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Comptes rendus

Collectif, Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an Mil

Georges Pon
p. 403-405
Référence(s) :

Collectif, Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an Mil, Fernand Peloux (éd.), Turnhout, Brepols (Hagiologia, 15), 2018.

Texte intégral

1Il est rare qu’un doctorant organise un colloque aussi important que celui qui s’est réuni à Toulouse en 2014, qu’il y accueille autant de spécialistes, et qu’après une brillante soutenance de sa thèse, il en publie rapidement les actes dans la collection « Hagiologia » aux éditions Brepols. Il est lui-même l’auteur de plusieurs communications d’un grand intérêt et d’un riche avant-propos qui situe le légendier de Moissac dans la recherche contemporaine.

2Il rappelle brièvement les principales étapes de cette recherche, marquée par les travaux de François Avril, François Dolbeau, Jean Dufour et Guy Philippart, qui ont permis de reconnaître dans les deux célèbres manuscrits latins de la BnF, le 17002 et le 5304, une œuvre unique et de l’attribuer au scriptorium de Moissac, alors qu’en 1954 encore on rattachait le 17002 à un scriptorium de Toulouse.

3Ce légendier n’est pas seulement une immense production hagiographique rassemblant à un moment donné près de 150 textes hagiographiques mais un « objet historique », au sens que Monique Goullet a donné à cette expression dans son travail pionnier sur le légendier de Turin. Il est le témoin d’une « culture hagiographique » – entendons avec Fernand Peloux, le « réceptacle de traditions plus anciennes » –. Ce colloque vient donc confirmer combien Pierre Bonnassie avait raison en 1994 de s’en prendre à la fable de l’inculture du clergé méridional. Il est bon que les communications érudites qui vont suivre cet avant-propos soient placées d’emblée dans une réflexion d’ensemble sur la portée du Légendier de Moissac.

4Après une savante introduction de Didier Panfili, la matière est répartie en cinq parties : la fabrique du légendier de Moissac, les légendiers apparentés, les textes méridionaux du légendier, l’apport des textes rares, le légendier au sein de l’abbaye. L’ouvrage comprend aussi trois indices (manuscrits, saints et lieux) des cartes et de belles illustrations en couleur qui occupent un cahier final.

5Il n’est pas possible de rendre compte de toutes les communications et le recenseur choisira parmi ces savants travaux les aspects qui lui paraissent les plus importants ou qui lui sont le plus familiers.

6La notice codicologique de Charlotte Denoël (p. 55-65) décrit avec une précision remarquable tous les aspects (écriture, initiales décorées, historique) des parties du manuscrit de Moissac, la partie II représentée par le lat. 17002 et la partie I conservée dans le lat. 5304.

7Chantal Fraïsse, dans « Le décor du légendier de Moissac » après avoir rappelé que le décor se limite aux « lettres ornées initiales des différentes vitae », les essais de plume dans les marges présentant cependant l’intérêt de montrer que scribes et enlumineurs étaient proches et que dans la « fabrique » du manuscrit, il n’y a pas de « séparation systématique de la copie et de la décoration du livre ». Comme C. Denoël, l’auteure distingue plusieurs groupes d’initiales ornées. Le premier reste d’une grande simplicité, le deuxième est un peu plus élaboré mais c’est le troisième qui retient surtout l’attention de C. Fraisse parce qu’il révèle la présence à Moissac dès le début du xie s. de motifs « aquitains », tels que les « acanthes plumeuses », repérées déjà au siècle précédent par Danielle Gaborit Chopin dans la Bible de Saint-Martial de Limoges et les « nœuds d’entrelacs », étudiés par François Avril qu’on retrouve dans l’initiale C au fol. 34 du lat. 17002. Dans la seconde partie du manuscrit datant du milieu ou de la seconde moitié du xie s. (fol. 245-272v), ce sont les initiales à « feuillages aquitains rouges » qui apparaissent sur le modèle de la seconde Bible de Saint-Martial de Limoges (BnF, lat. 8). Mais laissons à plus compétents que nous le soin d’évaluer l’importance des relations entre la célèbre abbaye limousine et Moissac pour nous tourner vers la communication suivante – « Le manuscrit vu de l’intérieur » (p. 73-115) – où Fernand Peloux présente de façon détaillée et parfaitement informée le contenu hagiographique des deux manuscrits du Légendier de Moissac et des fragments retrouvés récemment dans les archives départementales du Tarn-et-Garonne (p. 79-80). Il s’agit dans l’ensemble d’un légendier per circulum anni contenant des textes rares, qu’il s’agisse d’un récit d’un martyr perse du ve s., Vamnes, mentionné par Baudouin de Gaiffier et présenté ici par Christelle Jullien (p. 383-393), de textes méridionaux, par exemple la vie de saint Didier de Cahors, mais aussi de passions de saints africains (Sabine Fialon, p. 395-416) ou, ce qui est plus surprenant, de saints du Nord de la Gaule – c’est le cas de saint Quentin étudié dans le même volume par Charles Mériaux dans une communication intitulée « Les saints de Gaule du Nord et de Bourgogne dans le légendier de Moissac » (p. 417-440). F. Peloux croit pouvoir risquer l’hypothèse que le légendier de Moissac a été le « réceptacle de traditions anciennes », peut-être transmises par des libelli carolingiens. La grande majorité du sanctoral est constituée de saints orientaux (35 %), gaulois (31 %) et espagnols (9 %). La plupart sont des saints antérieurs au ve s. et 90 % sont des martyrs, ce qui confirme en l’accentuant la typologie archaïque de la sainteté dressée par Guy Philippart.

8S’éloignant ensuite du cœur de son sujet, F. Peloux cherche, en s’appuyant sur de nombreux travaux d’érudition, à repérer des légendiers apparentés à celui de Moissac, dans le sud-est du Massif central (BnF, nouv. acq. lat. 2663), en Poitou (BnF, lat. 5223), peut-être en Limousin et dans d’autres régions où beaucoup de manuscrits mentionnés par des inventaires ont aujourd’hui disparu. L’enquête de F. Peloux est prolongée dans deux autres communications, l’une d’Anne-Véronique Gilles-Raynal sur « le dossier de Saint-Saturnin de Toulouse » (p. 325-344), la seconde de Christophe Baillet qui étudie « Les saints de Gascogne dans le légendier de l’abbaye de Moissac » (p. 345-382). Ils sont relativement peu nombreux par rapport aux saints des cités méridionales de la province de Bourges et des terres toulousaines : il s’agit de Caprais, de Lizier et d’un saint ascète de l’Agenais, Maurin. En revanche les saints de la province d’Auch et tout particulièrement du grand « évêché des Gascons » regroupant les anciens diocèses de Bazas, Aire, Dax, Lectoure, Oloron, Lescar et Bayonne sont absents ainsi que les saints bordelais. Est-ce une conséquence de la rivalité qui opposait Moissac à Saint-Sever au temps de l’abbé Grégoire de Montaner (1028-1072) ? C. Baillet le suggère (p. 367) sans l’affirmer. Il est vrai que la prodigieuse érudition de l’auteur ne le porte guère aux affirmations non fondées.

9Un inventaire complet et détaillé du légendier de Moissac occupe les p. 94-115. Cette remarquable description est complétée par d’autres communications portant sur les notations musicales (Gisèle Clément, p. 107-127), la langue d’une dizaine de textes du légendier par Monique Goullet, notamment pour des fol. 16v-20v consacrés à la vie de Ségolène, datée de la fin du viie siècle par W. Levison, qui regorge de fautes, d’aberrations mais aussi de confusions de l’accusatif et de l’ablatif qui pourraient confirmer l’ancienneté du texte. Au terme de son enquête, M. Goullet, impressionnée par le nombre de fautes ou d’archaïsmes et le petit nombre de corrections – à l’exception de la Vita Martini, revue par une main plus tardive, se demande s’il y avait un « pilote dans le scriptorium».

10C’est aussi de problèmes linguistiques que s’occupe Michel Banniard dans une communication intitulée « Les copistes entre latin mérovingien, latin post-carolingien et occitan médiéval » (p. 193-218). Après une introduction peut-être un peu longue sur l’évolution du latin au haut Moyen Âge, M. Banniard analyse un exemple précis, la Vita sancti Desiderii où il repère, derrière le sermo altus – qu’il soit du viie s., ce qui n’est pas impossible, ou qu’il relève d’une réécriture carolingienne – un certain nombre de passages d’une grande complexité langagière : comment un moine copiste travaillant au début du xie s. sous la dictée, qui parlait l’occitan languedocien mais avait été élevé dans l’apprentissage d’un latin patristique pouvait-il saisir et restituer les traces du latin mérovingien qui pouvaient subsister dans la version carolingienne ? Remarque profonde qui nous invite à pratiquer, comme le recommande aussi M. Goullet une sorte d’archéologie pragmatique du langage écrit.

11Dans la seconde partie de l’ouvrage, consacrée, on l’a dit à un certain nombre de légendiers apparentés à celui de Moissac : on découvre une feuille de garde d’un manuscrit de la Bibliothèque vaticane (Pal. Lat. 153) qui renvoie, selon F. Dolbeau à un « légendier perdu de type aquitain » (p. 219-231). Le légendier de Moissac a servi aussi, pour reprendre l’expression employée par Hiromi Haruna-Czaplici d’« entrepôt de textes » (p. 257) à des légendiers plus tardifs de prédicateurs mendiants dominicains ou franciscains.

12La cinquième partie de l’ouvrage contient deux communications : l’une sur le culte des reliques à Moissac, l’autre due à la plume inlassable de F. Peloux sur « Le légendier de Moissac à l’époque clunisienne » (p. 441-478). L’affiliation à Cluny en 1048 a en effet entraîné l’enrichissement et l’aggiornamento du légendier par l’entrée de nouveaux saints et une utilisation liturgique qui n’existait pas, semble-t-il auparavant. C’est l’époque également où les moines de Moissac réécrivent l’histoire de leur monastère et embellissent son origine en attribuant sa fondation au roi Clovis, ce qui les conduit à corriger quelques textes notamment le passage de la Vita sancti Desiderii mentionnant la fondation de Moissac par Ansbert et Leutade, gratté et réécrit pour en faire seulement les continuateurs.

13Il est toujours difficile de rendre compte d’un ouvrage collectif. Je ne suis pas certain d’y être parvenu. Il est vrai que la variété, la richesse et l’érudition des communications rendait la tâche délicate. Peut-être aurait-il mieux valu recopier le résumé des communications offert au lecteur pressé par F. Peloux (p. 553-560).

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Pour citer cet article

Référence papier

Georges Pon, « Collectif, Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an Mil »Cahiers de civilisation médiévale, 256 | 2021, 403-405.

Référence électronique

Georges Pon, « Collectif, Le légendier de Moissac et la culture hagiographique méridionale autour de l’an Mil »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 256 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 08 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/8873 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.8873

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