Clare Monagle, Orthodoxy and Controversy in Twelfth-Century Religious Discourse. Peter Lombard’s ‘Sentences’ and the Development of Theology
Clare Monagle, Orthodoxy and Controversy in Twelfth-Century Religious Discourse. Peter Lombard’s ‘Sentences’ and the Development of Theology, Turnhout, Brepols (Europa Sacra, 8), 2013.
Texte intégral
1L’ouvrage de Clare Monagle entend reprendre à nouveaux frais l’histoire de la mise en ordre du dogme chrétien qui culmine avec le concile de Latran IV en 1215. Dans une perspective implicitement foucaldienne, il s’agit de déterminer comment la culture cléricale fut « transformée en une technologie de pouvoir et d’autorité » (p. XIII). En d’autres termes, il s’agit d’identifier la façon dont sont produites les normes intellectuelles, et pour ce faire C. Monagle considère une étude de cas, la théologie de Pierre Lombard, et en particulier sa christologie qui fut immédiatement l’objet de vives critiques. Il s’agit ainsi de se demander comment une œuvre contestée a pu devenir en 1215 le fondement de l’enseignement de l’orthodoxie.
2Le premier chapitre « Schoolmen and their Critics from Berengar to Gilbert of Poitiers » vise en quelque sorte à présenter le milieu dans lequel Pierre Lombard va développer sa propre méthode théologique. L’A. propose une sorte de panorama des querelles théologiques depuis la célèbre controverse eucharistique entre Béranger et Lanfranc jusqu’à la mise en accusation de Gilbert de Poitiers au concile de Reims en 1148, en passant par les malheurs de Roscelin de Compiègne et de Pierre Abélard. Ce « long douzième siècle » (p. XI) témoigne en effet de l’importance des réflexions sur la possibilité d’appliquer la logique et le langage humain aux mystères divins, et des résistances que rencontrent les tentatives d’une telle application. Si C. Monagle s’inscrit, non sans précautions, dans le schéma classique de l’opposition entre le cloître et l’école, elle entend surtout montrer le foisonnement des réflexions théologiques, la violence des discussions et la diversité des opinions développées durant cette période préscolastique. Certes, il est audacieux de vouloir rendre compte en quarante pages de quatre débats qui ont déjà occasionné une abondante littérature secondaire. D’autant que l’A. semble hésiter entre deux types d’approche, l’une qui reprend le fond du débat en se confrontant aux textes, et l’autre qui cherche, conformément à l’intention générale de l’ouvrage, à étudier les représentations contemporaines de ces débats. Par exemple, la présentation des positions d’Abélard repose sur l’analyse de quelques textes précis supposés témoigner de l’application des règles logiques à la théologie (analyse qui témoigne, d’ailleurs, comme les anglo-saxons nous en ont donné l’habitude désormais, de l’ignorance complète des travaux francophones ou germanophones, alors même que les articles de Jean Jolivet ou Irène Rosier-Catach sur les thèmes évoqués sont incontournables) ; l’analyse des controverses du concile de Sens, quant à elle, est réduite à quelques généralités tirées des travaux de C. Mews. À l’inverse, quand elle s’intéresse à Gilbert de Poitiers, C. Monagle ne cite aucun texte du théologien, mais se contente des récits du concile de Reims par Otto de Freising et Jean de Salisbury. Ce n’est pas illégitime en soi, bien au contraire, mais il aurait peut-être fallu clarifier la méthodologie utilisée.
3Le second chapitre « Peter Lombard’s Life and His Sentences » présente la vie et l’œuvre de Pierre Lombard, en insistant à la fois sur son ancrage dans les écoles et sur ses liens avec le courant « conservateur », lié au cloître. De fait, l’opposition de Pierre Lombard à Gilbert de Poitiers lors du concile de Reims, que Jean de Salisbury met sur le compte de la jalousie, soulève un problème intéressant puisqu’il brouille la dichotomie trop simple et schématique entre cloître et école. À cette occasion (p. 44, 48), C. Monagle propose une explication intéressante qu’elle aurait pu développer davantage, à savoir l’importance du facteur politique, au sens médiéval du terme d’un réseau de fidélité. Le patronage initial de Bernard de Clairvaux dont a bénéficié Pierre Lombard semble ici produire des effets « disciplinaires » (au sens foucaldien, là encore) qu’il eût été intéressant de mettre davantage en évidence. La fin du chapitre souligne les limites d’une certaine historiographie (ici représentée par Southern) qui voit dans les Sentences l’acte de décès de l’âge héroïque des écoles. Comme le rappelle l’A., cette historiographie dépend largement de quelques lignes du Metalogicon de Jean de Salisbury qui ne peuvent pas être prises pour argent comptant puisque, outre le fait que, d’un point de vue théologique, Jean ne se situe guère du côté des novateurs, il ne cite jamais ses contemporains immédiats (ceux qui sont encore actifs dans les écoles autour de 1159).
4Tout l’enjeu des chapitres 3 et 4, « Lombard’s Christology and its Critics » et « Christology in the Schools after Lombard » est de montrer la diversité des positions théologiques produites dans les écoles, dans la seconde moitié du douzième siècle, et la vivacité des discussions, similaire à celle de la période précédente. C. Monagle s’attache donc au statut de la Christologie dans les Sentences, comme exemple de la difficulté à appliquer le langage humain aux mystères divins et montre comment, malgré les hésitations et la prudence de Pierre Lombard, ses positions (en l’occurrence la séparation conceptuelle entre les personnes de la Trinité) vont faire immédiatement l’objet d’une accusation en « nihilisme christologique ». L’A. étudie successivement et avec une grande précision les critiques de Robert de Cricklade, Gerhoh de Reichensberg, Jean de Cornouailles et Gauthier de Saint-Victor. Comme elle le souligne, ces critiques réinvestissent en partie des schémas argumentatifs autrefois utilisés contre Abélard ou Gilbert. L’intervention d’Alexandre III (p. 99-100), en 1164, pour faire cesser la polémique (et recommander le silence à Gerhoh) est intéressante à plus d’un titre puisqu’elle témoigne déjà du désir de la papauté d’éviter les disputes publiques (in publicis conventibus) et de chercher l’unité du dogme en offrant un cadre réglementé aux débats théologiques. Là encore, on voit l’importance, dans le domaine intellectuel, de la dimension ecclésiologique et politique. Cette même distinction entre le public et le privé est mise en avant par Pierre le Mangeur à propos de Pierre Lombard (p. 114) et permet de comprendre le rôle moteur que ce dernier va jouer, avec Etienne Langton, dans la mise en ordre de la théologie. Cette mise en ordre culmine finalement avec le concile de Latran IV, qui est l’objet du dernier chapitre « Lateran IV and Peter Lombard ». On pourrait dire alors que l’acte de décès de « l’âge héroïque » des écoles se situe non pas dans les Sentences de Pierre Lombard en tant que telles, mais dans le statut nouveau qu’elles se voient attribuer et au rôle qu’on lui impose alors dans la reprise en main par la papauté de la production intellectuelle du dogme.
5On le voit, C. Monagle a produit un livre d’histoire intellectuelle, qui par-delà certains aspects contestables ou discutables, soulève un ensemble de questions clés pour notre compréhension de la nature et du rôle de la théologie au Moyen Âge.
Pour citer cet article
Référence papier
Christophe Grellard, « Clare Monagle, Orthodoxy and Controversy in Twelfth-Century Religious Discourse. Peter Lombard’s ‘Sentences’ and the Development of Theology », Cahiers de civilisation médiévale, 238 | 2017, 192-193.
Référence électronique
Christophe Grellard, « Clare Monagle, Orthodoxy and Controversy in Twelfth-Century Religious Discourse. Peter Lombard’s ‘Sentences’ and the Development of Theology », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 238 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/6037 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.6037
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