Rocío Sánchez Ameijeiras, Los rostros de la palabra: Imágenes y teoría en el Occidente medieval
Rocío Sánchez Ameijeiras, Los rostros de la palabra: Imágenes y teoría en el Occidente medieval, Madrid, Akal (Arte y estética, 84), 2014.
Full text
1L’emploi du mot « rhétorique » dans l’histoire des images médiévales est souvent approximatif à force de simplification ou de généralisation. Si le visuel produit bien un discours, celui-ci appartient-il pour autant à la catégorie de la rhétorique ? Les moyens discursifs mobilisés dans la conception et la mise en œuvre de l’image sont-ils nécessairement rhétoriques ? Ces questions ne concernent pas seulement les méthodes à l’œuvre dans l’histoire de l’art et la mise au jour d’une éventuelle syntaxe des images médiévales ; elles sont en réalité au cœur des réflexions sur les liens entre l’usage concomitant des mots et des images dans la culture du Moyen Âge. C’est donc avec un grand intérêt qu’on lira le livre publié par Rocío Sánchez Ameijeiras et consacré aux relations entre l’homélitique et la sculpture dans l’Europe gothique. S’il est effectivement centré sur les liens entre les figures rhétoriques du discours de prédication (homélies, sermons) et les programmes sculptés aux façades des grandes cathédrales espagnoles, françaises et germaniques, l’ouvrage n’entend pourtant pas appliquer une lecture rhétorique stricte aux images gothiques. Comme le titre l’indique, il s’agit de donner « un visage aux mots » et voir comment le discours du prédicateur s’est incarné, dans son contenu et dans ses articulations, dans les images médiévales, et principalement dans la sculpture.
2Le premier chapitre du livre, intitulé Inventio, pose les objectifs de la recherche : il s’agit pour l’A. de rechercher les liens entre les pratiques rhétoriques et poétiques et les structures visuelles en jeu dans toutes les formes artistiques médiévales. L’ambition est grande mais passionnante parce qu’elle n’oublie pas de prendre en compte les recours de la poésie et c’est avec pertinence que R. Sánchez Ameijeiras entend avant tout repérer des « convergences » (p. 26). Elle veut ainsi dépasser le climax de l’étude des relations texte/image en évitant l’association trompeuse source-illustration pour lire la « structure » (p. 35) des compositions textuelles et visuelles de la seconde moitié du Moyen Âge. Pour ce faire, l’A. envisage son enquête comme un « parcours » d’œuvre en œuvre, de León (Espagne) à Laon (France), de Séville à Amiens, de Notre-Dame de Paris aux manuscrits de Las cantigas de Santa María. Elle met d’autre part ce parcours à l’épreuve de la notion de « rhizome » empruntée à Gilles Deleuze afin de bousculer les phénomènes de hiérarchie, de filiation et de dépendance. Enfin, l’A. propose une lecture originale des liens entre discours visuel et langagier basée sur les notions de « rime » et de « trope » (p. 52). À l’issue de la lecture du deuxième chapitre intitulé Dispositio, le lecteur a ainsi l’impression d’entamer une exploration tout à fait originale des structures communes aux textes et aux images, loin du décalque, du placage et de la correspondance forcée.
3Le chapitre suivant, Introitus, revient toutefois à un constat quelque peu déroutant : le sermon et le programme sculpté, en particulier aux façades des cathédrales gothiques, possèderaient une même fonction de communication (p. 65). C’est en partant de cette capacité partagée d’évoquer, influencer et convaincre que R. Sánchez Ameijeiras envisage une étude des portails présentant des scènes de baptême à travers le contenu et la forme des sermons consacrés à ce sacrement (en particulier pour les portails d’Auxerre et de Laon). La disposition des images, le sens de lecture des scènes, les articulations entre les différents registres figurés relèveraient davantage, selon l’A., de la glose sur le sacrement (d’un point de vue théologique et pastoral) que de la narrativité pure. La distance avec les évocations bibliques du baptême serait l’indice d’une influence directe de la pratique du sermon et la trace de ses modalités discursives. C’est dans le chapitre suivant, Transitus, que R. Sánchez Ameijeiras précise sa pensée en affirmant très justement qu’il ne s’agit pas de voir dans la mise en images la transposition nécessaire des moyens rhétoriques de l’homilétique, mais plutôt les conséquences d’une culture rhétorique partagée par les auteurs des textes et des images. L’A. pointe alors quelques-uns de ces principes esthétiques, tels que la variété et la brièveté (p. 100-105), à l’œuvre dans les deux formes d’expression, dans ce qui constitue l’un des apports majeurs de l’ouvrage : le passage d’une notion très vague de « rhétorique » appliquée trop largement à la culture médiévale à l’examen minutieux de ses composantes techniques et esthétiques au sein d’objets donnés. Face à l’importance d’une telle proposition, on peut regretter qu’elle ne soit pas donnée au seuil du livre ; une lecture en diagonale de l’ouvrage – tendance de plus en plus marquée, hélas, pour répondre à l’accroissement exponentiel de la production bibliographique dans le domaine de la médiévistique – laissera sans doute cette belle intuition dans l’ombre du développement…
4Une seconde chance est toutefois donnée de saisir toute la pensée de l’A. ; dans le chapitre Ressurectio, elle affirme ainsi que les similitudes de composition entre les sermons et les portails gothiques invitent à envisager, au moins de façon hypothétique, l’existence de structures communes de composition qui traversent les textes et les images, et qui sont le signe des nouvelles manières de mettre en forme le discours à partir de 1250 (p. 115). Dans les pages suivantes, la démonstration en est faite avec l’analyse des différents « niveaux » de sermo à l’œuvre dans l’image, des compositions les plus simples aux images les plus sophistiquées. En s’inscrivant dans une ligne de pensée développée notamment chez les auteurs anglo-saxons au cours des dernières années, l’A. évoque ainsi des images « vernaculaires » (p. 156) par opposition aux images savantes, construites sur les tours rhétoriques propres à la poésie. À cet instant, le lecteur a l’impression de revenir à une approche très stricte des liens entre rhétorique et image, à une correspondance terme à terme entre les deux procédés créatifs, et il faut être attentif pour saisir que R. Sánchez Ameijeiras raisonne en réalité sur le mode analogique et qu’elle cherche bien à voir ce qui persiste des modalités du discours pastoral dans la mise en images de certains thèmes (le cas des Cantigas de Santa María, p. 171, est passionnant à cet égard).
5Les deux derniers chapitres du livre sont les plus originaux puisqu’ils poussent cette analogie à son apogée en analysant d’une part la notion de « trope » dans l’exemple du psautier d’Utrecht (p. 181-194), d’autre part l’idée d’une « rime » dans l’image dans l’exemple des Cantigas de Santa María. À n’en pas douter, l’A. propose ici une nouvelle façon de voir la relation texte/image en repérant dans l’un et l’autre discours ce qui déclenche la création du visuel. La rhétorique n’est plus le produit d’un arrangement du langage, écrit ou figuré, mais le moyen de parvenir à la production d’une image nouvelle. La rhétorique partagée dans l’ensemble de la culture médiévale est ce qui permet la traduction sous forme d’images, d’idées ou de notions que l’on retrouve simultanément dans les sermons, les traités de prières, les homélies, les textes de dévotion, les arts poétiques, etc.
6Magnifiquement illustré, richement fourni en bibliographie, parfaitement documenté et mis en lumière par l’écriture très vive et poétique de R. Sánchez Ameijeiras, ce livre constitue une étude essentielle sur les relations texte/image au Moyen Âge. Il faut saluer le travail d’érudition de son A. et sa créativité, deux qualités trop rarement réunies au sein d’un même travail universitaire. En donnant un visage aux mots et aux paroles des prédicateurs de la fin du Moyen Âge, R. Sánchez Ameijeiras donne un coup de plumeau méthodologique sur une certaine lecture des liens entre le répertoire scolastique et les œuvres produites au xiiie et xive s. On ne peut qu’inviter le lecteur à lire avec patience cette belle somme.
References
Bibliographical reference
Vincent Debiais, “Rocío Sánchez Ameijeiras, Los rostros de la palabra: Imágenes y teoría en el Occidente medieval”, Cahiers de civilisation médiévale, 239 | 2017, 321-322.
Electronic reference
Vincent Debiais, “Rocío Sánchez Ameijeiras, Los rostros de la palabra: Imágenes y teoría en el Occidente medieval”, Cahiers de civilisation médiévale [Online], 239 | 2017, Online since 01 September 2017, connection on 03 October 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5924; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5924
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