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Carnets de soutenances

Bulles de dialogue et cellules raster. Spatialiser les fonctions et le fonctionnement des zones humides par SIG dans le bassin Rhône-Méditerranée Corse

Suzanne Catteau

Texte intégral

1Les délimitations des zones humides constituent des supports pour l’application du droit de l’environnement. À l’intérieur de ces limites, des dispositifs juridiques imposent de contrôler l’urbanisation ou les opérations de drainage par exemple, à l’extérieur en revanche, il n’existe aucun dispositif contraignant pour la protection des zones humides. C’est pourquoi la place de ces limites est à l’origine d’affrontements entre les défenseurs de l’environnement et les porteurs d’intérêts consommateurs de foncier. Ces conflits se traduisent par d’incessantes mises à jour de ces périmètres et la démultiplication des bases de données qui cherchent à les délimiter le plus objectivement possible. Cela met en difficulté les acteurs de la protection des zones humides qui peinent alors à déterminer sur quelle information géographique adosser leurs stratégies d’action.

2L’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée Corse considère que cela empêche de développer des stratégies territoriales pour les zones humides, car toute l’attention se focalise sur ces délimitations. C’est pourquoi elle propose de produire une information géographique complémentaire en spatialisant, au moyen d’un SIG, les fonctions et la continuité du fonctionnement des zones humides, dans l’ensemble son territoire, soit 130 660 km². Cette information géographique doit servir pour la réalisation de synthèses au niveau des bassins et constituer un support de concertation pour discuter des stratégies locales relatives aux zones humides. Pour devancer toute nouvelle controverse, l’Agence demande d’utiliser une représentation raster, dont les cellules, de 25 m de côté, ne peuvent pas être considérées comme un zonage avec une portée juridique.

3Dans cette optique, elle a initié un projet de thèse dans le cadre d’une convention industrielle de formation par la recherche (CIFRE). L’Agence, pouvant être affiliée aux sciences de l’ingénieur, y associe la Tour du Valat, un institut de recherche privé pour la conservation des zones humides, ancré dans les sciences de la conservation, et l’UMR CNRS 5319 Passages appartenant plutôt aux sciences sociales. Si l’Agence, organe centralisateur des politiques de l’eau, est le commanditaire, l’information géographique produite doit servir à ses partenaires locaux, experts des zones humides, pour discuter des stratégies à mettre en place avec leurs élus. La pluralité des acteurs associés, appartenant aux mondes de la recherche et de la pratique, aux sciences naturelles et aux sciences sociales, est centrale dans la problématisation. Comment construire un dispositif SIG qui réponde aux attentes et exigences de chacun de ces interlocuteurs ?

4Le manuscrit s’organise en trois itérations rendant compte de l’implication de différents groupes d’acteurs. La première itération porte sur la création d’un prototype au sein de l’Agence de l’Eau et sa discussion parmi les partenaires scientifiques de la thèse. La seconde apporte un éclairage sur la réception et l’utilisation de ce prototype par les partenaires locaux experts des zones humides et les pistes d’adaptation. La troisième itération s’inscrit en contre-point, en décrivant des ateliers expérimentaux menés avec un petit groupe d’élus locaux sur leur manière d’intégrer la modélisation du fonctionnement des zones humides dans leurs projets de territoire. Selon les acteurs présents dans ces bulles de dialogue, et ceux qui en sont exclus, différents regards apparaissent sur le fonctionnement de ces écosystèmes et la manière de les modéliser selon les stratégies de gestion envisagées.

5Au cours de la thèse, l’évolution des choix méthodologiques témoigne d’un changement de regard sur le problème initial. À l’origine, la recherche s’inscrivait dans le champ de la production d’indicateurs SIG. Néanmoins, les réactions des acteurs ont pris une importance croissante dans le dispositif expérimental. Progressivement des outils de la géographie qualitative ont été incorporés pour donner davantage de place aux discours des acteurs dans l’amélioration des prototypes SIG. Ainsi, un travail a été entrepris pour structurer a posteriori 83 événements ayant fait l’objet de prises de notes : 15 entretiens avec les commanditaires, 20 avec ses partenaires locaux experts des zones humides, 26 réunions avec ces acteurs pour lesquels j’ai été en situation de participation observante, ainsi que 22 événements où j’ai été uniquement en position d’observatrice.

6La thèse souligne les apports de la recherche-action pour la théorie comme pour la pratique. Si elle montre la difficulté de l’interdisciplinarité, entre sciences sociales et sciences naturelles, entre recherche et pratique, elle décrit au cours du doctorat leur complémentarité (figure 1) et l’évolution des relations entre les trois partenaires de la CIFRE les uns vers les autres à travers des ajustements de leurs cadres posturaux, méthodologiques et interprétatifs autour du dispositif SIG.

Figure . Complémentarité des interlocuteurs

Figure . Complémentarité des interlocuteurs

7Par ailleurs, la reconnaissance des enjeux sociaux conduit à une réflexion plus fondamentale sur la pertinence de l’analyse spatiale dans la prise de décision selon les acteurs présents dans le processus de construction. L’attachement aux discours, autant qu’aux mécanismes SIG, permet de démontrer la dimension politique des choix techniques. La démarche souligne l’importance de la négociation des procédures techniques et des choix sémantiques pour les désigner. En mettant en lumière ces discussions, chaque proposition technique peut être rattachée à des objectifs implicites et des représentations conceptuelles spécifiques. Cela permet une meilleure compréhension de la pluralité des propositions techniques existantes et des enjeux politiques et conceptuels derrière les choix méthodologiques. Ainsi, le commanditaire dispose d’éléments pour identifier les propositions qui correspondent à son ambition politique (figure 2).

Figure . Schéma de synthèse présentant les bases de données et traitements SIG à choisir selon les objectifs identifiés

Figure . Schéma de synthèse présentant les bases de données et traitements SIG à choisir selon les objectifs identifiés

8Enfin, la thèse met en évidence que le SIG est un outil prescriptif, pensé par un public expert des zones humides, familier de ces outils numériques, à destination d’un public non-expert, constitué notamment de décideurs. L’effet d’autorité n’est pas lié au caractère factuel des objets représentés mais à l’effet boîte noire et à l’apparente complexité de la procédure. Le simple fait de recourir au SIG est en effet régulièrement présenté comme un gain d’objectivité, pourtant la thèse souligne la subjectivité inhérente au processus de modélisation. Un accompagnement est donc nécessaire pour que les utilisateurs non-praticiens, techniciens ou élus locaux, puissent s’en saisir comme un outil heuristique et expérimental. Dans ce contexte de recherche-action, la thèse démontre la pertinence du recours aux principes du SIG critique dans la sphère opérationnelle. Plus qu’une simple description des limites techniques depuis une posture extérieure et surplombante, ce courant théorique invite en effet à une posture critique, menée de l’intérieur, visant à comprendre la production des indicateurs spatialisés relatifs aux zones humides et les débats traversant cette phase de construction pour mieux en cerner les enjeux et les intégrer aux propositions techniques. De manière paradoxale et en dépit de l’urgence écologique, concevoir les SIG dans une approche critique apparaît comme une condition de l’efficacité des mesures de conservation.

Fiche informative

Lien électronique si la thèse est disponible en ligne
https://theses.fr/​2023BOR30036

Discipline
Géographie

Directeur
Laurent Couderchet

Université
Université Bordeaux-Montaigne

Membres du jury de thèse, soutenue le 15/12/2023
Brice Trouillet, Professeur de géographie, Université de Nantes
Thierry Joliveau, Professeur de géographie, Université de Saint-Étienne
Nathalie Lewis, Professeure de sociologie, Université du Québec à Rimouski
Marylise Cottet, Chargée de recherche CNRS en géographie, ENS de Lyon
Matthieu Noucher, Chargé de recherche HDR CNRS en géographie, UMR Passages Bordeaux

Situation professionnelle à l’issue de la thèse
Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’IGARUN, Institut de Géographie et d'Aménagement de Nantes Université

Courriel de l’auteur
suzanne.catteau[at]univ-nantes.fr

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Table des illustrations

Titre Figure . Complémentarité des interlocuteurs
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdg/docannexe/image/10671/img-1.png
Fichier image/png, 84k
Titre Figure . Schéma de synthèse présentant les bases de données et traitements SIG à choisir selon les objectifs identifiés
URL http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdg/docannexe/image/10671/img-2.png
Fichier image/png, 266k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Suzanne Catteau, « Bulles de dialogue et cellules raster. Spatialiser les fonctions et le fonctionnement des zones humides par SIG dans le bassin Rhône-Méditerranée Corse  »Carnets de géographes [En ligne], 18 | 2024, mis en ligne le 04 décembre 2024, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdg/10671 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12sut

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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