Tony Hunt (éd.), Les Paroles Salomun
Tony Hunt (éd.), Les Paroles Salomun, Manchester, Anglo-Norman Text Society (Anglo-Norman Texts, 70), 2012.
Texte intégral
1Quand T. Hunt évoque dans son Introduction l’activité du « tireless Paul Meyer », on est presque tenté d’accorder cette qualification à T. Hunt lui-même qui nous procure régulièrement des éditions et des analyses impeccables de textes didactiques et bibliques (récemment aussi de textes médicaux) médievaux, anglo-normands et français, comme entre autres « The Auctores and the Liber Catonianus, Teaching and Lerning Latin in Thirteenth-Century England » (Cambridge, 1992, 2 vol.), « Les Proverbez d’Alain (Paris, 2007, CFMA, 151), « Le Livre de Catun » (1994, ANTS, Plain Texts Series, 11) « The Anglo-Norman Folies Poems » (Pluteus, 3, 1985, p. 14-32) et Le Chant des Chanz (2004, ANTS 61-62).
2Cette édition des Paroles Salomun se caractérise par une ample approche qui part d’une description détaillée du ms. parisien BnF fr. 24862 (150 folios) datant du premier quart du xiiie s. et provenant de l’Angleterre mais conservé en France depuis la fin du Moyen Âge (selon P. Meyer). Le manuscrit présente le texte de la Vulgate et un commentaire vernaculaire en prose du Livre des Proverbes à partir du verset I :26 jusqu’au verset XXXI :9 ; il omet toutefois l’éloge de la femme forte, « De muliere forti ». Le manuscrit contient en outre des textes divers, liés à la vie religieuse : un poème latin qui évoque la lutte entre le roi Jean sans Terre et l’archévêque Stephen Langton de Canterbéry, une des deux copies de la traduction par Henri d’Arci des Verba Seniorum, deux autres poèmes attribués à Henri d’Arci (à l’avis de T. Hunt la meilleure copie de Antichristo traduit) et l’unique copie de la Descente de Saint Paul en enfer. Suivent des sermons en français, entre autres de Maurice de Sully, la légende latine de la Sainte Galla de Rome, une Benedictio Crucis et un sermon latin.
3T. Hunt consacre une analyse détaillée au Livre des Proverbes dans ses différentes versions commentées en français : la plus ancienne publiée par C. Claire Isoz (1988, 1994) et attribuée à Sanson de Nantuil date du milieu du xiie s. (1136-65) ; elle se caractérise par une présentation rimée en trois parties (texte de la Vulgate, traduction et commentaire en français) ; T. Hunt insiste avec raison sur le côté savant de la Glose inspirée par Bède mais il faudrait ajouter que cette traduction française est aussi étroitement liée à la toute nouvelle pratique stylistique de l’époque, introduire des proverbes vernaculaires qualifiés explicitement de populaires dans les œuvres autant didactiques que littéraires (cf. mon article dans CCM 37, 1994, 350-355). La paraphrase des Paroles Salomun en prose (vers 1200) que T. Hunt publie suit une autre voie davantage liée à la tradition monastique et cite dans ses commentaires de nombreux passages bibliques, à l’occasion quelques auteurs classiques comme Juvénal, Ovide, Claudien, Horace et Sénèque, les préférés du xiie s. d’après B. Munk Olsen et T. Hunt. La troisième version vernaculaire, également en prose, largement représentée par la tradition manuscrite des xiiie, xive et xve s., a été publiée par A. Rietkötter (1966) d’après le ms. parisien BnF 1109. Il s’agit d’un remaniement qui omet le texte latin, réarrange les matériaux en blocs thématiques et ajoute une introduction qui retrace la vie de Salomon et les œuvres qui lui sont attribuées. T. Hunt attire l’attention également sur une autre rédaction anglo-normande de cette même version du Libre des Proverbes (ms. Madrid, Bibl. Nac. 18253 vu par Dean/Boulton comme une version indépendante, no. 460) qu’il considère comme suffisamment importante pour en donner de larges extraits dans un appendice, tout en souhaitant une édition intégrale du texte. En effet, ce manuscrit se distingue des autres par son style didactique, ses paraphrases et commentaires linguistiques et un enseignement moral proche de la vie de tous les jours.
4Le manuscrit anglo-normand publié par T. Hunt présente le texte de la Vulgate et tire l’essentiel de ses commentaires vernaculaires de l’Expositio de Bède tout en les complétant par des citations bibliques, traduites également. Les soigneuses notes de l’édition permettent de suivre ce travail exégétique pas à pas et de constater que cette technique ressemble à la pratique de bien des sermons médiévaux. Les quelques citations d’auteurs classiques sont données sans référence à la source ; il s’agit plutôt de sentences traduites que de proverbes vernaculaires comme dans la version de Sanson de Nantuil. Du point de vue linguistique, T. Hunt note surtout le statut graphique irrégulier dû au copiste, quelques hésitations à propos du genre des substantifs, des formes féminines analogiques pour tel et les participes présents, une préférence pour la forme tonique des pronoms possessifs, la forme de l’Ouest pour l’indicatif présent et le subjonctif présent en -ge. Les observations à propos de la syntaxe se limitent à quelques particularités anglo-normandes, entre autre la variation entre les appositions et l’utilisation de la préposition a pour marquer la propriété, la construction ne quel, l’adverbe de négation nen et le manque de coordination entre le sujet et le verbe. Le lexique donne peu de nouveauté (filargie « avidité, cupidité » pour phlargyria, hupople « huppe », idropic « atteint d’hydropisie », deprecaciun « désir, convoitise », priessur « pressoir ») mais un nombre assez élevé de mots savants.
5Le texte des Paroles Salomun est présenté d’une manière claire : les passages de la Vulgate en gras, leurs traductions, les citations bibliques et exégétiques ainsi que les emprunts aux auteurs antiques (avec leurs références ajoutées par l’éditeur) en vernaculaire, entre simple guillemets pour les citations. Les notes citent les passages correspondants des commentaires de Bède selon Migne, Patrologia Latina, 91, tout en ajoutant des lieux parallèles bibliques et littéraires et des commentaires linguistiques ; un glossaire exhaustif, la liste des noms propres et un précieux relevé des citations bibliques, latines et vernaculaires, complètent l’édition.
6On ne peut que féliciter Anglo-Norman Text Society de compter des éditeurs aussi expérimentés parmi ses membres.
Pour citer cet article
Référence papier
Élisabeth Schulze-Busacker, « Tony Hunt (éd.), Les Paroles Salomun », Cahiers de civilisation médiévale, 238 | 2017, 183-184.
Référence électronique
Élisabeth Schulze-Busacker, « Tony Hunt (éd.), Les Paroles Salomun », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 238 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017, consulté le 06 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/6024 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.6024
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