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Carnets de débats

Parks and Researchaction. Récits d’expériences de recherche de Johannesburg à Marseille

Entretien avec Claire Bénit-Gbaffou
Parks and Researchaction. Research experiences from Johannesburg to Marseille. An interview of Claire Bénit-Gbaffou
Claire Bénit-Gbaffou et Mathilde Jourdam-Boutin

Notes de l’auteur

Entretien mené le 25 avril 2024 par Mathilde Jourdam-Boutin

Texte intégral

En mai 2024, nous avons rencontré Claire Bénit-Gbaffou, maîtresse de conférences en Urbanisme à l’université Aix-Marseille, afin d’échanger sur son parcours, ses travaux et les « ateliers » qu’elle a dirigés de Johannesburg à Marseille. En poste et installée dans la métropole phocéenne depuis 2018, elle y coordonne l’Atelier Marseille 4-5, une initiative pédagogique et de recherche centrée sur les 4ème et 5ème arrondissements de Marseille. Ce projet s’inspire d’expériences similaires comme le Yeoville Studio à Johannesburg (Afrique du Sud), où Claire Bénit-Gbaffou est restée en poste plus de dix ans. Ces ateliers (ou City Studios) mobilisent pendant plusieurs années une diversité d’acteurs, de disciplines, d’institutions autour de la connaissance fine d’un territoire, en vue de soutenir par la production de connaissances une action collective sur la ville. Parce que ces expériences pédagogiques et de recherche nécessitent la conciliation de temporalités multiples ; que les expériences sud-africaines nourrissent le projet à Marseille et que les changements de terrains professionnels se justifient par des choix de vie personnels, il nous a paru intéressant de publier un entretien dans ce dossier.

Mathilde Jourdam-Boutin : Bonjour Claire !

Claire Bénit-Gbaffou : Bonjour Mathilde !

Ce numéro, pour lequel on se rencontre, interroge la manière dont le temps de la recherche est influencé par les expériences de vie et, comment l’expérience de recherche, elle-même, influence les sujets, et leur manière de faire de la recherche. On a souhaité te rencontrer d’une part parce qu’on a peu de témoignages de mi-carrière, et d’autre part, car ton parcours a connu des bouleversements importants comme ce retour en France après des années en Afrique du Sud ! En premier lieu, je souhaiterais donc que tu nous présentes ton parcours de recherche, ta vision de celui-ci.

  • 1 Le diplôme d’études approfondies (DEA) fut délivré en France entre 1965 et les années 2000, ainsi q (...)

J’ai eu un début de thèse un peu chaotique puisque j’ai fait mon DEA1 à Los Angeles et j’ai changé de sujet de thèse à la suite d’un voyage d’études complètement inopiné en Afrique du Sud. Au départ, il s’agissait d’un voyage sportif avec des rugbymans : on était invités dans le cadre d’un échange sportif, mais, comme on était une équipe de jeunes chercheurs en sciences sociales, on venait aussi étudier les transformations sud-africaines. Ce fut ma rencontre avec les villes sud-africaines, en 1996, en pleine période post-apartheid.

  • 2 University of California, Los Angeles (UCLA) est une université américaine de renommée mondiale.

Je m’apprêtais alors à faire ma thèse sur Los Angeles et la question de la fragmentation urbaine. Los Angeles, la « ville aux 100 municipalités », m’intriguait, et je m’intéressais à la manière dont la redistribution et les réseaux métropolitains pouvaient se construire dans une ville aussi fragmentée. Et, aussi, comment les minorités sociales ou ethniques se saisissaient de ces échelles, très fines, de démocratie locale. J’avais donc passé trois mois à UCLA2 et j’étais rentrée en France pour commencer cette thèse lorsqu’on m’a proposé ce voyage en Afrique du Sud durant lequel j’ai pris au sérieux la mission qui m’avait été confiée en échange de mon billet d’avion.

Et ça a été un coup de foudre ! Tout de suite, je m’aperçois que mon sujet a beaucoup plus de sens en Afrique du Sud. Les collègues américains ne comprenaient pas vraiment mon sujet : les questions de redistribution métropolitaine, de big government, ce n’était pas du tout dans l’esprit du temps – ni académique, ni politique. Or, cette question était au cœur des débats politiques sud-africains sur la reconstruction métropolitaine post-apartheid. Cela n’a fait aucun doute pour moi : je voulais être là. Je voulais être là et continuer mon sujet, mais sur Johannesburg et non pas sur Los Angeles.

Donc tu opères un premier changement de terrain pour Johannesburg ?

C’était une vraie rencontre avec la ville, avec Johannesburg. Et donc finalement, c’est là que j’ai conduit ma thèse, sur les manières de construire un gouvernement métropolitain tout en développant des formes de démocratie locale. Et c’est vraiment la question de l’articulation de ces deux pans — redistribution et démocratie locale — qui m’intéressait, en lien avec des échelles de gouvernement différentes.

Après la thèse, j’ai participé à plusieurs programmes de recherche. Le premier portait sur l’insécurité. C’était un important programme sur la privatisation des villes et de la sécurité dans les villes africaines. Moi, j’avais choisi de travailler sur les réponses locales à l’insécurité, en interrogeant le rôle des collectifs d’habitants et leur rapport aux institutions en réponse à l’insécurité urbaine. C’était très instructif mais aussi très dur.

Il est vrai que tu effectues tes premiers travaux au cœur de l’Afrique du Sud post-apartheid. Comment l’expérience de cette période a-t-elle structuré tes recherches ?

C’était vers 2000, immédiatement après une phase où la police était en telle restructuration (d’une police politique à une police civile) que l’insécurité explosait et imposait à tous les types de quartiers des formes d’auto-organisation, d’autodéfense. On était confrontés, comme chercheurs, à la fois à des récits terribles, par la violence physique mais aussi à l’expression d’un racisme sans fard. C’était une expérience de recherche qui m’a beaucoup formée. Notamment à casser les codes : à ne pas être un chercheur neutre et silencieux alors qu’il entend des propos racistes. Parce que face à une chercheuse blanche, les enquêtés blancs se pensaient autorisés à me parler sans gêne de leurs préjugés et de leurs frustrations, en utilisant le langage qu’ils pensaient que je partageais. Au bout d’un moment, j’ai fait ma transition, par le terrain, et je suis devenue une chercheuse « subjective » - j’ai compris que l’objectivité était un horizon, un processus méthodique, plutôt qu’une posture.

Ensuite, je suis revenue à la question de gouvernement local, avec un programme comparatif sur les élus locaux, autour de la question de la transition démocratique dans plusieurs pays du Sud : Inde, Maghreb, Afrique du Sud. Cela m’a permis de réfléchir à la trajectoire des élus, à leurs rôles, à leur manière de se saisir du rôle dans les villes post-apartheid.

Et y a-t-il eu d’autres éléments du contexte politique qui ont eu un effet sur tes recherches ?

Bien sûr. Les émeutes xénophobes de 2008/2009 ont été un grand tournant pour le pays, et pour moi aussi. On était tous sous le choc de ces émeutes massives et extrêmement violentes. C’était aussi la fin du miracle sud-africain, la fin de l’idée que la transformation pouvait se passer pacifiquement. C’était un choc pour beaucoup de monde, dans toutes les strates de la société. Et ça a suscité des formes d’engagement plus immédiates, plus directes. À ce moment-là, mon mari a créé une ONG qui s’appelait African Diaspora Forum, dans laquelle je me suis engagée aussi. J’ai notamment pris la tête d’un projet, l’organisation d’un carnaval panafricain dans le township d’Alexandra, le quartier d’où étaient parties les émeutes xénophobes. Ce n’était pas de la recherche, c’était de l’activisme – à travers beaucoup de pédagogie. Chacune des 18 écoles du township avait adopté un pays d’Afrique et on organisait un programme de rencontre avec des migrants, avec des collègues spécialistes du pays et avec les ambassades. On faisait élire un petit gouvernement parmi les élèves— président, ministres — au sein de chaque classe qui était ensuite invitée chez l’ambassadeur. C’était surtout des rencontres culturelles — et des cours de géographie aussi. Chaque école devait sur cette base préparer sa participation à un carnaval panafricain qui allait marcher dans les rues du township.

Au départ, je n’étais pas là en qualité de chercheur, mais en qualité d’activiste

Les écoles comme les enseignants étaient très volontaires. Cela a attiré l’attention d’un quotidien national, The Star, qui a adopté l’African Diaspora Forum (ADF) et en a fait la notoriété. Ils nous ont donné l’opportunité d’écrire huit pages mensuelles sur la question des migrants, de la migration et de la xénophobie : le Migrant News. Ce projet éditorial m’a bien occupé, j’ai mené beaucoup d’entretiens, sollicité beaucoup de chercheurs et d’activistes pour y contribuer. C’est aussi là que j’ai compris que le discours humanitaire et victimaire, dominant dans le Star, était très inefficace, voire contre-productif, pour lutter contre la xénophobie – expression d’une frustration profonde chez les Sud-Africains, qui face aux souffrances des migrants, disaient « oui, mais, et nous ? ». Cette expérience et cette compréhension continuent de m’inspirer, dans ma pédagogie en région PACA, où l’extrême droite est très présente y compris dans le corps étudiant.

Après, en 2009, j’ai eu mon deuxième enfant, et là, ça a vraiment craqué avec ma vie personnelle. Ça faisait trop. L’engagement à ADF était trop déconnecté de mon travail d’enseignement et de recherche. Et l’activisme, ça me prenait une énergie folle. D’autant qu’African Diaspora Forum gagnait du pouvoir et de l’influence, provoquant des luttes internes destructrices. À un moment, ma race, enfin disons ma couleur, a été un obstacle... on m’a dit « Qu’est-ce que tu fais, toi la Blanche, dans une association africaine ? Dégage. » C’était aussi une manière d’atteindre mon mari, qui en était le fondateur.

Au sein de cette association, j’ai donc joué un rôle de coordinatrice, mais j’ai aussi vécu les difficultés et les luttes internes indissociables du travail associatif. C’était déjà la « the researcher as a ball in a political game » en version associative (Benit‑Gbaffou 2010). Sauf que je n’étais pas là en qualité de chercheur, mais en qualité d’activiste.

  • 3 Foyer de travailleurs migrants, organisés par le régime ‘apartheid pour bénéficier de main d’œuvre (...)

Effectivement, dans le tout premier numéro de Carnets de Géographes, tu relatais dans un carnet de terrain t’être sentie utilisée comme « a ball in a political game » lors d’une réunion entre l’ANC et SANCO dans le cadre de la réhabilitation d’un hostel3. Dans quelle cadre a eu lieu cet événement ?

Dans cet article, j’évoque les local politics comme un jeu dont je ne comprends pas les règles. Cette recherche menée en 2009, dans des conditions très tendues (car l’hostel était marqué par la violence), fait directement écho à mon expérience en tant qu’activiste à Alexandra. L’article fait le lien entre l’une et l’autre – mon regard de chercheur a été marqué par mon expérience d’activiste ! Ce qui s’est passé à Alexandra, c’est que des associations rivales de celles avec lesquelles on travaillait ont menacé de créer des violences autour du carnaval si on ne leur versait pas de l’argent… Cette demande venait d’activistes locaux que j’avais interrogés pendant ma thèse, que je connaissais comme des gens très ancrés, très politiques, mais aussi, pour une partie, des criminels. Bien sûr ils n’ont pas formulé leur demande d’argent comme cela : ils nous ont bombardé d’obstacles formels sur le processus, le manque de participation large, la stigmatisation que signifiait à leurs yeux le carnaval dans leur quartier (« vous nous traitez de xénophobes, en organisant ce carnaval ici »). Tout ça au sein d’une réunion publique, où ils plaçaient leurs questions comme une pièce dans un jeu d’échec – je comprenais les coups, virtuoses, bien trop tard. C’était magistral, mais c’était déprimant. Mais là, j’avais arrêté de lutter, d’argumenter. Je regardais et je me suis dit : « il faut qu’on comprenne ces local politics ». L’expérience de recherche à City Deep Hostel, c’était la même chose : une virtuosité dans les coups politiques, mais un effet destructeur sur le développement local, sur les projets, sur la construction collective.

  • 4 « Yeoville Studio » ou l’atelier Yeoville est une initiative pédagogique et de recherche née de la (...)

C’est là que j’ai eu l’idée de monter « Yeoville Studio »4, à la fois pour des raisons personnelles, et pour cette curiosité politique, militante qui se transformait en questionnement de recherche. Sur un plan personnel, il me fallait intégrer l’activisme avec l’enseignement et la recherche, sinon ce n’était pas tenable, trop schizophrène, trop chronophage. Yeoville Studio, c’était cette tentative d’intégration. Sur un plan intellectuel et politique, je trouvais la littérature scientifique sur les mobilisations citoyennes très romantique et silencieuse sur ces processus.

Donc en 2010, je lance ce studio Yeoville, dont l’objet était : « Qu’est-ce que cette recherche enchâssée dans un projet pédagogique, en partenariat avec trois associations locales, va nous apprendre de la manière dont le politique fonctionne à l’échelle d’un quartier ? ». J’en ai tiré des analyses sur le leadership local (Bénit-Gbaffou et Katsura O., 2014) des éléments de théorisation à partir de l’effarement que j’avais vécu, à Alexandra comme au City Deep Hostel, face à l’énergie dépensée à se concurrencer les uns les autres, au talent politique incroyable de ces leaders mis au service de la destruction du projet des autres, le tout au détriment du quartier.

Et tu n’avais pas saisi cette question des tensions entre les leaders locaux au moment où tu fais ta première phase de travail sur les locals policies et la transition démocratique ?

Non parce que mon travail portait davantage sur l’action des leaders élus que sur ce qui précède. Je regardais quel est le pouvoir des conseillers locaux, des élus locaux, leur rapport aux habitants et à l’institution, leur apprentissage du travail d’élu. Je ne voyais pas cette rivalité interne préalable. Au cours de ma thèse et de mon terrain à Alexandra, j’avais rencontré nombre de ces leaders. J’avais observé la fragmentation interne à Alexandra, mais je n’en avais pas fait une question essentielle, alors qu’elle était consubstantielle à ce leadership informel de quartier : on n’agit que si on peut mobiliser des ressources, on cherche sans cesse à y avoir accès et on doit constamment se légitimer en démontrant sa capacité à agir – dans un environnement très compétitif.

Mais Yeoville Studio a également ouvert d’autres pistes. Y est née une relation particulière avec une association de commerçants informels – c’est cette association (ou plutôt leur leader, Edmund Elias, devenu un ami), qui s’est le plus saisie de l’objet « Studio », c’est-à-dire qui a su faire de la recherche un instrument politique, sans lui demander autre chose que de produire de la connaissance et de l’utiliser comme carburant dans leurs batailles pour la légalisation et légitimation du commerce de rue. Ainsi, le « Studio » (les liens et les connaissances produites) a été mobilisé lors d’un autre événement marquant en Afrique du Sud : l’« Operation Clean Sweep ». À Johannesburg, fin 2013, la municipalité a chassé du centre-ville 8000 vendeurs de rue en affirmant : « on n’arrive plus à gérer, on va tout recommencer ». C’était un peu comme un « reset » informatique : on vire tout le monde, on demande aux gens de se réenregistrer et on recommence, mais avec des vendeurs légaux. Le tout en mettant en suspens les vies de ces 8000 personnes et leurs familles pendant un temps indéterminé, le temps que l’on puisse réenregistrer tout ce monde-là.

Deux associations, dont celle dont Edmund était le porte-parole, ont porté l’affaire en justice, jusqu’à la Cour constitutionnelle et ont gagné le procès contre la Ville : les commerçants ont été réinstallés illico. Edmund est venu me voir à ce moment-là, pour me demander « Est-ce que ton labo pourrait nous aider à négocier avec la Ville par la recherche ? Et à proposer, de manière constructive après l’action en justice, des modèles de gestion du commerce de rue ? ». Il avait extrêmement bien compris les limites mais surtout les potentialités de ces formes de recherche-action. Impossible de décliner une telle demande ! J’ai donc dit oui à Edmund, à condition que toutes les associations de vendeurs de rue, qui étaient en concurrence les unes avec les autres, participent : pas seulement la sienne. J’ai commencé à coordonner avec mes collègues, des doctorants et une cohorte d’étudiants, des ateliers mensuels avec les associations de vendeurs et à approfondir, sur la base des travaux du Yeoville Studio mais dans cette nouvelle configuration plus participative, cette question de la gouvernance du commerce de rue dans l’espace public.

Il est possible qu’avec une restitution, une porte se ferme, mais cela va engendrer du mouvement, et une autre peut s’ouvrir

Là, j’ai commencé à travailler sur deux niveaux à la fois. Le premier niveau c’est l’espace public urbain, et ses usages, la manière dont ça fonctionne, les besoins, les conflits, les logiques commerciales, politiques, ethniques, les configurations spatiales. Et puis, un niveau gouvernance, en essayant de comprendre sa fabrique : l’aménagement de l’espace public étudié, les politiques qui le régulent mais aussi sa gestion quotidienne, formelle et informelle. De ce deuxième niveau, est née une seconde commande de recherche. À la suite de l’ « Operation Clean Sweep » et des émeutes xénophobes, la Ville de Johannesburg a commandité une étude à Wits University, car elle se demandait que faire avec le commerce informel : comment reprendre la main après la tentative désastreuse de l’Opération, d’autant que le commerce de rue est un des hauts lieux de la xénophobie ? Cette commande municipale, j’ai proposé d’y participer. J’étais dans une position compliquée, puisque je travaillais avec les vendeurs de rue qui avaient poursuivi la Ville en justice. J’ai été très transparente là-dessus envers la Ville, proposant ma participation à l’étude au titre de mon travail avec les vendeurs de rue, qui m’apportait une connaissance spécifique, utile au rapport ; et refusant tout paiement, à la différence de mes collègues, pour éviter les conflits d’intérêts. C’était de la recherche très appliquée donc, au départ.

Cette position a été très intéressante parce que tout ce que j’apprenais, par des lectures sur la gouvernance du commerce de rue dans les villes du sud, j’en discutais avec les vendeurs et parfois on expérimentait ensemble. J’en parlais aussi dans des ateliers avec les agents municipaux, et on débattait de ce qui était dysfonctionnel selon eux. Ces agents municipaux étaient parfois rétifs, surtout leur directeur (notoirement corrompu), qui a d‘ailleurs fini par dénoncer mon travail en disant « c’est complètement biaisé, c’est une antenne de l’ennemi, les associations de vendeurs qui nous ont attaqués en justice. Donc Claire ne peut pas faire partie de ce projet » et par me blacklister dans la Ville de Johannesburg. L’Université a défendu l’autonomie de la recherche, rappelant que je n’avais jamais fait mystère de mon positionnement (cherchant une médiation mais en partant de l’expérience des vendeurs). Mais peine perdue : ma contribution n’a pas été incluse dans le rapport final rendu à la Ville de Johannesburg.

  • 5 Bénit-Gbaffou, 2015, In quest of sustainable models of street trading governance. Lessons from Oper (...)

Au final, ça m’a plutôt servi... Car le service municipal qui l’avait commandité l’étude auprès de Wits University est tombée en disgrâce, donc le rapport a été enterré sans que les chercheurs puissent le mettre en circulation. Or comme ma propre étude avait été exclue du rapport, j’ai pu publier ce que je voulais5 et j’ai ensuite été invitée par toutes les associations du gouvernement local sur « Comment gouverner le commerce informel ? ». Je me suis retrouvée face au directeur du service « Commerce informel », celui-là même qui m’avait blacklistée… et il a fini par reconnaître que ce que je disais avait du sens, et à me considérer comme un acteur incontournable du jeu politique dans la réforme municipale du commerce de rue. C’était assez drôle comme revirement…

  • 6 En plus de leur fonction pédagogique et de recherche, les ateliers montés par Claire Bénit-Gbaffou (...)

Pour moi, cela nous informe sur toutes les difficultés politiques des restitutions6 et à quel point c’est dynamique. Je le raconte souvent à mes étudiants quand ils ont peur des remous que leur analyse peut susciter, lors de restitutions aux acteurs concernés. Je leur dis « C’est possible qu’avec la restitution, une porte se ferme, mais ça va engendrer quelque chose, ça va engendrer du mouvement, une autre peut s’ouvrir. Le politique, c’est tellement dynamique. Après, il ne faut pas penser que la restitution et le mouvement suffisent à changer les choses – ne pas se griser, s’illusionner : le changement, politique et social, c’est très lent. ».

J’étais arrivée à la fin d’un cycle politique et intellectuel

Pourtant tu as quand même changé de sujet pour la suite de tes recherches ? Qu’est-ce qui l’explique ?

  • 7 City of Johannesburg, 2022, Informal Trading Policy.

Pourquoi je n’ai pas continué sur le thème des vendeurs de rue ? Parce que j’étais arrivée à la fin d’un cycle, un cycle politique et un cycle intellectuel. Le cycle politique, c’est que la mairie a fini par changer de politique à la suite de cette décision de justice. Un ancien étudiant, qui était alors à une position haut placée dans la mairie, et connaissait mes travaux, m’a dit « C’est une opportunité Claire : un cabinet de consultants a réécrit la politique sur le commerce informel à Johannesburg, il n’y connaît rien. En ce moment, ce document est soumis à la participation publique, il y a une fenêtre d’opportunité. Si j’étais toi, je le réécrirais intégralement, je suis sûr qu’ils feront du copier-coller ». Ça a été un peu plus compliqué que cela, bien sûr, mais finalement cette politique réécrite, relativement progressiste et inspirée par les ateliers avec les vendeurs et toutes nos recherches, a bel et bien fini par passer7. Et moi je suis partie d’Afrique du sud : je ne suis plus là pour travailler avec les vendeurs et co-écrire avec eux les décrets d’application de cette politique. Sans ces décrets, sans ce suivi, je ne m’illusionne pas sur son effet réel ; mais c’est déjà quelque chose. Ce cycle politique s’est donc clos, pour moi.

  • 8 « The state », au sens de l’ensemble des pouvoirs publics.

Par ailleurs, j’ai beaucoup écrit sur ce que je comprenais de la gouvernance du commerce informel et les logiques de leadership dans ce secteur. J’ai fini par arriver au bout de ce que je pouvais faire. Et puis, j’étais devenue curieuse de cette « boîte noire » qu’était l’État8 : de toutes ces portes auxquelles on s’était heurtées, avec les associations, dans nos tentatives pour faire changer la politique urbaine ; et où même les agents et les élus sympathisants à la cause des vendeurs (il y en avait) s’avéraient incapables de faire avancer cette cause. Mais, même si mon expertise avait fini par être reconnue, je savais que jamais on ne me laisserait faire l’ethnographie institutionnelle de ce service en charge du commerce informel, lui-même au sein du Département du Développement Economique de la Ville de Johannesburg : trop d’intérêts stratégiques, trop d’argent en jeu, y compris d’argent illicite.

D’ailleurs, l’étape suivante, c’est une agente municipale des Parcs et Jardins de Johannesburg, Ayanda Roji, qui a entendu parler de Yeoville Studio et qui est venue me chercher, en 2016 je crois, en me disant « Moi, je travaille sur les parcs et jardins et j’ai envie que vous travailliez de cette manière avec moi. » S’est donc ouvert cet autre terrain, à travers cet objet qui est aussi sur l’espace public, et ouvre sur des questions de sans-abrisme, d’informalité et des conflits sociaux dans les parcs. Cet objet me permettait de conduire une forme d’ethnographie de l’institution municipale. Et là, j’étais dans une position différente : avant, je voyais la boîte noire de l’État de l’extérieur, j’en touchais les contours, mais en étant plutôt antagoniste, en forçant un peu l’entrée. Là, j’étais invitée. C’était la dernière phase de la construction de mon objet, à savoir « Comment fonctionnent ces institutions dans la fabrique de la ville, et notamment dans les tentatives progressistes de la transformer ? », et la notion d’activisme institutionnel. C’est ce questionnement que j’ai importé à Marseille — sans que ça ne fonctionne complètement. La traduction des concepts, c’est intéressant mais compliqué.

Mais du coup, cette recherche sur les parcs et jardins, combien de temps elle a duré et comment elle s’est finie aussi ?

Ça a duré deux ans à Johannesburg, de 2017 à 2018. Deux ans où j’ai travaillé avec mes étudiants à des monographies sur des parcs et jardins de Johannesburg, et durant lesquels je travaillais de mon côté via des interviews d’agents municipaux, et en construisant stratégiquement différentes formes de restitution auprès des agents de terrain comme auprès des décideurs au sommet de la hiérarchie. Ayanda me faisait voir comment elle essayait de pousser des dossiers, de réformer son administration pour des parcs plus inclusifs, plus participatifs, qui ne chassent pas les sans-abris. Son idée c’était « Des parcs africains pour des villes africaines » et non pas la reproduction des parcs tels qu’ils fonctionnaient sous l’apartheid. Plus largement, elle voulait faire de ces espaces une question politique. La recherche, elle voyait comment l’utiliser pour porter cet agenda et comment progresser dans différentes arènes politiques. Cette collaboration s’est terminée de fait quand je suis partie pour Marseille mi 2018, même si je suis toujours en lien avec Ayanda. Il n’empêche que je suis partie au milieu du gué. Ce cycle-là n’était pas fini, ça reste un regret.

D’ailleurs, je continue aussi à travailler sur les parcs et jardins à Marseille. C’est une bonne entrée parce que, d’abord, c’est une « petite porte » dans les institutions municipales, dans la mesure où ce secteur n’est pas perçu comme un enjeu stratégique, contrairement au logement ou au développement économique par exemple. Et puis pour moi, c’est intéressant parce qu’il y a une dimension « espace public » dans les parcs et jardins, qui intéresse aussi les gens, permet un lien plus direct aux usages, aux rapports sociaux, aux citadins – ne pas perdre de vue l’espace urbain et sa matérialité.

  • 9 Mouvement politique et liste électorale d’union de la gauche (du PCF au PS), des écologistes et des (...)

En France, la question de la transition écologique est beaucoup plus centrale qu’elle ne l’était en Afrique du Sud. Et quand le Printemps Marseillais9 a été élu, je me suis dit que les parcs, c’est le seul objet où la mairie a vraiment la main, contrairement au logement par exemple. Les autres domaines de l’intervention publique sont des prérogatives multiniveaux : la mairie de secteur, centrale, la métropole, la région, l’Etat central. Parcs et Jardins, le service n’a pas beaucoup de moyens, mais peut apporter beaucoup de changement dans la vie des gens, et répond au besoin crucial de rafraîchir la ville : donc j’ai pensé que ce serait un instrument central pour la nouvelle mairie. Alors oui, ce n’est pas le seul : il y a les écoles, évidemment, qui sont un objet bien plus stratégique, et une entrée où la justice sociale est beaucoup plus centrale. Mais c’était compliqué de construire cette entrée dans la municipalité : trop d’argent, trop d’attente.

Et, du coup, on n’a pas forcément abordé le pourquoi, ce changement de terrain : le passage de Johannesburg à Marseille. Est-ce que c’est ce choix est lié à des questions personnelles que tu n’as pas besoin d’aborder, mais qui explique ce changement ?

Oui, tout à fait. Là, ce sont des changements de vie qui expliquent un changement de terrain. Mais c’est aussi le choix de ne pas travailler à distance. On a décidé avec ma famille de déménager à Marseille en juillet 2018, et s’est posée la question pour moi de savoir si je continuer à travailler de loin, en Afrique du Sud. Et en fait, ça, c’était une fausse question pour moi. Pour plusieurs raisons. D’abord, j’ai du mal à ne pas m’ancrer dans le lieu où je suis. Et m’ancrer, c’est à la fois par l’enseignement et la recherche, que je conçois comme imbriquées. D’autre part, j’ai du mal à concevoir des recherches sans dimension d’action, sans une dimension appliquée qui vient à la fois nourrir la démarche théorique, et concrétiser une utilité sociale, même partielle. Et pour l’action, il faut être sur place. Enfin, la recherche à distance, je pense que ça ne fonctionne pas pour cette forme ethnographique d’étude de l’institution. Surtout pour mon objet actuel, le changement institutionnel et la gouvernance urbaine, c’est vraiment dans un temps long de la construction de la relation de recherche que se comprennent les choses. Alors, j’aurais sans doute pu entretenir une correspondance avec les agents et élus sud-africains - certains sont restés en contact, nous continuons à converser. Mais ça n’aurait pas été pareil… Je n’en dirais pas beaucoup plus, parce que je n’ai pas encore complètement digéré la fin du terrain sud-africain. En tout cas, ce que j’y ai vécu m’a beaucoup formée et continue de me porter.

Et là, je suis repartie de zéro à Marseille alors que je commençais à avoir un réseau très important de contacts institutionnels à Johannesburg. D’avoir migré, ça me ramène en arrière, au sens où il faut que je reconstruise un réseau d’interconnaissance et de confiance avec des élus et agents qui ont envie de travailler avec des chercheurs de cette manière-là. Ça prend beaucoup de temps : c’est le temps de construction d’une relation. Et il est probable que la pratique française dominante d’une recherche critique et qui soigne sa distance aux institutions, ajoute une difficulté supplémentaire.

« Comprendre ce que font ceux qui essaient de faire, et les soutenir par la recherche »

Cette continuité du sujet de l’activisme institutionnel et du changement politique, urbain, que ce soit à Johannesburg ou à Marseille : qu’est-ce qui explique aussi ça ? Est-ce que Marseille est un choix aussi ou est-ce que finalement, face au fait qu’il fallait aller à Marseille, tu as cherché les points communs et ce que tu pouvais capitaliser de tes recherches et de tes savoirs ?

Marseille, c’est d’abord un choix de vie. Ça remonte à avant mon départ en Afrique du Sud, alors que je faisais mon terrain six mois de l’année, et j’étais ATER le reste du temps (à Poitiers, puis à Nanterre). À Johannesburg, j’avais pris l’habitude de parler beaucoup dans l’espace public, en attendant le bus, dans les magasins, en cherchant une adresse… et d’apprécier cette sociabilité de rue. Et j’ai trouvé que Paris ne s’y prêtait pas ; je m’y sentais de plus en plus étrangère. Quand il y a eu un poste de PRAG à l’époque, à Marseille, pour ma fin de thèse, j’ai sauté dessus. J’étais ravie et je me suis sentie bien dans cette ville… africaine.

Une fois en poste, j’ai eu la chance d’avoir le statut de mise en disponibilité, et donc, de pouvoir partir rejoindre mon mari, et retrouver ce poste après treize ans d’absence. C’est une chance incroyable, j’en ai bien conscience, pas forcément facile pour mes collègues… Ce retour à Marseille, ce n’était pas forcément un choix, c’était le point de chute. Après, ça reste une ville où j’étais contente d’aller avec ma famille, et elle y a trouvé sa place. Il y a quelque chose du cosmopolitisme de la ville qui en fait un bon lieu de vie pour nous.

Est-ce que j’en aurais fait un objet de recherche à ce point si le Printemps Marseillais n’avait pas été élu ? Honnêtement, je ne sais pas. Probablement en partie, à cause de mon souci d’ancrage et de ma pratique mêlant enseignement et recherche, qui nécessite la proximité spatiale du terrain. Les deux premières années, de 2018 à 2020, j’ai d’ailleurs commencé à faire quelques « mini-ateliers » (c’est-à-dire des projets incluant une restitution publique) avec les étudiants, en travaillant sur l’Estaque et ses espaces publics. J’y étais attirée par la culture politique locale marquée historiquement par le communisme municipal.

C’était un peu le hasard, mais comme le Printemps Marseillais est arrivé au pouvoir en 2020, je me suis dit : « il y a quelque chose qui s’ouvre peut-être dans la mairie et dans l’explicitation d’un projet politique à gauche ». C’est ça qui m’intéresse, tout comme c’était la ville post-apartheid et sa construction qui m’intéressait en Afrique du Sud. Voilà, j’ai atterri à Marseille et le hasard des élections a fait que la ville a pu devenir un objet de recherche. Dans tous les cas, j’avais envie de travailler avec ces activistes à l’intérieur de la machine municipale : c’est un choix, d’essayer de travailler avec des gens qui s’évertuent à trouver quelque chose qui fonctionne, qui tâtonnent, qui échouent la plupart du temps — je ne me fais pas d’illusions —, mais qui tentent ! J’évite d’être dans une posture radicalement critique, qui vise à dénoncer mais se garde bien d’explorer des alternatives : j’essaie de trouver plutôt une position constructivement critique.

Ça c’est aussi un héritage sud-africain, parce que j’en ai vu les ravages en Afrique du Sud, notamment chez des amis, activistes institutionnels, qui disaient à quel point ils souffraient de la production intellectuelle radicale, qui écrasait complètement ce qu’ils tentaient de faire. Et qui, au lieu de leur ouvrir des pistes, leurs disaient « Mais c’est votre métier de trouver ce qu’il faut faire, nous on vous dit juste que ce que vous faites, ça ne marche absolument pas, c’est nul, c’est néolibéral, vous êtes des grands méchants, des traitres, des vendus. ». Je caricature, mais j’ai vraiment pris leur indignation à cœur. J’ai envie de travailler ça : c’est là que je pense pouvoir apporter quelque chose. D’autant que ça venait aussi bien d’amis, pour qui j’avais une grande admiration politique, que de mes étudiants, originaires pour beaucoup de bidonvilles, et qui rentraient en mairie pour changer la ville, travaillaient comme des fous, et se prenaient dans la figure : « Mairie Néolibérale ». Cet écrasement de l’agentivité au nom d’un positionnement radical m’a interrogée et insatisfaite— c’est aussi là où je rejoins mes collègues comme Marianne Morange, Sylvie Fol, ou Susan Parnell : même si c’est pour d’autres raisons, elles dénoncent l’usage tous azimuts du concept de néolibéralisme, parce qu’il tend à écraser le réel sous la posture dénonciatrice.

Bien sûr, la critique radicale est absolument essentielle pour ouvrir un espace face à un pouvoir institutionnel qui sinon s’endort, se reproduit et devient arrogant. Mais il faut autre chose aussi. C’est la réflexion d’un de mes collègues sud-africains, Philip Harrison (2013), professeur en urbanisme, qui a suspendu un moment sa carrière politique pour devenir directeur de l’urbanisme à Johannesburg. Il disait « Je relis toute la littérature en urbanisme, je ne trouve pas un conseil utile en fait, je trouve plein de grandes inspirations, “droit à la ville”, « citoyenneté insurrectionnelle », mais pratiquement rien sur “qu’est-ce qu’on fait, que peut-on faire ?” Y compris théoriquement, je ne trouve rien ». C’est aussi l’urgence d’une action à la fois sociale et climatique qui me fait dire que mon énergie de recherche — et encore une fois, je pense que sans la recherche radicale, ce que je fais ne marcherait pas — cette énergie que j’ai, j’ai envie de la mettre dans ce travail de médiation, de construction, critique, mais de construction. J’ai envie de comprendre ce que font ceux qui essayent de faire, et, si possible, de pouvoir les soutenir, dans différentes mesures, par la recherche.

Ça a l’air d’avoir été long de construire des relations avec les acteurs politiques de Johannesburg. Comment s’est passée cette construction et comment cette expérience a pu influencer ta manière de concevoir tes relations avec des acteurs marseillais ?

Pour construire ces relations en Afrique du Sud, ça a pris du temps. Il y a plusieurs pistes. Il y a déjà… l’amitié. C’est par amitié que ça s’est ouvert ; et une construction d’amitié, ça prend du temps. Et il y a les étudiants. Les étudiants d’urbanisme de Wits, c’était des jeunes Noirs, de milieu modeste, souvent brillants, qui avaient vraiment une vraie conviction qu’il fallait changer la ville en rentrant dans l’institution publique. D’ailleurs, les études d’urbanisme les y menaient directement puisqu’il y avait une volonté de transformer les profils raciaux des agents municipaux, donc de faire monter très vite à des postes de responsabilité ces jeunes étudiants noirs diplômés. Ils rentraient dans l’institution, et ils étaient démunis. Ils venaient me voir en disant « On n’est pas du tout préparé à ce qu’on rencontre ! Vous nous parlez de justice sociale, de ville compacte, inclusive, des machins comme ça, mais c’est pas du tout, du tout, ce qu’on fait ! On fait des jolis plans, bien inclusifs, participatifs... et ça reste dans les tiroirs, ça n’a aucun sens. »

À ce moment-là, j’ai trouvé ce livre, une inspiration qui me porte toujours : le livre de Krumholz et Clavel, Reinventing Cities, qui porte sur les villes, post-droits civiques, aux États-Unis dans les années 1970 (Krumholz et Clavel 1994). Il présente ces urbanistes engagés par les maires noirs, nouvellement élus dans les grandes villes américaines, et qui racontent l’expérience d’essayer de transformer la ville. Ils témoignent à la fois leur travail politique, leur travail technique, et leur travail institutionnel, administratif. J’ai commencé à le faire lire à mes étudiants et à avoir comme ambition d’écrire le même sur Johannesburg. Ce projet-là, je l’ai proposé à cet ami haut placé dans l’institution régionale, qui était très intéressé par l’idée de retracer sa propre histoire et aussi, je pense, de produire un discours de justification expliquant ce que lui et ses amis militants de la lutte anti-apartheid, avaient tenté de faire. On a recueilli plein de récits très riches, mais ils sont extrêmement durs à mettre en forme et à analyser... ça reste un projet en suspens.

Et puis, ce qui a marché à Johannesburg sur le temps long, c’est aussi que les étudiants que j’ai formés se sont trouvés agents municipaux. Dix ans après, ils étaient installés dans leur poste, ça ouvrait des possibilités de collaborations, des projets dans lesquels je pouvais inscrire des recherches, à CUBES, avec des étudiants. C’est un travail d’éducation qui porte ses fruits : des étudiants qui sont engagés dans des institutions et qui vont ouvrir des possibles. Ça, c’est un temps long, incompressible.

« Dans la recherche embarquée, il faut un temps pour construire la confiance, mais aussi un temps pour comprendre ensemble où la recherche va être intéressante, ce qu’elle peut faire, ce qu’elle ne peut pas faire. »

À Marseille, il y a ce temps de la formation qui est juste en train de commencer. Et l’autre temps, c’est le temps de construire. Quand je rencontre un agent ou un élu intéressé par ce type de recherche, en dialogue… Ce n’est pas uniquement une question de confiance, parce que si on travaille ensemble, c’est qu’il y a une sympathie de départ. Mais il faut un temps pour comprendre où la recherche va être intéressante, ce qu’elle peut faire, ce qu’elle ne peut pas faire. Les élus, les agents, ne savent pas au départ ce que la recherche peut ouvrir, au-delà de leur question initiale éventuelle, souvent très pratique : et moi, pas toujours non plus ! Pour moi, l’enjeu va être aussi de creuser quelque chose de théorique et de faire mon miel de cette empirie-là, sans me disperser, sans me faire happer par l’excitation du « faire » - ce qui est compliqué. Il y a le temps de se former à l’objet, pour pouvoir être pertinente dans la compréhension théorique et dans conception d’une politique urbaine progressiste sur cet objet. Ça prend du temps de s’acclimater à l’objet de l’intervention publique : les parcs et jardins, c’est un objet ; les friches, c’est un autre objet, les jardins pédagogiques, encore un autre. Et les activistes institutionnels passent leur temps à changer d’objet, en fonction des opportunités politiques – il faut pouvoir les suivre. Et sur un même objet, il faut aussi prendre le temps de coconstruire avec le partenaire sur « qu’est-ce qu’on fait de cette recherche ? Quels résultats sont stratégiques, au service de quelles batailles politiques, qu’est-ce qu’il faudrait étayer, consolider, explorer ? » C’est une construction de relation, une construction de partenariat qui n’est pas du tout décrétée à l’avance, mais qui n’arrête pas de se transformer. Cela prend du temps.

À Marseille, j’ai commencé par les élus locaux. Ce qui a priori rendait inutile le concept d’activisme institutionnel, parce qu’on s’imagine que si quelqu’un est élu, c’est pour changer les choses, donc par définition il devrait être activiste : mais ce n’est pas vraiment le cas, et finalement le concept reste opérant. Il y a des élus plus « activistes » que d’autres, et leurs pratiques sont très différentes. Mon opportunité d’entrée a été une amitié avec des Marseillais militants, qui se sont présentés aux élections, qui ont été élus et avec lesquels une conversation s’est instituée sur leur quotidien et leur vision, ce que ça faisait de passer de l’activisme de parti, de l’activisme citoyen à l’activisme institutionnel. Et là, les progrès que j’avais fait en compréhension de ce concept, mes lectures, l’expérience sud-africaine, m’ont beaucoup aidée à mettre en perspective leurs difficultés et ce qu’ils essayent de faire, leur proposer ces outils intellectuels pour réfléchir à leur position. Ils étaient vraiment en demande de réflexion et de réflexivité, et souvent en grande souffrance. C’est l’aspect thérapeutique de la théorie…, qui leur permet du prendre du recul, de voir que c’est une question structurelle et pas individuelle, de mettre des mots sur ce qu’ils vivent ou ce qu’ils font ; et pour moi, de pouvoir poser des questions pertinentes pour eux. Donc là, je n’ai pas démarré de zéro : ce que j’avais construit me permettait d’avoir des conversations pertinentes rapidement.

En revanche, il y a des choses qui ne se traduisent pas du tout, quand je suis passée aux agents municipaux, par exemple. En France, le concept d’activisme institutionnel coince parce que ces agents municipaux, pour la plupart, semblent avoir une conception très wébérienne de l’État : « Alors moi je suis absolument neutre, je ne suis qu’un exécutant ». On se glorifie de sa neutralité ; mettre l’accent sur un activisme putatif des agents, c’est les décrédibiliser. Alors qu’évidemment ils ont des convictions, ils vont pousser un dossier plus qu’un autre, ils vont défendre un service public et leur conception du service public. D’ailleurs la neutralité aussi peut être une cause… Donc ce concept d’activisme institutionnel m’est apparu de prime abord comme beaucoup moins accepté qu’il ne l’était en Afrique du Sud. Là-bas, quand j’en parlais à mes étudiants passés dans l’institution, ils étaient extrêmement soulagés, extrêmement heureux de ce concept. Et ça ouvrait une conversation. En France, j’évite d’en parler trop vite, parce que ça fait peur aux élus et aux agents, ils se ferment si j’évoque ce terme. C’est intéressant, ces difficultés de traduction. J’ai tout juste commencé à la mettre en mots, à travers un petit essai sur le rôle du contexte dans l’analyse des objets urbains, même anecdotiques : là, je me suis amusée, en partant du traitement politique local des barbecues dans l’espace public, à Johannesburg et à Marseille (2023a)… Et je poursuis cette réflexion à travers l’Atelier Marseille 4-5, en partenariat avec la mairie. Qu’est-ce qui fait qu’un élu est un activiste ou pas ? Qu’est-ce que le contexte fait aux formes d’activisme institutionnel des agents municipaux ? Le terme même, « agent », « technicien » est différent, moins glorieux et plus subalterne que son équivalent sud-africain, « official », ou même « bureaucrat ».

Cette question de l’injonction à la neutralité des agents en France, elle résonne avec celle également faite aux chercheurs. Est-ce que tu vois des perceptions différentes de ta position de recherche et de la réception de ce mode de recherche par Atelier que tu proposes ?

En Afrique du Sud, il y avait une grande porosité entre le monde de la recherche et le politique, au nom de la reconstruction du pays : c’était l’euphorie post-apartheid qui a duré un certain temps, durant lequel cette porosité était valorisée. Ces échanges et ces dialogues étaient extrêmement intenses et souvent joyeux : ils créaient une collégialité très forte, y compris au sein d’une équipe enseignante. C’était vraiment l’impression des possibles qui s’ouvraient. Il y a toujours eu des collègues critiques, mais on avait l’impression de tous participer à quelque chose, dans les différentes nuances de nos positionnements, collaboratifs et critiques, dans un continuum et une complémentarité.

Sur un même objet, il y a toujours pour moi plusieurs étapes de l’écriture, plusieurs types de textes

Là, je parle de l’urbanisme. En Afrique du Sud, il y avait, en revanche, des débats dont je me suis gardée parce qu’ils me paraissaient toxiques, par exemple dans la recherche sur les mouvements sociaux. Ce milieu était marqué par une compétition de pureté, de radicalité, une surenchère de « je suis plus activiste que toi », « je suis plus décolonial que toi », « je suis plus noir que toi ». Et c’est quelque chose qui s’est approfondi lors de l’évolution du mouvement de contestation étudiante qui a marqué les universités en 2017/2018. J’en ai pas mal parlé avec Achille Mbembe qui a été pris dans ce feu-là (Bénit-Gbaffou et Mbembe 2016). Il essayait de garder une nuance et un recul, avec courage et honnêteté, dans une configuration qui est passée d’une lutte matérialiste pour l’accès des plus précaires à l’université, à des luttes décoloniales qui ont entretenu une compétition délétère de pureté militante et raciale.

Pour en revenir à la porosité entre recherche et politique, en urbanisme, mon positionnement était tout à fait légitime en Afrique du Sud, et même valorisé. C’est comme ça que j’ai monté Yeoville studio, qui était beaucoup plus collectif que l’est l’Atelier Marseille 4-5. A Marseille, l’atelier a plus de mal à avoir cette dimension collective, pour plein de raisons. D’abord parce que c’est une manière beaucoup moins légitime ou habituelle de faire de la recherche en France. Il y a aussi une question disciplinaire : à Johannesburg, j’étais dans une école d’Urbanisme et d’Architecture, et j’enseignais également dans le département de Sciences Politiques – la pluri-disciplinarité était pratique commune. A Marseille, je travaille dans un département de Géographie dont l’Urbanisme est parti pour créer son propre département, dans une autre faculté. J’ai aussi une charge de cours à Sciences Po, mais les ponts sont beaucoup plus rares.

Un autre élement du contexte sud-africain que j’ai rapporté avec moi, et qui fait partie d’une réflexion décoloniale d’une certaine manière, c’est le refus d’une recherche extractive : cette idée de redevabilité et d’éviter cette pratique de chercheurs, souvent blancs, parfois internationaux, qui vont dans des milieux sociaux très précaires, qui extraient de l’information et repartent et, pour le dire brutalement, font carrière avec. J’ai de plus en plus de mal à faire une recherche qui ne s’accompagne pas d’une forme de restitution aux sujets enquêtés, d’une forme de partenariat, d’une forme d’échange – auxquels il me semble utile de réfléchir dès le départ. En urbanisme, on travaille en « mode projet », où l’idée de restitution n’est pas étrangère. Mais ce que j’en vois en France, c’est plutôt de l’ordre de la réponse à une commande publique – pour des raisons de financement de Master, sans doute ! Ce qui n’est pas non plus l’idée que je porte de la restitution d’une recherche : dans la réponse à une commande, la capacité critique est moindre.

  • 10 Maître de conférences en Sociologie à Aix Marseille Université et chercheur au MESOPOLHIS, Cesare M (...)

En sciences sociales, en France, la restitution n’est ni familière ni légitime, me semble-t-il. Au nom de l’indépendance intellectuelle, de l’autonomie du chercheur, de son regard critique, et d’une sociologie bourdieusienne dominante, celle du dévoilement où il paraît légitime d’être brutal en disant sans fard la « vérité » d’un acteur qui agit ou « est agi » par des structures. Alors bien sûr qu’il faut une recherche gratuite, critique, libre, dégagée d’obligations. La restitution se fait alors à un niveau plus large de sociologie publique, à la Buravoy : la fonction critique est une forme de restitution à la société, indispensable. C’est une discussion que j’ai beaucoup avec mon collègue et ami Cesare Mattina10, qui participe à l’Atelier Marseille 4-5 mais est beaucoup plus sur cette ligne critique… et ce n’est pas complètement résolu dans ma tête : comment garder une position critique en étant « embarqué » ? Où mettre la limite ? À quel moment faut-il rompre, parce que ce qu’on voit n’est pas acceptable ; quand faut-il se dire « je fais un retour qui est tranchant parce qu’il est nécessaire, qu’on ne peut pas, qu’il ne faut pas masquer ou atténuer la brutalité du réel » ? ou, quand vaut-il mieux ne pas faire de retour du tout, par souci de garder une liberté ? Ce sont deux questions un peu différentes – je ne m’interdis pas d’émettre des critiques radicales ; la question est, est-ce que je suis encore capable de les penser, en étant proche de mes enquêtés ? En tout cas je n’arrive plus à interroger des gens et à repartir, ma recherche sous le bras, écrire mon texte sans qu’il puisse au moins être diffusé, et parfois mis en débat, avec les personnes concernées. Ensuite, il y a plusieurs étapes de l’écriture, plusieurs types de textes, plusieurs niveaux d’abstraction et degrés de mise à distance. Mais une au moins de ces étapes, pour moi désormais, intègre des formes de retour aux enquêtés.

Pour revenir sur cette question de temporalité, est-ce que pour toi, la phase d’empirie et de théorisation, c’est vraiment des moments sectionnés ? Est-ce que c’est des phases que tu dirais d’alternance ?

Le processus de théorisation prend plusieurs étapes et l’écriture aussi. Par exemple, la fin du cycle « commerce de rue » a correspondu à la fois à une fermeture du terrain, une clôture de cycle politique, et au fait que j’avais écrit ce que j’avais envie d’écrire d’un point de vue théorique. La théorisation est venue après plusieurs itérations d’écriture, après plusieurs types de textes : des textes très appliqués, des textes de restitution pour certains publics, les textes des étudiants édités qu’on a travaillés ensemble, des textes co-écrits avec les vendeurs... énormément de productions et d’écrits intermédiaires, hybrides ou non scientifiques, qui vont progressivement conduire à cette théorisation. Pour autant, c’est toujours un aller-retour, je ne cesse de lire et de problématiser. Mais il y a quand même cette idée que je m’ancre dans un terrain complexe d’abord, et toujours avec ce double niveau de questionnement et de terrain – l’un sur l’objet concret (commerce de rue, espace public, parcs et jardins, jardins pédagogiques,), l’autre sur l’objet abstrait (la gouvernementalité, la gouvernabilité, l’activisme institutionnel, l’instrumentation politique…).

Sur les parcs et jardins, c’est un peu compliqué parce que je suis partie au cours de la recherche… alors je n’ai pas tellement écrit sur les jardins et leur gouvernance, je n’ai pas encore beaucoup théorisé dessus. J’ai commencé à partir de l’Estaque (Bénit-Gbaffou 2023b), mais en capitalisant sur toutes mes lectures, et sur l’absence de textes portant sur la gestion des espaces publics. Ce constat et cette frustration provenaient de la recherche sud-africaine, puisque je cherchais des textes à faire lire, et à lire, et que je n’en trouvais pas...

En revanche, j’ai assez vite commencé à écrire sur ce que la pratique institutionnelle nous dit du gouvernement des villes, puis sur l’activisme institutionnel : c’était le programme de recherche collectif qui a donné lieu à l’ouvrage que je viens d’éditer (Bénit-Gbaffou 2024). Pourtant là, le cycle n’est pas complet parce qu’en général, il y a deux niveaux d’écriture, deux directions de théorisation : sur l’objet (les jardins, le commerce de rue, les transports, la sécurité…) et sur ce que cet objet me révèle de la gouvernance urbaine.

Et peut-être que c’est l’objet qui va rester même s’il s’est déplacé. L’espace public, c’est une façon de rentrer dans la ville qui est assez simple, en pédagogie, et pour moi pour découvrir une ville. Puisqu’en arrivant à Marseille il fallait que je découvre la ville, les institutions, les codes politiques, le monde universitaire français... C’est beaucoup de strates à redécouvrir. Et dans un milieu où ce type de recherche était un peu étrange, pas forcément légitime. C’est plus une facilité d’entrée qu’une continuité... Ce n’est pas déterminant, mais ça aide d’avoir lu déjà et d’avoir fait du terrain sur les parcs et jardins en ville : y compris d’ailleurs parce qu’en ayant travaillé avec des gestionnaires de parcs et jardins en Afrique du Sud, je pose aussi les bonnes questions aux agents marseillais, j’importe des compétences.

Du coup, cette différence entre une familiarisation profonde avec Johannesburg et, Marseille, qu’est-ce que tu en retires sur l’importance de la familiarisation avec son terrain ou avec son sujet, son objet de recherche pour produire quelque chose ou pour avoir la légitimité de le faire ?

Johannesburg, je ne me sens plus légitime. Ce que j’ai étudié, c’est une période post-apartheid, et en fait je me suis rendue compte, notamment par l’écriture du livre (Bénit-Gbaffou 2024) et la théorisation qu’elle a suscité, que ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant les villes sud-africaines, ou africaines, que ces moments dans la vie de la ville, quelle qu’elle soit, où s’ouvrent des possibles. Le moment post-apartheid, que je rapproche d’autres « moments » dans la vie des villes nord-américaines ou des villes brésiliennes, c’est un moment révolutionnaire : un moment très court, éphémère, où les choses se révèlent et s’offrent aussi au regard du chercheur, mis à contribution dans ces moments intenses de transformation.

Or ce moment est terminé en Afrique du Sud : les villes vont mal, entre instabilités politiques chroniques et effondrement des infrastructures de base - d’après ce que je vois de loin. Et je me sens absolument incapable d’en parler, aussi bien émotionnellement qu’intellectuellement parce que je n’y ai pas fait de terrain depuis six ans. Sans me confronter au terrain, j’ai du mal à me dire que j’ai encore un savoir sur les villes sud-africaines qui soit pertinent. En revanche, cet éloignement du terrain est concomitant d’une plus grande théorisation, justement sur ce qu’il y a de commun et ce qu’il y a de spécifique à toutes ces villes dans ces moments de leur histoire. Cela me permet de me concentrer, épistémologiquement et puis théoriquement, sur un fonctionnement municipal.

Ensuite, sur Marseille, je n’ai pas de soucis d’illégitimité à écrire parce qu’il me semble qu’on écrit très peu sur Marseille et que beaucoup des connaissances qui y sont produites s’évaporent. C’est aussi l’idée qu’on a eu avec Cesare Mattina avec ce « Séminaire Permanent de Marseillologie »11 : créer un espace où l’on peut partager les connaissances et les recherches produites sur Marseille : parce qu’il nous a semblé qu’il n’y avait pas vraiment de communauté de chercheurs sur la ville de Marseille. Donc j’ai déjà écrit sur Marseille, à partir des travaux menés pendant trois ans avec mes étudiants, sur la gestion des espaces publics à l’Estaque (Bénit-Gbaffou 2023a). C’est un module particulier, sur 3 h par semaine pendant douze semaines, qui donne le temps de mettre en place des pédagogies spécifiques, intégrant des formes de restitution, une formation des étudiants à identifier la pertinence politique ou sociétale de leurs résultats.

La temporalité étudiante est centrale pour rythmer les projets en partenariat avec les institutions… mais la temporalité politique exige une forte adaptabilité du chercheur

D’ailleurs, au sein de l’Atelier 4-5 participent des acteurs, très différents — les acteurs politiques, les acteurs militants, les agents administratifs, tes étudiants et ton propre temps — comment les temporalités des acteurs s’influencent les unes les autres et structurent ce qui est produit en termes de recherche ou de formes de recherche ?

La temporalité étudiante est centrale pour rythmer les projets de l’Atelier 4-5. Ce sont des modules d’atelier de terrain, donc de recherche, où je fais bénéficier aux étudiants des relations ouvertes avec les élus et agents, pour qu’ils puissent les interroger. Je les guide dans une enquête sur différentes thématiques, sur un site unique, avec l’objectif qu’ils puissent le présenter à des publics pertinents. Comme je le disais, il y a toujours les deux strates, celle de l’objet choisi et celle de la fabrique du politique qui, selon le niveau des étudiants, va pouvoir être saisie ou observée. En L3, c’est un peu compliqué donc souvent on se familiarise avec un site et un objet, pour, peut-être, poursuivre en Master sur la fabrique du politique. C’est une temporalité de formation, qui est très chronophage puisqu’elle exige… enfin exige non : c’est le modèle que j’ai choisi. C’est une pédagogie itérative, incrémentale : à chaque cours, les étudiants produisent un exercice qui va rentrer dans leur démarche de recherche, que je corrige et qu’ils peuvent améliorer. De ce fait, ils prennent les commentaires au sérieux, comprennent l’objectif. Cette méthode permet aussi de différencier les types de projets selon les capacités des étudiants, alors que les niveaux sont très hétérogènes. Elle est extrêmement chronophage pour eux et pour moi, mais elle est aussi très gratifiante parce que les étudiants se saisissent de leur objet, progressent, et voient l’utilité sociale de ce qu’ils produisent - quel que soit leur niveau de départ.

C’est donc la temporalité universitaire qui va dicter le reste, dans mes partenariats avec les agents ou les élus. C’est aussi dit dès le départ, que ce sera un cycle qui débutera à telle date, et qui sera restitué à tel autre. Ensuite, sur les temporalités des élus et le choix des projets de recherche, c’est complexe. Je m’aperçois que les élus ont des temporalités très courtes, qui dépendent de leurs opportunités politiques. Ils vont se saisir d’un objet et essayer de se créer une niche, se développer une expertise. En revanche, ils n’ont pas toujours pris conscience, me semble-t-il, que pour avoir une capacité d’agir, il est indispensable de mobiliser l’administration autour de leur objet.

  • 12 Le manuscrit et le rapport analytique de Théo Dulac sur les expériences politiques de cyclologistiq (...)

Ils développent un sujet, mais si l’opportunité politique se ferme, ils passent à autre chose, à un autre objet. Et c’est très difficile pour la recherche. Par exemple, la cyclologistique urbaine était LE projet d’une des partenaires, j’ai donc commencé à diriger une recherche de master sur le sujet12, et à lire sur cette question, très technique donc au coût d’entrée élevé, et éloignée de mes autres objets. Et finalement, étant donné que cette politique échouait, que la fenêtre d’opportunité politique se fermait, l’élue n’a pas continué à la porter. Elle est passée au sujet de la précarité et de la sécurité alimentaire. Pourtant, les débats provoqués par la restitution de la recherche en avaient fait un moment politique dont elle aurait peut-être pu se saisir. Mais ça n’a pas été le cas, et finalement la restitution a eu moins de sens qu’elle n’aurait pu en avoir. Cette temporalité des élus est très particulière, et elle est difficile pour la recherche. Je m’en suis aussi rendu compte cette année en travaillant plutôt avec des agents qu’avec des élus. Les agents ont plus de continuité, ils peuvent élaborer une stratégie et approfondir progressivement. Ça rend les projets de recherche et le suivi de la stratégie politique un peu plus stables, même si la labilité des opportunités politiques a aussi des effets sur les dossiers qu’ils creusent.

La temporalité militante, je l’avais surtout en Afrique du Sud avec les vendeurs de rue. Elle se manifestait par une mobilisation au pied levé. C’était plutôt du « Bah demain on a l’occasion de voir tel élu, est-ce que tu peux nous accompagner ? Est-ce qu’on peut passer la nuit à préparer une présentation ? ». Ça, c’est un format de travail propre à l’activiste. Je me souviens aussi de moments avec mes collègues où « voilà, on a jusqu’à demain soumettre nos commentaires et propositions à la Ville, sur la nouvelle politique » et on y va, on réfléchit, on passe la nuit, on écrit et on envoie. Ces temporalités-là sont très chaotiques, mais il faut être prêt à s’en saisir. Or cette capacité à saisir ou non l’opportunité ne peut s’appuyer que sur une compétence et une connaissance ancrée de l’objet. Par exemple, il y a eu une opportunité pour les militants de présenter un modèle progressiste de gestion de commerce de rue lors du African City Summit de Johannesburg en 2016. Avec le groupe CUBES, quelques étudiants, masterants et doctorants, on a donc préparé la session avec les militants pour ce sommet en partenariat avec Streetnet, une association internationale de vendeurs de rue. Ce n’était pas à la dernière minute, c’est plutôt des événements spécifiques qui vont être importants d’un point de vue de l’action de ces militants, et pour lesquels on mobilise les aspects appliqués de la recherche. Ce sont aussi des moments de recherche et c’est ça, je pense, que certains de mes collègues ne voient pas. Parce que dans ces moments de restitution, la négociation autour de la restitution, la fabrique de l’objet et les commentaires et les positionnements que ça suscite, c’est aussi des moments de recherche qui révèlent des lignes de faille, des points sensibles ou des débats particuliers, qui restent souvent masqués lors de l’enquête. Ces éléments vont nourrir ensuite la temporalité académique où je me dégage un peu de toutes ces obligations. Je prends le temps, mais plutôt en fin de cycle, d’écrire — tout en possiblement faisant lire ce texte aux partenaires les plus proches qui s’intéressent à cette théorisation.

Je m’impose aussi à moi-même que les Ateliers ne durent pas plus de trois ans. Il faut savoir sortir d’un terrain : la première année, on explore ; la deuxième année on consolide et la troisième année on commence à clore. C’est peut-être un peu arbitraire, mais il y a une raison pratique : c’est très intense, un atelier, ça ne peut pas durer tout le temps. Ça a bien marché à Yeoville Studio. Pour l’Atelier 4-5, il y a des difficultés internes à la mairie qui fragilisent ce cycle ; mais je pense que de toute façon, on va finir une troisième année même si c’est sous un format diffèrent. Pour autant, ce n’est pas comme ça que fonctionne un terrain : dans un terrain, il y a toujours des fils qui s’ouvrent et que tu vas suivre. Mais tu vas les suivre individuellement, pas sous la forme collective et maximaliste d’un atelier.

Et puis, c’est aussi un état d’esprit. Dès le départ, je dis aux acteurs que c’est un projet de trois ans. L’idée c’est de ne pas trop devenir acteurs d’une configuration et de mettre un garde-fou en annonçant qu’on est de passage : bien qu’ancrés et impliqués, notre métier, c’est d’écrire — on n’est pas des politiciens à la petite semaine ou un candidat frustré. C’est important aussi pour poser les choses par rapport à nos interlocuteurs donc au bout des trois ans, c’est fini. À Yeoville Studio, c’était une exposition finale et, symboliquement, aussi l’écriture de l’ouvrage Yeoville Studio (Bénit-Gbaffou et al. 2019). La recherche et l’action se sont poursuivies jusqu’en 2022, mais individuellement au travers de cette relation personnelle avec ce vendeur de rue, ce leader. Donc est-ce que le terrain n’est jamais clos ? Un terrain peut ouvrir une autre piste qui va donner lieu à un autre, à une autre configuration de recherche.

Clore un terrain, c’est être allée au bout de ma curiosité et de ma théorisation

Clore un terrain, c’est quand j’ai été au bout de ma curiosité et de ma théorisation, et que j’ai besoin que ma curiosité renaisse sur autre chose. Quand j’ai l’impression d’avoir compris ce que je pouvais comprendre, et écrit ce que je pouvais et devais écrire. Alors ce n’est pas tout à fait honnête, il y a plein de matériaux non écrits sud-africains… Et pour street trading par exemple, je ne m’interdis pas de le remobiliser sur la vente de rue à Marseille. Cet objet n’est pas forcément parti pour toujours, il est clos en Afrique du Sud parce que là j’ai l’impression d’avoir fait ce que je pouvais faire, et de n’être plus là pour continuer à écrire et agir avec la même intensité. Sur les précédentes... Insécurité, c’était aussi le livre qui a clos le terrain : au bout d’un moment, on a produit ça et je n’ai pas souhaité continuer : c’était aussi une lassitude sur l’objet et sur le type de relation qu’elle impliquait avec les enquêtés et le rapport à la ville.

Je pense qu’au bout d’un moment, « activisme institutionnel », j’en aurai assez et je me dirais, je n’ai plus grand-chose de novateur à dire : j’aurai exploré ce que je voulais explorer et j’aurai besoin d’autre chose – le contexte urbain global ne semble pas aller dans le sens d’un progressisme municipal, d’ailleurs ! Je vais continuer à travailler sur la gouvernance urbaine de toute façon, mais en trouvant un autre angle, un autre domaine ou un autre objet. Là, c’est vraiment une question à la fois de curiosité intellectuelle et d’opportunité. La clôture de l’Atelier 4-5 va prendre encore quelques années avant d’écrire et de consolider une analyse, individuelle et peut-être collective.

Et sachant que tu as insisté sur le fait que tu aimais être là sur ton terrain, quand est-ce qu’on arrête le terrain tout en vivant en son sein ? Quand est-ce que les choses sont terrain et quand est-ce qu’elles ne le sont pas ?

C’est une bonne question, mais c’est compliqué. Toutes mes sources sont... en fait la plupart des enquêtés dont j’estime qu’ils font de l’« activisme institutionnel » sont en train de devenir des amis. Parce que c’est une relation longue et de co-construction qui crée des liens forts. Je suis chercheure à temps complet (et j’aime ça). C’est un regard sur la ville : je pense que je ne cesse jamais de m’interroger et je transmets cette interrogation à mes enfants. C’est peut-être fatigant pour eux..., mais si j’aime la géographie, c’est parce que je me balade en ville et que je me pose des questions, et que ce que je sais vient nourrir ce questionnement. C’est un rapport au monde qui ne s’arrête pas à des heures particulières. Même si à un moment, je peux cesser d’être curieuse d’un espace. La familiarité peut éteindre mes questionnements et c’est là que je sais qu’un terrain est terminé.

La limite entre l’intime et la recherche je la mets dans l’écriture

  • 13 Dans le cadre de l’Atelier 4-5, Claire Bénit-Gbaffou a encadré des étudiants sur la place des chien (...)

Cette porosité avec la vie intime et familiale peut être compliquée pour mes proches. Je me souviens dans la jeunesse de mes enfants, je les emmenais le dimanche sur les marchés informels et ils n’en pouvaient plus... Ensuite, j’ai changé de terrain pour les parcs, et je me disais qu’ils allaient apprécier davantage. Sauf que mon mari est devenu mon « baromètre de déségrégation » des parcs. On allait dans les parcs, avec mon mari, qui se trouve être noir, et nos deux enfants, métis. Dans les parcs, il y a des chiens et je me suis alors rendu compte de ce que je ne percevais pas du tout comme blanche : beaucoup de Noirs ont peur des parcs à cause des chiens, parce que les chiens sont … souvent « racistes » ! Il y a une tradition, devenue légende, des chiens sous l’apartheid dressés pour attaquer les Noirs. Cette tradition se reproduit de fait, car les chiens de garde sont nombreux dans les banlieues résidentielles blanches, où ils aboient après les piétons, les jardiniers, les personnels de ménage, les gardiens : quasi exclusivement noirs. Et puis se met en place un cercle vicieux, les Noirs ont peur des chiens du fait de cette histoire et cette configuration spatiale ; les chiens sentent la peur et donc les attaquent. La manière dont les propriétaires de chiens vont réagir à ces événements a été très contrastée, selon les parcs : certains étaient morts de honte et morigénaient leurs chiens, d’autres défendaient leurs chiens et légitimaient l’attaque... Mon mari est ainsi devenu, bien involontairement, mon baromètre : il y a des parcs où on ne remettait plus les pieds, et des parcs où on se sentait bien. On a fini par en plaisanter tous les deux. Cela m’a tout même permis de regarder les chiens comme un révélateur inattendu des rapports sociaux dans l’espace public. Aujourd’hui encore je continue de réfléchir à la place des animaux dans les parcs, qu’on peut voir dans certains travaux de l’Atelier Marseille 4-513. C’est un objet devenu à la mode, mais qui, pour moi, a surgi dans ce rapport entre l’intime et la recherche.

J’ai écrit cinq textes, que j’aime beaucoup, sur nos histoires de parc avec ma famille. Je n’ai pas réussi à les publier. Je les ai écrits comme une sorte de journal intime, parce que quand on allait au parc, c’était à la fois un moment familial et un moment d’épiphanie – prêtant attention plus que de coutume (parce que les parcs étaient ma préoccupation de recherche) aux réactions que suscitaient notre famille multiraciale dans ces espaces publics. Ces épisodes, j’en ai raconté certains à mes étudiants sud-africains, en classe, et j’ai vu l’importance de ces récits, leur pouvoir de cristallisation. Pourtant, je me suis avérée incapable de les consolider dans une publication. A la fois parce que cela relève de l’intime, et parce qu’il m’est difficile, pour l’instant, d’écrire sur la question de la race : je n’ai pas encore trouvé ma « maison théorique » sur cette question.

Pour les amitiés, la difficulté, c’est que l’écriture est toujours une trahison, parce qu’elle objective quelque chose qui est dit dans la confiance, dans la confidence. La limite entre l’intime et la recherche, je la mets donc dans l’écriture. Dans mes relations avec les agents et élus, on ne dit pas « maintenant c’est de la recherche, maintenant cela n’en est pas ». En revanche, c’est une relation qui a été construite autour de la discussion et de la recherche donc ça les intéresse. Ça fait même partie de l’amitié. Ensuite, c’est la phase de l’écriture qui va être compliquée, mais intéressante. J’en ai expérimenté une forme en écrivant mon chapitre sur l’activisme institutionnel (Bénit-Gbaffou 2024), organisé autour de trois portraits d‘agents municipaux - deux anciens étudiants et mon amie Ayanda. Je leur ai fait relire, en expliquant que si certaines choses sont trop sensibles, ou si je me trompe, on en discute, et je peux modifier, on peut reformuler ensemble. L’écriture est donc aussi un objet de discussion amicale, ça n’a pas été simple, mais ça nous a fait avancer.

Est-ce que cela me freine dans ce que je peux écrire ? Peut-être. C’est difficile de dire des choses critiques dans ces portraits. Il y aura un deuxième moment, celui d’abstraction et de généralisation, qui va me permettre d’écrire des choses plus critiques, mais de manière plus anonyme, moins ancrée, moins personnalisée. Cela permet de ne pas blesser ou de ne pas viser une personne en particulier, et de réfléchir à des effets de répétition, de pattern, de structure. C’est ce que je disais sur les phases de l’écriture : il y a des temps de restitution, le temps pour poser les choses et les récits ; le temps de la maturation, et ce temps de désengagement et de théorisation qui permet aussi la protection des amis et des sources.

Avec mon mari, il y a des sujets que je m’interdis en revanche. Par exemple, la xénophobie : c’est son objet d’intervention associative, c’était l’objet de nos mobilisations communes, et je me suis donc refusée de travailler là-dessus. De même tout ce que j’observe de manière, en partie intime, en partie ethnographique, sur la communauté ivoirienne en exil, ça ne sera pas un objet de recherche. Bien sûr, ça m’inspire beaucoup de choses... Mon mari est apparu parmi les leaders de Yeoville dans certains travaux parce que je ne pouvais pas demander à mes étudiants de ne pas le traiter comme un des leaders de quartier. Et mon intérêt pour le leadership est à la fois personnel, citoyen et scientifique… Mais je sens que je touche à une limite.

La démarche de réflexivité n’est pas vraiment faisable en dehors d’un dialogue

C’est vraiment les limites de la réflexivité. À ce sujet, je viens de lire l’article « disjunctive comparison » de Steffen Jensen et Denis Rodgers, dans lequel ils racontent à quel point le travail collaboratif leur a permis de faire surgir les conditions individuelles et même personnelle de la recherche (2024). Dennis explique comment, lui, spécialiste des gangs au Nicaragua, a travaillé avec Steffen, spécialiste des gangs en Afrique du Sud : chacun est allé sur le terrain de l’autre. Ils reviennent sur les incompréhensions, le trac, les questionnements provoqués par le décentrement sur un autre terrain, par la préparation de l’arrivée d’un autre chercheur sur son propre terrain. C’est passionnant…

Je suis convaincue que la démarche de réflexivité n’est pas vraiment faisable en dehors d’un dialogue. D’ailleurs, chaque fois que je donne et je propose des sujets à mes étudiants et que je demande « Qu’est-ce qui vous intéresse vous, dans ce sujet ? », je ne sais pas pourquoi la réponse c’est toujours : « c’est un sujet intéressant ». Et j’ai beau demander « Qu’est-ce qui vous vous a interpellé dans ce sujet ? Pourquoi vous, personnellement, avez choisi ce thème-là ? », c’est très difficile pour les étudiants de répondre. C’est uniquement à l’oral, dans une maïeutique, que cela vient, comme si analyser les éléments personnels d’un choix était illégitime. Je développe cela dans un article que j’ai coécrit avec G. Williams sur l’expérience d’encadrement d’anciens agents municipaux qui souhaitent faire des thèses pour réfléchir à leur expérience (2022). L’enjeu c’est de les faire passer d’un savoir pratique à un savoir académique. Ces étudiants sont matures, ont une expertise forte dans leur domaine, mais c’est complexe de les amener à écrire académiquement. Et la question de leur propre positionnement est particulièrement difficile : ils vont cocher les cases gender, ethnicity mais c’est souvent très artificiel. Le cœur de leur position, cette expérience préalable comme agents, n’est jamais écrit spontanément – alors que c’est la motivation première de leur écriture ! Outre l’absence de culture académique de la réflexivité, cela touche trop à l’intime : dans l’activisme institutionnel en particulier, l’identité professionnelle prend une dimension intime, existentielle. Leur idée de la scientificité est plutôt qu’il faut mettre à distance le personnel (ce en quoi ils n’ont pas tort), mais mettre à distance, ce n’est pas oblitérer.

1C’est vrai qu’il y a des questions de socialisation à la recherche et de manière de mener une réflexivité dont les cadres ont vraiment changé avec le mouvement décolonial, la réflexion sur l’identité, notamment ethnique et raciale. L’identité des chercheurs est davantage mise en avant, question avec laquelle les chercheurs les plus anciens sont un peu mal à l’aise. Moi, malgré l’expérience sud-africaine, et le fait d’élever des enfants métis dans ce pays où je ne pouvais pas ignorer, ni euphémiser, la question raciale, je ne suis pas complètement à l’aise non plus… Mais de manière générale, il me semble qu’on s’aveugle tous beaucoup sur notre positionalité, et ce qui compte vraiment pour expliquer un résultat ou une démarche scientifique. Ces dimensions surgissent bien mieux dans l’échange.

BENIT-GBAFFOU C., KATSAURA O. (2014), « Community leaders and the construction of political legitimacy. Unpacking Bourdieu’s political capital in post-apartheid Johannesburg », International Journal of Urban and Regional Research, vol. 38, no.5, pp. 1807-1832.

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Bibliographie

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Notes

1 Le diplôme d’études approfondies (DEA) fut délivré en France entre 1965 et les années 2000, ainsi que dans les pays suivant le modèle français de l’enseignement supérieur, pour sanctionner la première année du 3ème cycle de recherche et la cinquième année d’études supérieur. Il équivaut plus ou moins au master actuel.

2 University of California, Los Angeles (UCLA) est une université américaine de renommée mondiale.

3 Foyer de travailleurs migrants, organisés par le régime ‘apartheid pour bénéficier de main d’œuvre noire tout en évitant son enracinement urbain. Ces foyers, gérés par des leaders traditionnels alliés au régime, étaient constitués par groupes ethniques, et furent des points de conflits violents (quasi guerre civile) lors de la transition vers un régime démocratique, dans les années 1990.

4 « Yeoville Studio » ou l’atelier Yeoville est une initiative pédagogique et de recherche née de la collaboration entre le département d’architecture, d’urbanisme et des partenaires communautaires de Yeoville, Johannesburg. Le programme s’est déroulé entre 2010 et 2012 avant d’aboutir au livre, publié en 2019 avec le soutien de Wits University Press (Bénit-Gbaffou et al. 2019).

5 Bénit-Gbaffou, 2015, In quest of sustainable models of street trading governance. Lessons from Operation Clean Sweep, Johannesburg. CUBES : Wits University.

6 En plus de leur fonction pédagogique et de recherche, les ateliers montés par Claire Bénit-Gbaffou ont une vocation citoyenne qui peut prendre la forme d’appui à l’action publique ou collective locale, mais aussi à la mise en débat des connaissances appliquées et critiques. Les travaux font donc l’objet d’exposition, de conférence publique, d’ateliers et autres événements. Ces temps de « restitutions » sont considérés par Claire Bénit-Gbaffou autant comme un dû épistémique et éthique aux acteurs et sujets de la recherche, que comme un dispositif de recherche à part entière où se jouent et s’observent des interactions spécifiques.

7 City of Johannesburg, 2022, Informal Trading Policy.

8 « The state », au sens de l’ensemble des pouvoirs publics.

9 Mouvement politique et liste électorale d’union de la gauche (du PCF au PS), des écologistes et des citoyens qui, menés par Michèle Rubirola et secondé par Benoit Payan, a emporté les municipales en 2020 après 25 ans de municipalité Jean-Claude Gaudin (UMP). S’appuyant sur de nombreux collectifs et militants habitants et la société civile, le « printemps marseillais » s’est fait élire sur un programme écologique et solidaire.

10 Maître de conférences en Sociologie à Aix Marseille Université et chercheur au MESOPOLHIS, Cesare Mattina participe à la coordination de l’Atelier Marseille 4-5. Il a longtemps travaillé sur Marseille, à travers une approche localisée du politique (clientélisme, gouvernement de la ville, élus locaux), et développe depuis plusieurs années des enquêtes de terrain à Marseille avec les étudiants de licence et de Master.

11 Le « Séminaire Permanent de Marseillologie » est organisé au sein du laboratoire Mesopolhis.

12 Le manuscrit et le rapport analytique de Théo Dulac sur les expériences politiques de cyclologistique à Marseille sont disponibles sur le site de l’Atelier 4-5.

13 Dans le cadre de l’Atelier 4-5, Claire Bénit-Gbaffou a encadré des étudiants sur la place des chiens et la saga des poneys au sein du Parc Longchamp de Marseille.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Bénit-Gbaffou et Mathilde Jourdam-Boutin, « Parks and Researchaction. Récits d’expériences de recherche de Johannesburg à Marseille »Carnets de géographes [En ligne], 18 | 2024, mis en ligne le 10 décembre 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/cdg/10185 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12sug

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Auteurs

Claire Bénit-Gbaffou

Maîtresse de Conférence en Urbanisme, Aix-Marseille Université, Laboratoire Mesopolhis

claire.benit[at]univ-amu.fr

Mathilde Jourdam-Boutin

Doctorante en Géographie, Paris 1 – Panthéon-Sorbonne, Laboratoire Prodig

m.jourdamboutin[at]gmail.com

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