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Comptes rendus

Caroline Fournier, Les bains d’al-Andalus viiie-xie siècle

Yann Dejugnat
p. 295-297
Bibliographical reference

Caroline Fournier, Les bains d’al-Andalus viiie-xie siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 2016.

Full text

1L’Islam médiéval a considéré le bain (ḥammām) comme l’une des institutions majeures de sa civilisation, au même titre que la grande mosquée. C’est précisément pour cette raison que l’Espagne de Philippe II s’employa à le faire disparaître, extirpant ainsi les derniers « usages mahométans », avant que l’imaginaire romantique ne le fasse ressurgir en l’associant aux fantasmes du harem. C’est donc à ce lieu emblématique de la société d’al-Andalus que Caroline Fournier consacre cet ouvrage, issu de sa thèse doctorale soutenue à Nantes, en 2010, sous la direction de Christine Mazzoli-Guintard. L’A. se propose d’en explorer les formes, les espaces et les fonctions, en s’appuyant sur les sources textuelles arabes, sur les données archéologiques, ainsi que sur une enquête ethno-archéologique réalisée au Maroc.

2Dans la première partie, où C. Fournier aborde la question de la formation du bain en al-Andalus, elle s’attache à démontrer que, contrairement à ce qu’affirme l’historiographie traditionnelle, les ḥammām-s ne sont pas les héritiers directs des bains de l’Hispanie romaine, dont elle analyse très finement les différentes phases d’évolution jusqu’à leur disparition définitive au viie s., mais de ceux du Proche-Orient byzantin, dont le modèle fut approprié et diffusé dans tout l’Empire islamique par les conquérants arabes. Dans ce modèle byzantin, les formes et les usages des bains romains furent profondément modifiés par la christianisation de la société qui les réduisit à leur stricte fonction hygiénique, supprimant notamment toute dimension hédoniste. À partir de ces bases, l’A. montre que le bain andalou s’est ensuite formé progressivement, en empruntant ses formes aux édifices de Maurétanie Tingitane, ses techniques de construction à l’Hispanie romaine et wisigothique et une partie de ses usages, notamment politiques, aux Omeyyades de Syrie.

3Dans la deuxième partie, consacrée à la construction et aux formes du bain, l’A. précise que les bains pouvaient être privés, installés dans les palais ou les résidences des hauts fonctionnaires, mais aussi publiques dans les villes et les villages (qarya), où ils étaient construits par des émirs et de grands personnages qui attribuaient des rentes aux bains pour assurer leur fonctionnement grâce au système des fondations pieuses (habous). En s’appuyant largement sur les ressources archéologiques et sur son enquête ethno-archéologique, elle s’attache à reconstituer la matérialité et le fonctionnement des bains, à travers l’étude du chantier et des modules constructifs. Loin de se résumer à un seul type architectural, l’A. dégage huit types de bains et propose de reconstituer, grâce à l’étude des matériaux et des décors, les circulations des modèles dans le monde islamique. Alors que les bains de la période califale (xe s.), en particulier ceux de Madīnat al-Zahrā’, témoignent d’un processus d’orientalisation, ceux de Jaén et de Murcie, construits aux époques almoravide et almohade (xiie s.), révèlent une forte empreinte maghrébine. Quant aux bains de la Grenade nasride, ils manifestent à la fois une volonté de revenir au modèle califal omeyyade mais aussi une profonde insertion dans les échanges avec le Maghreb occidental.

4Dans la troisième partie, C. Fournier aborde les pratiques et la place du bain dans la société. Alors que l’on tient généralement le ḥammām comme un édifice emblématique du monde musulman, l’A. rappelle que celui-ci inspirait la méfiance voire la crainte des juristes, qui le décrivaient comme un lieu de promiscuité sexuelle, de transgression des normes morales et de rupture de l’ordre social établi. Loin d’être une spécificité de l’Islam, ce discours juridico-religieux s’inscrit dans la continuité du droit romain tardif et des Pères de l’Église, qui assimilaient les bains publics à la « maison de Satan » (bayt al-Shaytān). Toutefois, le soupçon des oulémas n’a pas empêché la fréquentation de ce lieu, ce qui permet à l’A. de souligner, à très juste titre, l’écart, parfois considérable, entre les normes juridico-religieuses et les pratiques sociales dans l’Islam médiéval. Le bain a fonctionné, dès les premiers siècles de l’Islam, comme un lieu de rencontre et de socialisation. Mais loin d’être un espace « niveleur », le bain apparaît comme un espace de différenciation sociale, comme l’indique la présence d’alcôves, espaces probablement réservés aux catégories sociales supérieures. De même, l’usage du bain féminin était strictement séparé de celui des hommes, comme cela était le cas à Byzance. Là encore, les femmes s’approprièrent cet espace qui échappait au contrôle masculin, tout en maintenant des formes de différenciation sociale. En revanche, il apparaît difficile de préciser dans quelle mesure les bains musulmans étaient fréquentés par les tributaires juifs et chrétiens. Si les sources juridiques signalent que les femmes musulmanes et chrétiennes fréquentaient ensemble le ḥammām, en revanche, la question reste ouverte pour les hommes, faute de sources. Plus fondamentalement, l’A. remet en cause l’idée, héritée de l’orientalisme, de l’existence d’un binôme bain-mosquée. L’utilisation du bain pour accomplir les ablutions rituelles paraît plutôt marginale, voire déconseillée par les juristes. Quant à la localisation des bains à proximité des mosquées, elle s’explique avant tout par des facteurs de rentabilité économique plus que par des motifs religieux. Aussi l’A. souligne la vocation avant tout profane de ces édifices, qui étaient surtout des lieux d’hygiène, de plaisir et, peut-être, de santé. Enfin C. Fournier aborde la fonction politique des bains de prestiges. Leur situation dans les complexes palatiaux et la présence de programmes décoratifs élaborés laisse penser que le bain était conçu comme un espace de réception. Malheureusement, les textes ne nous disent rien sur leur utilisation dans les rituels de cour.

5Cet ouvrage très soigné, pourvu de nombreuses illustrations, d’une importante base de données (recensant 90 édifices) et de plans redessinés et mis à la même échelle, nous offre ainsi la première véritable synthèse consacrée aux bains d’al-Andalus. En croisant sources textuelles et archéologiques, l’A. aborde la question de la « transition » entre l’Antiquité tardive et le Moyen Âge, en se positionnant, de manière à la fois claire et nuancée, dans le courant rupturiste. Au-delà de cette problématique centrale, cette étude permet également d’entrevoir comment la civilisation islamique s’est construite parallèlement et parfois en opposition à la religion musulmane, le bain s’étant développé, sur le plan des normes religieuses, non pas avec mais contre la mosquée.

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References

Bibliographical reference

Yann Dejugnat, “Caroline Fournier, Les bains d’al-Andalus viiie-xie siècleCahiers de civilisation médiévale, 239 | 2017, 295-297.

Electronic reference

Yann Dejugnat, “Caroline Fournier, Les bains d’al-Andalus viiie-xie siècleCahiers de civilisation médiévale [Online], 239 | 2017, Online since 01 September 2017, connection on 11 December 2024. URL: http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5882; DOI: https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5882

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