- 1 SIQO : Signes d’identification de la qualité et de l’origine (appellation d’origine protégée/contrô (...)
1La restauration scolaire est un service associé à l’éducation qui reste assez récent puisque datant de moins d’un siècle. Le premier restaurant d’enfants comme nous les connaissons aujourd’hui est inauguré en 1947 à Montgeron (91), et ce modèle se diffuse par la suite dans le reste de la France. D’abord centrés sur l’apport nutritionnel des élèves, enjeu majeur au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les objectifs ont évolué vers une restauration de qualité, en lien avec l’évolution des pratiques alimentaires. La loi EGalim de 2017 cadre ainsi pour la première fois la qualité des produits en prenant en compte des critères autres que nutritionnels : depuis le 1er janvier 2023, les repas doivent être composés à 50 % de produits de qualité (labellisés par les SIQO1, en agriculture biologique, ou respectant des critères de durabilité). Les menus doivent également être végétariens une à plusieurs fois par semaine.
2Ce travail de thèse s’intéresse aux évolutions sociales des pratiques alimentaires en restauration scolaire, et ce dans un contexte de changement climatique. L’investigation des acteurs et actrices de la restauration scolaire et de leur choix d’approvisionnement questionne leur contribution à façonner une transition alimentaire. Prenant le contrepied des travaux centrés sur les espaces urbains (Darrot et al., 2020), cette thèse porte essentiellement sur des espaces en dehors de ces centralités urbaines, qui ne bénéficient pas des mêmes fonctions alimentaires, notamment intermédiaires (marchés de gros, grossistes à service complet, industries agroalimentaires de transformation, outils logistiques).
3La thèse mobilise à la fois des données quantitatives, issues de bases de données de plusieurs type d’institutions (Cnesco, ministère de l’Éducation Nationale, INSEE – RP et SIRENE, chambres d’agriculture), et des données qualitatives collectées par une phase d’enquête auprès des chef·fes de cuisine de la restauration scolaire, et d’acteurs des systèmes alimentaires locaux. Trois espaces d’études aux propriétés productives et sociales comparables en Normandie ont été enquêtés : le Cotentin (50), le Perche (61) et le Bocage virois (14). Les cartographies obtenues à partir de la liste des fournisseurs des restaurants enquêtés constituent le matériau de recherche central de la thèse. Ces cartographies (cf. Figure 1), appelées « modèles d’approvisionnement », sont mises en parallèle des propriétés sociales de la population. Ces modèles sont ensuite questionnés à l’aune de la proximité (Praly et al., 2014) et de la qualité des aliments avant de les confronter aux politiques publiques mises en place aux différentes échelles de l’action publique : PAT (projets alimentaires de territoire), politiques départementales et régionale.
- 2 Le nom de l’école a été changé pour des raisons d’anonymat.
Figure : Modèle d’approvisionnement de l’école primaire Lamarck2 (14)
Source : Esnault, 2023, p. 351
4L’enquête de terrain réalisée entre 2019 et 2022 ne démontre pas de nette relation entre l’origine sociale des élèves et les pratiques d’approvisionnement des établissements où ils et elles se restaurent. Il faut cependant noter que les espaces sociaux enquêtés sont majoritairement des mondes sociaux populaires. En revanche, les goûts et préférences des élèves sont bel et bien liés à leur origine sociale, ce qui transparaît dans les entretiens avec les chef·fes de cuisine. Plusieurs soulignent ainsi le désamour des élèves pour les légumes et parfois pour le poisson, ce qui s’apparente à certaines pratiques des classes populaires (Cardon et al., 2019). Par ailleurs, le système d’acteurs de la restauration scolaire ainsi que l’origine sociale et surtout les parcours de vie et capitaux culturels des chef·fes de cuisine vont grandement influencer les pratiques d’approvisionnement. L’engagement des enquêté·es pour le service public, pour une transition agroalimentaire ou contre les inégalités sociales est déterminant dans le choix de produits de qualité pour approvisionner la restauration scolaire.
5Les contextes de fonctionnement des cuisines, entre volumes de production et organisation sur place et en centrale, vont également produire des inégalités dans les possibilités d’approvisionnement, auxquelles s’ajoutent des freins liés à la perception de la qualité et de la proximité par les chef·fes ainsi qu’aux contextes productifs. Ces acteurs retiennent systématiquement la distance kilométrique comme critère de définition de la qualité, qui peut servir d’entrée vers une réflexion pour diminuer le nombre d’intermédiaires, établir un lien social avec les producteur·trices, ou encore mobiliser le rôle économique de la restauration scolaire. Une fois toutes ces dimensions activées, certain·es chef·fes développent une approche politique de leurs approvisionnements (Fouilleux et Michel, 2022), en se positionnant face au système agroalimentaire mondialisé, et en usant de leur rôle comme d’un levier vers une alimentation qui leur semble plus juste.
6En parallèle, certaines collectivités territoriales s’organisent pour répondre aux contraintes d’approvisionnement. Les intercommunalités apparaissent en effet indiquées comme une échelle d’action adaptée pour prendre en charge la question alimentaire, notamment avec le dispositif des projets alimentaires de territoire (PAT). Pour autant, peu de projets sont suffisamment ambitieux, d’un point de vue politique, technique ou financier, pour participer véritablement au développement d’une justice alimentaire dans les espaces enquêtés. Par ailleurs, les contraintes de la commande publique représentent toujours un frein, et le manque d’appui politique, technique et financier de la loi EGalim rend son application compromise, notamment quant à la question du bio ou des repas végétariens. Ces deux dimensions sont par ailleurs associées à des systèmes de valeurs parfois éloignés des représentations de certaines populations dans les espaces d’enquête. Enfin, le manque de valorisation du métier de cuisinier·e de collectivité (Perrenoud, 2021) conditionne fortement l’engagement de ces acteurs à la perception individuelle d’une dimension politique de l’alimentation.
Fiche informative
Lien électronique
https://theses.hal.science/tel-04446165
Discipline
Géographie
Directeurs
Patrice Caro, Philippe Madeline
Université
Université de Caen Normandie
Membres du jury de thèse, soutenue le 06 décembre 2023
Claire Aragau, Professeure des universités en aménagement et urbanisme, Université Paris-Est Créteil, rapportrice.
Antoine Bernard de Raymond, Directeur de recherche en sociologie, INRAé, examinateur.
Patrice Caro, Professeur des universités en géographie, Université de Caen Normandie, directeur de thèse.
Ségolène Darly, Maîtresse de conférences en géographie, Université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, examinatrice.
Philippe Madeline, Professeur des universités en géographie, Université de Caen Normandie, co-directeur de thèse.
Coline Perrin, Directrice de recherche en géographie, INRAé, rapportrice
Courriel de l’autrice
morgane.esnault[at]unicaen.fr