Guy Jarousseau, Églises, évêques et princes à Angers du ve au début du xie siècle
Guy Jarousseau, Églises, évêques et princes à Angers du ve au début du xie siècle. Limoges, Pulim (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique, 42), 2015.
Texte intégral
1Si l’Anjou offre une documentation abondante pour les xi et xiie s., la pénurie est manifeste pour le haut Moyen Âge. Et cette situation explique pourquoi longtemps les travaux de recherche ont été rares. Depuis vingt ans les choses changent : un chartiste Damien Heurtebize a soutenu en 1998 une thèse consacrée aux Vitae des saints évêques, thèse malheureusement non publiée. F. Comte pour sa part s’est livré à une étude minutieuse des édifices religieux d’Angers. Et voici qu’avec la thèse de Guy Jarousseau publiée par les Presses universitaires de Limoges nous est livrée une longue enquête sur l’organisation des pouvoirs pendant tout le haut Moyen Âge et plus précisément sur les rapports entre les évêques, les moines et le pouvoir royal ou princier. Le risque d’une telle recherche était de livrer un travail érudit sur quelques points bien documentés et de laisser dans l’ombre de larges zones privées de documents. Le premier mérite de G. Jarousseau est d’arriver à une étude équilibrée sur le plan chronologique en envisageant successivement l’Église d’Angers aux ve-vii s., puis les relations entre l’Église angevine et les Carolingiens, enfin les rapports entre les évêques d’Angers, Saint-Aubin et les vicomtes et comtes Ingelgeriens. Pour cela il a minutieusement exploité les sources écrites dont il pouvait disposer, il n’a pas hésité non plus à se servir de l’onomastique précieuse à cette époque pour retrouver les liens familiaux. Il a également tiré parti de très nombreuses lectures qui ont renouvelé nos connaissances sur les structures du pouvoir au haut Moyen Âge se livrant à des comparaisons stimulantes avec quelques abbayes proches de Paris.
2Un des grands intérêts de cette thèse est de montrer dès la fin du vie s. la place essentielle occupée par l’abbaye Saint-Aubin , une abbaye royale voulue par le roi Childebert, une senior ecclesia, comparable aux grandes abbayes royales du cœur de la Neustrie : Saint-Aignan d’Orléans, Saint-Germain d’Auxerre Saint-Médard de Soissons et bien sûr Saint-Denis. Cette abbaye desservie par les moines dès l’épiscopat de saint Mainboeuf au début du viie s. forme un pôle indépendant du pôle épiscopal qui, lui, contrôle les autres basiliques suburbaines à l’est et au sud de la cité. Libre de gérer son propre patrimoine – G. Jarousseau s’efforce ici d’identifier quelques biens importants –, l’abbaye possède surtout le privilège d’être le lieu de consécration de l’évêque, ce qui est exceptionnel dans l’Ouest.
3Ce lien entre le pouvoir royal et l’abbaye Saint Aubin explique que le souverain franc ait nommé à la tête de l’abbaye des personnalités d’envergure comme le célèbre Helisachar qui a été son chancelier de 808 à 817. C’est lui qui accueillera Louis le Pieux quand il s’arrêtera en 818 à Angers avant d’engager une campagne contre les Bretons et c’est à Saint-Aubin que sera envoyé Théodulphe après sa condamnation. Sous l’ autorité d’Helichasar l’abbaye participe à la renaissance carolingienne, elle sera active sur le plan liturgique mais curieusement n’appliquera pas la réforme de saint Benoît d’Aniane. L’abbaye préférera l’ordre canonial plus souple.
4Un autre grand mérite de la thèse est d’étudier les épiscopats successifs angevins. Il montre que dés le début du règne de Charlemagne les évêques participent à la réforme carolingienne. Il consacre ensuite une longue étude sur l’évêque Dodon dont le long épiscopat 837-880 couvre la période périlleuse des incursions scandinaves. Sa proximité avec Charles le Chauve lui permet d’obtenir le diplôme royal du 8 février 844, un moment essentiel dans la constitution du patrimoine de l’église cathédrale.
5Pour le xe s G. Jarouseau s’est trouvé confronté à l’existence des travaux de Karl Fredinand Werner et d’Olivier Guillot qui ont longuement étudié la naissance progressive d’une principauté territoriale en Anjou et le rôle essentiel de l’abbaye Saint-Aubin puisqu’en tant qu’abbés laïcs les premiers Ingelgeriens ont le contrôle des élections épiscopales, il a donc choisi de privilégier l’étude de l’episcopatus. Faut-il voir les évêques comme les fidèles exécutants des titulaires de l’honor angevin ? La réalité est manifestement nuancée. Ces évêques appartiennent à l’aristocratie ligérienne et sont liés aux Robertiens, ils disposent donc d’une réelle marge de manœuvre et peut-être se rattachent-ils pour la plupart au même lignage, hypothèse tout à fait nouvelle. Souvent instruits, ils sont proches de Saint-Martin de Tours. Le cas de Néfingue, évêque dans le troisième quart du xe s., est tout à fait significatif : prévôt et abbé de Saint-Martin de Tours, il soutient la réforme prudente qu’a lancée Geoffroy Grisegonnelle à Saint-Aubin mais il s’efforce aussi de renforcer l’autorité épiscopale en renforçant le culte des saints fondateurs de l’Église d’Angers. En fait, il y a une coopération entre les deux pouvoirs. Et la création de nouvelles paroisses permet de consolider les marches angevines encore incertaines au début du xe s. Il y a là une réflexion très intéressante et qui mériterait d’être développée sur la consolidation territoriale du pagus angevin au xe s. Cette politique de relative entente se détériore brusquement à la fin de l’épiscopat de Renaud (973-1005) quand le comte cherche à accaparer l’héritage de l’évêque dans les Mauges. En ce sens, 1005 marque une rupture, le comte reléguant désormais l’évêque dans une position inférieure.
6Le travail de G. Jarousseau présente donc un aspect incontestablement novateur. La présentation est soignée et les annexes contiennent des cartes utiles ainsi que plusieurs documents majeurs. Le livre permet de mieux comprendre les succès de la principauté angevine des xe et xie s. après des incursions scandinaves dont les effets ont été finalement limités.
Pour citer cet article
Référence papier
Noël-Yves Tonnerre, « Guy Jarousseau, Églises, évêques et princes à Angers du ve au début du xie siècle », Cahiers de civilisation médiévale, 238 | 2017, 186-187.
Référence électronique
Noël-Yves Tonnerre, « Guy Jarousseau, Églises, évêques et princes à Angers du ve au début du xie siècle », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 238 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 08 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/6029 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.6029
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