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Comptes rendus

Till Schoofs, Saint-Germain-des-Prés. Zur bedeutung frühgotischer Bauformen im Machtgefüge der Île-de-France

Markus Schlicht
p. 100-102
Référence(s) :

Till Schoofs, Saint-Germain-des-Prés. Zur bedeutung frühgotischer Bauformen im Machtgefüge der Île-de-France, Berlin, Deutscher Kunstverlag (Passerelles, 14), 2013.

Texte intégral

1Le petit livre d’un peu plus de 70 pages de texte, rédigé par Till Schoofs, a pour sujet le nouveau chevet d’église (v. 1145-1155) de l’une des principales abbayes bénédictines parisiennes, Saint-Germain-des-Prés.

2L’étude s’articule pour l’essentiel autour de quelques idées clés. Constatant que le chevet de Saint-Germain-des-Prés ne jouit pas, auprès des historiens de l’architecture, d’une réputation comparable à celle d’autres édifices de la première génération gothique, tels que Saint-Denis, l’A. attribue ce relatif désintérêt à son vocabulaire architectural particulier, caractérisé par la cohabitation de formes novatrices et archaïques. La présence de ces éléments archaïques au sein du nouveau chevet s’expliquerait par le désir de la communauté monastique de rappeler l’âge vénérable et la dignité de l’abbaye : fondée dès avant 558, l’église abritait les reliques de l’évêque parisien Germain et les sépultures de plusieurs rois et reines mérovingiens. Or, les moines de Saint-Germain auraient éprouvé le besoin de mettre en scène le passé glorieux de l’abbaye en ce milieu du xiie s., car il légitimait et garantissait d’importants privilèges et prérogatives de l’abbaye qui furent alors menacées par l’évêque de Paris.

3Pour démontrer ces idées, l’A. retrace d’abord l’histoire de l’abbaye depuis ses origines au vie s. jusqu’au milieu du xiie s., accordant une attention particulière aux relations, plus ou moins étroites, avec le pouvoir royal. Suit l’analyse de l’architecture du nouveau chevet : les contraintes liées à la préexistence des parties occidentales que l’on souhaitait préserver, le mélange de motifs novateurs et archaïques caractérisant l’architecture du nouveau chevet et la place de ce dernier au sein de la première génération d’édifices gothiques (Saint-Denis, Sens et Noyon). Le constat de la coexistence de motifs novateurs (arcs-boutants ouverts) et archaïques (colonnes et chapiteaux antiquisants, arcs en plein cintre, colonnettes en marbre provenant de l’église antérieure) amène l’A. à s’intéresser à la fonction du nouveau chevet. Celle-ci ne serait pas tant d’ordre pratique, c’est-à-dire liturgique, mais idéologique. Selon T. Schoofs, en effet, ce sont les intentions politiques de l’abbaye qui expliquent la mise en chantier du nouveau chevet ambitieux. Afin de dégager ces intentions, l’A. brosse le tableau des principaux pouvoirs à Paris au milieu du xiie s. (roi, comte, évêque et grandes abbayes) et décrit la place de Saint-Germain-des-Prés dans cette constellation. Il s’en dégage notamment la relation conflictuelle avec l’évêque de Paris, qui s’oppose à maintes reprises à l’exemption de l’abbaye prétendument octroyée par saint Germain et confirmée par la papauté.

4Les derniers chapitres traitent de la construction du nouveau chevet comme étant l’une des principales mesures prises par la communauté monastique afin de réaffirmer son indépendance à l’égard du pouvoir épiscopal, et plus généralement de son poids politique et spirituel au sein de la capitale. Les motifs archaïques ou rétrospectifs de son architecture sont ainsi interprétés comme autant de références à l’église mérovingienne primitive, et le nouveau mobilier du chœur est considéré comme un élément servant à l’exaltation des fondateurs de l’abbaye, Childebert et Germain. Ces deux figures titulaires renverraient à leur tour aux privilèges qu’ils avaient accordés à Saint-Germain-des-Prés, à savoir l’exemption et l’instauration d’une nécropole royale.

5Si T. Schoofs a emprunté l’essentiel des éléments de son argumentation aux travaux antérieurs de M. Kramp et de Ph. Plagnieux (Mario Kramp, Kirche, Kunst und Königsbild. Zum Zusammenhang von Politik und Kirchenbau im capetingischen Frankreich des 12. Jahrhunderts am Beispiel der drei Abteien Saint-Denis, Saint-Germain-des-Prés und Saint-Remi/ Reims, Weimar, Verlag und Datenbank für Geisteswissenschaften, 1995 ; Philippe Plagnieux, « L’abbatiale de Saint-Germain-des-Prés et les débuts de l’architecture gothique », Bulletin monumental, 2000, p. 7-86,) il revient à l’auteur d’avoir restructuré et complété ce matériel en fonction de l’interprétation proposée. Le texte, agréable à lire, est bref et concis. En revanche, il aurait sans doute été préférable de faire figurer les notes en bas de page, plutôt que de les regrouper en fin d’ouvrage. Les illustrations, de format réduit, parfois sous-exposées, ne sont pas toujours aussi lisibles qu’on le souhaiterait.

6Comme cela a été exposé longuement ci-dessus, l’A. propose dans son livre une lecture tout d’abord idéologique du nouveau chevet de Saint-Germain-des-Prés : il y voit une transcription dans la pierre des prétentions et des ambitions de la communauté monastique, légitimées par les figures tutélaires de saint Germain et de Childebert. Parfois, ce type d’approche tend à privilégier certains aspects de l’édifice, susceptibles d’étayer les hypothèses avancées, et à passer sous silence ceux qui ne s’y prêtent pas. L’étude de T. Schoofs n’échappe pas toujours à ce travers.

7Ainsi, comme l’avaient déjà fait M. Kramp et Ph. Plagnieux avant lui, l’A. souligne le fait que la création de nouveaux monuments funéraires pour les rois et reines mérovingiens faisait partie intégrale du projet de construction du nouveau chevet. Par la suite, toutefois, l’A. ne tient guère compte que de la sépulture de Childebert, dont le nouveau tombeau à représentation figurative et sa position près de la châsse de saint Germain illustreraient le désir de l’honorer tout particulièrement en tant que fondateur de l’abbaye et initiateur de la nécropole royale. Or, Ultrogothe, l’épouse de Childebert, placée à côté de son mari, occupait un emplacement tout aussi privilégié, et les autres souverains mérovingiens ont très bien pu recevoir, eux aussi, de nouveaux monuments funéraires à représentation figurative, comme cela est attesté au moins pour Frédégonde.

8La focalisation de l’auteur sur les besoins de légitimation du monastère — et donc sur les références aux origines de l’institution (tombeaux des fondateurs ; motifs architecturaux archaïques ou rétrospectifs) — exclut de sa relecture du nouveau chevet presque tous ses aspects « modernes ». Or, les éléments novateurs — comme l’organisation spatiale des chapelles rayonnantes, maintes fois imitée dans l’architecture gothique ultérieure — sont au moins aussi importants que les références au passé. Comment s’intègrent-ils dans l’interprétation du chevet que propose l’A. ?

9Il est vrai que T.  Schoofs évoque à plusieurs reprises l’une des innovations majeures de Saint-Germain-des-Prés, à savoir les arcs-boutants ouverts du chevet. L’A. suppose que ce nouvel organe de stabilité a dû produire un effet spectaculaire sur les contemporains. Toutefois, le fait que les premiers arcs-boutants gothiques soient dépourvus de décor, et que nombre d’entre eux soient dissimulés dans les combles (par exemple à Saint-Germer-de-Fly ou à Saint-Leu-d’Esserent) indiqueraient plutôt qu’ils aient été considérés comme un dispositif purement fonctionnel, et non comme une création en elle-même susceptible de forcer l’admiration du visiteur.

10Qu’en est-il, enfin, de l’interprétation des motifs archaïques ou rétrospectifs relevés par T. Schoofs, telles que les grosses colonnes et leurs chapiteaux corinthiens dans le sanctuaire ? Comme l’a montré Ph. Plagnieux, les chapiteaux de Saint-Germain-des-Prés imitent avec une grande précision des prototypes antiques, tels que les chapiteaux de la maison carrée de Nîmes. Cette imitation fidèle ne sert-elle effectivement, comme le veut l’A., qu’à l’évocation de l’église mérovingienne — dont on peine à croire qu’elle possédait des chapiteaux ressemblant d’aussi près à ceux d’un édifice antique —, ou avait-elle (aussi) d’autres visées ? Ne pourrait-il pas s’agir, par exemple, d’une imitation, au moins partielle, de l’architecture promue par la papauté dans le cadre de la réforme grégorienne ? Les colonnes et chapiteaux antiques surmontés d’arcs en plein cintre non moulurés, que l’on trouve dans les basiliques romaines de la première moitié du xiie s. (Saint-Clément, Sainte-Marie-du-Trastevere, Quatre-Saints-Couronnés) affichent par leur vocabulaire architectural un « retour aux sources » programmatique. Rappelons à ce propos la grande proximité des abbés de Saint-Germain-des-Prés avec la papauté, que souligne par ailleurs T. Schoofs. Hugues de Saint-Denis (abbé 1116-1146) ne faisait-il pas partie de la suite du pape Innocent II lorsque celui-ci retourna en Italie en 1133 ? Sept ans plus tard, le même Innocent II allait reconstruire Sainte-Marie-du-Trastevere. Probablement gagné aux idées de la reformatio, Hugues de Saint-Denis aurait donc très bien pu souhaiter ériger, environ cinq ans plus tard encore, un édifice (au moins partiellement) conforme à cette nouvelle conception de l’Église.

11Le chevet de Saint-Germain-des-Prés, on le voit, n’a probablement pas encore livré tous ses secrets. L’étude de T. Schoofs, si elle n’aboutit pas à des conclusions définitives, a toutefois le mérite de replacer le « pourquoi » du nouveau chevet de l’abbatiale parisienne au centre de la réflexion.

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Pour citer cet article

Référence papier

Markus Schlicht, « Till Schoofs, Saint-Germain-des-Prés. Zur bedeutung frühgotischer Bauformen im Machtgefüge der Île-de-France »Cahiers de civilisation médiévale, 237 | 2017, 100-102.

Référence électronique

Markus Schlicht, « Till Schoofs, Saint-Germain-des-Prés. Zur bedeutung frühgotischer Bauformen im Machtgefüge der Île-de-France »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 237 | 2017, mis en ligne le 01 mars 2017, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/6154 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.6154

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