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Dossier

La créolistique : arguments pour une approche sociohistorique

Creolistics: Arguments for a Sociohistorical Approach
Jean-Philippe Watbled

Résumés

Les langues créoles appartiennent à la catégorie plus générale des langues de contact, qui inclut aussi les pidgins. Cette contribution vise à déterminer dans quelle mesure il est possible de définir l’objet de la créolistique en tant que champ de recherches linguistiques spécifique. L’objectif est de montrer que l’approche synchronique et typologique risque de mener à une impasse dans la mesure où il est difficile de prouver que les créoles possèdent des structures ou propriétés distinctives susceptibles de les différencier des autres langues, ou de les identifier comme créoles de façon certaine. Des arguments en faveur d’une approche sociohistorique, et donc diachronique, seront présentés, l’hypothèse défendue étant que les langues créoles sont mieux caractérisées comme résultant d’un processus cognitif complexe d’interprétation des données et de restructurations et reconstruction de la langue cible par les esclaves, plus précisément de la langue de ceux qui se sont livrés à la colonisation et à l’esclavage. Dans le but de démontrer la validité de la thèse qui est défendue ici, des caractéristiques intéressantes et pertinentes du créole réunionnais seront examinées. Quelques propriétés d’autres langues de contact, notamment le créole mauricien, l’afrikaans, et des pidgins de l’océan Pacifique, seront également présentées, afin de mettre en évidence les différences entre parlers exogènes et parlers endogènes. Enfin, en liaison avec ce qui précède, on traitera de la question de l’écart entre, d’une part, les représentations idéologiques des créoles et, d’autre part, une méthode scientifique valide et adéquate, la frontière entre les deux étant reconnue comme floue.

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Texte intégral

1. Introduction

  • 1 Il s’agirait, dans une approche typologique générale, de définir un type créole (Romaine, 1988 : 42 (...)

1La conception de la créolistique comme champ d’études dépend de la définition des langues créoles qui est retenue, et par conséquent des propriétés supposées de ces langues dans le cadre de cette définition. Les propriétés en question sont-elles spécifiques, au sens où elles permettraient d’identifier une langue comme créole de manière assurée ? Et si de telles propriétés existent, relèvent-elles d’une approche diachronique ou bien d’une étude purement synchronique ? Dans le second cas, on est contraint de faire appel à la méthode comparative et à la typologie des langues1.

  • 2 Cette idée est largement inspirée des travaux de Robert Chaudenson.

2En outre, la créolistique doit se concevoir comme appartenant à tel ou tel paradigme disciplinaire. Le problème est que les nominations de tels champs font référence à des familles historiques, alors que les créoles ont des origines diverses : c’est ainsi que l’on compte des créoles à base française, d’autres à base anglaise, etc. Mais rien n’empêche, en adoptant cette ligne historique, de considérer que les créoles se caractérisent par leurs modes de construction et donc par leurs genèses, dans des conditions historiques particulières2.

  • 3 Voir par exemple Stein (1984 : 102), Holm (1988 : 216), G. Hazaël-Massieux (1996 : 37-46), Paul (20 (...)

3La propriété « créole » sert alors d’hyperonyme à des sous-classifications telles que : langues néo-romanes, néo-germaniques, etc.3 Au sein des langues néo-romanes, on pourra ensuite distinguer les créoles à base française (réunionnais, mauricien, seychellois, martiniquais, guadeloupéen, guyanais, haïtien, etc.), à base portugaise (par exemple, cap-verdien), etc. C’est cette approche qui sera adoptée ici, sachant qu’en bonne logique, les langues classées comme créoles entrent dans une catégorie plus générale, celle des langues de contact (Sebba, 1997 ; Holm, 2004a ; Holm et Michaelis, 2009 ; Bakker et Matras, 2013).

  • 4 Suivant Chaudenson (1974 : 392 ; 2003 : 101), une langue de contact sera dite exogène en cas de dép (...)
  • 5 Sur le dernier point, Véronique (1997 : 204) observe que « [c]e qui paraît faire défaut à l’ensembl (...)

4L’hypothèse retenue est la suivante : les facteurs les plus déterminants dans la recherche d’une explication de la genèse des créoles et de leurs propriétés actuelles sont l’état initial de la langue des populations dominantes ou terminus a quo (Chaudenson, 2012 : 4, 14, 23), le caractère endogène ou exogène de la langue de contact4, et les principes cognitifs de construction à l’œuvre lors de l’appropriation de la langue-cible5.

  • 6 La focalisation annoncée sur le créole réunionnais est motivée aussi par le fait que l’approche soc (...)

5Je propose de tester et d’illustrer cette hypothèse à l’occasion de l’examen de quelques faits de langue empruntés à des terrains divers, mais avec une focalisation particulière sur le créole réunionnais, qui servira en quelque sorte de paradigme. Ce sera aussi une manière de mettre à l’épreuve l’approche sociohistorique6, l’idée étant qu’elle s’impose si nous ne voulons pas « dissoudre » la créolistique en la privant de toute spécificité.

  • 7 Voir note 4 et §2.1.

6Dans le cadre de cet article, on est évidemment contraint de se limiter à l’examen d’une sélection de données empruntées à un nombre réduit de langues. Le choix de ces langues est néanmoins motivé : le réunionnais et le mauricien sont des créoles à base française et à ce titre sont des langues néo-romanes ; en revanche, l’afrikaans et les langues de contact à base anglaise du Pacifique, qui seront également l’objet d’un bref examen, sont des langues néo-germaniques. En outre, nous verrons qu’il existe d’autres différences intéressantes entre ces langues, liées à leur caractère exogène pour les unes et endogène pour les autres7. Ces différentes propriétés fourniront des éléments de comparaison.

7Enfin, je confronterai brièvement les résultats de ce survol avec les diverses représentations idéologiques ou idéologisées des créoles, sachant que l’écart entre une approche scientifique et de telles représentations serait tout sauf surprenant.

2. Le cas du créole réunionnais

2.1. Caractère exogène du créole réunionnais

8Chaudenson (1974 : 392) distingue les créoles endogènes des créoles exogènes. Dans le premier cas, la population dominée est « homogène, demeurant, sur sa terre ou dans des territoires proches conservant même sous la domination étrangère, son unité ethnique, ses traditions et aussi, dans une certaine mesure, sa langue », alors que dans le second cas, les victimes du système colonial et esclavagiste sont « des individus isolés, arrachés à leur pays natal, séparés de leur tribu et de leur famille, jetés dans les “habitations” au milieu d’autres esclaves venus d’autres pays, souvent issus d’autres peuples, d’autres races [sic] même ».

9Chaudenson (2003 : 101) rappelle cette distinction : les parlers exogènes sont « constitués au sein de sociétés coloniales dont toutes les composantes démographiques étaient immigrées dans des territoires généralement insulaires », alors que les parlers endogènes sont « apparus dans des aires où la population colonisée était indigène ».

10Le créole réunionnais est typiquement exogène. En effet, l’île sur laquelle on le parle, située dans l’archipel des Mascareignes au sud-ouest de l’océan Indien, était inhabitée avant la prise de possession par les Français en 1642.

  • 8 Le créole est alors sorti de « la galaxie francophone » (Chaudenson, 1989 : 39).

11Le processus de créolisation s’est déroulé en deux phases, dites « société d’habitation » pour la première et « société de plantation » pour la seconde (Chaudenson, 1992 : 91-123). Lors de la première phase, la cible est le français des colons, considérablement différent du français standard. Lors de la seconde phase, les nouveaux esclaves, sans contact direct avec les maîtres, ont pour cible le produit résultant de la première. À l’issue de la seconde phase, on est sorti de la sphère du français et on peut dire que le créole est né8.

12Il y a donc tout lieu de penser que ce créole est issu de reconstructions et restructurations par les populations asservies de formes de français régional ou dialectal de régions de langues d’oïl (Chaudenson, 1992 : 66 ; 1995 ; 2003). Le caractère exogène du créole réunionnais a eu pour conséquence que sa genèse s’explique par le « contact de populations immigrées ou transportées » (Chaudenson, 1992 : 25).

  • 9 Voir Carayol et Chaudenson (1979), Chaudenson (2000).

13Par ailleurs, le réunionnais est de toute évidence, parmi tous les créoles à base française, le plus proche du français, tant sur le plan lexical que sur le plan phonologique et le plan grammatical9. Ce fait a sans doute été facilité par le caractère fortement hétérogène des langues d’origine des populations réduites en esclavage. Même le malgache, nettement majoritaire parmi ces langues, n’a laissé que des traces lexicales, et loin derrière le français (voir infra).

14La proximité entre le créole réunionnais et le français, plus forte qu’entre celui-ci et les autres créoles à base française, s’explique cependant principalement par ce que Chaudenson (2010 : 108) a appelé l’ « érosion basilectale » ayant affecté le réunionnais, qui se serait produite en raison « des conditions sociolinguistiques spécifiques de l’île », et « qui a entraîné la disparition de traits basilectaux », alors que le mauricien se serait « basilectalisé ». Cette « érosion basilectale » du réunionnais expliquerait donc aussi l’écart actuel entre celui-ci et le mauricien.

  • 10 Cette restriction ne doit pas abuser le lecteur : en effet, la contribution du malgache « au plan p (...)

15Étant donné son caractère exogène, le créole réunionnais est quasiment – ou peut-être même totalement – dépourvu de substrat. Il n’est pas surprenant que le substrat soit beaucoup moins fréquent et moins net dans les parlers exogènes que dans les parlers endogènes, en raison de la dispersion résultant de la déportation dans le premier cas. Chaudenson (2003 : 163) écrit ainsi, à propos du réunionnais, que, « en dépit de conditions plus favorables que nulle part ailleurs, le malgache n’a guère marqué le créole local, sauf au plan phonétique et lexical »10.

16Il convient d’ajouter que les langues d’origine des esclaves ont pu toutefois jouer un rôle de sélection des formes et contribuer ainsi au processus de restructuration de la langue-cible (le français des colons) et de construction du créole (Mufwene, 2005 : 101, 132).

2.2. Diglossie et variation

  • 11 Sur ce français régional, voir par exemple Carayol (1977, 1985) et Beniamino (1996). Les locuteurs (...)

17La coexistence sur un même territoire de deux langues, le français régional de La Réunion11 et le créole, entraîne une situation de concurrence couramment qualifiée de diglossie, au sens de « coexistence inégalitaire de deux langues au sein d’une même communauté linguistique » (Chaudenson, 1989 : 162).

  • 12 Dans un usage sans doute majoritaire, le terme d’acrolecte fait référence à une variété de français (...)

18On qualifiera ici d’acrolectale la variété de créole la plus proche du français, et de basilectale la plus éloignée12. Les variétés intermédiaires sont normalement dites mésolectales, mais ce troisième terme est le plus souvent absent des débats sociolinguistiques. Toujours est-il que le terrain se caractérise par une très forte variation et que ces différents termes – acrolecte, mésolectes, basilecte – ne servent que de repères pratiques face à un continuum de variétés, auxquelles il convient d’intégrer celles du français, lui-même variant entre des formes régionalement très marquées, dites « créolisées » et, à l’autre extrême, des formes de français « hexagonal ».

  • 13 Calque de l’anglais code-switching, expression qui laisse entendre à tort que les langues seraient (...)

19Le caractère exogène du créole a fortement influencé sa genèse, comme nous l’avons vu, avec comme conséquence, en l’absence de substrat, une très forte proximité lexicale et structurelle entre créole et français, même s’il s’agit bien entendu de deux langues distinctes. Cette proximité, accentuée au XIXe siècle par une « érosion basilectale » (voir supra), facilite la production de discours « mélangés », caractérisés par des interférences, des calques et des emprunts. On évoque également souvent à cette occasion des alternances codiques13. Ces mélanges sont soit parfaitement réglés – le locuteur jouant en quelque sorte avec les deux langues grâce à sa compétence polylectale –, soit dus à une inégalité dans la compétence, le créole étant alors dans ce second cas de figure le plus souvent dominant sur le plan cognitif.

2.3. Phonologie du créole réunionnais

20Pour ce qui est de la composante phonologique, le créole réunionnais frappe tout d’abord par ses similitudes avec les variétés les plus courantes de français, notamment le français régional parlé sur l’île. En outre, il possède une particularité étonnante, à savoir l’existence de deux systèmes en concurrence : un système basilectal plus réduit et un système acrolectal plus proche du français.

21Les phonèmes du système acrolectal constituent un sous-ensemble des phonèmes du français standard, tandis que ceux du système basilectal constituent un sous-ensemble des phonèmes du système créole acrolectal. Par transitivité, le système basilectal constitue donc lui aussi un sous-ensemble de celui du français. En tout cas, ce qui importe ici est que le créole réunionnais ne présente aucun phonème étranger au français.

  • 14 Cette semi-voyelle labiale-palatale est nettement plus rare que les deux autres : nuit /nɥit/ (‘nui (...)

22Le système basilectal comprend cinq voyelles orales : /i/, /u/, /e/, /o/, /a/, ainsi que trois voyelles nasalisées : /ɛ̃/, /ɔ̃/, /ɑ̃/. L’inventaire des consonnes du système basilectal se subdivise en labiales : /p/, /b/, /m/, /f/, /v/, dentales ou alvéolaires : /t/, /d/, /n/, /s/, /z/, /l/, vélaires : /k/, /g/ et uvulaire : /ʁ/. À cela s’ajoutent trois semi-voyelles : /j/, /ɥ/14, /w/.

23La nasale prépalatale /ɲ/ du français standard, plus complexe, n’existe pas en créole (elle se confond avec la séquence /nj/, diversement réalisée). Cette nasale prépalatale /ɲ/ n’existe pas non plus en français local.

24Le système acrolectal possède quatre phonèmes supplémentaires : les voyelles /y/ et /ø/, et les consonnes post-alvéolaires /ʃ/ et /ʒ/.

25Les voyelles moyennes /e/, /o/ (/ø/) ont chacune deux allophones : [e], [o], ([ø]) en syllabe libre, [ɛ], [ɔ], ([œ]) en syllabe couverte. On constate ici la généralisation de la loi de position du français (Léon, 2011 : 177-119).

26Les timbres vocaliques du français standard inconnus du créole réunionnais sont [ə], [ɑ] (français pâte) et [œ̃] (français brun), mais on sait que même en français, l’opposition /a/ ~ /ɑ/ a largement disparu de la plupart des variétés (au profit de /a/), et que l’opposition /ɛ̃/ ~ /œ̃/ ne se maintient bien que dans les régions méridionales de l’Hexagone : ailleurs, la voyelle /œ̃/, très marquée par le cumul de la nasalité et de la labialité combinée à l’antériorité, disparaît au profit de /ɛ̃/. Le créole ne fait ici que suivre une tendance générale.

27En fait, le système acrolectal du créole ressemble à une sorte de « français minimal ». On rencontre en effet en français métropolitain de nombreuses variétés analogues, tant sur le plan du système que sur celui des réalisations des voyelles moyennes. On a le même système en français de La Réunion.

28Le caractère plus réduit du système basilectal s’explique par la difficulté articulatoire due à la complexité des phonèmes marqués /y/, /ø/ (Martinet, 1955 : 120) et /ʃ/, /ʒ/ (Haspelmath, 2013 : 490). En outre, on peut supposer que les voyelles /y/, /ø/ étaient inconnues des langues des populations déportées comme esclaves, tout comme l’opposition entre les couples /s/, /z/ et /ʃ/, /ʒ/ (Chaudenson, 1979 : 86-88 ; 2003 : 220-221).

29Contrairement à ce qui est parfois allégué, les principes d’accentuation sont exactement les mêmes en créole qu’en français, avec comme syllabe dominante la finale de mot ou de groupe rythmique. Les deux langues se caractérisent donc par l’oxytonisme.

30Ce sont surtout les contraintes phonotactiques, entendues comme règles de combinaison de phonèmes dans le mot, qui caractérisent le créole comme se démarquant du français dans la composante phonologique. Ainsi, les séquences voyelle nasalisée + consonne nasale sont courantes en finale de mot : bann /bɑ̃n/ (‘bande’), novanm /novɑ̃m/ (‘novembre’).

31Les possibilités de groupes consonantiques sont nettement plus limitées qu’en français, surtout en finale de syllabe ou de mot : tab /tab/ (‘table’), kat /kat/ (‘quatre’). Autre point intéressant, lors de la créolisation, la consonne de liaison /z/ de pluriel et le /l/ de l’article défini élidé ont été réinterprétés comme initiales de mot (Watbled, 2013b) : zwazo (‘oiseau’), zanimo (‘animal’), lékip ou zékip (‘équipe’).

2.4. Le lexique

32Le lexique est issu en majorité du français. Les statistiques fournies par Chaudenson dans sa thèse de 1974 montrent que les termes français, au sens large, sont nettement plus nombreux, avec 31,6% qualifiés d’ « archaïsmes » et 57,6% de « néologismes », « archaïsmes » faisant référence à des mots dont la signification ancienne a été conservée, et « néologismes » à des changements sémantiques ou morpho-sémantiques (Chaudenson, 1974 : 644, 895-6, 1082).

33Le lexique d’origine malgache vient loin derrière, avec 4,3%, juste avant les 3,2% d’apport « indo-portugais », c’est-à-dire le portugais – incluant les dialectes portugais de l’Inde – et les langues proprement indiennes comme le tamoul et l’hindi (Chaudenson, 1974 : 536-543). L’expression de « vocabulaire des Isles », à raison de 3%, fait référence à « la voie par laquelle s’est effectué l’emprunt » (Chaudenson, 1974 : 591). Quant à l’apport « africain », il est pratiquement nul, avec 0,3% (Chaudenson, 1974 : 644). Ces statistiques sont totalement en accord avec ce qui a été avancé supra sur le caractère exogène du créole réunionnais et sur les principes ayant présidé à sa genèse.

2.5. La grammaire du créole réunionnais : quelques illustrations

34Il est relativement facile de reconstruire les processus ayant produit les traits saillants de la grammaire du créole. Prenons quelques exemples représentatifs.

2.5.1. Le nom et la détermination nominale

  • 15 Les exemples sont donnés en variété basilectale.

35Le nom est invariable, mais il doit ce trait à l’état initial : en effet, il convient, cela va de soi, de prendre en compte uniquement le français oral. Or, dans cette langue, le nom régulier est strictement invariable15 : clé et clés se disent /kle/, ce qui va donner klé en créole. Les exceptions ont été régularisées : soval (‘cheval’), zanimo (‘animal’). Le pluriel s’exprime avec le déterminant bann, dont on se passe d’ailleurs si le contexte le permet : bann sat (‘des/les chats’), bann zanimo (‘des/les animaux’).

36Le passage du français au créole se caractérise entre autres par l’élimination des redondances. C’est ainsi que tous les accords ont disparu, à l’exception de celui de l’article défini, qui s’applique de manière beaucoup plus souple qu’en français, avec davantage de variation : lo gato (‘le gâteau’), la boutik (‘la boutique’).

37La subsistance d’un seul cas d’accord fait partie d’un principe d’économie, lequel explique aussi que le nom créole se passe plus facilement de déterminant que le nom français, notamment à chaque fois que le contexte induit l’interprétation correcte : na zwazo dann pyé d’bwa (‘il y a un oiseau/des oiseaux dans l’arbre’).

2.5.2. Les pronoms personnels

38Le français possède deux séries de pronoms personnels, que l’on peut qualifier, en simplifiant, de pronoms disjoints et de pronoms conjoints ou clitiques. La série des pronoms disjoints comprend moi, toi, lui, elle, etc., alors que la série des pronoms conjoints comprend je, tu, il, elle, etc., certaines formes disjointes et conjointes étant homophones.

39Lors de la créolisation, les pronoms clitiques du français, placés avant le verbe (sauf à l’impératif) et attachés à lui, ont été éliminés (voir toutefois infra la question du i), et seuls ont subsisté en créole les pronoms disjoints, nettement plus perceptibles.

40Autre caractéristique intéressante : chaque pronom disjoint du français n’a qu’une seule forme (moi, toi, lui, elle...), alors que les pronoms conjoints connaissent la flexion, conditionnée par le contexte syntaxique : je/me, tu/te, il/le/lui, elle/la/lui, etc.

41Enfin, en héritant uniquement des pronoms disjoints du français, le créole retient le même ordre des mots, que les syntagmes entourant le verbe soient nominaux ou pronominaux : on aura aussi bien zot i koné pa boug la (‘ils ne connaissent pas ce type’) que boug la i koné pa zot (‘ce type ne les connaît pas’), alors qu’en français, le pronom conjoint (les dans le second exemple) représentant l’objet direct, par exemple, est placé à gauche du verbe, contrairement à l’objet direct nominal, qui est à droite du verbe. Du point de vue pragmatique, il est peu commode d’avoir dans une même langue deux positions différentes pour une même fonction : le créole a éliminé cette difficulté.

  • 16 Voir §2.3.

42Les pronoms du créole descendent en ligne directe des pronoms disjoints du français (Chaudenson, 1989 : 89 ; Watbled, 2014) : moi > mwin, vous > ou, lui > li, elle > èl, nous > nou. Le pronom créole ou ne peut faire référence qu’à un seul individu (deuxième personne du singulier) ; la deuxième personne du pluriel (forme d’adresse à plusieurs allocutaires) et la troisième personne du pluriel sont homophones : on a zot dans les deux cas. Cette forme unique zot est issue des séquences vous autres et eux autres, prononcées v(ou)zot et euzot, ézot. Seule la syllabe finale accentuée16 a subsisté, d’où le syncrétisme (Chaudenson, 2003 : 307, 400).

43Autre point intéressant : le créole réunionnais n’a conservé qu’une seule trace des pronoms clitiques du français ; il s’agit du i (< il). Ce n’est sans doute pas un hasard s’il s’agit du pronom clitique le moins marqué du français, puisqu’il est au départ masculin (non marqué pour le genre), singulier (non marqué pour le nombre) et de troisième personne (non marqué du point de vue énonciatif, ne faisant référence ni au locuteur ni à l’allocutaire).

  • 17 Les règles régissant l’emploi de i sont en fait assez complexes (Watbled, 2013a : 229-252). Notons (...)

44Mais en réalité, ce clitique, s’il a été préservé, a connu un destin particulier : utilisé comme pronom de reprise en français (cf. mon père i dit pas ça), il a en effet été réinterprété comme un préverbe jouant le rôle de marqueur prédicatif, signalant la frontière entre le sujet et le prédicat, et ce quelle que soit la personne du sujet17 : zot i koné ali (‘ils le connaissent’).

45Le créole réunionnais a innové en employant une forme longue des pronoms personnels (avec le préfixe a‑) en position immédiatement postverbale : mi koné aou (‘je te connais’), ou koné amwin (‘tu me connais’), ou en début de phrase pour exprimer une emphase : aou la fé sa ! (‘c’est toi qui as fait ça !’).

46Pour rendre compte de ces formes, on peut envisager une convergence avec le a‑ initial des pronoms objets du malgache (Chaudenson, 1974 : 953-954), mais ce n’est sans doute pas la seule piste possible et, en l’absence de données historiques claires, il est difficile de se prononcer.

2.5.3. Les démonstratifs

47Le créole réunionnais possède tout un jeu de formes concurrentes, mais le déterminant démonstratif de base est la, placé en position postnominale, et qui peut optionnellement être accompagné d’un déterminant démonstratif prénominal : (so) marmay la (‘cet enfant’).

48Là encore, on aurait tort d’y voir une différence fondamentale avec le français oral courant, qui emploie très souvent en fonction de déictique postnominal : cet enfant-là, ce type-là sont sans doute au moins aussi courants que cet enfant, ce type.

  • 18 Voir §2.3.

49On retrouve ici le rôle crucial joué par l’accentuation en fin de groupe rythmique. En effet, en raison de l’oxytonisme commun au français et au créole18, c’est le final de groupe en français qui a été réinterprété comme déterminant démonstratif de base en créole, mais il s’agit simplement d’un renversement de la hiérarchie : alors qu’en français, dans cet enfant-là, c’est la partie prénominale qui est obligatoire, en créole c’est la partie postnominale. Par ailleurs, so (dont la variante acrolectale est se) vient du français ce.

2.5.4. Les possessifs

50L’héritage français, sur ce point aussi, est patent. Voici ce qu’il en est des déterminants possessifs : mon > mon, vot(re) > out, son > son, not(re) > nout. Les équivalents de votre/vos et de leur(s) échappent à cette règle, en étant homophones des pronoms personnels correspondants : zot.

  • 19 Les variantes sont très nombreuses, et il n’est possible ici de fournir qu’une esquisse réduite à l (...)

51Les pronoms possessifs19 viennent en ligne droite du français, sans distinction de genre ou de nombre (pour ce qui est « possédé ») : lamyinn ou lémyinn, latyinn ou létyinn, lasyinn ou lésyinn, etc. L’expression peut aussi être périphrastique, sur le modèle « celui de moi », « celui de toi », etc. : sad (a)mwin, sad (a)ou, etc.

2.5.5. Flexion verbale

52Le verbe réunionnais ne connaît pas l’accord, mais il possède néanmoins un résidu non négligeable de flexion. On relève quatre formes finies : le présent, l’imparfait, le futur et le conditionnel, et trois formes non finies : l’infinitif, le participe passé et le participe présent. Dans les limites de cet article, on se contentera d’illustrer ce point avec trois verbes : èt (‘être’), le verbe régulier dansé (‘danser’) et le verbe irrégulier voulwar (‘vouloir’) :

présent

imparfait

futur

conditionnel

infinitif

part. passé

part. présent 

(lé)té

sra

sré

èt

été

étan

dans

dansé

dansra 

dansré 

dansé

dansé

dansan

voulé

voudra

voudré 

voulwar 

vouli

voulan

Tableau 1 : flexion verbale

53Ce sont les verbes irréguliers ne connaissant pas le syncrétisme, comme voulwar, qui révèlent le mieux le système. Ce verbe distingue même l’infinitif du participe passé. Ces formes sont évidemment héritées du français.

54Pour tous les verbes sauf èt (‘être’) et awar (‘avoir’), qui ont uniquement un imparfait flexionnel, l’expression préférentielle de l’imparfait est en fait périphrastique : ainsi, au moins en créole basilectal, on préférera zot té (i) dans (‘ils dansaient’), avec le préverbe té, à zot i dansé, en principe senti comme acrolectal ou « francisé ». L’imparfait périphrastique est issu d’un imparfait français dialectal du type l’était qui > lété ki > té i (Chaudenson, 2003 : 120 ; 2010 : 62-64).

55Pour le futur, les choses sont plus complexes. Pour les verbes èt et awar, il y a variation libre entre le futur flexionnel et l’auxiliaire invariable va suivi de l’infinitif : zot va èt kontan, zot i sra kontan (‘ils seront contents’). Mais pour tous les autres verbes, c’est va qui est le plus employé : kosa zot va dir ? (‘que diront-ils ?’). Le futur flexionnel est plus facilement accepté dans une phrase négative : zot i dira pa sa (‘ils ne diront pas ça’).

56Il est clair que l’origine de l’auxiliaire va est la forme homophone va du français, mais qui a en créole exactement la même valeur sémantique que le futur flexionnel. En effet, pour le futur imminent, le créole emploie sava, souvent réduit à sa, entre autres variantes : zot i sa(va) dansé (‘ils vont danser’). Dans sava, on reconnaît facilement la forme française s’en va (/sɑ̃va/ > /sava/), généralisée à toutes les personnes.

57Le créole réunionnais a aussi un auxiliaire du passé perfectif (équivalent du français avoir), lui-même sujet à la flexion : kosa zot la manzé ? (‘qu’avez-vous mangé ?’). Il connaît également un emploi grammaticalisé du participe passé fini, le plus souvent sous la forme tronquée fine employée à la suite de l’auxiliaire du passé perfectif, pour mettre l’accent sur la notion de « déjà réalisé » : ou la fine manzé ? (‘tu as mangé ?’, ‘tu as déjà mangé ?’).

2.5.6. Le verbe èt

58Le verbe èt (‘être’) a les mêmes emplois que son homologue français : out frèr lé in bon moun (‘ton frère est un bon gars’), ousa ou lété ? (‘où étais-tu ?’). Toutefois, contrairement au français, le créole peut se passer de ce verbe, mais seulement dans des contextes bien précis. On peut en effet avoir, au présent seulement et toujours optionnellement, une phrase averbale, et à condition d’avoir un syntagme nominal (jamais adjectival) comme attribut : sa (lé) in bon boug, sa ! (‘c’est un brave gars !’). Aux autres temps, le verbe èt est obligatoire : lété in bon boug, sa ! (‘c’était un brave gars !’). En somme, s’il est vrai que le créole réunionnais s’est ici démarqué du français, il ne l’a fait que minimalement.

3. Autres exemples de langues de contact

  • 20 Voir §1.

59La confrontation du créole réunionnais avec le créole mauricien, langue « cousine » de l’océan Indien, mais aussi avec des langues plus éloignées, comme l’afrikaans et, surtout, avec des pidgins de l’océan Pacifique, devrait apporter un éclairage intéressant. C’est du moins l’objectif visé ici20.

3.1. Le mauricien

  • 21 Ce qui est dit ici du mauricien (Baker, 1972) vaut pour le Seychellois (Corne, 1977), qui est très (...)

60Le but de ce bref aperçu du mauricien21 est de montrer que même lorsque les différences avec le français sont superficiellement plus nettes que dans le cas du réunionnais, l’analyse et l’application des méthodes de reconstruction révèlent que l’origine est en fait la même, à savoir essentiellement des formes de français de l’époque de la colonisation.

  • 22 Voir §2.5.1.
  • 23 La particule ti exprime un passé révolu, alors qu’avec finn, il est fait référence à un passé qui p (...)

61Le mauricien s’est incontestablement plus nettement démarqué du français que le réunionnais. Ainsi, alors que le réunionnais a conservé des résidus de flexion verbale22, le verbe mauricien est invariable. Dans cette logique, le mauricien a généralisé le recours à des particules préverbales pour l’expression du temps et de l’aspect : mo manzé (‘je mange’), mo pé manzé (‘je suis en train de manger’), mo ti manzé (‘j’ai mangé’), mo (fi)nn manzé (‘j’ai mangé’)23, mo ti (fi)nn manzé (‘j’avais mangé’), mo ti pé manzé (‘j’étais en train de manger’), mo pou manzé (‘je mangerai’, ‘je vais manger’). L’absence de particule préverbale exprime le présent pur (mo manzé).

  • 24 Le ti mauricien est évidemment l’équivalent du réunionnais comme marqueur d’imparfait (voir §2.5 (...)

62Ces écarts par rapport au français sont éminemment trompeurs. En effet, là encore, les sources sont françaises, sachant que le français des colons usait couramment de périphrases verbales. Ainsi, vient du français (être) après, qui faisait référence à un événement en cours de réalisation (cf. en train de...) ; ti vient probablement de l’imparfait de être (étais = été > té > ti)24 ; finn, comme le fine réunionnais (voir supra) est la grammaticalisation du verbe français finir pour exprimer l’accompli ; pou vient de (être) pour, et exprime le prospectif.

63Le mauricien traite les adjectifs à peu près comme les verbes, en se passant sans problème d’un verbe dans la majorité des contextes : mo malad (‘je suis malade’), mo ti malad (‘j’étais malade’), mo pou malad (‘je serai malade’), etc.

64En bref, les particules et les structures qui viennent d’être présentées s’expliquent très facilement, malgré des écarts avec le français en apparence importants, par des principes simples de restructuration de périphrases, avec suppression du verbe être.

3.2. L’afrikaans

  • 25 « L’incertitude entoure nombre de processus qui ont mené au développement de l’afrikaans à partir d (...)

65L’afrikaans est reconnu comme issu de variétés de néerlandais (Donaldson, 1993 ; Watbled, 2015b). C’est l’une des langues officielles de l’Afrique du Sud. Le point intéressant est que, pour nombre de créolistes, l’afrikaans serait au néerlandais ce que les créoles à base française sont au français. Les origines exactes de la langue continuent à faire débat et, comme l’écrit Donaldson (1993 : xiii), « Uncertainty surrounds many of the processes that led to the development of Afrikaans from seventeenth century Dutch »25.

66Globalement, on peut affirmer que la grammaire de l’afrikaans est plus simple que celle du néerlandais. En particulier, la flexion verbale est extrêmement réduite. Néanmoins, l’ordre des mots a été très peu restructuré et reste de type germanique, comme on le voit dans cet exemple : jy moet my onmiddellik help (‘tu dois m’aider tout de suite’), avec de gauche à droite : le sujet jy (‘tu’), le verbe de modalité moet (‘dois’), l’objet direct de l’infinitif my (‘me/moi’), l’adverbe onmiddellik (‘tout de suite’) et enfin help (‘aider’).

67Ces propriétés font évidemment problème lorsque l’on veut à tout prix faire entrer une langue dans une catégorie en fonction de critères typologiques, et c’est ainsi que l’on a pu considérer l’afrikaans comme un « semi-créole » (Holm, 1989 : 303).

68Cet exemple illustre l’importance de l’état de la langue du colonisateur au moment des contacts de populations. La prise en compte de ce paramètre, conjugué aux principes cognitifs à l’œuvre dans les processus d’appropriation, évite de commettre l’erreur consistant à privilégier l’apparition de tel ou tel trait typologique distinctif.

3.3. Des pidgins endogènes dans le Pacifique

69Comme il a été indiqué plus haut, l’influence du substrat, si elle ne se fait guère sentir dans les parlers exogènes, risque en revanche d’être nette dans les parlers endogènes. Je propose à titre de brève comparaison l’exemple des langues de contact à base anglaise du Pacifique, qui sont endogènes.

70En bislama (Crowley, 2004), pidgin à base anglaise du Vanuatu, les verbes gouvernant un objet direct prennent un suffixe de transitivité. C’est le cas de want (‘vouloir’) dans mi wantem go long taon (‘je veux aller en ville’), avec le suffixe de transitivité -em. Ce suffixe ignoré de l’anglais a été introduit en pidgin sous l’influence des langues locales, qui servent ainsi de substrat. C’est le pronom objet him de l’anglais him qui a été réinterprété comme marqueur de transitivité et généralisé à toutes les personnes.

  • 26 On dénombre sur ce territoire plus de 800 langues locales, dont au moins 600 de la famille papoue.

71On retrouve ce suffixe avec la même fonction en tok pisin (Verhaar, 1995), pidgin de Papouasie-Nouvelle Guinée26, sous la forme ‑im : em i no laikim mi (‘il ne m’aime pas’), et aussi dans le pidgin des Îles Salomon (Huebner et Horoi, 1979 ; Jourdan, 2007) : openem buk ia (‘ouvrez le livre’), ou encore dans le kriol du nord de l’Australie (Hudson, 1985 ; Sandefur, 1986), entre autres : det dog bin baitim mi (‘ce chien m’a mordu’).

72Ces innovations sont le résultat de l’influence d’un substrat. On trouve en effet un suffixe de transitivité dans les langues locales. Ce fait est bien connu des spécialistes de ces langues. Ainsi, le tolai (Franklin, Kerr et Beaumont, 1974 : 57), langue austronésienne servant de substrat au tok pisin, a un suffixe de transitivité ‑: i ivura (‘il vend’, intransitif), i ivur-e ra painap piragu (‘il me vend l’ananas’, transitif).

73Par ailleurs, les pidgins de cette région ont très souvent un marqueur prédicatif i (< angl. he), analogue dans son fonctionnement au i du créole réunionnais. En tok pisin, on a ainsi dispela haus i naispela (‘cette maison est belle’). On retrouve un tel marqueur i en tolai : a bul i melem (‘le garçon est intelligent’), ce qui démontre une fois encore le rôle du substrat dans le cas des parlers endogènes (Franklin, Kerr et Beaumont, 1974 : 39).

  • 27 Voir §2.5.5 et §3.1.

74Autre point intéressant : la grammaticalisation du verbe anglais finish (sous la forme finis ou pinis), comme celle de finir dans les créoles de l’océan Indien27, avec les mêmes valeurs sémantiques. Voici un exemple en pidgin des Îles Salomon : puskat nao hem i dae finis (‘le chat est mort’).

75On voit ainsi comment des tendances analogues peuvent être à l’œuvre sur des terrains très différents, mais avec une causalité différente : processus purement internes dans les langues de contact exogènes, et influence du substrat en plus dans les langues de contact endogènes. Là encore, on observe qu’il est crucial de prendre en compte les paramètres pertinents sur chaque terrain étudié, plutôt que de se mettre en quête de propriétés typologiques qui seraient conçues comme nécessairement récurrentes d’un terrain à l’autre.

4. La question de la spécificité

  • 28 Voir §3.2 au sujet de l’afrikaans.

76Revenons un instant au créole réunionnais. Sa proximité structurelle avec le français a conduit certains créolistes à lui attribuer un faible degré de « typicalité », au point de le considérer même comme un « semi-créole »28 (Siegel, 2001 : 193 ; Holm, 1989 : 303 ; Holm, 2004b : 51 ; McWhorter, 2005 : 22-23, 159), ou n’étant pas un créole du tout (Alleyne, 1986 : 302). Un tel jugement est conditionné par une importance exagérée accordée aux propriétés structurelles, au point d’en faire des traits définitoires des créoles.

  • 29 Voir aussi Chaudenson (1989 : 152 ; 2003 : 57-60) et Mufwene (2005 : 55).

77La position de Chaudenson (1995 : 93)29 semble plus raisonnable et a le mérite d’aboutir à des conclusions moins paradoxales : « [l]es créoles ne se caractérisent [...] pas par des traits structurels spécifiques qu’ils seraient les seuls à présenter et qu’ils présenteraient tous ». C’est leur histoire particulière, et non leurs propriétés structurelles, qui permet de les identifier : « Les modes sociohistoriques et sociolinguistiques de la créolisation [...] constituent la réelle spécificité des créoles ». Dans cet esprit, l’originalité des créoles en général tient bien davantage aux conditions historiques de leur genèse et aux situations sociolinguistiques qui les caractérisent qu’à des traits typologiques linguistiques qui leur seraient spécifiques. On serait en outre bien en peine de dresser une liste de ces traits typologiques et l’observation linguistique se révèle ici décevante.

78Concernant les hypothétiques propriétés spécifiques des créoles, Chaudenson (2003 : 57) observe que « personne n’a jamais réussi à établir une liste de ces traits réputés communs », et le risque est grand de rencontrer des langues non créoles présentant les traits en question. En effet, si les créoles se caractérisaient par des traits distinctifs, chaque créole devrait les posséder tous, et aucune autre langue ne devrait les présenter, ce qui est hautement improbable (Chaudenson, 2003 : 60).

79En revanche, les conditions de la genèse des créoles les identifient comme des langues ayant une histoire particulière. Il importe à cet égard de bien distinguer d’une part l’étude synchronique, d’autre part la genèse. Ensuite, il n’y a aucune raison pour que les créoles représentent des types structurels particuliers, dans la mesure où les processus cognitifs à l’œuvre dans l’interprétation des données et la construction des langues sont analogues partout.

80Par le jeu de la faculté de langage universelle propre à l’être humain, et dans le contexte particulier des sociétés esclavagistes, des structures en partie différentes de celles de la langue cible sont sorties de celle-ci. Ce processus fait surgir une nouvelle langue, un créole, langue qui quitte la sphère de celle du colonisateur. C’est cette sortie qui caractérise à mon sens la créolisation, bien plus que le métissage, en tout cas au moins sur le terrain des langues de contact exogènes.

5. Les représentations idéologiques

  • 30 Sur cette question, voir notamment Schieffelin, Woolard et Kroskrity (1998) et García, Flores et Sp (...)

81Les représentations dont il est ici question sont dites idéologiques30, mais dans un sens très large, à comprendre comme visions du monde. De même, ces représentations sont souvent affectives, au sens où elles privilégient, ne serait-ce qu’inconsciemment, le désir de leurs porteurs, désir qui peut s’opposer à la réalité telle qu’elle ressort de l’enquête scientifique.

82En relation avec ce qui a été dit à la fin de la section précédente au sujet du métissage, le problème est justement que les représentations courantes des créoles font le plus souvent intervenir cette notion, associée à la fonction identitaire de la langue. Il est évidemment hors de question de nier le rôle de cette fonction, qui est absolument fondamental, notamment sur les terrains qui retiennent ici notre attention. En revanche, la notion de métissage risque le plus souvent d’être en contradiction avec les données linguistiques. Alors que le métissage est, effectivement, de règle dans nombre de domaines culturels et, plus généralement, de phénomènes humains, il est relativement limité dans le cas des langues de contact exogènes, comme le créole réunionnais, par exemple, qui est typique à cet égard.

  • 31 Sur le métissage linguistique, voir aussi Mufwene (1997).

83Chaudenson (2003 : 55) a analysé cette question du métissage et a particulièrement critiqué la « croyance à la mixité des créoles ». Il évoque à ce propos une « linguistique populaire », précisant que l’abondant usage de la notion de métissage qui « sous-tend [...] la vision courante des choses » s’oppose à une approche scientifique rigoureuse31.

  • 32 Voir §2.3, §2.4, §2.5.

84Il s’ensuit sinon un conflit, du moins un écart important entre certaines représentations idéologiques et les résultats de l’investigation linguistique et historique. Cet écart est accentué par une surestimation de l’apport africain dans l’émergence des créoles. Or on sait ce qu’il en est : on peut se reporter, par exemple, aux statistiques de Chaudenson pour le lexique, mais aussi aux exemples de reconstruction que j’ai proposés pour la grammaire, ou encore aux éléments de phonologie32. La construction des créoles est pourtant bel et bien l’œuvre des populations asservies, qui ont fait jouer à plein leur faculté d’appropriation des langues. Simplement, cette faculté s’est appliquée à des données linguistiques européennes.

85Il convient d’ajouter que l’opposition entre les représentations idéologiques et l’enquête scientifique n’est pas toujours nette. En effet, il arrive que l’idéologie s’engouffre dans la pratique scientifique. Par exemple, certains chercheurs sont tentés par une approche « militante » ou tiennent pour acquis qu’il existe un type linguistique créole, aux contours le plus souvent flous. Ce présupposé peut s’accompagner d’un désir – en général inavoué – de démarquer nettement la description du créole de celle du français. Ainsi, alors même que la ressemblance lexicale et structurelle entre le créole réunionnais et le français est patente, on déploiera des efforts pour éviter dans la description du créole tous les indices de cette proximité. Cela peut concerner la description elle-même, ou la terminologie employée.

  • 33 Voir §2.5.5, tableau 1.

86Le créole réunionnais est à la fois typique et problématique à cet égard, par sa parenté évidente avec le français, vu comme langue du colon. Ainsi, les résidus – loin d’être négligeables – de la flexion verbale en réunionnais feront problème, parce qu’évoquant le français. Par exemple, Cellier (1985 : 385), sans doute soucieux d’éviter de reconnaître l’existence d’une flexion verbale en réunionnais, écrit que sra (‘sera’) est une « forme figée à partir du futur fr. du “verbe être” » et « n’est en fait qu’une forme aspective de la copule mais non la copule elle-même [...] ». Cette formulation bien complexe et sibylline masque une réalité pourtant simple et facile à identifier, qui est que sra est le futur du verbe èt (‘être’)33.

  • 34 L’un des rares créolistes à reconnaître l’existence d’une flexion en créole réunionnais est Holm (1 (...)

87L’existence d’un infinitif et d’un participe passé sera également mal vécue34. La stratégie adoptée consistera, le plus souvent possible, à qualifier d’acrolectale ou de francisée telle ou telle structure ou expression. On ira même jusqu’à rejeter la variété acrolectale elle-même en dehors du domaine du créole. Les exemples pourraient être multipliés à l’envi.

88La posture du scientifique qui se garde de tomber dans le piège des représentations idéologiques ou qui fait tout pour s’en prémunir est donc particulièrement épineuse, puisqu’il peut s’y retrouver confronté au sein même du cercle des spécialistes.

89Enfin, bien que ce ne soit pas au cœur du sujet abordé ici, on peut aussi s’intéresser aux conséquences de l’idéologie linguistique sur les questions d’enseignement et de didactique des langues, spécialement sur un terrain diglossique. Sur ce point, il me semble qu’une analyse linguistique réaliste, avec une approche des données dépourvue de tout a priori, a de meilleures chances d’aboutir et de faire réussir les apprenants. Mais le problème est qu’il faut reconnaître que, même dans un cadre à prétention scientifique, il existe sinon des idéologies, du moins des écoles théoriques en concurrence, ce dont on ne peut que se réjouir.

6. Conclusion

  • 35 On songe ici à celle de Chaudenson (1995 : 93) donnée supra : voir §4.

90Ce bref tour d’horizon aura peut-être permis – c’était en tout cas l’objectif – de montrer que la créolistique a droit de cité et qu’elle est déjà construite, au sens où elle a un objet d’étude bien identifié, mais en sachant que cet objet pourrait être menacé, tout comme la discipline qui prétend l’étudier, si la conception que l’on s’en fait est erronée, par exemple, si l’on postule des traits typologiques distinctifs, alors que la voie qui devrait à mon sens s’imposer est d’ordre sociohistorique. Cette voie a le mérite de circonscrire un objet et un champ d’investigation précis, alors même que la définition des créoles qu’elle implique35 n’est pas strictement d’ordre linguistique, puisqu’elle fait appel au contexte de la genèse des langues créoles.

91La difficulté à définir l’objet et l’absence de consensus qui en résulte sont aggravées par les représentations idéologiques. Celles-ci peuvent entrer en conflit avec une authentique recherche libérée de contraintes « militantes » et sont liées aux conditions mêmes qui ont entouré la genèse des langues créoles et à leurs conséquences actuelles.

92La seule issue est la reconnaissance d’une nécessaire tension entre l’idéal de scientificité, toujours difficile à atteindre, et les représentations idéologiques courantes. En cela, la créolistique et, plus généralement, la linguistique, n’ont rien de spécifique : c’est en effet le lot de presque toutes les sciences. Il convient de s’y résigner avec sérénité.

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Notes

1 Il s’agirait, dans une approche typologique générale, de définir un type créole (Romaine, 1988 : 42-70).

2 Cette idée est largement inspirée des travaux de Robert Chaudenson.

3 Voir par exemple Stein (1984 : 102), Holm (1988 : 216), G. Hazaël-Massieux (1996 : 37-46), Paul (2010).

4 Suivant Chaudenson (1974 : 392 ; 2003 : 101), une langue de contact sera dite exogène en cas de déplacement des populations dominées, et elle sera dite endogène si les populations en question restent sur leur territoire d’origine (voir §2).

5 Sur le dernier point, Véronique (1997 : 204) observe que « [c]e qui paraît faire défaut à l’ensemble des thèses développées par cet auteur [= Chaudenson], c’est précisément ce que la description des seules données linguistiques ne peut fournir, la prise en compte du cognitif ».

6 La focalisation annoncée sur le créole réunionnais est motivée aussi par le fait que l’approche sociohistorique défendue dans cet article est dans la ligne de celle de Robert Chaudenson (cf. note 2), qui a lui-même beaucoup travaillé sur le terrain réunionnais (sans que ce soit exclusif, bien entendu), ce qui ne signifie évidemment pas pour autant que la théorie ne vaille que pour le créole réunionnais.

7 Voir note 4 et §2.1.

8 Le créole est alors sorti de « la galaxie francophone » (Chaudenson, 1989 : 39).

9 Voir Carayol et Chaudenson (1979), Chaudenson (2000).

10 Cette restriction ne doit pas abuser le lecteur : en effet, la contribution du malgache « au plan phonétique et lexical » reste bien faible ; il n’existe en créole aucun phonème issu de cette langue (voir §2.3 et §2.4).

11 Sur ce français régional, voir par exemple Carayol (1977, 1985) et Beniamino (1996). Les locuteurs pratiquant spontanément le français standard sont très minoritaires.

12 Dans un usage sans doute majoritaire, le terme d’acrolecte fait référence à une variété de français, mais je considère, suivant en cela M.-C. Hazaël-Massieux (1996), que chacune des deux langues, français et créole, possède son propre continuum au sein d’un continuum global ; chacune des deux a donc son acrolecte, ses mésolectes et son basilecte, sur un même terrain.

13 Calque de l’anglais code-switching, expression qui laisse entendre à tort que les langues seraient des « codes », alors que ce sont avant tout des structures cognitives.

14 Cette semi-voyelle labiale-palatale est nettement plus rare que les deux autres : nuit /nɥit/ (‘nuit’).

15 Les exemples sont donnés en variété basilectale.

16 Voir §2.3.

17 Les règles régissant l’emploi de i sont en fait assez complexes (Watbled, 2013a : 229-252). Notons aussi que la forme mi est le résultat de la contraction de mwin + i : zot i koné pa mwin (‘ils ne me connaissent pas’), mais mi koné pa zot (‘je ne les connais pas’).

18 Voir §2.3.

19 Les variantes sont très nombreuses, et il n’est possible ici de fournir qu’une esquisse réduite à l’essentiel.

20 Voir §1.

21 Ce qui est dit ici du mauricien (Baker, 1972) vaut pour le Seychellois (Corne, 1977), qui est très proche, avec un fort degré d’intercompréhension.

22 Voir §2.5.1.

23 La particule ti exprime un passé révolu, alors qu’avec finn, il est fait référence à un passé qui peut être mis en relation avec le moment de l’énonciation.

24 Le ti mauricien est évidemment l’équivalent du réunionnais comme marqueur d’imparfait (voir §2.5.5).

25 « L’incertitude entoure nombre de processus qui ont mené au développement de l’afrikaans à partir du néerlandais du XVIIe siècle » [ma traduction].

26 On dénombre sur ce territoire plus de 800 langues locales, dont au moins 600 de la famille papoue.

27 Voir §2.5.5 et §3.1.

28 Voir §3.2 au sujet de l’afrikaans.

29 Voir aussi Chaudenson (1989 : 152 ; 2003 : 57-60) et Mufwene (2005 : 55).

30 Sur cette question, voir notamment Schieffelin, Woolard et Kroskrity (1998) et García, Flores et Spotti (2017).

31 Sur le métissage linguistique, voir aussi Mufwene (1997).

32 Voir §2.3, §2.4, §2.5.

33 Voir §2.5.5, tableau 1.

34 L’un des rares créolistes à reconnaître l’existence d’une flexion en créole réunionnais est Holm (1989 : 395). Voir aussi Armand (2014 : xxxi-xxxiii), dont les tableaux équivalent à des modèles de paradigmes flexionnels.

35 On songe ici à celle de Chaudenson (1995 : 93) donnée supra : voir §4.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Philippe Watbled, « La créolistique : arguments pour une approche sociohistorique »Contextes et didactiques [En ligne], 17 | 2021, mis en ligne le 30 juin 2021, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ced/2668 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ced.2668

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Auteur

Jean-Philippe Watbled

Université de La Réunion – LCF (EA 7390)

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