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Comptes rendus

Registrum Petri Diaconi (Montecassino, Archivio dell’Abbazia, Reg. 3), Jean-Marie Martin, Pierre Chastang, Errico Cuozzo

Georges Pon
p. 98-99
Référence(s) :

Registrum Petri Diaconi (Montecassino, Archivio dell’Abbazia, Reg. 3), Jean-Marie Martin, Pierre Chastang, Errico Cuozzo… [et autres] (éd.), Rome, École française de Rome (Sources et documents, 4), 2015, 4 vol.

Texte intégral

1Le registre de Pierre Diacre a déjà fait l’objet de nombreuses études depuis l’époque moderne. Voici publié aujourd’hui dans une édition qui fait honneur à l’École française de Rome ce grand cartulaire de 281 folios, compilé entre 1131 et 1133 par plusieurs équipes de copistes sous la ferme direction de P. Diacre. Composé de 36 cahiers, ce cartulaire contient 642 documents, dont 20 % d’inédits. Il n’est pas un outil de gestion mais un monument qui s’inscrit dans une grande tradition historique. Véritable « monument culturel », le cartulaire témoigne des ambitions et des visées de son auteur à une époque où le célèbre monastère fondé par saint Benoît connaissait de sérieuses difficultés, et ce malgré sa puissance et sa richesse.

2Rédigée en italien, l’introduction rejetée dans le t. IV est un modèle d’érudition. Le chapitre ii étudie longuement les conditions de la compilation. Elle s’inscrit à la fois dans le prolongement d’une réflexion historique cassinienne ainsi qu’une importante période d’incartularizzazione. L’introduction est en effet empreinte de la pensée cassinienne, initiée à la fin du xie s. par les Chronica monasterii Casienensis de Léon d’Ostie, à qui l’A. témoigne sa reconnaissance. Elle est de plus à mettre en corrélation avec la production de cartulaires ou de regesta à la fin du xie s. ou au début du xiie s. dans l’Italie centrale et méridionale (Farfa, S. Sofia, S. Vincenzo al Volurno). Aussi, faut-il tenir compte des circonstances politiques et religieuses délicates où se mêlent les relations, d’une part, avec les normands implantés en Italie du Sud, et d’autre part, avec l’épiscopat et la papauté depuis la mort de Callixte II en 1124 et l’élection disputée en 1130 d’Innocent II ; lesquels veulent remettre en cause l’indépendance du Mont-Cassin. Le but de P. Diacre et de l’abbé Seniorectus est de fonder ou bien refonder la position exceptionnelle et prédominante du monastère sur un immense corpus de documents. En un seul volume, ils réunirent d’abord « les privilèges des pontifes, des empereurs, des rois, des ducs et des princes », puis dans une seconde partie « les dons des fidèles ». Cette entreprise a non seulement pour mission de rassembler la communauté monastique autour de son histoire, mais également de renforcer les liens de prières et de mémoire qu’elle continue d’entretenir avec ses bienfaiteurs au cours des siècles. Enfin, il s’agit d’illustrer à plus forte raison le rôle central joué par le monastère de Mont-Cassin « dans l’économie de la Chrétienté » depuis saint Benoît.

3Bien qu’il n’ait pas été formé, P. Diacre — l’A. principal du Registrum — se dit lui-même cartularius, bibliothecarius et scriniarus en 1137, en ce sens que « tout ce qui concerne l’écrit dépend de lui » (p. 1738). On l’a souvent présenté comme un « sympathique mégalomane », un faussaire et un fieffé réactionnaire. Les éditeurs tiennent à réhabiliter ce moine issu de la grande famille des comtes de Tusculum qui ont dominé la Papauté dans la première moitié du xis. Élevé au monastère dès l’âge de cinq ans, il fût exilé quelque temps dans une dépendance proche, mais rappelé ensuite par le nouvel abbé Seniorectus en 1131. Il n’a pas été formé spécialement aux techniques du scriptorium comme à la pratique de l’écriture traditionnelle — la bénéventaine — utilisée par les copistes du cartulaire : il est seulement l’auteur du Prologue. Ses autres œuvres, écrites en caroline, concernent la littérature latine classique, l’hagiographie et quelques ouvrages à prétention scientifique. Mais il impose à ses équipes de copistes le plan du cartulaire et ses idées. À un moment où l’Empire s’avère bien incapable de contrôler l’Italie méridionale normande, P. Diacre ressent comme une nostalgie réactionnaire pour les grandes époques des empereurs carolingiens et ottoniens. Lorsque la quasi-totalité des préceptes et des privilèges a disparu dans les incendies de la fin du ixe, il a fallu les remplacer à partir du xe s. par des faux, désormais en place dans le cartulaire : on en compte 21 pour les viiie et ixe s. Ces faux ne se limitent pas aux actes impériaux. Le Registrum comporte aussi de nombreux privilèges pontificaux, préceptes princiers et dons de simples fidèles trafiqués ou interpolés. Mais au final, la fabrication n’a rien de systématique, l’immense majorité des faux existait déjà dans les archives.

4La description du cartulaire est d’une grande précision, notamment celle de la décoration qui comprend une grande lettre décorée au début du Prologue dédiée à l’abbé Seniorectus, des initiales ornées, des tituli rubriqués, une foliotation en chiffres romains en haut et au centre de la page. Plus significatif encore est le choix des figures : 19 figures d’empereurs et de rois sont dénombrées contre une seule de pape ; cette acception confirme ainsi le caractère idéologique du Registrum.

5L’édition proprement dite, occupant les trois premiers tomes, est un chef-d’œuvre d’érudition et de présentation, même si on peut trouver dispensable l’indication entre parenthèses de toutes les abréviations : insup(er), ei(us). La numérotation reprend celle qui est devenue traditionnelle depuis le xviie s. ; l’apparat critique mentionne, comme il se doit, les éditions ou analyses antérieures ; les éditeurs, comme eux-mêmes l’expliquent, n’ont pas cherché à corriger les erreurs, les répétitions et les lacunes. Trois niveaux de notes a été prévus : des notes alphabétiques (a, b, c) pour indiquer, comme le veut l’usage : les corrections, les ratures, la numérotation médiévale, les notes marginales etc. Les notes en lettres grecques présentent les divergences qui peuvent exister entre les originaux à la base de l’établissement du texte et les copies faites dans le cartulaire. Enfin, les notes numériques servent à identifier les noms de lieux et de personnes.

6Outre l’introduction, le t. IV comprend, on s’en doute, de précieux appendices : la liste des abbés, possessions du Mont-Cassin, confins de la Terra s. Benedicti, ces deux derniers appendices étant accompagnés de cartes (p. 1960-1961), manuscrits, bibliographie, index locorum, personarum et rerum. Ce dernier index résulte non d’un dépouillement systématique de tous les lemmes mais d’un choix des éditeurs.

7Le recenseur qui a quelque expérience des cartulaires de l’Ouest de la France n’est pas le plus compétent pour discuter tel ou un tel aspect de ce savant travail. Mais dès qu’il en a eu connaissance, il a tenu à faire connaître au public des Cahiers une publication qui fait honneur à l’École française de Rome et à la science italienne qui a nourri les auteurs de cet ouvrage, qu’ils soient nés d’un côté ou de l’autre des Alpes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Georges Pon, « Registrum Petri Diaconi (Montecassino, Archivio dell’Abbazia, Reg. 3), Jean-Marie Martin, Pierre Chastang, Errico Cuozzo »Cahiers de civilisation médiévale, 237 | 2017, 98-99.

Référence électronique

Georges Pon, « Registrum Petri Diaconi (Montecassino, Archivio dell’Abbazia, Reg. 3), Jean-Marie Martin, Pierre Chastang, Errico Cuozzo »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 237 | 2017, mis en ligne le 01 mars 2017, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/6149 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.6149

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