- 1 La graphie adoptée ici vise à admettre que le statut actuel la KNC, collectivité française sui gene (...)
- 2 Le masculin générique se veut en conformité avec les consignes éditoriales.
- 3 Des étudiants en formation initiale entre 2017 et 2022 : Licence Lettres, Licence Langues et Cultur (...)
1Les réflexions et travaux sur une nécessaire « didactique contextualisée » constituent un objet d’étude récent dans l’espace francophone. La contextualisation didactique (Blanchet, 2009, 2015, 2016) désigne « la prise en compte active » des contextes, que ce soit par exemple l’analyse des interactions en classe en lien avec les modalités d’apprentissage, ou encore la prise en compte des cultures éducatives et cultures d’enseignement/apprentissage conjuguée aux dimensions sociolinguistiques avec l’objectif « d’une meilleure adaptation de l’intervention didactique » (Rispail, 2017). Le présent travail met en perspective un paradigme du sensible (Barbier, 1997 ; Edwards et al., 2006 ; Laplantine, 2005 ; Merleau-Ponty, 2013 ; Rancière, 2000) en tant que « paradigme organisateur » (Berger et Austry, 2013) d’une pratique de formation contextualisée en Kanaky Nouvelle-Calédonie (désormais KNC). Les observables de recherche ont été construits à travers une entrée interprétative au terrain plurilingue et (post)colonial1. Ils se forment de récits réflexifs et biographiques d’étudiants2 inscrits en « Didactique du plurilinguisme » à l’Université de la Nouvelle-Calédonie3 (désormais UNC) entre 2017 et 2022. Nous accordons à ces observables le statut de « savoir empirique et expérienciel » (Wacalie et Razafimandimbimanana, 2022). Ils donnent accès à une connaissance incarnée du terrain puisqu’ils mettent des émotions, des mots, des histoires en lien avec des images, des visages, du vécu. C’est d’ailleurs la découverte de ces savoirs-observables qui a réorienté nos pratiques de contextualisation vers le souhait de devenir des praticiennes sensibles. Cette volonté place nos parcours (respectifs et en grande partie collaboratifs) dans la recherche de dispositifs « out of the box, c’est-à-dire non constitutif du curriculum de formation » (Friedel, 2020). Institutionnellement parlant, le sensible est de cette singularité, hors cadre.
2En terrain (post)colonial, penser avec le sensible permet une reconnaissance réparatrice face aux écosystèmes de savoirs historiquement exclus de la logique dominante. Pour autant, « la notion de “sensible” est difficilement saisissable » (Brito et Pesce, 2015) et notre travail n’ambitionne pas de le faire. Au contraire, il admet la polysémie du terme pour étudier avec une conscience sensible à autrui :
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un terrain formatif plurilingue en contexte (post)colonial ;
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des observables réflexifs, biographiques d’étudiants plurilingues ;
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une pratique contextualisée visant la prise en compte des ressources plurielles des étudiants.
3Contextualiser, c’est mettre son agir professionnel en cohérence avec des réalités différentes des siennes. Or, ces « réalités » n’existent pas en elles-mêmes. Elles sont issues de l’investissement d’un sujet sensible car soumises à son interprétation tout en étant émotionnellement structurantes. Notre revendication d’une professionnalité sensible découle de cette conscientisation et rejoint la politique sociale critique de Jacques Rancière :
« Ma perspective n’est donc pas de réhabiliter l’affect contre le discours. Elle est plutôt de remettre en cause leur séparation comme marque d’un certain partage du sensible : séparation entre des gens quand on pose qu’ils n’ont pas le même langage, les mêmes perceptions, les mêmes jouissances » (Entretien de Jacques Rancière, Palmiéri, 2000 : 34).
4Notre posture critique relie le sensible à l’institutionnel, en l’occurrence à un contexte de formation formel où des systèmes épistémiques eurocentrés érigent le cognitif, le rationnel et l’objectivité en tant que siège du « savoir ». Le motif est de penser le savoir produit en contexte institutionnel avec sensibilité et sensitivité. Cette dualité sémantique se réfère à la traduction du terme « sensible » en langue anglaise pour adjoindre la production de sens à une faculté double : celle rationnelle (sensible) et celle empathique (sensitive).
5Ce travail investit donc la formation en contexte institutionnel, en tant qu’espace d’émancipation intellectuelle, professionnelle et sociétale. Aux caractéristiques de l’accompagnement applicables à tout niveau universitaire s’imbriquent celles d’une situation (post)coloniale où la diversité linguistique de facto se heurte encore à la force d’une idéologie monolingue. Nous l’évoquerons dans une première partie visant à présenter le périmètre du terrain sensible à l’étude. Les résidus de l’impérialisme colonial en KNC font que les capacités sachantes des personnes dites « autochtones » et plurilingues restent le plus souvent niées et invisibilisées au sein des espaces institutionnels. La seconde partie illustrera cela grâce à des observables réflexifs et biographiques, témoins de la sensitivité des étudiants à l’égard de l’altérité linguistique. La troisième et dernière partie traitera du sensible en tant que posture et pratique de contextualisation. Au final, nous inscrivons le sensible dans la mise en circulation des savoirs et la diversification de leur producteurs, deux mouvements clés en contexte (post)colonial car à l’œuvre de la reconnaissance interculturelle comme de l’émancipation sociale (Razafimandimbimanana, 2022 : 139).
6Au cœur de l’entité géoculturelle dénommée Océanie, la KNC fait figure d’exception comme lorsqu’on lui reconnaît « une diversité linguistique remarquable, et à vrai dire unique dans l’ensemble que constituent les Outre-mer français » (Langues et cité, 2014 : 1). Des 75 langues dites de France (Cerquiglini, 2003), la classification officielle dénombre 28 d’entre elles comme étant des langues kanak. Cependant, au regard des complexités (épistémologiques, idéologiques, méthodologiques, politiques) inhérentes à la classification de ce qui fait « langue » sur ce terrain multilingue et (post)colonial, « le comptage des langues produit de fausses vérités » (Razafimandimbimanana, 2021 : 103) car sans la distinction réductrice entre « langue » et « dialecte4 », il y a un total 39 langues kanak. À ces effacements statistiques et idéologiques s’ajoute une diversité linguistique locale qui est plus souvent qu’autrement gommée par l’omniprésence du français, seule langue officielle. Une évidence quotidienne pour peu qu’on prête attention au paysage littéracique et aux langues écrites qui structurent les espaces publics (affiches publicitaires, campagnes préventives, signalétique, toponymie, panneaux touristiques, informations événementielles). Seules les productions artistiques et les tags offrent un aperçu de langues autres que le français. Toutefois, la nature éphémère, anonyme et par essence clandestine de ces traces relègue les pratiques langagières plurilingues « aux marges » des espaces de vie en société en KNC (Colombel-Teuira et al, 2016). Un décalage apparaît entre, d’une part, la législation sur la reconnaissance officielle et l’accès à l’enseignement des langues kanak (désormais LK) et, d’autre part, l’absence de ces langues au profit du français.
7La chronologie ci-dessous rend compte d’un appareillage institutionnel aussi progressif que récent en matière de reconnaissance des langues kanak :
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1988 : Accords de Matignon et Création de l’ADCK (patrimoine oral) ;
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1992 : Extension de la loi Deixonne, 4 LK admises en option au Baccalauréat ;
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1998 : Accord de Nouméa « Les langues kanak sont, avec le français, langues d’enseignement et de culture en NC. Leur place dans l’enseignement et les médias doit donc être accrue[...] » ;
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1999 : DEUG Langues et Cultures Régionales à l’UNC ;
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2001 : Licence Langues Cultures Océaniennes (LCO) à l’UNC.
8Ce sont là les premiers éléments définitoires du terrain que nous qualifions de « sensible », à savoir, marqué, non seulement par l’écart entre le cadrage institutionnel (promotion des LK) et la réalité quotidienne (minorisation des LK) mais surtout par la difficulté à pouvoir en parler. Selon nos observations, le dialogue social autour du passé colonial peine en effet à accéder aux espaces formatifs et institutionnels, qui finissent par participer à la reproduction du mal-être et de la négation de soi.
- 5 La reprise courante de ce terme s’explique en partie par l’influence historique des travaux descrip (...)
9La disharmonie entre diversité linguistique environnante et un environnement littéracique monolingue s’observe aussi sur le campus de l’UNC. En situation de formation, cela donne lieu à des stratégies d’effacement ou de conformité chez les étudiants comme relevé lors des présentations en début d’année universitaire. Plusieurs étudiants plurilingues se déclarent effectivement monolingues francophones, minimisent leurs compétences dans les autres langues et dévaluent celles-ci en les étiquetant de « dialecte5 ». Ces rapports négatifs aux pratiques langagières plurilingues, aux contacts des langues se révèlent inhibants pour les étudiants, affectant leurs chances de réussir à l’université car destructeur de leur estime de soi. Pour certains, l’expérience plurilingue est explicitement assimilée à un « problème », voire à un « handicap » (Fillol, 2017 ; Razafimandimbimanana et al, à paraître) tant la permanence d’une idéologie commune faisant du bilinguisme un « handicap » et du bilingue un « sujet déficitaire » (Tabouret-Keller, 2011) est agissante en KNC.
- 6 La langue nengone enseignée par Suzie Bearune, linguiste océanienne MCF.
- 7 Une langue de la Grande Terre (ajïe ou paicî) et une langue des Iles Loyautés (nengone ou drehu).
- 8 Le bahasa indonesia enseigné depuis 2018 par Budiyanto.
10Souvent tenus responsables du délaissement des langues kanak et océaniennes, les étudiants présentent des besoins relevant de la construction de savoirs plurilinguistiques mais aussi de l’accompagnement dans la gestion sociale de la diversité linguistique. En réponse à cela et pour mettre en œuvre des approches plurilingues et interculturelles, les formations sont conçues pour favoriser la découverte des langues « locales » et dans le même temps des outils de description, de compréhension, d’analyse des plurilinguismes. Ainsi, une initiation à une langue océanienne6 a été rendue obligatoire pour les étudiants de Lettres tandis que deux langues océaniennes7 le sont pour les étudiants inscrits en Licence Langues Cultures Océaniennes (désormais LCO). Quant aux étudiants en 3ème année de Licence qui choisissent le parcours « Didactique du plurilinguisme », ils sont initiés à une langue de la région Asie-Pacifique8.
11Pour nous, l’enjeu pédagogique est d’être créatives (Fillol et al., 2019) afin que les étudiants puissent s’autoriser à déconstruire les représentations sociolinguistiques minorisantes, à produire des contre-discours, à se saisir de leur agentivité face aux savoirs (Razafimandimbimanana et al., à paraître). Intégrer les représentations des étudiants consiste bien « à placer la formation linguistique dans une dynamique de co-construction critique et formative, et non (ou plus) une simple transmission-réception de savoirs et savoir-faire linguistiques et académiques » (Forlot, 2012 : 66). Si le paradigme du sensible est placé en ligne de mire de notre propre cheminement professionnel, il prend effectivement racine dans une dynamique de réciprocité.
12Nos observables relèvent de récits d’étudiants océaniens inscrits en Licence LCO ou en Master EOP (cohortes 2017 à 2022). Les approches adoptées dans la sollicitation de ces récits visent un rapport impliquant aux savoirs, conçus comme étant processuels, non coupés des expériences d’étudiants qui évoluent dans un archipel d’altérités culturelles, linguistiques et politiques. Cette conception des savoirs dispute la domination traditionnelle de la connaissance scientifique telle que mise en cause, entre autres, par Bourgeault (1999 :166) : « la connaissance scientifique, peu à peu placée sous le signe de la certitude plus que du doute, s’est affirmée comme supérieure aux autres modes de connaissances. De quel droit ? ». Il est effectivement question d’observables intersubjectifs en la qualité de récits réflexifs et biographiques. Les récits ont été produits au travers de trois types de situations formatives :
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biographies langagières ;
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évaluations réflexives en Licence (ERL) ou en Master (ERM) ;
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activités réflexives et visuelles en cours.
13Toutes trois sont adossées à des modalités de communication interculturelles, plurilingues et pluriartistiques. Au regard du rendement des étudiants et de leur évaluation des formations, cette combinatoire crée un espace institutionnel propice d’une part, à l’inclusion de ces savoirs expérienciels et d’autre part, à la projection de soi en tant que producteur de savoirs. L’étude de leurs récits réflexifs et biographiques nous amène à identifier une faculté doublement sensible. Les traces de savoirs expérienciels font montre d’une faculté empathique, « la sensitivité », alors qu’une faculté constructive, « la sensibilité », se dégage des analyses qu’ils font de leurs expériences. Nous empruntons à l’anglais pour sémantiser la notion de « sensible » dans cette perspective à deux valeurs : l’aptitude à éprouver (« sensitive ») et l’aptitude à comprendre ce qui a été éprouvé (« sensible »). En somme, les étudiants ayant vécu des formes de mises en altérité en raison de leurs langues ou répertoires développent une sensitivité empathique au sujet de l’altérité linguistique. Le parcours des observables-récits en fonction des différentes situations susmentionnées montre aussi une sensibilité compréhensive.
- 9 Voir le numéro 8 de la revue Contextes et Didactiques.
- 10 Cadre européen commun de références pour les langues. Voir : https://www.coe.int/fr/web/portfolio/t (...)
14Relativement à la biographie langagière (désormais BL), le travail d’écriture9 est engagé au dernier semestre de leur Licence, sur une période de 10 à 12 semaines. La BL – dispositif diffusé initialement dans le portfolio du CECRL10 – est en ce terrain sensible envisagé comme démarche de sécurisation linguistique et culturelle (Fillol, Molinié et Razafimandimbimanana, 2022). La démarche biographique de la BL s’avère être particulièrement efficiente en raison notamment de son pouvoir réflexif (Fillol, 2016) :
« Les nombreuses questions étudiées sur les langues, les nombreuses réponses qu’on nous offre à travers les études linguistiques et sociolinguistiques me permettent de m’affirmer en tant qu’être humain. Par exemple, cette écriture autobiographique m’a permis de me situer aussi bien socialement que moralement. Depuis le début de ce travail, je m’aperçois que le fait de ne pas pratiquer “parfaitement” ma langue ne fait pas de moi quelqu’un d’inférieure aux autres locuteurs mais bien quelqu’un avec une histoire. Je m’aperçois aussi, que le fait d’avoir été obnubilée par le nââ kwenyî et le fait de ne pas savoir le pratiquer m’a fait oublier les compétences langagières que j’avais pu acquérir en drehu » (Suzanne, BL, 2020).
- 11 Cf. Leïla SEBBAR (2003). Je ne parle pas la langue de mon père. Éditions Julliard.
15Pour Suzanne, l’écriture de sa biographie langagière l’a amenée à une forme de « décentration libératrice » (Perregaux, 2007) d’où sa sensitivité empathique. Et preuve de sa sensibilité constructive, elle comprend qu’à force d’être « obnubilée » par le fait qu’elle ne parle pas la langue de son père11 (celle de l’Ile des Pins), elle en oublie qu’elle a des connaissances/compétences dans une autre langue kanak (le drehu, langue associée à l’île de Lifou). Précisons que les récits des étudiants ne limitent pas les mouvements émancipatoires au seul niveau de la conscientisation individuelle mais qu’ils donnent lieu à un élan critique et collectif. Leurs récits biographiques font écho aux discours longtemps minimisés sur la « honte d’être soi » (Gorodey, 2005) et donnent à voir, sous des angles différents, à quel point le dialogue social peine à insuffler un changement global face aux langues kanak :
« Enfin, je pense que pour certaines personnes, le fait de bien parler français et de ne pas savoir parler sa langue kanak est une “honte” dans le sens où l’on abandonne notre propre culture ainsi que la revendication kanak, pour la culture colonisatrice. C’est comme si l’on était des “traitres” et des “lèches-cul du système français” car on laisse la culture des “Blancs” prendre le dessus sur la nôtre, alors que cela devrait être le contraire » (Sandrine, BL, 2020).
16L’invisibilité de la diversité linguistique en KNC et l’intériorisation de l’ordre social que cela insinue (re)produit aussi une autre forme de négation de soi : après les actes de dépossession terrienne, les Océaniens subissent la spoliation des langues familiales et des compétences plurilingues en ce qu’elles sont exclues – non pas des textes officiels depuis les Accords – mais bien des pratiques d’enseignement-apprentissage au quotidien à l’école (Razafimandimbimanana et Favard, 2018) comme à l’université. Il en ressort un sentiment d’injustice sociale qui perdure avec des rapports ambivalents à la langue académique. Nous pouvons même observer cela dans les récits produits en situation d’évaluation.
17Si nous prenons l’édition 2022 du cours de Licence Théories de l’apprentissage, les consignes d’écriture réflexive en situation d’évaluation (désormais ERL) se formulaient comme suit pour l’une des activités demandées :
« Vous avez vu les principales théories de l’apprentissage ainsi que les caractéristiques générales du bilinguisme/plurilinguisme (en cours de sociolinguistique) :
1. Vous raconterez une situation d’enseignement/apprentissage d’une langue (français, langue kanak, anglais…) en tant qu’élève ou étudiant.e. que vous avez vécue comme heureuse ou malheureuse en contexte scolaire ou universitaire (1 à 2 pages).
2. Vous proposez une analyse de cette expérience, en essayant d’identifier les éléments ou facteurs ayant conduit à l’évaluation positive ou négative de cet apprentissage (1/2 page ou 1 page) ».
18Cet extrait de récit donne un aperçu du sentiment d’injustice sociale évoqué plus haut :
« Le fait d’avoir mes parents et nos grands-parents à l’école m’aidait énormément à réussir dans une langue que je détestais déjà, bien avant de savoir lire ou la parler. En effet, le fait que la France avait fait du mal à ma tribu, ma famille, etc. pendant les événements (1988) a fait naître de la haine dans mon cœur envers le peuple français et sa langue. Mais, aujourd’hui, cela a changé parce que je considère cette langue comme la mienne en plus de mes langues maternelles (iaai et faga uvea) et avec le temps, j’ai fait la paix avec mes blessures du passé » (Agnès, ERL, 2022).
19En miroir de son parcours de mobilité (entre Wallis et la KNC), de ses « échecs » ou « décrochages », le récit de Pasikavaia éclaire non seulement sur des difficultés éprouvées suite au changement de repères mais aussi sur les autoreprésentations en tant que bilingue. Sa sensitivité-sensibilité aux langues en jeu est inhérente à son mémoire de Master :
« Mon parcours est jonché de décrochages et de reprises. […] lors d’un cours d’initiation aux sciences du langage, on nous demande de définir des notions comme la “parole”, la “langue”, la “communication”, le “bilinguisme” ou encore le “plurilinguisme”. Pour la notion de “plurilinguisme”, je me suis rappelée avoir fait tout un paragraphe pour prouver que mon plurilinguisme était un handicap pour moi, que le fait de parler plusieurs langues m’empêchait d’en maîtriser une » (Pasikavaia, ERM, 2022).
- 12 Surlignés dans le texte.
20Comme d’autres étudiants, celles et ceux qui intègrent l’UNC se présentent « avec un profil de motivation, de compétences et de rapport aux études12 assez éloigné du profil des « héritiers » avec lesquels l’université avait l’habitude de travailler » (Romainville, 2004 : 4). Plus spécifiquement en KNC, les motifs d’inscription à l’université se situent pour beaucoup dans une quête de sens ou de repères identitaires en cherchant à se ré-approprier des langues, cultures, histoires collectives :
« En 2018, je me suis décidé de m’inscrire à l’Université de Nouvelle-Calédonie dans la licence Langues et Cultures Océaniennes (LCO). J’ai choisi cette licence pour deux choses, premièrement bien connaître mon histoire notamment ma langue maternelle, à savoir, le drehu mais également ma coutume et ma culture » (Aléziz, BL, 2020).
21Parfois, le projet d’études universitaires en LCO est animé par une sensitivité à l’égard de sa propre famille. Le récit vaut alors de réconciliation avec son histoire familiale :
« Mes questionnements vis-à-vis de mes langues familiales et de leur apprentissage sont devenus cruciaux après le baccalauréat, lorsque je me suis inscrite en Licence LCO à l’université de la Nouvelle-Calédonie. En effet, les cours dont nous disposions en Licence Langues et Cultures Océaniennes m’ont aidé à prendre conscience de la diversité culturelle et des plurilinguismes que nous avions en NC, mais également à comprendre mon sentiment d’illégitimité vis-à-vis de mon apprentissage avec mes langues familiales. Ainsi ma formation, m’a permis de penser des concepts pour panser ces blessures » (Djodie, ERM, 2022).
22L’explicitation du sentiment d’illégitimité est doublement significative : il traduit un besoin de reconnaissance et fait montre de capacités d’analyse introspective. De notre implication sur le terrain, nous comprenons effectivement que l’expression de soi et la centration sur soi au sein d’un espace institutionnel (qui plus est sous format écrit) est loin d’être une pratique commune ou évidente. Or, les deux traits explicités plus haut par Djodie sont prégnants chez les étudiants d’où la nécessité, pour nous, d’y être attentives. Nous y percevons un acte de résilience, réaction au « trauma historique » d’une colonisation à l’idéologie monolingue et à ses effets massifs, intergénérationnels (Brave Heart, 1998).
23La double sémantique du sensible, sensitivité-sensibilité, permet de dépasser les représentations (post)coloniales circulantes en KNC qui tendent à opposer « monde universitaire » et « monde océanien ». Cette image de société bicéphale s’infiltre dans le système de références des étudiants. Affectés par ses effets conflictuels mais néanmoins outillés pour les déconstruire, ils en font souvent un objet d’analyse critique. C’est ce qu’a choisi de présenter Léon en ouverture d’un séminaire multisite (Nouméa, Toulouse, Moncton) dédié aux pratiques pédagogiques en contexte universitaire. Il titre son intervention « La honte face à la prise de parole » et pour l’avoir accompagné depuis sa 1ère inscription en Licence 1 LCO en 2017 jusqu’à son inscription au Master EOP en 2022, nous mesurons le courage qu’a dû impliquer son témoignage sur la peur du jugement. Dans le tableau 1 ci-dessous, il synthétise les représentations opposant deux gestions culturelles du temps, de l’espace, de l’usage et des fonctions de la parole.
« La honte face à la prise de parole »
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Posture de l’enfant kanak lors de la prise de parole dans le contexte d’un discours coutumier
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Posture de l’étudiant kanak lors de la prise de parole en contexte universitaire
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Respect de la parole
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La parole peut parfois être contestée
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Attitude/comportement (humilité, respect, crainte)
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Attitude/comportement (respect, stress, remise en question)
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Légitimité (tout ne monde n’est pas habilité à prendre la parole)
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Légitimité (parfois, on ne sent pas apte à prendre la parole selon le sujet)
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On attend que la personne finisse de parler
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Pendant l’exposé, le professeur peut couper la parole
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Temps circulaire (temps de prise de parole, variation)
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Temps linéaire (temps de prise de parole limité)
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Tableau 1 : Séminaire de recherche 2022
24Bien qu’éprouvant les effets inhibants de cette vision bicéphale, Léon n’en demeure pas moins capable de distanciation critique et d’en faire une source de savoirs, savoir-être. Il nomme « l’intériorisation de la parole » comme une forme de mutisme situationnel.
25Ce mutisme témoigne du déficit interculturel dans un système éducatif modélisé par « l’idéologie du mónos » où servent de culture de référence : une vision monolithique du savoir (institutionnalisé), une communication monolingue (français), un support monomodal (écrit) et une idéologie mononormative (variété standard) (Razafimandimbimanana, 2022 : 142-147). Le tableau d’oppositions de Léon montre aussi sa sensibilité compréhensive des attentes et des injonctions qui sont pourtant non explicites à l’université. L’inconfort généré rappelle celui en contexte exogène : « Intuitivement, l’apprenant sent bien qu’il y a dans le rapport à la parole quelque chose de décisif à maîtriser, qu’on ne lui apprend pas, qui n’est pas décrit, et duquel dépend néanmoins en grande partie son insertion (dans l’espace académique et) dans la société » (Siouffi, 2007 : 269).
26Pour autrement rendre compte de la réciprocité des savoirs, à condition que les étudiants se sentent autorisés à les rendre lisibles, visibles, audibles, le tableau 2 ci-dessous montre côte à côte les langues présentes en KNC telles que catégorisées par des enseignantes-chercheures dans une publication scientifique (Fillol et al., 2018) et par des étudiants lors d’une activité réflexive et visuelle en cours (désormais ARV). Organisée sous forme de travail de groupe, l’activité avait pour finalité d’examiner les catégorisations dont se saisissent les étudiants pour analyser les rapports de pouvoir en KNC et pour exprimer leurs expériences plurilingues. Trente-neuf étudiants de Licence 3 (Lettres et LCO, 2019) étaient inscrits au cours Pluralités linguistiques et culturelles en Océanie. Après avoir discuté des différentes appellations en circulation (ex. Langues « kanak », « océaniennes », « de France », « régionales », « autochtones », « minorées »), les groupes devaient ensuite mettre en images leur perception de l’organisation/hiérarchisation des langues en KNC (Razafimandimbimanana et al., à paraître).
Tableau 2 : Les langues en KNC : catégorisations et hiérarchisations des enseignantes-chercheures (à gauche) et des étudiants (à droite)
- 13 12 langues sont enseignées dans le premier degré : drehu, nengone, iai, oroe, ajië, nelemwa, yuanga (...)
27La représentation visuelle des étudiants syncrétise les langues en distinguant aussi bien les formes littéraciques (langues parlées, entendues, chantées) que les statuts associés (officiel, idéalisé, minoré, etc.). Elle propose aussi une lecture sociolinguistique des tensions en présence avec les cercles qui représentent une double opposition. La langue dominante (français), catégorisée « langue officielle » et aux fonctions d’insertion scolaire, sociale, professionnelle, est associée dans les représentations à la « réussite ». Dans le cercle adverse, les langues minorées renvoient à la diversité linguistique calédonienne et océanienne. Ces langues sont réparties selon des valeurs positives ou négatives. Au nombre des langues minorées, seules les langues admises dans les espaces institutionnels13, médiatiques ou touristiques jouissent de représentations positives. La grande majorité des langues demeurent donc dévalorisées, parmi lesquelles, le bislama, langue véhiculaire du Vanuatu, le tayo (seul créole de la KNC) et le français kaya placé très proche par les étudiants d’un ensemble regroupant les langues de contact.
28Aux côtés de ces étudiants de l’UNC, la prise en charge de leur accession à la réussite académique induit aussi la prise en considération des conditions émotionnelles, psycho-affectives et sensorielles de cette réussite. Il s’agit en parallèle de chercher à manœuvrer de sorte que leurs quêtes de reconnaissance, démarches de réappropriation culturelle (Razafimandimbimanana et Wenethem, à paraître) et recherches identitaires puissent se poursuivre en notre présence mais aussi et surtout en notre absence. Se savoir en recherche constante d’adaptation aux besoins du terrain formatif (processus de contextualisation) nourrit à notre tour, le besoin de construire de nouvelles pratiques formatives. Plus encore, un nouvel horizon épistémologique s’est profilé avec celui de devenir des praticiennes sensibles.
29Distinctes du « modèle prescriptif » tel que banalisé suite à l’adoption massive dans le secteur de l’enseignement par les instituts français de formation d’enseignants (Derycke, cité par Broyon, 2006 : 110), la pratique et la posture que nous souhaitons mettre en exergue envisagent de considérer l’étudiant en tant que sujet social, complexe et doué d’une autonomie à penser, à agir, à ressentir. Nous envisageons aussi « le sujet considéré comme acteur social et/ou comme membre d’un groupe culturel » (Derycke, cité par Broyon, 2006 : 110). Le seul prisme du statut d’apprenant est à la fois réducteur et restrictif à nos yeux. Dans l’optique de la réciprocité susmentionnée, la contextualisation consiste alors à adopter une conception horizontale de la relation aux étudiants. La finalité est de co-construire les expériences formatives de façon à ce que l’étudiant puisse diversifier son propre champ des possibles. Contextualiser c’est rendre possible. Ce qui se matérialise par des stratégies de médiation, également appelées « enabling strategies » dans la littérature anglophone :
- 14 « Dans une approche horizontale, les stratégies médiatrices telles que la communication, la co-créa (...)
« In horizontal relationships, enabling strategies such as communication, co-creation, coordination, minimum specifications, shared meanings, network, and trust building tactics are the levers of change14 » (Pisapia et al., 2016).
30Une nuance est importante : notre rayon d’action vise les expériences du sujet et non le sujet en personne. Partant de là, les questionnements se multiplient.
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- 15 Désignent « savoirs non immédiatement perceptibles à l’œil nu (ex. compétences langagières, culture (...)
Les savoirs langagiers se formant en interdépendance avec les savoirs biographiques et invisibles15 (Razafimandimbimanana, 2022 : 22), quelles formes d’inclusions formatives pouvons-nous pratiquer en ce qui a trait à ces typologies de savoirs ?
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- 16 Seule université francophone dans le Pacifique avec l’Université de la Polynésie Française.
S’agissant d’une université française16, comment est vécue l’injonction de la langue académique en particulier sous sa forme écrite ?
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Nos pratiques d’enseignement, d’évaluation et de prises de paroles sont-elles facilitatrices de l’accès aux savoirs institutionnels, aux théories scientifiques et aux courants de pensée ?
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Sachant que l’identification est un facteur de réussite en situation d’appropriation de savoirs, quels espaces de projection incarnons-nous ?
- 17 En France, ce n’est qu’à partir de la rentrée 2018 que la formation à la pédagogie est rendue oblig (...)
31En tant que professionnelles missionnées par l’État français pour mener à bien un projet formatif, nous devons admettre qu’en dépit de notre accession au poste de enseignantes-chercheures titulaires, nous étions nous-mêmes peu formées17 à la pratique contextualisée et encore moins en situation (post)coloniale ou, tel que défini plus haut, en « terrain sensible ». Ironiquement, l’identification des besoins des étudiants a fait émerger nos propres besoins de renouveau professionnel. Si nous nous accordons sur la plus-value du paradigme du sensible, chacune y est parvenue par un itinéraire singulier.
32Pour Véronique Fillol, elle a – au fil des années d’enseignement et des expériences de recherche – mesuré dans ce contexte politique sensible, l’urgence d’une connaissance critique et dynamique de la diversité linguistique du pays. Outre la description du contexte sociolinguistique, est apparue capitale, l’analyse du rôle civique de la science sociale (Fillol, 2016). Elle a intuitivement construit, à travers l’accompagnement biographique, une pratique sensible aux besoins non exclusivement curriculaires ou académiques des étudiants. Dans cette même perspective, l’activité de recherche qualitative menée en KNC depuis une vingtaine d’années l’engage sur le plan à la fois méthodologique et éthique dans une réflexivité permanente (Colombel-Teuira et Fillol, 2020).
- 18 Co-interventions formatives (Myriam Schwamm, Ricardo Poïwi, Marie-Claudel, Kuby, PaBlö), communicat (...)
33Quant à Elatiana Razafimandimbimanana, un itinéraire de « chercheure nomade » l’incite à l’exploration critique des frontières entre arts et sciences, notamment à travers la « recherche-création », d’où une volonté continue d’articuler approches plurielles (artistiques, visuelles, sensorielles), formation universitaire et recherche scientifique. Elle en fait un « projet d’émancipation sociale » (Razafimandimbimanana, 2022 : 43-52 ; 218-254). Des collaborations18 avec des artistes autorisent ensuite l’adoption du sensible en tant que mode de penser et manière d’être en formation universitaire : « L’intégration des arts dans une formation en KNC est ainsi un choix défini à partir d’un positionnement didactique sensible à l’intégration des savoirs déjà-là » (Razafimandimbimanana et Wenethem, à paraître).
34Le paradigme du sensible paraît émergeant à l’échelle de nos parcours respectifs et des politiques de formation universitaire en France mais il n’en est rien dans l’histoire des sciences. Nous nous inscrivons effectivement dans le sillage d’une épistémologie sensible face à la construction du sens (Dewey, 1980 ; Hegel, 1979 ; Laplantine, 2013 ; Merleau-Ponty, 1964). Notre politique de contextualisation consiste à être « sensible » dans nos choix formatifs dans le sens 1) d’une autoresponsabilisation (éthique, déontologique) face à leurs éventuels effets sur l’expérience sociale des étudiants et 2) d’une médiation entre les mondes mis en opposition. Au-delà de l’identification des besoins situés et de la prise en compte des pratiques sociales dominantes, une contextualisation sensible implique donc de travailler avec les étudiants et leur aptitude à produire du sens y compris à travers leurs :
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ressources sociolangagières ;
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imaginaires (Castoriadis, 1975) et représentations sociales ;
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modes d’analyse introspective, réflexive, biographique ;
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expériences plurielles, pluriartistiques, plurisensorielles du monde.
- 19 « Si ON LA LIE (la littéracie) à une ouverture altéritaire, et si on en fait une occasion de dévelo (...)
35Plutôt que d’essentialiser les sources extérieures et impersonnelles des savoirs explorés en formation (ex. savoirs produits par/pour l’Occident, des institutions, des systèmes de référence d’un ailleurs), plutôt que viser la cumulation de savoirs19 nouveaux, la posture sensible a aussi pour intérêt de produire un effet métacognitif valorisant lorsque les étudiants parviennent à mieux savoir ce qu’ils savent et pourquoi :
« L’apprenant se fait un récit, se fait son savoir, ou plutôt un savoir s’impose à lui qui devient son savoir par le remaniement permanent de son psychisme, c’est-à-dire d’une conscience et d’un inconscient (…). Ainsi, le rapport au savoir d’un sujet s’il se déploie dans une culture, un groupe social, une famille, qui en déterminent une orientation plutôt qu’un autre, demeure bien le rapport au savoir spécifique, mouvant même dans l’histoire d’une vie » (Beillerot, 2000 : 43).
36Pour nous, la recherche de cet effet (auto)valorisant est capitale en terrain plurilingue, (post)colonial, sensible. Elle déploie la contextualisation sous la forme de décolonisation des savoirs dans la mesure où elle permet aux étudiants de se savoir reconnus en tant que producteurs légitimes de savoirs (Fillol et Razafimandimbimanana, à paraître). Nous formulons cela en puisant dans ce que disent ressentir les étudiants :
« De mes années universitaires je retire beaucoup de choses. Quand bien même j’avais peur de me lancer dans ces études de Lettres. Aujourd’hui je ne regrette rien. Ces nombreux écrits dont l’exercice de mémoire et cette biographie langagière n’ont fait que confirmer ce que je supposais déjà : la langue comme un marqueur identitaire ; la langue comme un moyen d’échanges ; la langue comme un code ; la langue comme un moyen de domination, etc. Ces nombreux constats n’ont pas toujours été évidents à mes yeux, et surtout parce que je ne me sentais pas quelqu’un d’important pour les affirmer. Ces nombreuses matières m’ont permis de prendre assurance et envie d’aller plus loin dans la recherche du sens » (Suzanne, BL, 2020).
37On l’a vu plus haut, entrer dans le monde universitaire en KNC engendre un faisceau de représentations conflictuelles. Le choix d’études de Lettres (qui visent à former des spécialistes en langue et littérature française) n’est pas sans incidence quand on est en même temps membre de communautés linguistiques minorées. La langue française étant d’ordinaire et depuis l’époque coloniale associée à la « langue des Blancs » (Fillol et Vernaudon, 2004), l’étudiant océanien, Kanak et/ou métisse s’expose au jugement de ses pairs ou de sa famille, voire à des accusations de trahison (cf. supra, Sandrine, BL, 2020). La rupture sociale qui en résulte est aussi latente que destructrice. Et lorsqu’elle prend une forme ethnicisée comme l’illustre le récit de Sandrine, l’opposition langues-cultures kanak versus langue française, « langue des Blancs » et « culture colonisatrice » (cf. supra) présente le risque d’une naturalisation de l’inégalité sociale et des (in)capacités intellectuelles.
38Dans nos pratiques de contextualisation, l’agentivité des étudiants est sollicitée à travers des dispositifs réflexifs : intégration du déjà-là sociolangagier, co-créations plastiques et projets pédagogiques pluriartistiques (cf. Fillol et Razafimandimbimanana, à paraître). Or, autoriser l’agentivité « ne va pas sans une dose de « bricolage » (au sens où Lévi-Strauss emploie ce terme), bricolage qui est après tout le signe et le garant d’une quête « humaine » de compréhension et de connaissance entreprise par des êtres singuliers à l’endroit d’autres êtres singuliers » (Delory-Momberger, 2014 : 92). Pour nous, la contextualisation sensible fait écho à la valeur kanak de l’humilité20 : nous reconnaissons l’agentivité de chaque étudiant d’où l’« auteurisation des étudiants » ou leur accès au statut d’auteur de savoirs.
39Les effets de cette auteurisation dépasse la seule sphère individuelle. Dans leurs écrits réflexifs, les étudiants font souvent preuve d’une résilience collective avec le maillage entre leur projet formatif celui du bien-être d’autrui :
« Enfin, c’est aussi parce que j’ai longtemps porté sur mon dos, mon insécurité linguistique lié au français et que je suis arrivée à m’en émanciper aujourd’hui, que j’ai choisi d’analyser et d’observer la double insécurité linguistique des jeunes bilingues wallisiens, comme une façon de partager ma pêche intellectuelle aux jeunes générations qui ne savent pas encore nager » (Pasikavaia, ERM, 2022).
40Ce qu’écrivent les étudiants nous fait penser que le sensible n’est pas qu’une condition à un accompagnement contextualisé. En KNC aujourd’hui, il est aussi ce qui permet une expérience commune en temps de ruptures (post)coloniales. La sémantisation double du paradigme, « sensitivité-sensibilité », relie l’empathie au constructif. À l’aulne des récits réflexifs et biographiques ici, être sensible à l’autre revient à reconnaître des savoirs autres que les siens. Un horizon narratif davantage collectif se profile. Le sensible, cette « caractéristique radicale de la vie dans toute sa complexité » (Barbier, 2019 : 329), est la voie compréhensive face à ce qui nous conditionne.