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Comptes-rendus

Jean-Baptiste Busaall, Le spectre du Jacobinisme. L’expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, 446 p.

Gérard Dufour
p. 367-370

Texte intégral

1Pour éditer la thèse de l’un de ses anciens membres scientifiques, Jean-Baptiste Busaall, la Casa de Velázquez se sera hâtée avec lenteur puisque, présenté en janvier 2006 en vue de l’obtention du titre de docteur de l’Université Paul-Cézanne (Aix-Marseille III), aujourd’hui composante d’Aix-Marseille Université, ce travail n’aura été publié que six ans plus tard, en avril 2012.

2L’ouvrage de l’auteur venait cependant juste à point pour s’inscrire dans le grand débat scientifique qu’annonçait la commémoration en 2008 du bicentenaire du début de ce que l’on appelle en France, la guerre d’Espagne ; en Espagne, la guerre de l’Indépendance ; en Catalogne la Guerra del Francés et en Angleterre et au Portugal la guerre de la Péninsule. Certes, son auteur – qui s’est fait connaître des historiens espagnols par quelques brillants articles – n’aura pas été absent des rencontres et discussions organisées à cette occasion. Mais, publié en avril 2012 – autre année de fureur commémorative en Espagne – son livre sera arrivé bien tard, sinon trop tard, pour avoir toute la place qu’il méritait dans la révision historique du processus d’élaboration et de la signification de la Pepa, cette constitution de la monarchie espagnole proclamée à Cadix le 18 mars 1812, et que tous les libéraux d’Europe rêvèrent d’imposer aux tyrans de la Sainte-Alliance dans les années 1820.

3La parution de l’ouvrage de Jean-Baptiste Busaall est d’autant plus la bienvenue que les historiens français du droit qui travaillent sur l’Espagne ne sont pas légion et que, hormis l’auteur, on ne compte guère parmi eux que Xavier Abeberry Magescas, dont l’intéressante thèse sur Le gouvernement central de l’Espagne sous Joseph Bonaparte (1808-1813). Effectivité des institutions monarchiques et de la Justice royale soutenue devant l’Université de Paris XII-Val de Marne en 2001 n’a malheureusement pas été publiée et n’est connue que d’un mince « happy few ». Souhaitons que quelque maison d’édition, suivant l’exemple de la Casa de Velázquez, se décide à publier également ce travail réalisé il y a maintenant treize ans car, si le travail récent des historiens espagnols spécialistes du droit constitutionnel est particulièrement remarquable, ceux des deux rarae aves que sont, pour l’historiographie française, Jean-Baptiste Busaall et Xavier Abeberry Magescas méritent amplement d’être connus et reconnus de tous.

4Comme à quelque chose, malheur est bon, l’auteur a profité du long laps de temps écoulé entre la soutenance et la publication de sa thèse pour, sinon la corriger, du moins l’augmenter des informations fournies par les publications sur la guerre de l’Indépendance parues depuis 2006. En incluant à sa bibliographie 99 titres nouveaux (sans compter ses propres travaux postérieurs), et surtout en complétant ou nuançant ses propos antérieurs, il évite la qualification d’obsolète qui aurait pu frapper son travail. Mais pour ces mises au point, il a très souvent eu recours aux notes explicatives en bas de page, un système de gloses ou de digressions dont Jean-Baptiste Busaall a quelque tendance naturelle à abuser, et qui vient trop fréquemment interrompre le fil de ses démonstrations. C’est là, au demeurant, un péché de jeunesse fort fréquent, et dont nous ne saurions, en conscience, lui faire grief car, dans notre propre thèse, nous en avons fait non seulement tout autant, mais bien pire encore par le nombre et l’étendue de ces notes que nous jugerions actuellement superflues, ou devant être intégrées au texte à proprement parler.

5Le titre de l’ouvrage n’éclaire qu’à moitié le futur lecteur sur son contenu. Mais l’auteur se montre autrement explicite dans le résumé (en français, espagnol et anglais) que l’on trouve à la fin de ce travail, et est sans doute destiné à ceux qui n’auraient pas compris ce qu’ils viennent de lire, ou à ceux qui, après en avoir fait l’acquisition, auraient été rebutés, non pas « par les nœuds de sa belle ceinture », (comme disait Paul Valéry), mais par ses 367 pages de texte. « Par une approche culturelle et historique du droit constitutionnel – nous affirme-t-il – ce livre propose une réponse nouvelle à une question ancienne : le premier libéralisme espagnol et les premières constitutions écrites de la monarchie dite catholique trouvèrent-ils leurs modèles dans l’expérience et l’héritage de la Révolution française ? » (p. 433).

6Effectivement, la question n’a rien de nouveau puisque, avant même que le P. Vélez ne prétendît la trancher de manière définitive dans son Apología del trono y del altar (1818-1819), les partisans de l’absolutisme comme ceux de Joseph, unis dans une sorte de Sainte Alliance, avaient dénoncé avec virulence un texte constitutionnel qui n’était, selon l’expression de Juan Antonio Llorente dans la Gazeta de Valencia du 15 septembre 1812, qu’une refonte de quelques chapitres de Mably agrémentés de principes de Marat et de Danton. La réponse, extrêmement prudente, formulée après la réitération de divers « en dépit de », selon laquelle « il ressort de l’analyse des objectifs des constituants et de l’architecture constitutionnelle de 1812 ne s’inscrivait pas dans l’idée contemporaine d’un système constitutionnel », (p. 348) est sans doute moins révolutionnaire que ne semble le croire l’auteur. En revanche, ce qui est tout à fait neuf, c’est la volonté d’analyser le processus d’élaboration de la Pepa dans l’ensemble de la « Révolution d’Espagne », depuis « la régénération constitutionnelle de Bayonne » (p. 33 sq.) jusqu’à l’établissement de l’ordre constitutionnel de 1812 comme « modèle juridictionnel » (p. 313 sq.).

7Quand Jean-Baptiste Busaall soutint sa thèse en 2006, les historiens espagnols n’avaient toujours pas admis que le texte signé à Bayonne le 7 juillet 1808 par les représentants à l’Assemble dite « Nationale » était la première des constitutions qu’ait connue leur pays et ce n’est qu’un an plus tard, en 2007, que cet état de fait fut reconnu par la publication, par I. Fernández Sarasola, de ce document dans la collection Las Constituciones españolas dirigée par Miguel Artola. En divisant son travail en deux parties d’importance quasiment égale, la première intitulée « La Constitution franco-espagnole de Bayonne : une expérience aux origines du libéralisme modéré » (p. 33-202) ; la seconde « Révolution, Constitution de Cadix et Nation : la voie espagnole et le précédent français » (p. 203-350), l’auteur avait pris un parti pertinent mais dont la publication tardive de son ouvrage a estompé (voire effacé) le caractère alors novateur et courageux. Ce n’est pas là son seul mérite : alors que les constitutionnalistes nous ont habitués à des analyses essentiellement fondées sur l’examen du contexte historique, des discussions préliminaires à l’adoption d’un texte et aux comparaisons avec les constitutions antérieures ou contemporaines, Jean-Baptiste Busaall, tout en s’acquittant avec un rare bonheur de ces tâches indispensables, s’est intéressé de fort près aux conduites individuelles et collectives des acteurs politiques des « pères de la patrie ». Ce faisant, il dépasse amplement le strict cadre de l’histoire du droit constitutionnel et, par exemple, le chapitre tout à fait remarquable consacré à « L’expérience politique du règne espagnol de Joseph Bonaparte », et en particulier aux « partisans du roi Joseph : joséphains et afrancesados » vient encore ajouter (ce qui semblait impossible après la publication de l’ouvrage de Juan López Tobar en 2001) à notre connaissance de ces Famosos traidores…

8Pour rédiger cet ouvrage qui constitue un apport des plus importants à notre connaissance de l’Espagne de la guerre de l’Indépendance, Jean-Baptiste Busaall a effectué une recherche patiente et, sinon exhaustive, du moins la plus complète possible, dans les archives et bibliothèques françaises et espagnoles. Il a su trouver des documents encore non exploités à Paris aux Archives du ministère des Affaires étrangères et aux Archives nationales ; ainsi qu’à l’Archivo General de Simancas, et, à Madrid, à l’Archivo Histórico Nacional, ou à l’Archivo General de Palacio, ainsi qu’aux archives du Congrès des députés, beaucoup moins fréquentées par les chercheurs mais qui renferment nombre de pièces capitales, notamment en ce qui concerne les sessions de l’Assemblée nationale de Bayonne. Sa bibliographie, divisée comme il se doit en primaire et secondaire, est également conséquente : 307 titres pour les « sources imprimées » (p. 372-394) ; 576 pour la « bibliographie », en incluant les mises à jour de travaux publiés postérieurement à la soutenance de la thèse (p. 395-429).

9On ne peut que déplorer que ni l’auteur ni l’éditeur n’aient songé à offrir aux lecteurs un index onomastique, qui eut pourtant été fort utile compte tenu du nombre et de l’importance des faits rapportés sur nombre d’acteurs de cette période de l’histoire politique et constitutionnelle de l’Espagne. On regrettera aussi que Jean-Baptiste Busaall ait trop souvent cédé à la tentation d’utiliser en se contentant de les mettre en italiques des termes comme pueblo(s), ou vecinos, sans même prendre la peine d’en fournir une définition ce qui le mène à utiliser un sabir dans lequel se complaisent parfois les hispanistes français. Ainsi, dire : « étaient Espagnols […] tous les hommes libres […] nés et avecindados dans les domaines des Espagnes ainsi que […] ceux qui jouissaient d’une vecindad obtenue selon la loi dans n’importe quel pueblo de la monarchie » (p. 328) est parfaitement exact, mais sans doute guère compréhensible par qui ne maîtrise pas l’espagnol. Enfin, on s’indignera à la découverte de grossières fautes de syntaxe. Un tel mépris du français avait déjà été signalé par les membres du jury (et en particulier son président), lors de la soutenance de la thèse aujourd’hui enfin publiée. Manifestement, six ans n’auront pas suffi à M. Busaall pour effectuer les indispensables corrections qui lui auraient permis de nous offrir un ouvrage sinon parfait, du moins tendant vers la perfection.

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Pour citer cet article

Référence papier

Gérard Dufour, « Jean-Baptiste Busaall, Le spectre du Jacobinisme. L’expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, 446 p. »Cahiers de la Méditerranée, 88 | 2014, 367-370.

Référence électronique

Gérard Dufour, « Jean-Baptiste Busaall, Le spectre du Jacobinisme. L’expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol, Madrid, Casa de Velázquez, 2012, 446 p. »Cahiers de la Méditerranée [En ligne], 88 | 2014, mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdlm/7632 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/cdlm.7632

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Auteur

Gérard Dufour

Aix-Marseille Université
UMR TELEMME

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