Christian Sapin, Les cryptes en France. Pour une approche archéologique, ive-xiie siècle
Christian Sapin, Les cryptes en France. Pour une approche archéologique, ive-xiie siècle, Paris, Picard, 2014.
Texte intégral
1Le titre de l’ouvrage sonne comme une synthèse, le sous-titre comme un plaidoyer : ce « pour » correspond parfaitement à la démarche suivie avec constance par l’A. depuis de nombreuses années. Une semblable dualité se retrouve dans l’articulation : aux pages du texte principal découpé en chapitres thématiques et chronologiques s’ajoute une partie intitulée « Le paysage des cryptes en France » qui regroupe quelque 370 notices courtes rangées par régions et départements. L’unité ressort moins du rapport entre synthèse et monographies que de la qualité de l’illustration ; des plans archéologiques colorés d’une grande lisibilité et des coupes complètent le corpus photographique de Jean-François Amelot – lequel montre ici une sensibilité à l’architecture égale à sa sensibilité à la sculpture.
2Je commencerai par ce « paysage » que son classement et la brièveté de ses textes invitent à considérer davantage comme un guide que comme une manne apte à soutenir l’argumentaire des chapitres le précédant (au-delà de l’ellipse, il peut même y avoir contradiction). L’exercice était difficile. L’introduction souligne avec pertinence d’importantes questions méthodologiques, et le « vers » de son titre (« Vers un inventaire des cryptes ») est aussi important que le « pour » du sous-titre général (« Pour une approche archéologique ») ; d’ailleurs l’A. annonce d’emblée « une prochaine édition » intégrant des études nouvelles, découvertes et signalements supplémentaires. On relèvera une définition claire : « les ‘cryptes’ sont des constructions voûtées ayant une relation spécifique par leur situation, lien de circulation ou d’accès avec l’édifice église », ce qui permet d’éliminer quelques ossuaires ou caveaux. Les nombreuses cartes donnent des idées sur la densité monumentale, surtout celles des régions qui permettent un repérage en nommant les points. Pour les notices elles-mêmes, une diversité de ton et de niveau d’approfondissement était inévitable : l’A. s’en est expliqué, « l’inventaire [étant] tributaire des publications nationales, ou régionales, et des informations orales ». Et c’est une gageure d’écrire clairement une description limitée en nombre de signes. Une première phrase de « présentation », qu’on trouve souvent avec bonheur (Lorraine, entre autres régions), manque parfois pour une compréhension de la problématique principale, laquelle peut même ne pas être évoquée par la suite : sont absents à Bourges le rapport de la cathédrale avec l’enceinte antique, à Saint-Martial de Limoges la situation latérale de la « crypte » (en fait Saint-Pierre-du-Sépulcre) qui n’est pas située sous l’abbatiale, ou encore à Notre-Dame-la-Grande à Poitiers un bel exemple de repentir (dans la même ville on a oublié la cathédrale). On regrettera aussi quelques coquilles (les éditions Picard n’ont plus de correcteur ?), des flottements de glossaire (chevet/chœur, bas-côtés/collatéraux) ou de typographie (l’expression des mesures). Pour quelques-uns des monuments, il aurait mieux valu ne citer aucun titre en référence, comme on a osé le faire dans de nombreux cas, que de renvoyer à des ouvrages approximatifs (c’est rare, heureusement, et on ne peut reprocher à la bibliographie de ne pas être actualisée). Cela dit, disposer de photographies pour tant d’espaces souvent fermés et mal éclairés est inestimable, et c’est dans cette dimension que le lien se fait le mieux avec la synthèse, car les illustrations situées bien avant dans le texte sont soigneusement répertoriées en fin de notice.
3Quelles que soient les failles inhérentes à la succession de brèves notices, on ne peut que reconnaître à l’ensemble une maturité due à une œuvre de longue haleine, qui se décèle particulièrement dans la fluidité avec laquelle les exemples émaillent la réflexion. La synthèse de quelque 220 pages, que son écriture élégante rend très accessible, porte le titre de « La présence cachée des cryptes », ce qui peut sembler accrocheur mais s’explique dans la courte introduction : l’analyse des cryptes, lieux de mémoire par excellence, doit dépasser les représentations qu’on s’en fait (lieu « secret », « obscur ») et tenir compte de logiques médiévales et de transformations que les textes n’aident pas toujours à comprendre.
4Les ive, ve et vie s. permettent de poser la question des origines, à laquelle sont annexés une réflexion historiographique et un examen du champ sémantique. Comme souvent, l’ambiguïté et le flou du vocabulaire posent des pièges pour comprendre les sources. Les mausolées « en lien avec un lieu religieux », dont le plus ancien exemple connu semble être celui de la cathédrale de Mende, traduisent une certaine continuité avec l’Antiquité païenne, notamment dans leur caractère familial. Alors l’ajout de l’autel « constitue une mutation radicale, non seulement spatiale, mais aussi sociale ». Comme pour les périodes suivantes, l’analyse des accès apparaît tout autant essentielle que la question des niveaux, niches et voûtes. Le passage du mausolée à la crypte se fait par une association avec le lieu de culte, laquelle ne modifie pas nécessairement les logiques architecturales, encore que quelques exemples (Saint-Just de Lyon) attestent une transition avec la bien connue « crypte de chevet ». Si des architectures complexes à deux niveaux existent dès le vie s., on ne trouvera pas davantage que pour les périodes suivantes de processus évolutif commun : soulignons les nombreuses nuances acquises désormais grâce à cette réflexion. L’interprétation des vestiges archéologiques à la lumière des textes (ou le contraire) a pu donner des hypothèses brillantes méritant d’être rappelées : ainsi la célèbre description de l’évêque Avit de Vienne (513-516) a été appliquée par Renée Colardelle à Saint-Laurent de Grenoble et par Jean-François Reynaud à Saint-Irénée de Lyon. Un certain nombre de concepts sont utilement croisés : la crypte-mausolée, la crypte d’autel empruntée à Jean-Pierre Sodini, la crypte-grotte qui ancre le sujet dans une histoire longue. Ce dernier groupe permet d’insister sur ce qu’apporte la voûte à la notion de crypte ou plutôt de cryptae au pluriel, car l’A. souligne par une démonstration convaincante la diversité des espaces pouvant cohabiter dans ce que nous appelons la crypte : on a choisi à dessein de voûter ou non ces sous-parties, qui peuvent ne pas être souterraines (voir l’opposition entre cryptae inferiores / cryptae superiores) ; alors « c’est bien la notion d’espace ‘voûté’ qui l’emporte sur la fonction ».
5La place des corps saints et des reliques est plus longuement traitée pour l’époque ultérieure (vie-ixe s.) à laquelle elle donne son titre de chapitre. On a eu trop souvent tendance, en s’appuyant sur Grégoire de Tours, à imaginer de simples caveaux et non de véritables cryptes. Et pourtant le culte des saints et martyrs engage désormais « progressivement toute une cité », les choix dévoilant une logique « d’investissement ». L’A. rend compte à nouveau avec humilité des jalons posés par ses prédécesseurs, ce qui est une gageure en soi tant ce sujet essentiel a passionné, tout en apportant du nouveau par son regard sur ce socle autant que par l’introduction de cas archéologiques. Certains de ceux-ci, fort heureusement, permettent grâce à des méthodologies rigoureuses de sortir enfin des débats crispés entre « partisans des seules sources écrites, historiens de l’art et archéologues ». On retiendra les évocations de Saint-Etienne de Déols et Selles-sur-Nahon dans la même région pour leurs dispositions latérales ; du clos de la Lombarde à Narbonne pour le plus ancien exemple de crypte de chevet (fin du ve s.) ; de Saint-Germain d’Auxerre évidemment pour la parfaite connaissance de l’évolution du bâti par l’A. lui-même. Les opérations menées par Sébastien Bully à Saint-Martin de Luxeuil ont également permis de résoudre les interrogations issues des sources textuelles, avec la définition d’une petite mais véritable crypte, probablement préparée avant même la sépulture de l’abbé Walbert v. 670. En revanche, les cryptes de Jouarre qui ont longtemps illustré nos manuels doivent en être retirées, du moins à la place qu’elles occupaient (il s’agit d’une reconstruction romane qui englobe des vestiges de l’Antiquité tardive, à partir d’un état carolingien). Il n’y a guère de nouveauté dans les partis architecturaux avant qu’aux viiie-ixe s. on s’efforce « de résoudre, en quelque sorte, par l’architecture, la contradiction apparente entre un lieu réservé à la prière en contexte monastique et un autre consacré à la vénération des reliques par toute la communauté chrétienne ». Apparaissent alors de véritables monuments, issus de réaménagements ou de nouveaux murs, qu’il convient d’analyser « à une vaste échelle européenne » et en gardant à l’esprit les modèles romains : voir Saint-Médard de Soissons qui accueillit en 841 en présence de Charles le Chauve les corps de Médard et Sébastien ; Saint-Maurice d’Agaune en tant que parfait exemple du type annulaire ; Saint-Quentin pour une crypte annulaire longtemps mal comprise ; Saint-Gall pour une crypte annulaire cohabitant avec un chevet plat ; Saint-Philbert-de-Grand-Lieu pour sa complexité… Saint-Aphrodise de Béziers et Sainte-Radegonde de Poitiers appellent de meilleures études, que leurs transformations rendent délicates. Nous ne pouvons ici rendre compte de la richesse d’un contenu qui est rangé de façon typologique avant que ne soient interrogés à la lumière des textes les pratiques, la possibilité de l’accueil des femmes, l’élévation ou la translation, les pèlerinages, l’inhumation (l’épigraphie est importante). Le chapitre se termine par une étude des quelques vestiges de décor.
6Aux xie-xiie s. la crypte devient « Une église dans l’église » : nouveau titre, pour un nouveau chapitre. Les monuments deviennent plus nombreux, les schémas et plans colorés également, ce qui augmente considérablement l’intérêt de l’ouvrage et contourne le risque de proposer pour cette période plus facile à cerner une accumulation de cas bien connus. Les amples et singuliers espaces de Saint-Michel de Cuxa et Saint-Bénigne de Dijon précèdent une nouvelle présentation typologique, qui n’est pas séparée de réflexions sur les lieux d’accès, les autels, les armoires à reliques, réflexions qui deviennent autonomes à la fin du chapitre comme précédemment. La crypte-halle sous chevet se développe, entourée ou non, mais elle ne détrône pas complètement les solutions issues de certaines traditions comme la crypte hors œuvre et laisse place à des originalités comme la crypte-rotonde. Les systèmes de circulation peuvent évidemment être mieux analysés que pour le Haut Moyen Âge, mais on fera attention à quelques notions, comme celle du « déambulatoire », organe dont les similitudes de forme dissimulent de grandes différences de fonction, sans compter que l’accès aux reliques était loin d’être libre. Les récits de miracles peuvent alimenter des interrogations, le plus souvent en complexifiant le champ de la pratique liturgique ou du pèlerinage. Quant à la peinture, elle est présente par bien des cycles conservés mais l’A. préfère souligner à juste titre que « l’on réalise l’importance de la perte des revêtements muraux » en fouillant les nombreuses cryptes comblées à l’époque gothique. De façon plus générale, les choix iconographiques n’apparaissent pas seulement didactiques, et/ou en relation avec les reliques locales, ils expriment et renforcent la sacralité du lieu.
7Le dernier chapitre est présenté comme un épilogue, ce qui permet de gommer l’aspect un peu violent du titre : « Chronique d’une fin annoncée (xiiie-xxe s.) ». L’évolution « des mentalités et des espaces sacrés » est certaine. Même si on continue à construire de grandes cryptes (Saint-Denis), parfois indispensables pour racheter une pente topographique, dès le xiie s. le théâtre du spectacle est organisé sur un plus grand pied dans l’église elle-même : mausolées en petite maison (Saint-Lazare d’Autun), grands reliquaires orfévrés posés sur l’autel matutinal comme sur une estrade… L’A. écrit très judicieusement : « ce sont ces éléments qui s’organisent et bougent et non plus les fidèles ».
8L’actualisation des connaissances justifierait seule de souhaiter placer cette somme dans sa bibliothèque. Mais, au-delà, la richesse du contenu, la façon dont les sources sont sollicitées et les questions ouvertes invitent à ne pas prendre trop étroitement, au pied de la lettre, le sous-titre « Pour une approche archéologique », non plus, d’ailleurs, que la précision « en France ». Il faut insister sur ces points pour que le lecteur n’utilise pas l’ouvrage comme un simple corpus ou ne le mette pas de côté par phobie de l’enquête de terrain (cela arrive !).
Pour citer cet article
Référence papier
Claude Andrault-Schmitt, « Christian Sapin, Les cryptes en France. Pour une approche archéologique, ive-xiie siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 238 | 2017, 201-204.
Référence électronique
Claude Andrault-Schmitt, « Christian Sapin, Les cryptes en France. Pour une approche archéologique, ive-xiie siècle », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 238 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 09 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/6056 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.6056
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