutôt la place laissée aux contenus de la lecture d’exposition. Or, le rôle de l’objet est central dans l’activité muséale et le type d’interaction objet-sujet est au cœur du processus de lecture de l’exposition. Analyser cette place et ce rôle des objets revient alors à reconstruire le statut des contenus visés par ces tâches. Trois types de relations aux objets peuvent alors être dégagés :

  • un rapport intrinsèque d’interprétation : ce type de rapport concerne 6 documents sur 47. Somme toute assez rare, ce type de rapport est celui qui se rapproche le plus des spécificités du musée en ce qu’il nécessite la mise en relation de différents objets et une forme d’interprétation pour accéder au contenu scientifique visé par l’exercice. L’accomplissement de la tâche n’est possible que par la prise en compte des éléments présentés dans la vitrine et des informations qui y sont rattachées ainsi que de leur mise en relation ;

  • un rapport extrinsèque de substitution : ce type de rapport concerne 15 documents sur 47. Ici, les objets de musée n’ont plus leur place dans la construction du savoir scientifique, les élèves doivent faire appel à des objets extérieurs à l’exposition. La tâche se substitue à l’observation des spécimens ;

  • un rapport instrumental d’illustration : ce type de rapport concerne 31 documents sur 47, il s’agit donc du rapport le plus représenté. Dans ce cas typique des jeux de pistes, l’objet est utilisé pour servir le propos scientifique et permet de l’illustrer. En cela, l’objet est assujetti à la notion rattachée à la tâche.

38Une hypothèse quant à la prépondérance du rapport instrumental d’illustration tient au type de contenus visés par les visites. En effet, le discours scientifique précède la rencontre entre le sujet et l’objet et une sélection d’objets pris isolément devient un prétexte pour développer des notions vers lesquelles l’observation et l’interprétation personnelle ne pourraient aboutir. Cela se retrouve d’ailleurs dans le découpage de l’espace qui est proposé pour les visites scolaires (Sénécail, 2019, 2021), et qui transparait dans les plans présentés dans les documents. Ces plans, donnés aux classes comme des supports pour se guider pendant une visite, procèdent bien souvent d’un redécoupage complet de l’espace d’exposition avec une mise en exergue de certains objets de musée sur lesquels le visiteur scolaire est invité à s’arrêter plus spécifiquement. En cela, les contenus du musée sont réorganisés de telle sorte que le visiteur scolaire accède au texte du savoir visé, il ne s’agit donc pas de construire un discours scientifique à partir de la lecture et l’interprétation.

5. Éléments de discussion : les contenus de la visite scolaire, un rapport scolaire et instrumental à la culture scientifique et au musée

39Présentations d’expositions, brochures, guides d’accompagnement, dossiers pédagogiques et livrets des élèves relèvent tous de formes différentes qu’il est pourtant possible d’analyser en termes de contenus. Cette documentation livre alors un discours hybride composant entre les attendus de l’école d’une part, un discours scientifique muséal sur les objets d’autre part et les spécificités de l’espace par ailleurs. Ce qui prime pourtant en matière de visées, ce sont les notions, processus et phénomènes scientifiques qu’il s’agit d’aborder dans le cadre précis des programmes scolaires. Ainsi envisagé, le musée répond à la demande qui lui est faite et l’offre muséale se réfère directement aux textes de l’école dans la construction des activités qu’elle propose.

40Sur un plan pédagogique, bien que les musées se proposent de « faire des sciences autrement qu’à l’école », les analyses montrent qu’en matière de visées et de pratiques, la scolarisation de l’espace muséal renvoie à des fonctionnements proches de l’école. Et pourtant, le seul changement de lieu géographique ne suffit pas à rendre l’approche différente. La constitution des élèves en tant qu’apprenants en sciences de contenus formatés et désyncrétisés laisse apparaitre une forme de rapport scolaire à la culture scientifique (Simard et Falardeau, 2007). Pourtant, les objets de musée sont mis au centre de l’activité proposée aux élèves. En cela, l’expérience de visite est indissociable des propositions d’activités faites aux scolaires et de l’entrée des élèves dans un projet culturel (Simard et Falardeau, 2005). Il s’agit alors d’arriver à construire des contenus en relation avec les thématiques scientifiques et les programmes scolaires, mais cela ne se conçoit, dans ces ressources, que par une certaine forme de rencontre entre les sujets et les objets du musée. Toutefois, cette rencontre avec les objets est contingentée par les types de tâches proposées aux scolaires et les buts poursuivis. En quelque sorte, l’objet de musée s’efface devant des exigences pédagogiques. En ce sens, une instrumentalisation de l’espace muséal s’opère.

41L’expérience de visite scolaire est corrélée aux contenus scientifiques visés et ordonne en cela une réorganisation du rapport aux objets d’exposition. La visite scolaire procède d’une re-scénarisation de l’exposition pour atteindre une interprétation commune partagée centrée sur le savoir scientifique scolaire qui est en jeu. Dans ces conditions, c’est un rapport pédagogique aux contenus de la culture de type instrumental qui s’instaure : les différents éléments de culture sont intégrés à l’expérience des sujets dans un découpage précis, le musée apporte une légitimité patrimoniale aux contenus visés, mais les élèves sont institués comme tels et la forme scolaire est prégnante. En cela, la visite scolaire, tel qu’elle est représentée dans les ressources pédagogiques des musées, ne permet pas un retour réflexif sur les pratiques culturelles ; elle est utile à la progression des apprentissages en classe. Cela rejoint les travaux de Cora Cohen-Azria (2012) qui montrent comment le musée se constitue comme lieu de ressources scientifiques pour l’école et non comme lieu de ressources spécifiques.

6. Conclusion

42Cette étude s’intéresse aux contenus des visites scolaires dans les musées de sciences tels qu’ils sont véhiculés par les ressources pédagogiques numériques et au rapport à la culture scientifique qu’ils instituent. En considérant la visite comme une situation didactique aux contenus spécifiques (Cohen-Azria et Dias-Chiaruttini, 2014) et en établissant que ces contenus peuvent être reconstruits dans l’espace des recommandations (Reuter, 2004 ; Sénécail, 2021), j’analyse ces documents sous le prisme d’une approche culturelle de l’enseignement des sciences. Ce faisant, je considère l’enseignement et les apprentissages en sciences comme relevant de l’établissement d’un rapport à la culture (Simard et Falardeau). Le présent article décrit le statut de ces contenus spécifiques et le type de rapport pédagogique à la culture qui en découle. Pour mener à bien ce projet, un corpus constitué d’un ensemble de 215 documents pédagogiques numériques de 28 musées de sciences a été construit. Ce corpus a fait l’objet d’une analyse catégorielle et de contenu en deux étapes. Les résultats montrent alors que les contenus visés sont particulièrement marqués par la culture scolaire et particulièrement par son organisation disciplinaire. Les notions et phénomènes scientifiques sont explicitement mis en avant et s’inscrivent dans les programmes scolaires. Et, bien qu’il soit revendiqué une posture pédagogique différente de celle de l’école, l’analyse des tâches et objectifs montre que les pratiques sont ancrées dans des fonctionnements scolaires et qui ne permettent pas de véritable inscription dans la pratique culturelle. En cela, les ressources pédagogiques instituent un rapport pédagogique à la culture scientifique de type instrumental : le musée est vu comme un instrument de légitimation patrimonial des savoirs scolaires et les pratiques culturelles ne font pas l’objet spécifique d’un enseignement ou d’une réflexion explicite. Cette recherche ne présage pas des contenus des visites et du rapport à la culture qui est effectivement construit durant les visites scolaires, mais elle donne à voir comment les services des musées les envisagent. Le travail doit se poursuivre pour aller au-delà de l’espace des recommandations et interroger aussi bien l’espace des représentations (guides, enseignants et élèves) que l’espace des pratiques, tant du point de vue collectif (la classe) que du point de vue individuel (le sujet didactique). En cela, le chantier est ouvert.

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Notes

1 Voir à ce propos les rapports PatrimoStats du ministère français de la culture qui montrent une progression du nombre de visites scolaires dans les musées ces dernières années.

2 Je note également une forte disparité dans la forme des documents. Alors que certains documents tiennent en quelques lignes de présentation, d’autres se développent sur des dizaines de pages (le plus grand document, un dossier pédagogique, compte 97 pages).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Alain Sénécail, « Les ressources pédagogiques numériques des musées de sciences français : un rapport instrumental aux contenus de la culture scientifique »Contextes et didactiques [En ligne], 21 | 2023, mis en ligne le , consulté le 06 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ced/4195 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ced.4195

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Auteur

Alain Sénécail

Université de Lille – Théodile-CIREL (ULR 4354)

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Droits d’auteur

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