- 1 Il s’agit d’une expérience partagée avec des experts académiques, des étudiants, et au-delà avec de (...)
1Les matériaux les plus pertinents ou les stratégies les plus affinées ne suffisent pas à assurer à la recherche et au chercheur les résultats les plus prometteurs. A ce propos, une lecture attentive des pages introductives ou méthodologiques de chercheurs « débutants » (Golly, 2017 ; Bohoussou, 2014) permet de prendre non seulement la mesure de la diversité des difficultés et contraintes rencontrées par ces auteurs, mais aussi l’ampleur de ces dernières. Nombreuses et variées, ces contraintes jalonnent toutes les étapes de la recherche. Il sera plus spécifiquement question dans ce texte des contraintes qui sont le lot du chercheur sur le terrain, environnement tout à la fois géographique, social et/ou économique riche de sa complexité. Ces contraintes sont liées aux pratiques des acteurs, que ceux-ci interviennent directement dans les quartiers, les zones d’activités, les parcelles agricoles, ou sur les phénomènes et les sujets qui y sont inscrits. Peu importe les fonctions des espaces en question ou des modes de production (officiels ou non) dont ils résultent. Et si ces contraintes s’avéraient être des opportunités à exploiter ? Les conditions d’accès aux matériaux de la recherche sur le terrain déterminent la qualité des résultats et la pertinence des analyses. Cet article est une remontée du temps pour témoigner de mes expériences sur des terrains sillonnés dans différents contextes urbains, ivoiriens notamment, plus de quatre décennies durant. Il prolonge, en la rafraîchissant, une réflexion d’intérêt méthodologique engagée il y a une vingtaine d’années (Yapi-Diahou, 2003). Avec le recul, il s’avère que les conditions de « faire du terrain » ne sont pas toujours dépendantes du statut juridique des espaces fréquentés, des procédures et modalités d’aménagement dont ils résultent. Il en est de même de leur fonction et de leur paysage. En revanche c’est loin d’être le cas des contextes économiques et surtout socio-politiques où le chercheur décide de poser les pieds. Quel intérêt peut revêtir pareil témoignage à l’heure de l’informatique et du tout numérique ou presque ? Le terrain est-il prêt à céder face au numérique envahissant et au cyberespace sans frontières et incontrôlable ? Le terrain, « ce lieu à foules » est-il toujours l’excellent poste d’observation que rappelait l’anthropologue G. Balandier (1957) dans l’Afrique ambiguë ? Demeure-t-il « ce poste important, incontournable, irremplaçables-du moins avant le temps des algorithmes ou de leur règne », que décrivait cet auteur ? J’entame ce témoignage par le terrain et les conditions d’accès à l’ensemble des matériaux indispensables, pour évoluer dans et sur un terrain, non sans oublier de m’attacher aux rapports du chercheur avec les différents composants du milieu qu’il foule. Cette expérience de recherche qui fut la mienne1 ne peut être appréciée que située dans le contexte où elle démarre et évolue. C’est l’exercice que je tente en tout premier lieu, et cela dans les grandes lignes du contexte ivoirien considéré.
2Mon terrain ivoirien commence à la fin des années 1970, où Abobo, alors quartier d’une capitale de 900 000 habitants, avait été mon premier choix, pour étudier le processus de croissance périurbaine à l’œuvre. Mais l’intérêt pour cette dépendance de la sous-préfecture de Bingerville fut de courte durée. Yopougon, un autre ressort territorial de la même sous-préfecture, s’imposa. La bibliographie compilée, assez maigre sur ce secteur, les échanges avec quelques chercheurs et des conseillers techniques des services l’urbanisme et de l’aménagement, l’affichage et l’affirmation d’un volontarisme d’État en démonstration sur cette périphérie ouest, militèrent en faveur de ce dernier.
3Le volontarisme d’État dans l’aménagement, se traduit alors par une politique de planification héritée de la colonisation et assumée par les dirigeants ivoiriens. L’évolution de la ville est guidée par des plans, et leur mise œuvre encadrée non seulement par des d’outils réglementaires sectoriels, mais aussi par des organismes publics spécialisés, afin de couvrir tous les segments de l’aménagement urbain. Sans doute, s’agit-il là de marqueurs de spécificités que la capitale ivoirienne partagea avec Dakar, autre fille de l’héritage urbanistique de l’ère coloniale française. Le paysage très marqué par ce choix est discriminé socialement d’une part, et d’un point de vue fonctionnel d’autre part (Haeringer 1969 : Kanga, 2014). Cette continuité ouvra grandement aux pays les guichets de bailleurs de fonds comme pour accompagner les choix et conforter le modèle, celui de l’État régulateur du développement, qui est tout à la fois incitateur et investisseur. Ce régulateur est en position de monopole dans les différentes sphères de l’économie et de l’aménagement, jusqu’à la charnière des années 1970 : c’est la fin de l’État providence, relayé par le marché régulateur, et cela dans le cadre des fameuses politiques d’ajustement structurel.
- 2 Je ne pouvais pas prendre en compte cette catégorie d’acteurs publics à la fin des années 1970, dat (...)
4Les quatre décennies écoulées furent marquées, comme dans de nombreux pays du tiers-monde, par une politique d’ajustement structurel (PAS), outil de mise en marche du néo-libéralisme. Cette politique a redéfini le rôle de l’État, son champ d’action et ses marges de manœuvre, et fait monter sur scène de nouveaux acteurs dans le théâtre de l’aménagement urbain. Déclinée en plans sectoriels, cette politique a affecté plus lourdement le secteur de l’urbanisme et de l’urbain en général, avec des « séquelles » qui perdurent encore. Dans le domaine de l’habitat, elle évinça l’État tant dans la production de logement que la gestion du stock public existant, par le jeu de la privatisation et du transfert de ces deux fonctions à des promoteurs privés. Dans cette logique du marché, l’État se trouva confiné dans la production et le contrôle de normes revisitées, que ce soit la typologie de l’habitat et les standards d’équipements, ou les modes et mécanismes de financement. Outre les Sociétés civiles et immobilières (SCI) privées, repositionnées et en situation de quasi-monopole dans la promotion foncière et immobilière, le chercheur doit composer ou recomposer avec les institutions de financement, autres intervenants renforcés par les Plans d’ajustement structurel (PAS) et le règne du marché. Les politiques de décentralisation2 adoptées et mises en œuvre depuis plus de quarante ans et qui reconfigurèrent les territoires en les institutionnalisant, constituèrent des marqueurs d’une évolution structurelle et politiques qui ne peuvent échapper au chercheur, sous peine de disposer de données tronquées quand elles existent. La décentralisation, qui fait émerger de nouveaux acteurs, pousse ceux-ci à la coexistence avec d’autres, plus anciens, dans les mêmes périmètres communaux ou régionaux, par exemple : municipalités, conseils régionaux, chefferies de quartiers, chefferies traditionnelles des villages urbains, associations de nature diverses (professionnelle, catégorielle, etc.) revendiquant des compétences et des sources de légitimité plurielle. La bibliographie signale également les dessous politiques de ce processus, avec en perspective la vulgarisation du modèle de démocratie représentative : le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), alors parti unique au pouvoir, ruse en ouvrant des candidatures multiples en son sein pour les scrutins locaux et législatifs avant d’engager la compétition multipartiste.
5La Côte d’Ivoire, à l’instar de nombreux pays d’Afrique, fait son entrée dans un système politique ouvert à d’autres partis dans le cadre du multipartisme, à l’aube des années 1990. Cette évolution consacre a priori l’avènement d’un système de scrutins plus compétitif, ouvert à des sensibilités plus éclatées. La légitimité des pouvoirs est consacrée par les urnes ; et elle s’étend à toutes les échelles de l’organisation et de la gouvernance spatiale, du local au national. Cette évolution, parce qu’elle s’exprime dans une nouvelle cartographie des acteurs sociaux et politiques, pousse ceux opérant dans le champ politique dans un régime de compétition inédit. Pour autant dans cet environnement nouveau, la violence l’emporta sur la confrontation d’idées et de projets, attestant ainsi d’une incomplète ingestion de la nouvelle donne politique. Certains, se sentant en position de force, se livrent à des manœuvres d’intimidation, sous le regard du chercheur poussé à la prudence. Les tensions sociales et politiques, se détournant souvent du questionnement sur l’action publique et les modes de gouvernance à l’œuvre, dégénèrent en des confrontations armées : d’abord le coup d’état de 1999, ensuite la rébellion de 2002, et enfin la crise dite post-électorale de 2011. Cette évolution des moins rectilignes pèse sur la recherche en géographie au moins par résonnance spatiale. Surtout quand la rébellion fragmente le territoire national en différents lambeaux tenus chacun par les belligérants ou lorsque les coups d’États isolent des villes et quartiers, ce sont autant de sources d’insécurité et d’incertitudes pour la conduite des programmes et opérations engagés ou en vue.
6Chacun de ces temps a rattrapé la recherche, et cela d’autant plus naturellement que les terrains n’ont cessé de bouger, comme pour suivre leurs attentes et contraintes spécifiques, comprendre aussi les perspectives en résultant. Ce contexte ne peut qu’influencer le travail de recherche, les méthodes et démarches qui s’ensuivent, au regard de la pluralité des acteurs, des compétences et ressources associées.
7Sans l’assujettir à un ordre de préséance, le terrain se présente au chercheur dès son engagement en faveur d’une activité scientifique. Apparait alors son premier terrain, celui des places et lieux de consignation des ressources documentaires inventoriées, celui aux informateurs prédéterminés ou encore aux données existantes même les plus imparfaites, voire les plus délicates à manier. Le second terrain, celui de la localisation de la recherche, suit avec plus ou moins de précision, voire de certitude en fonction des avancées. Les barrières à franchir ou les obstacles à contourner peuvent suffire parfois à dissuader le chercheur, tant ils sont nombreux et rudes. Nous sommes en effet, dans des contextes souvent faiblement documentés, où la marginalité des territoires se définit aussi par rapport à leur niveau de couverture par l’action des institutions officielles (Courade, 1983).
8Ces barrières, ce sont bien souvent les différentes catégories de populations visées elles-mêmes ; ce sont aussi les administrations centrales et locales ainsi que de nombreuses autres instances de gestion des actions et services publics. Ce sont également des structures privées, telles que des entreprises sociétaires dans l’industrie, le négoce, les services et autres institutions financières. Ce sont de plus en plus une population d’associations, constitutives de la nébuleuse société civile. Les milieux de l’assistance internationale s’y affichent, mais désormais avec des effectifs déclinants au profit des organisations non gouvernementales (ONG). La plupart de ces acteurs s’abritent derrière la confidentialité des informations qu’ils détiennent ou sont censés détenir pour fermer la porte au chercheur. Celui-ci inspire la méfiance qui est le lot courant de tous les sujets extérieurs aux établissements ou aux domaines d’intervention considérés ou au sujet polarisant l’intérêt. Il y a en outre, paradoxalement, l’extrême dispersion des lieux de documentation, dans des pays aux administrations encore hyper centralisées -même dans les contextes actuels de décentralisation. Dans ces conditions, l’exigence consiste à intégrer le temps nécessaire pour parcourir la cité afin de localiser les détenteurs et les gestionnaires des sources en question : c’est une condition de l’apprentissage et de l’exercice du métier !
9La tentation du désenchantement surgit, omniprésente, quand sur ce terrain des ressources, devant les fichiers d'auteurs, ceux des index thématiques ou régionaux, l'abondance des titres relevés ne rime pas toujours avec la disponibilité de ceux-ci. Des références à caractère technique, administratif ou non, sont introuvables, emportées par la disparition des institutions qui les ont produites, surtout quand elles sont d’origine administrative. Cette situation observée dans bon nombre de contextes nationaux est, par exemple, celle du ministère ivoirien de la Construction et de l'Urbanisme, avec la dissolution de la Société d’Equipement des Terrains Urbain (SETU) en 1987, celle de l’éphémère Bureau Central d’Etudes Techniques (BCET), héritier du Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD) en 1978, que la volonté politique rétablit et renforce depuis près de trois décennies (Kanga, 2014).
10Entre la confidentialité réelle, avérée ou supposée des sources, ou la disparation de certains documents, cet état de fait prive, pour finir, le chercheur de sources précieuses. La durée de la recherche s’étale lorsque le chercheur doit reconstituer l’information au moyen de ses propres enquêtes pour construire ensuite ses outils d’analyse. Dans ce contexte comptent les attitudes des différentes populations à enquêter, d’autant qu’elles sont variées et contrastées. Leurs rapports à la recherche s’en trouvent influencés. Se déplacer vers des établissements qui sont à peine connus, des territoires délaissés, s’impose alors comme le moyen le plus sûr de corriger l’absence de données et dans certains cas de les actualiser. Après les tenants de la confidentialité, place au terrain physique et à ses promoteurs.
11Qu’elle soit de l’ordre de l’espace, de l’économie, de l’urbanisme ou de la culture, la marginalité n’est pas une notion interchangeable avec l’anarchie, l’absence de règles et de normes ou encore l’inorganisation et l’improvisation. La démonstration de la rationalité des pauvres a pu être établie dans des travaux de sociologie urbaine remarqués (Turner, 1967), comme il en est de même de la logique spatiale des commerçants et artisans du secteur dit informel (Steck, 2003). Les signes et manifestations de la structuration sociale, politique et/ou culturelle existent. En milieu urbain comme en milieu rural, les organes de régulation sociale et spatiale tels que les comités de quartier, les chefferies, les associations de jeunesse, professionnelles et corporatistes ou de genre constituent autant de signes d’une société organisée, ordonnée. L’ordre est ici nécessaire à l’encadrement des populations représentées, et aux entreprises individuelles ou collectives, surtout dans les établissements marginalisés et vulnérables. Cet ordre s’appuie sur des règles codifiées partagées par le corps social, qui va les imposer aux chercheurs débarquant. Celui-ci les découvrira inéluctablement.
12Les premiers contacts commencent par un « contrôle » d’identité qui vaut un test d’entrée dans les quartiers. La population, souvent par des voix « anonymes », s'empresse de vérifier la qualité du chercheur à travers son institution d'origine, la régularité de son intervention et les objectifs de celle-ci. Il lui faut montrer patte blanche devant les habitants en exhibant pour cela son autorisation de recherche, son habilitation, mieux sa « lettre d'accréditation » obtenue auprès de qui de droit : autorités communales, notabilités établies, responsables de groupements professionnels, à condition que ceux-ci daignent se dévoiler. Dans la plupart des quartiers, en effet, plusieurs visites, étalées sur des mois parfois, sont nécessaires pour qu’enfin un chef ou un responsable d’instance se déclare : le temps qui passe est le moyen de tester ma patience, la sincérité de mon engagement, et ma détermination à travailler sur et dans les quartiers dont ils furent les fondateurs pour certains, ou des personnalités à divers titres.
13Cette attitude obéit à un réflexe sécuritaire, qui est lui-même justifié par les agressions multiformes constamment subies dans les espaces marginalisés, où les sociétés et les activités, sont sans cesse exposées à l’arbitraire. Bien souvent, ceux qui l'observent entendent faire ainsi la démonstration à la fois de leur unité et de leur respect des règles de fonctionnement d'un État de droit face aux « étrangers », aux « intrus ». L’adhésion aux règles établies et respectées du savoir-être en société s’en trouve ainsi marquée. Mais cette attitude correspond à une prudence, face à des personnes qui ne sont ni du champ social et relationnel des individus ni des catégories sociales abordées. Il n’empêche que l'attention du chercheur peut être captée et sa détermination mesurée à l'aune des manœuvres dilatoires qu’il subit. Les populations, enquêtées, elles, voient dans ce jeu un moyen de mieux cerner le travail du chercheur et si possible l'orienter dans le sens de leurs intérêts situés. Dans cette perspective, habitants, artisans, commerçants mais aussi notables espèrent s’accorder le « loisir » de sélectionner les personnes qui participeront aux enquêtes, en qualité d’enquêteurs et/ou d’enquêtés, peu importe les méthodes d’enquête, ou encore de composition des échantillons dans le cadre du recours au questionnaire, par exemple (Gumuchian, Marois, 2000). Du point de vue des populations visitées, tous les moyens paraissent exploitables, pour tenter d’encadrer ce visiteur déterminé. Celui-ci peut être un « agent » au service du Pouvoir d’État, lequel manigancerait soit des mesures d'expulsion soit des réajustements de la fiscalité depuis ses différentes administrations. La suspicion et la méfiance sont de rigueur, à l’égard du chercheur qui s’aventure sur des sujets qui questionnent la triste réputation ou le sort d’un quartier. La sécurité est un exemple de ces sujets frissonnants, surtout dans des quartiers réputés attirer et abriter les déviants de la ville (Gnammon-Adiko, 2020). Au-delà du sujet, on notera aussi combien les enjeux sécuritaires impactent la recherche, en poussant parfois à la relocalisation des terrains (Koffi, 2010), et par conséquent à une relecture des protocoles initiaux. Cette expérience fut aussi la nôtre, un groupe d’étudiants et moi, dans la zone cotonnière du nord ivoirien, où je conduisais un programme axé sur les liens entre la culture du coton, la sécurité alimentaire et les transformations spatiales. Tout comme nombre d’institutions de formation et de recherche, mais encore d’entreprises et de services publics, nous avons délaissé la région de Korhogo, sous contrôle des rebelles, pour la région du Centre Ouest, zone dite gouvernementale, qui profita ainsi de notre relocalisation. Pour autant nous avions pu capitaliser des acquis partiels de cet axe du programme sous la forme de mémoire de maîtrise et de projets doctoraux. Par ailleurs, nous avons rendu compte de l’impact de la guerre dans un article co-signé avec deux étudiants. Un projet d’observatoire des villes frontalières au nord avait dû être abandonné alors qu’il s’agissait d’un instrument de valorisation et de pérennisation de nos recherches.
14Dans chacun des contextes, sous l’emprise d’une conjoncture turbulente ou non, le chercheur est la cible de soupçons par telle ou telle catégorie de population et d’intervenants. En la matière et surtout en sciences sociales, la discipline importe moins que son sujet et les orientations de sa recherche. De ce point de vue les commerçants et artisans du secteur dit informel redoutent les recherches portant sur les activités économiques comme les producteurs illégaux de baraquements et les animateurs des filières illégales du marché foncier ou des services de base. Ils appréhendent les visites des équipes s’intéressant à l’urbanisme, à l’aménagement, indifféremment des déclinaisons thématiques et des sujets.
15Le chercheur passe ici pour un atypique, défié qu’il est par les décalages qui le séparent ou sont censés l’éloigner des populations et des milieux où le transportent ses intérêts scientifiques. Pour une bonne partie de l’opinion, fouler le sol des établissements porteurs de tant de préjugés négatifs, y patauger des mois durant, côtoyer des individus ou des familles à la limite de l’indigence, tous ces faits relèvent de l’inconscience du chercheur voire de son insouciance : c’est ainsi que je fus perçu. Les interrogations sont d’autant plus légitimes que le chercheur est généralement fonctionnaire, et, quand ce n’est pas le cas, il relève d’un organisme de recherche sous tutelle, donc au service de l'État, selon le sentiment dominant dans le corps social. Mieux, il appartient à l'élite intellectuelle. Contrairement « au petit fonctionnaire », ces deux qualités le prédisposent à la collaboration avec la classe dirigeante, détentrice du pouvoir de décision politique et administrative, les fameux “grands’’, du langage populaire. De plus le gouvernement qui autorise sa recherche (Gibbal et al, 1981) est fondé à exiger toute l'information et plus spécialement, celle qui peut lui permettre de réduire les foyers d'opposition ou, plus communément, ces zones d'opacité qui sont autant de refuges d'une « autogestion populaire » spontanée et donc autant d'obstacles à l'emprise étatique. Tant de discours et d’interrogations sur son profil et les raisons de sa détermination, rendent impossible, pour le géographe en particulier, de déployer des outils aussi visibles qu’un plan, une carte, un carnet de notes et plus encore un appareil à photos sans un minimum de précautions. Plus que l’accès à un espace déterminé, ce sont ces précautions qui vous ouvrent les portes multiples du milieu. Elles sont nécessaires à la protection de vos données et la préservation de leur authenticité.
16Dans les quartiers d’habitat précaire, où la fonction « habiter » est la plus communément mise en avant, celle-ci se double d’une fonction économique généralement minimisée. Les animateurs locaux des diverses activés présentes, et qui y évoluent, redoutent le chercheur qu’ils ont vite fait d’assimiler à un agent des services centraux de fiscalité. Tout comme les possesseurs de concessions illégales, les artisans et commerçants et autres acteurs économiques, lui prêtent l’intention de collecter des informations qui serviront soit à des mesures de redressement fiscal, soit à la révision à la hausse, des grilles d’imposition…
Figure n°1
Ici, l’unique voie d’accès est un marché bordé d’étals offrant des produits variés, de l’alimentaire à la droguerie.
Photographie : Yapi-Diahou, 1986
Figure n°2 –
Un exemple d’affiche de campagne placardée contre des baraquements dans un quartier illégal. Elle témoigne d’une reconnaissance implicite et symbolique de ces quartiers décriés par une opinion inspirée par les discours officiels.
Photographie : Yapi-Diahou, 1990
Figure n°3 –
Cette classe ouverte dans l’illégalité accueille des enfants d’âge scolaire qui n’ont pu être admis ailleurs, dans les écoles publiques des quartiers voisins. Ici, devant ses écoliers, le maître fondateur a dû, face au chômage, improviser cette école pour lutter contre l’oisiveté mais surtout espérer dégager quelques revenus pour survivre. Sachant son école illégale et donc exposée à la destruction, c’est avec une appréhension forte qu’il accueille les chercheurs…Et pourtant il s’agit d’un informateur précieux et incontournable pour le chercheur, en raison de sa fonction qui en fait un « homme » proche des familles mais aussi des notables dans le quartier
Photographie : Murray-Lee, 1988
- 3 Les populations perçoivent mieux l’utilité de l’intervention d’un médecin, d’un fonctionnaire de l’ (...)
17Tant de soupçons procèdent pour une large part de boutades dont les pouvoirs publics – bailleurs de fonds supposés de la recherche - sont parfois les inspirateurs, quand des administrations doutent inlassablement de l’utilité des recherches en sciences sociales et humaines singulièrement3. De telles appréhensions ne sont pas toujours de mise quand il s’agit du chercheur « expatrié », venus du Nord. En effet, chez ce dernier sont mis en exergue « sa curiosité innée et son sens logique », qui voudraient que la découverte et la compréhension des phénomènes précèdent son entreprise de construction. Combien de chercheurs n’ont-ils pas entendu marmonner ces phrases autour des usines, sous les appentis, au comptoir des kiosques, dans les quartiers des villes africaines : « le Blanc ne fait rien pour rien, et s'il vient traîner [dans nos quartiers perdus] ici, c'est qu'il prépare quelque chose... ». Dans l’imaginaire commun, une telle intervention n’aurait d’autres objectifs que l’amélioration de leur environnement ou de leur situation en tant que communauté ou collectivité. Cette image flatteuse du Blanc, qui amène à composer plus facilement avec lui, repose sur un autre de ses avantages réels ou supposés : « le Blanc peut faire des cadeaux ; et puis n'oublions pas, c'est de son pays qu'arrive l'argent qui sert à développer le pays ». Sauf dans des cas marginaux, ces qualités sont censées faire défaut à son homologue du pays d’accueil, Togolais, Ivoirien, Sénégalais ou autres, dont on doute de l'impartialité, et du sens de la solidarité, de l'équité. Sauf à envoyer des signes de sa maîtrise des codes sociaux, comme je me suis appliqué à l’observer dans ma démarche.
18Le temps et la détermination du chercheur associés à un effort d’acceptation des résistances essuyées, et une aptitude à l’ouverture finissent par payer. Il peut alors et enfin entamer sa recherche, sur le terrain, dans un climat de confiance dont il est co-artisan. Les portes entrebâillées s’ouvrent, la solitude recule, la distance cède à la proximité. Le chercheur a l’espace pour lui et en même temps, les ateliers, les concessions, les marchés, les boutiques, lui demeurent acquis, tous avec leur part d’histoire et de perspectives. Des personnes ouvrent leurs archives privées, vous laissent les parcourir ; elles en commentent des fragments ou des pans entiers comme pour mieux vous éclairer. Ces éléments nous plongent dans l’histoire autant qu’ils nous confrontent au temps présent. Les tendances spatiales d’un quartier, ses lignes de courbe, sa composition sociale, voire ses fonctions se dressent derrière ces morceaux d’histoire. Ce faisant, ces révélations offrent les matériaux ou les éclairages nécessaires (mais qui manquaient) à la saisie et à la compréhension des évolutions spatiales, des stratégies et des pratiques d’acteurs. Des quartiers de logements subventionnés de Yopougon à ceux plus précaires des ensembles de baraquements du quartier Zoé Bruno (Koumassi) aux cours communes de Sagbé (Abobo) ou au village d’Andokoi et au lotissement illégal d’Ayakro (Yopougon), ou à des ateliers d’artisans, ces archives, parfois des « bibliothèques humaines » (voir encadré 1), furent de précieux supports de mes recherches, sur les terrains ivoiriens ou étrangers. Les tensions et les antagonismes qui éclatent à l’occasion des projets de transformation, d’aménagement autour desquels se joue le destin d’un territoire, résident pour une part significative dans les récits portés par ces archives. Le géographe est outillé pour comprendre et analyser les lignes, les continuités ou discontinuités territoriales observées, non sans convier une part de son imagination.
19En parallèle de l’administration de mes questionnaires c’est aussi avec ces archives privées que j’ai pu comprendre les compositions sociales et/économiques des lieux. Il devient alors possible d’établir des croquis, de les affiner, de reconstituer des flux et de les confronter avec les données primaires du temps présent, celles-ci étant fournies par l’exploitation des questionnaires, des entretiens ou des observations répétées. Plus qu’ailleurs, dans quelques administrations méticuleuses dans la production et la sauvegarde des données, l’imagination doit voler au secours des carences documentaires permettant de reconstituer le temps social de l’espace (Santos, 1997).
Des archives et des bibliothèques humaines
Yaoundé, 2012. Des salutations de courtoisie lancées depuis l’ombre d’un manguier pour nous abriter du soleil, ont suffi à nous ouvrir béantes les portes du terrain et l’accès à divers acteurs du processus d’urbanisation et de la mutation accélérée de cet espace interstitiel, séparant Yaoundé de Soa, ville universitaire, satellite de la capitale camerounaise. Aux abords de la route qui relie les deux villes, l’homme que nous saluons depuis notre abri, nous propose des sièges dans sa cours à moitié construite et à peine occupée. Comme une bibliothèque, l’homme devin et guérisseur de son état, nous ouvre l’histoire des mutations et transformations en cours, nous en présente les acteurs, comme ce président d’un Groupement d’intérêt économique (GIE) des éleveurs de porcs ou encore ce géomètre (très au fait de l’histoire et des pratiques foncières), ou encore ce fonctionnaire proche d’un autre cabinet de géomètre et qui se présente sous l’étiquette de représentant de propriétaires fonciers. Il est un connaisseur des procédures domaniales et foncières, ce qui le légitime dans sa fonction de médiation entre les intérêts des propriétaires d’une part, et ceux des géomètres et des financeurs locaux des opérations (une catégorie peu présente dans la littérature) d’autre part. L’homme accepte notre invitation à déjeuner et tranche en faveur de la « bonne cuisine », argument imparable pour justifier le choix du restaurant. La tenancière de ce dernier est une de ses relations, laquelle se révèle être un des multiples gisements d’informations, au vu de son ancrage dans la ville. Elle coordonne par ailleurs une tontine de femmes actives dans différentes filières représentées sur le marché. Elle est actrice et témoin de l’installation du marché et de son évolution d’une part, et des restaurateurs de l’autre. Nous passons la journée à déambuler dans la ville en construction, en apprenant de cet hôte bien renseigné sur l’environnement en mutation.
20Les pratiques discriminatoires que le chercheur peut vivre sont plus soutenues dans les communes où les élus demeurent suspendus aux suffrages des électeurs, et donc aux échéances électorales. Les précautions prises dans les quartiers, et qui l’ont réhabilité aux yeux des sociétés visitées, prévalent auprès des collectivités décentralisées : courrier et présentation de son projet, rencontre des personnels de la décision, etc. Ces démarches préalables visent à prévenir, voire atténuer les soupçons et contenir au mieux les positionnements embarrassés, surtout de ces collectivités.
21La communalisation, convient-il de le signaler, correspond au stade de la décentralisation la plus répandue au sud du Sahara, et avec elles les municipalités, instances décisionnelles nanties de compétences transférées. Depuis, d’autres échelons de collectivités ont vu le jour, pour coller à l’évolution des échelles territoriales, résultant de l’approfondissement de la décentralisation : par exemple les municipalités, et après elles, les Conseils généraux ou les Conseils régionaux, dans le système d’administration territorial d’inspiration française ou encore les districts métropolitains. A ces différents échelons de pouvoir décisionnel et d’action correspondent des échelles territoriales de mobilisation des divers acteurs, et d’incitation à l’innovation sociale. Le territoire devient le lieu de référence pour la conception et l’élaboration des projets : à l’évidence la proximité physique qu’il permet entre acteurs crée entre eux un rapprochement à l’échelle métrique que la distance sociale tend à réduire. C’est dans ces configurations géopolitiques internes que s’expriment les partenariats censés mobiliser des acteurs de différents milieux et de statuts divers : chercheurs, secteur public/privé, associatif/public, etc.
- 4 L’État et les municipalités considèrent comme un défi aux politiques publiques, le fait d’élever d (...)
22Dans leur majorité, les municipalités ont rarement montré un enthousiasme débordant à l’égard du chercheur qui les aborde. Comme dans les quartiers, la circonspection et la méfiance sont à peine voilées, surtout quand les espaces qui constituent les objets de ses recherches sont marginalisés à divers titres, soit par leur dénuement en infrastructures, soit par l’insalubrité, soit encore par l’effet des clichés définissant des « repères de bandits ». Les mobiles d’ordre politique ne sont pas loin, surtout dans des villes et quartiers censés être des bastions de l’opposition. Et sur ce point, dans nombre de conseils municipaux le chercheur est vite catalogué comme un complice des sociétés qu’il fréquente, dans leur défi à l'État ou à leur autorité communale4. D'autres le soupçonnent d’intérêts économiques, quand ils ne l’accusent pas d’intérêts politiques inavoués, qui en feraient un adversaire politique. Cette série d'idées circulant sur et autour du chercheur, les prétentions qu’on lui prête volontiers ou l’image forcée qu’on en donne, révèlent en réalité une appréhension voire un certain embarras au sein des conseils municipaux (ou autres collectivités) concernés. Les uns redoutent que les langues des habitants ne se délient devant le chercheur par une liberté de parole retrouvée. Cette crainte se fonde sur le fait que dans les environnements marginalisés, par exemple, les informateurs sont bien souvent les oubliés de l’urbaniste et du décideur, abusés par des promesses électorales non tenues et victimes d’exclusions multiformes de la part des gestionnaires de la ville… Et cette liberté, si elle n’est pas contenue ou encadrée, pourrait conduire à des révélations douloureuses pour bien des acteurs du jeu local : la précarité est un excellent facteur de contrôle et de collaboration clientéliste, en dépit de la virulence du discours affiché des pouvoirs publics de vouloir la résorber.
- 5 Notre étude a eu deux cibles principalement. D’un côté les habitants de la ville et, de l’autre, la (...)
23D’une ville à l’autre, l’accueil est teinté de nuances, entre celles où les collectivités affichent scepticisme et méfiance, et celles où l’accueil est moins réservé, sans être enthousiasmé. Entre les deux, des collectivités tendent promptement la main et témoignent d’une envie certaine de recherche. La différence d’accueil semble a priori indépendante des écuries politiques de rattachement des instances territoriales visitées. En revanche, une recherche commanditée et soutenue par un organisme officiel (y compris dans zones sous contrôle des rebelles) surtout d’envergure internationale, ouvrira plus aisément les portes que les seules perspectives scientifiques du chercheur isolé. Pour certains édiles les données de recherche sont appréciées comme un support de leur stratégie de développement territorial. Ainsi en a-t-il été le cas en 1997 à Tabou (Sud-ouest), une ville dont la population a quintuplé, atteignant 50 000 environ contre 10 000 habitants avant le flot de réfugiés (80% de la population) fuyant la guerre de l’autre côté de la frontière, au Liberia ; les rapports avec les collectivités furent instructifs5. Dans la ville des réfugiés qui attira nombre d’ONG, humanitaires ou spécialisées, opérant dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, de l’eau ainsi que de la gestion administrative et de la coordination des actions des multiples intervenants, il fallait composer avec l’ensemble des populations d’intervenants, riches de leur diversité et revendicatrices de leur intérêt particulier. Les autorités municipales firent preuve d’une collaboration et d’une coopération inédites comme ce fut le cas dans le département d’Adzopé qui a hébergé des recherches en vue de mémoires de maîtrise ou de thèses. De même des municipalités du Nord ivoirien, la principale localisation du réseau d’observatoires en gestation, s’éprirent de ce projet.
Des exemples d’entraves aux enquêtes
Hivernage 1987. Un maire s'empresse de convaincre un chef de quartier, membre de son conseil municipal, afin que celui-ci s'oppose par tous les moyens à nos enquêtes, prétextant qu'il n'en était ni le commanditaire ni l'utilisateur des résultats. A cette population d’anciens déguerpis recasés sur une plate-forme sous-équipée, avec un régime foncier incertain, le premier magistrat nous présente comme des agents au service d’une société de promotion immobilière en quête de terrain. Dans sa logique, nous sommes des agents dont le travail se solderait par leur spoliation pure et simple sur les terrains qu’ils occupent. Cette campagne de désinformation intervient alors que deux jours plutôt, la même municipalité promettait de coopérer à la réussite du projet de recherche. En cohérence avec ce discours approbatif, le maire délivre une autorisation d'enquêter dans l'unique quartier que son état de sous-équipement, la précarité de son habitat et son site, une mangrove défrichée, confinaient alors aux marges de la commune. Dans un autre cas, c’est un informateur que le maire fait incarcérer, quand dans un troisième, des conseillers municipaux ordonnèrent la saisie des questionnaires et l’arrêt sans délai des enquêtes. Ils prétendaient reconnaître un opposant à leur liste (lors des élections municipales survenues huit mois plus tôt) au sein de notre équipe d’enquêteurs. Résultats de ces entraves, des perturbations dans le calendrier des opérations d’enquête, abandons des enquêtes dans l’un des quartiers, et redéploiement sur de nouveaux terrains…
Sources : Récit d’enquêteurs, 1988, dans Yapi-Diahou, 2003.
24La fébrilité manifestée par des élus qui font obstruction au bon déroulement des opérations de recherche (Cf. encadré) prévaut ailleurs, dans les sphères de l’administration d’État, avec des postures contrastées entre résistance et ouverture.
25Les appréhensions de l'Administration et des organismes sous tutelle sont comparables à celles qu'éprouvent les instances municipales à l'égard du monde de la recherche, en général : méfiance et réserve, séances de questionnements pleines d’angoisse et de stress de la part des enquêtés de l’Administration. Quel que soit le sujet (équipements, environnement, lotissements, vie sociale, activités économiques, sécurité, etc.) le conduisant dans les quartiers, dans les ateliers ou sur les marchés, les intérêts scientifiques du chercheur échappent rarement au doute de ses interlocuteurs dans l'Administration. Deux explications peuvent être avancées à ce sujet.
26Une large majorité des agents d’État campent encore sur une idée surannée, qui exclut toute possibilité d’intervention dans des établissements qui évoluent en marge de la réglementation formelle. Peu importe leur localisation, leurs fonctions sociale et/ou économique dans la ville. Certains en viennent même à se demander « à quoi sert de consacrer l'attention à des habitations, à des étals et appentis que leurs localisations condamnent à la disparition pure et simple, au mieux à une délocalisation » ? Mais sous quels motifs ces établissements mériteraient-ils d’être rayés de la carte ? « Ces gens [qui] violent la légalité ou ternissent l'image de la ville », telle est la réplique habituelle. De plus, à propos des quartiers illégaux précaires, est convoquée et mise en avant, sans précaution, la faible représentation des nationaux par rapport aux populations d’origine étrangère. Il n’est pas rare que soient indexées des nationalités comme les Maliens et surtout les Burkinabés. Entre illégalité et présence d’étrangers, un responsable de la Direction des Domaines au ministère ivoirien de l'Urbanisme donne sa solution à travers des propos expéditifs : ces gens doivent par conséquent « être chassés purement et simplement des terrains qu'ils occupent » (Yapi-Diahou, 2000). Cette réponse résonne encore près de trente ans plus tard, en 2019, lors d’enquêtes engagées sur la production foncière. En plus des profils socio-économiques des populations, généralement au bas de la hiérarchie des revenus, ce sont les représentations sociales et psychologiques qui fondent pareilles incompréhensions et clichés. N’oublions pas d’ajouter à cette cohorte craintive et embarrassée, les techniciens et experts des agences d’urbanisme et d’aménagement, ceux-là mêmes qui assurent sur le terrain l’exécution des décisions d’expulsion et/ou de réinstallation des populations des espaces marginalisés et des zones de servitude (les emprises des lignes à haute tension, des zones industrielles, etc.).
- 6 Mais paradoxalement ces mêmes collectivités publiques sont promptes à rechercher cet éclairage, dan (...)
27En martelant l’illégalité de l’occupation des terrains et en condamnant l’atteinte à l’image de la ville, l'Administration feint d'ignorer sa ville et son système urbain, dans la diversité et la complexité de ses composantes spatiales et des fonctions situées. Le cosmopolitisme est redouté et craint. Ce faisant l’Administration accentue la marginalisation de ces espaces et des communautés qui y vivent, lorsqu’elle retire à la recherche le droit de les éclairer en livrant son expertise6 indispensable à tout effort de maîtrise des facteurs et processus de développement par les décideurs.
- 7 En réalité, et d’après mon expérience, cette attitude couvre des cas de conflits d’intérêt ou des j (...)
- 8 Notons que l’Administration n’autorise pas seulement la taxation des activités, ses compétences von (...)
28L’expérience du terrain et la littérature donnent des clés de lecture pour comprendre les dessous des questionnements lancinants et angoissés de certains cadres, d’agents des services et organismes publics. Ils sont dubitatifs quant au bien-fondé des recherches sur et dans les établissements « irréguliers » marginalisés ou auprès d’entrepreneurs discriminés en raison des modalités d’exercice de leurs activités. Au mieux ils légitiment plus aisément les bureaux d’étude, arguant que les travaux de ces derniers débouchent sur des préconisations à mettre en œuvre7. Et c’est bien le cas des artisans et des commerçants qui sont trop vite rangés dans l’informalité en dépit de leurs rôles économique et social. Pour certains, et surtout les cadres, il y a la crainte que la présence du chercheur voire la collaboration avec celui-ci ne soit l’occasion de « grands déballages » : des déballages par des élus locaux, partenaires institutionnels de l’Administration centrale pour la gestion de ces établissements et l’encadrement de ceux qui y travaillent, des déballages venus aussi des populations sur les actions municipales et étatiques qui sont a priori tournées vers elles et devraient donc leur profiter8. La littérature scientifique abonde de témoignages mettant en exergue les manifestations de puissance et de pouvoir de la part des fonctionnaires, toutes strates hiérarchiques confondues, à l’occasion des opérations d’urbanisme affectant soit des quartiers et des installations illégalement constitués, soit des pratiques foncières non respectueuses de procédures et modèles de l’État. Dans le cadre des opérations de régularisation foncière où la participation financière des populations éligibles aux lots de terrain est requise (PAS, oblige) il arrive que les paiements soient frauduleusement encaissés par des fonctionnaires en charge des dossiers. Le racket peut même être pernicieusement imposé à des populations éligibles répondant aux critères définis et/ou réunissant les conditions exigées. Dans les périphéries en mutation, il est presque une règle établie chez les propriétaires coutumiers de soudoyer géomètres et agents des services domaniaux, en échange de leur bienveillance dans les procédures d’enregistrement des biens servant de base pour les dédommagements et les indemnisations des terres. Grâce à des « arrangements » portant sur des sommes indûment perçues, les premiers acceptent par exemple d’« augmenter » la taille cumulée des parcelles à céder à l’État. Quant aux seconds « ils vont bien noter toutes vos cultures », témoigne Daniel Omibo de Kouté (Yopougon), alors qu’il siégeait dans le comité villageois, qualifié pour défendre les intérêts locaux auprès de la feue société d’équipement des terrains urbains. Métreurs, agents administratifs, géomètres, conseillers agricoles, ces « agents sont incontournables » d’après Kéwa Michel, qui a été confronté à ces pratiques lors de la cession de ses 6 hectares cumulés, à Niangon Lokoa (Yopougon). Et la puissance des ces agents dépasse celui des tenants du pouvoir décisionnel, et ce, d’autant que « […] la qualité du dédommagement et surtout le niveau des indemnisations s’appuient sur leurs rapports. […] A part eux, la SETU ne connaît personne pour ce travail. » Comment s’inscrire à la marge de ces pratiques sans être condamné à des mesures de rétorsion, « qui vont vous poser des problèmes » ? Il est arrivé d’en rencontrer qui se glissent dans les listes, comme des ayants droits au dédommagement et indemnités de destruction de cultures et perte du patrimoine foncier coutumier. La crainte des incertitudes des lendemains, en dépit de la valeur parfois symbolique des avantages compensatoires et autres indemnités de cession des terres coutumières à l’Administration, « vous oblige à traiter avec ces gens ».
- 9 Mais les promesses de renoncer à toute forme d’investissement marquant une rupture avec la précarit (...)
29Dans la ville constituée, tel agent subalterne commis à la surveillance du domaine de l’État va-t-il tolérer l'occupation des réserves foncières administratives et leur transformation en quartiers d’habitations, marchés ou aires d’activités artisanales9 ? Va-t-il se montrer bienveillant à l’égard de ceux qui se détournent des prescriptions des cahiers des charges ? Évidemment la tolérance est assortie de contreparties financières ou non de la part des bénéficiaires de ces largesses. Lorsque vient le temps de restructurer les ensembles ainsi constitués, d’autres assurent le relais au sein des services techniques ou administratifs étatiques ou municipaux. Responsables mais plus souvent des “petits fonctionnaires” directement commis par la hiérarchie à la gestion ou au suivi des projets n’hésitent pas à s’illustrer dans des ‘‘arrangements’’ avec des artisans ou des promoteurs de baraquements, impatients de sortir d'une précarité et d’une marginalité difficile à vivre.
30La précarité des uns est ainsi, et selon les cas, une source d'accumulation, et d’enrichissement pour les autres. Pour des cadres en quête de promotion, la gestion de la précarité est parfois un accélérateur de positionnement pour ceux qui appliquent avec célérité les politiques sectorielles de l’État. Celui-ci joue ainsi dans le registre de son pouvoir « rétributif » (Galbraith, 1985). C’est donc légitimement que les « petits fonctionnaires » et leurs différentes hiérarchies redoutent, au moins à l’échelle métropolitaine à Abidjan, une extension des compétences municipales à la promotion et au contrôle des procédures foncières. Cette éventualité peut entraîner l’extinction d’une « précieuse » source de revenus, de pouvoirs et de prestige social. De plus, en contrôlant les procédures foncières, les agents en question sont parfois les premiers à figurer sur les listes des bénéficiaires de lots, lors des opérations de régularisation foncière qu’impliquent les programmes de restructuration, voire de rénovation de quartiers. Les agents concernés dans l'Administration redoutent-ils cela, en accusant continûment les municipalités de favoriser le développement des formes d’installation incontrôlée dans leurs communes (Steck, 2003) ?
31Les agences de coopération internationale et de plus en plus les ONG ne débordent pas d’enthousiasme dans leur rapport à la recherche et à la communauté scientifiques dans les pays qui les accueillent. Qu’ils y soient installés à la demande des autorités nationales, ou sous la houlette des agences des Nations Unies, par exemple le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR), le Programme alimentaire mondial (PAM, etc.), ces organismes et leurs experts excellent parfois dans des pratiques qui montrent leur nature, mais éclaire également sur leur mission, celle d’être de puissants relais de certains acteurs internationaux (Riste 2007). Pendant longtemps ils ont développé une culture de l’entre soi, en se repliant souvent sur eux-mêmes, et tenant à distance, loin de leurs sphères, les chercheurs nationaux. Une défense de la technicité et des positions acquises joue comme rempart.
32A la suite de la longue crise économique qui a marqué le monde post-industriel, l’on est passé de la planification à la « gestion urbaine », et avec elle, à la ville des projets. Dans la philosophie de la gestion urbaine, la ville cesse d’être pensée dans sa globalité mais comme une réalité fragmentée où il suffit de gérer séparément les composantes et secteurs spécifiques, sans dommage majeur. Cette orientation a mis en orbite les experts dont la présence reste désormais liée et motivée par les projets d’une part, et les crises et conflits d’autre part, s’agissant des humanitaires affiliés aux ONG. Lorsque l’expert est choisi sur un projet précis avec des financements et un échéancier bien déterminé, toute collaboration qui l’éloignerait de sa mission lui paraît risquée, surtout lorsque les liens entre son projet et la recherche présentée lui paraissent lointains. Lorsqu’il bénéficie d’une relative souplesse dans la gestion de sa mission et du calendrier imparti, son imperméabilité à toute offre de collaboration scientifique repose sur d’autres considérations, souvent associées à leur représentation de l’activité de recherche. Au début des années 1980, un assistant technique détaché auprès d’une agence d’urbanisme ivoirienne tenta d’éloigner de jeunes chercheurs africains, des objets et phénomènes sociétaux qui semblaient les interpeller. Ce fut l’habitat « spontané », le secteur « informel », des sujets sans intérêt du point de vue de cet expert. Un autre, ingénieur des ponts de son état, n’eut aucun scrupule pour me faire comprendre sa distance à l’égard des recherches en sciences sociales, arguant que sa mission était de « faire des plans, de réaliser des lotissements et de vendre des lots et non de s’interroger sur les profils et identités des acquéreurs, sur leurs conditions de vie ou les modes d’exploitation des parcelles acquises ». Derrière cette technicité se trouve parfois une stratégie d’entreprise, dont la mise en œuvre incombe logiquement à l’expert. Celui-ci se saisit de toutes les opportunités pour consolider sa propre position, tant au sein de son organisme d’origine que dans celui du pays d’accueil. En l’espèce, que ses supérieurs hiérarchiques s’approprient des lots de recasement au détriment des catégories du bas de l’échelle de revenus, ou qu’ils soient mieux servis dans les lotissements viabilisés, de telles pratiques de détournement ne sont pas le problème de l’expert. L’enracinement de la disqualification sociale ou la persistance des crises impactant la ville serviront de motif pour d’autres projets. Ces derniers justifieront son maintien ou sa réaffectation ailleurs, parce que devenu expert en matière de gestion des projets de restructuration, et auprès des ONG, spécialistes des approvisionnements en eau potable et autres domaines délaissés par les collectivités publiques (Grünewalde et Levron, 2001). La technicité sert ainsi de base à la constitution d’une rente de situation et de positionnement.
33Lorsque certaines agences s'avisent d’associer des chercheurs nationaux du pays d’accueil, c’est parfois et au mieux dans la catégorie des producteurs d'informations au moindre coût qu’elles les relèguent. Et pour cause, les acquis de la recherche « locale » sont réels et crédibles dans de nombreux domaines, et sur des phénomènes situés. Le parcours des pages d’intérêt bibliographique permet de s’en convaincre (Wade et Yapi-Diahou, 2021) au moins dans les productions non importées. En effet, les animateurs de cette recherche en mal d’encadrement et de soutien institutionnels sont familiers des milieux et des populations, sinon des environnements à étudier. Leur collaboration paraît désormais salutaire et même recherchée dans certains domaines et selon les projets (Semboloni et Yapi-Diahou, 1997). Mais cette ouverture reste encore bridée, feutrée, en dépit des évolutions observées. Je fus bénéficiaire de cette ouverture, à travers différents projets sur les politiques de développement urbain, les problématiques foncières, sur la situation des femmes et des enfants en temps de crise, ou sur les actions et politiques urbaines en contexte d’accueil des réfugiés. Ils s’ouvrèrent également sur les opérations de recasement de déguerpis et autres projets de restructuration et de régulation foncière ou encore l’évaluation des niveaux d’appropriation de directives internationales. J’eu la responsabilité de coordonner des études sur les centres de santé communautaire, et, aux premières heures de la rébellion ivoirienne, une analyse sur la prise en charge sanitaire des déplacés de cette crise. Des experts me consultèrent également pour des avis sur des rapports, des évaluations de projets. En retour de mes remarques sur la représentation cartographique dans une série d’études, un expert, me confia la composition d’une équipe pour l’expression cartographique. Les offres de collaboration se font au coup par coup, avec parfois une bonne place pour le « hasard » ou en fonction des contingences. Même dans cette hypothèse positive, le chercheur « associé », n’est pas toujours assuré de bénéficier d’un traitement comparable à celui réservé à son homologue « expatrié », par exemple devant l’accès aux sources secondaires ou primaires. En effet, des dossiers et des renseignements facilement accessibles au chercheur expatrié, sont souvent tenus hors de portée de son homologue du pays d’accueil. Dans les administrations et organismes de rattachement de ces experts, la complicité de la hiérarchie légitime souvent pareille attitude, quand elle ne l’autorise pas ouvertement. Une des hypothèses explicatives, pour comprendre ces pratiques d’acteurs, tient à l’organisation de la recherche, au portage des projets, dans un cadre institutionnel ou non. Si le chercheur est attendu sur sa maîtrise des codes locaux, le rattachement de sa recherche à une structure qualifiée, qui peut répondre du déroulement et assurer son financement, représente un avantage comparatif indéniable. Dans ce cas, le chercheur n’est pas face à lui-même, il est membre d’une communauté qui lui garantit a priori une liberté d’initiative et d’action. Ce fut ma situation, l’essentiel de mes travaux ayant été menés dans le cadre de l’ORSTOM, l’actuel Institut de recherche pour le développement (IRD).
34Les experts, par ces discriminations entretenues - au nom de la confidentialité - veillent à préserver la qualité des liens des organismes dont ils dépendent avec les gouvernements des pays qui les sollicitent. De même les ONG veillent à leur visibilité ainsi que celle de leurs bailleurs dans les villes en crise ou encore dans les projets questionnant la gouvernance des organismes publics. A Abidjan, l’État s’inclina devant les bailleurs de fonds, au profit CARITAS, une ONG confessionnelle (du Secours Catholique), pour la gestion de toutes les opérations de recasement et d’indemnisation des riverains relatives à l’emprise de l’actuel pont Henri Konan Bédié. L’ONG est réputée pour « ses compétences en ingénierie sociale », en plus d’une posture de « neutralité admise ». Elle a été mandatée pour mettre en dialogue l’État et des collectifs de riverains de l’ouvrage à construire. Quoi qu’il en soit la construction et l’amélioration du profil de carrière de ces experts ne demeure pas moins une arrière-pensée légitime expliquant ces ménagements. Ces arrangements sont aussi la condition d’une ouverture possible de certaines institutions à des chercheurs de terrains. En cela, la fonction de médiation du chercheur et le rôle de la recherche sont à considérer en dépit de contraintes lourdes : un temps chronométré, heurté pour un accès au terrain, des milieux politiques opaques, repoussoirs.
35Les chercheurs en études urbaines et aménagement interviennent dans des contextes sociaux, politiques ou culturels où ils se trouvent aux prises avec le présent immédiat et le temps de leurs projets. Les interlocuteurs, incontournables pour les avancées, sont tous porteurs de logiques et d’intérêts propres pour lesquels ils tenteront plus ou moins d’influencer l’activité scientifique. Le chercheur est au centre de tous les soupçons de même qu’il suscite et cristallise nombre de questionnements : soupçons dans la sphère des collectivités publics, mais aussi de la part des populations auprès desquelles ou avec lesquelles il travaille, défiance sur sa maîtrise des codes qui structurent les sociétés et les espaces. La défiance vient aussi d’une diversité d’organisations non étatiques constitutives de la nébuleuse société civile (Hours, 2012), qui revendiquent des compétences sur différents enjeux et des légitimités d’intervention (Le Gallais, 1998). Tous ces acteurs vacillent, hésitant entre l'espoir d’une collaboration fructueuse avec un allié potentiel, le chercheur, et la tentation du rejet de ce dernier. Dans la pratique, la surveillance réciproque est la règle : les acteurs institutionnels, à savoir l'État, les collectivités décentralisées, les habitants, les notabilités locales ainsi que les « détenteurs » de terres dans les quartiers ou hors de ceux-ci, dans les aires d’activités... Tous collaborent en tant qu’acteurs engagés dans un processus de production et d'accaparement de quelques portions de l'espace urbain et du patrimoine de la ville, à des fins de rente urbaine, de pouvoirs et de prestige social. Ils savent se neutraliser. Ils nourrissent à l’égard du chercheur qui sillonne leurs administrations, services techniques et quartiers, un sentiment ambivalent : tantôt l’intrus qu’il faut tenir à distance, tantôt le complice, tantôt encore un passeur ou médiateur à courtiser. Au demeurant nombreux sont ceux qui, parmi ces derniers sont convaincus de l'inutilité de sa recherche, la classant dans la catégorie des activités improductives ou sans effet sur leurs conditions physiques et matérielles de travail, de leur cadre de vie ou de leurs revenus : « son travail ne sert donc à rien », éructent-ils, lassés d’accueillir des chercheurs et d’être la cible d’enquêtes à répétition. Comme le déclare cette productrice d’attiéké, dont le discours agacé lors d’un entretien (juillet 2021) en rappelle d’autres : « vous ne faites que venir pour nous poser des questions, mais on ne reçoit pas de bénéfice puisque nos conditions de travail ne changent pas ». D’autres auraient souhaité que les recherches débouchent sur leur reconnaissance sociale et celles de leurs activités, comme partie intégrante des activités économique de la ville. Moins contre le chercheur et sa recherche, ils s’en prennent plutôt aux collectivités publiques, qui tout en les marginalisant sont prompts à les fiscaliser : « pour la patente et les taxes, ils savent où nous trouver, que nous existons ». Dans ces conditions, comment le chercheur peut-il se faire coopter dans les milieux de l’expertise internationale surtout lorsque la collaboration parie sur la durée, quand sa recherche sinon ses enquêtes constituent un épisode d’une longue série auprès des mêmes sujets et/ou sur le même terrain ? Au-delà de son acceptation nécessaire, le chercheur doit convaincre sur l'utilité de son travail, en en montrant la singularité par rapport à d’autres études passées. Sans se renier, en sacrifiant les outils, ses approches et les protocoles indispensables à la cueillette de données crédibles, c’est à lui de montrer ce que tous les protagonistes ont à gagner de sa recherche. Le terrain vient ainsi suppléer les défauts et déficits de données, aider à imaginer le temps, en prendre la mesure (échelles), apprécier les effets passés et immédiats, et peut-être même imaginer le futur socio-spatial par des préconisations. La démarche permet d’assurer un va-et-vient entre le passé et sa transcription ultérieure ou immédiate dans le paysage. Il ne fait aucun doute que du terrain remonte une série de leçons quand la collaboration avec des institutions conduit le chercheur à des opérations sur des espaces ou des sujets relevant de leurs agendas. La démarche diachronique d’exploration du temps écoulé l’incite à dompter la durée comme un « allié », permettant de comprendre les agencements socio-spatiaux. Le terrain, par les modalités de sa construction et les matériaux qu’il recèle, aide à des ajustements conceptuels et méthodologiques, ainsi qu’au renouvellement des questionnements scientifiques.