Pierre Riché, Les combats de l’Église au Moyen-Âge
Pierre Riché, Les combats de l’Église au Moyen-Âge, Paris, CNRS Éditions, 2015.
Texte intégral
1L’ouvrage de Pierre Riché met à la disposition du grand public un florilège de textes qui entend faire « revivre les grands combats de l’Église romaine » dans ses relations avec le monde en Occident du ve au xve s. L’A. parle ainsi de « catholicisme » tout au long de son long travail. Ce dernier est divisé en 13 chapitres thématiques qui comprennent une courte introduction présentant le sujet et explicitant les textes sélectionnés. S’il s’agit souvent d’extraits assez courts, le livre offre à la réflexion du lecteur un total de 227 textes, en nombre variable selon les chapitres (de 11 à 32 textes), ce qui représente un florilège à la fois abondant et représentatif.
2La plupart des traductions proviennent de collections déjà existantes et ont été rassemblées en fonction du thème privilégié. Certaines d’entre elles datent du xixe s., beaucoup des années 1950-1980 (les manuels classiques d’E. Pognon, 1947 ; J. Calmette, 1953 ; M. Pacaut, 1952 ; Ph. Contamine, Ch. de La Roncière et alii, 1969 ; P. Riché et G. Tate, 1972) et quelques-unes d’éditions plus récentes (le recueil de G. Brunel et E. Lalou, 1992). Comme la manière de traduire entre F. Guizot en 1825 et la fin du xxe s. a considérablement évolué, une homogénéisation de ces traductions d’époques disparates aurait été la bienvenue pour fournir un texte au plus près de l’original. À titre d’exemple, on comparera l’extrait de la lettre de Grégoire le Grand) Mellitus (601) sur la conversion des Angles cité par P. Riché à la traduction complète offerte par B. Judic dans l’ouvrage dirigé par F. Bougard (Le christianisme en Occident du début du viie siècle au milieu du xie siècle, Paris, Sedes [Regards sur l’histoire, 117], 1997, omis par l’A.). Publiés à deux années d’intervalle, les dissemblances entre les deux façons de traduire sont notables. Diverses coquilles et quelques approximations étonnantes de vocabulaire pour un historien de la réputation de P. Riché (Léon III aurait « sacré » Charlemagne empereur ; l’usage du mot « conclave » dès 1059), incitent à penser que le livre a souffert d’une relecture un peu rapide pour une publication du CNRS. D’une manière générale, les orientations bibliographiques sont souvent anciennes, datant du siècle dernier à quelques exceptions près. Un index eut été également utile pour faciliter l’accès à un auteur ou une époque.
3Sans doute par souci de clarté didactique, les chapitres sont répartis en deux grandes catégories : « les combats pour » (la conversion des barbares ; la toute-puissance de la papauté ; l’union des Églises ; la dignité, l’œuvre pastorale et la culture des clercs et des moines) et « les combats contre » (les croyances et les musulmans ; la violence). Ces divisions sont toutefois artificielles et quelque peu rhétoriques : le combat contre la richesse peut être vu comme un combat pour la pauvreté évangélique ; la conversion des barbares comme un combat contre l’idolâtrie ; la lutte contre l’hérésie comme un combat pour la défense de la foi ; le combat contre les musulmans comme une délivrance de la Terre Sainte, etc. S’ajoutent trois chapitres qui entrent plus difficilement dans ce schéma dualiste : chap. 7, « Combats contre les juifs et combats pour les protéger » qui pose l’épineuse question de l’antijudaïsme chrétien ; chap. 10, « La femme et le sexe » (cet « adversaire qui terrifie l’Église jusqu’au xiie s. » : on retrouvera avec intérêt le texte célèbre d’Odon de Cluny, mais on regrettera l’absence d’extraits croustillants sur les philtres d’amour du pénitentiel de Burchard de Worms…) ; le chap. 13 clôt l’ouvrage sur un thème cher à la génération postconciliaire : « les laïcs dans l’Église ». Les femmes et les laïcs se trouvent dans l’Église, qui ne peut être véritablement ni pour ni contre eux. Ne seraient-ils pas d’abord un enjeu pastoral plutôt qu’un véritable combat ? Il existe une question de degré dans cette notion de « combat », concept assez flou qui aurait gagné à être défini avec précision.
4Le recueil a néanmoins le grand mérite de rassembler des textes nombreux de natures variées, ce qui permet de croiser les regards et les témoignages. Les textes narratifs sont bien représentés : un grand nombre de lettres (conseils pour convertir les barbares, faire l’éloge de la pauvreté, critiquer une primauté romaine excessive, encourager l’unité des Églises, instruire) ; histoire, gesta et chroniques (Raoul Glaber, Adémar de Chabannes, Guibert de Nogent, Matthieu Paris…) ; homélies et sermons (Grégoire le Grand, Robert de Sorbon…) ; traités théologiques ou polémiques (Thomas d’Aquin, Bernard de Clairvaux, Humbert de Romans, Humbert de Moyenmoûtier, Marsile de Padoue…) ; vitae (François d’Assise, Marie d’Oignies) et poèmes (Adalbéron de Laon, les Goliards, Marcabrun…). Il était également naturel que figurent des sources normatives et législatives (capitulaires carolingiens, règles et statuts monastiques, statuts de confréries, ordonnances royales, cartulaires) ainsi que les sources canoniques et liturgiques (canons synodaux mérovingiens, pénitentiels de Colomban et de Burchard, conciles œcuméniques, bulles pontificales, Décret de Gratien…).
5Chaque thème est envisagé tout au long du Moyen Âge mais, selon le sujet traité, des inflexions se font sentir qui auraient mérité une meilleure explicitation. La conversion des barbares et la lutte pluriséculaire contre les usages païens occupent logiquement les premiers chapitres. Du point de vue de la richesse, l’importance prise par la pauvreté volontaire à partir du xiie s. méritait d’être valorisée. Conformément à une certaine vision du « catholicisme », plusieurs chapitres (4 à 6) traitent du primat romain, mais l’affirmation du sacerdoce et d’une prise de conscience d’elle-même par l’Église (Selbstverständnis) – tant du point de vue institutionnel que d’une identité chrétienne – auraient pu être approfondies (une Église qui cléricalise modifie le rapport à la femme ou aux laïcs : chap. 10, 12 et 13). Cet aspect implicite explique l’importance accordée par l’A. à l’Église hiérarchique, institutionnelle et romaine plutôt qu’à l’Église-peuple de Dieu, selon le schéma avancé par P. Congar. Dès lors, à la fin du xie s., se pose de façon plus aiguë la question de la relation à l’autre, qu’il soit juif, musulman ou hérétique et le recours possible ou non à la violence (chap. 7, 8 9 et 11).
6Le thème de la culture et de l’éducation, qui devint par la force des choses un combat de l’Église, parcourt en filigrane tout l’ouvrage et l’on ne peut que suivre P. Riché lorsqu’il conclut son chapitre sur la violence et l’usage de la férule en citant saint Anselme : « Si vous désirez que vos enfants soient bien élevés, il faut donc que vous leur apportiez l’aide de votre douceur et de votre piété paternelle ». De lecture agréable et facile, cet ouvrage rendra donc de grands services tant aux universitaires qu’aux étudiants désireux de s’instruire davantage et de réussir leurs études supérieures.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Hervé Foulon, « Pierre Riché, Les combats de l’Église au Moyen-Âge », Cahiers de civilisation médiévale, 239 | 2017, 320-321.
Référence électronique
Jean-Hervé Foulon, « Pierre Riché, Les combats de l’Église au Moyen-Âge », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 239 | 2017, mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5922 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5922
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