Stefka G. Eriksen, Writing and Reading in Medieval Manuscript Culture. The Translation and Transmission of the Story of Elye in Old French and Old Norse Literary Contexts
Stefka G. Eriksen, Writing and Reading in Medieval Manuscript Culture. The Translation and Transmission of the Story of Elye in Old French and Old Norse Literary Contexts, Turnhout, Brepols (Medieval Texts and Cultures of Northern Europe, 25), 2014.
Texte intégral
1Elie de Saint-Gilles est à l’origine une chanson de geste (probablement xiie s.), narrant l’histoire du chevalier Elie et de la princesse Sarrasine, Rosamunde. Au siècle suivant, cette histoire fut mise par écrit dans un certain nombre de manuscrits témoignant de sa popularité à travers l’Europe tout entière, notamment par des traductions en langue norroise. Dans son ouvrage, Stefka Eriksen analyse trois manuscrits : un texte en vieux français, Elye de Saint-Gilles (env. 1280), ms fr. 25516, et deux manuscrits en vieux norrois, où la chanson de geste était connue sous le nom d’Elíss saga ; l’un est norvégien et est contemporain du premier texte (De la Gardie 4-7 Fol.), et l’autre est islandais et date d’environ 1400 (Holm Perg 6 4 to).
2Le livre de G. Eriksen ne porte pas sur les traductions du texte d’Elie de Saint-Gille d’un point de vue du contenu narratif. Son analyse se concentre sur le contenant, c’est-à-dire sur le texte/livre en tant qu’objet à manipuler, voir et lire. L’idée centrale de G. Eriksen est que les choix éditoriaux, codicologiques, l’existence de titres, d’illustrations, ainsi que les découpages du texte, pour ne citer que ces élements, opérés par les scribes peuvent nous en apprendre plus sur les mécanismes culturels de transmissions écrites – transmission texte/auteur(s)/audience, au Moyen Âge. Writing and Reading s’inscrit dans la lignée des recherches philologiques menées entre autres par M. Kalinke et G. Barnes, en offrant une approche complémentaire à celles-ci. Si ces dernières démontrèrent que les processus de traduction, principalement du vieux français vers le norrois, s’accompagnèrent de stratégies d’adaptation des textes au contexte de réception nordique – au moyen d’omissions et surtout par une focalisation sur l’action, notamment au détriment des passages descriptifs et des scènes d’amour courtois, éléments jugés de peu d’intérêt pour un public nordique, ou contraire à ses valeurs – elles ont largement ignoré le fait que l’étude des transferts culturels et des interactions avec les systèmes culturels locaux pouvaient aussi concerner ces traductions dans leur matérialité. L’œuvre de G. Eriksen comble avec succès cette absence.
3L’approche comparative de l’A. fait de son étude un projet résolument ambitieux puisqu’il analyse trois textes rédigés et accueillis dans des contextes et des époques très différents : la riche cour des comtes de Flandre, le milieu aristocratique d’un royaume (la Norvège) qui bien qu’étant périphérique, « s’ouvrait » de plus en plus aux influences politiques et culturelles occidentales, et enfin l’élite d’une île, l’Islande, aux frontières de l’Arctique, région sombrant dans un isolement politique et économique grandissant, mais conservant une importante activité littéraire. Notons ici, qu’il est heureux que G. Eriksen ait effectué une mise en contexte des ouvrages respectifs, très satisfaisante. L’ambition de l’A. se retrouve surtout dans son intention d’élaborer un outil méthodologique qui puisse être reproduit dans l’examen de tout autre manuscrit médiéval (p. 5). Cet outil est triple. Il consiste d’abord à étudier la mise en livre des manuscrits, c’est-à-dire leur matérialité ; si le texte est accompagné d’autres récits ou pas, et si c’est le cas, quels rapports entretiennent-ils entre eux. Ensuite, vient l’examen de la mise en page, le texte dans son visuel ; quelles dispositions visuelles ont été adoptées (colonnes/texte plein, découpage des chapitres, mais aussi présence d’images, initiales, illustrations et enluminures). Enfin, il convient d’étudier la mise en texte ; les choix concernant la ponctuation et les abréviations. La finalité de cet outil est de dévoiler les stratégies opérées par les scribes dans la traduction et la transmission d’un texte à son public, et in fine de mieux comprendre d’une part, les mécanismes littéraires et linguistiques en jeux dans la présentation d’une traduction, et d’autre part, la signification culturelle, sociale et politique de l’ouvrage pour son audience et ses mécènes.
4Au terme de son analyse, G. Eriksen conclut, sans surprise, que les trois textes de la chanson de geste Elie de Saint-Gille présentent des particularités littéraires liées à leurs contextes historique et de réception respectifs : d’une part, les deux premiers ouvrages (ms fr. 25516 et De la Gardie 4-7 fol.), par la richesse et le raffinement de leurs présentations, avaient une vocation de marqueur social. Au-delà de transmettre un texte, le travail des scribes était commandé par le besoin d’ajouter au prestige culturel de son possesseur – en tant qu’intermédiaire d’une culture courtoise auprès des élites locales, une manifestation concrète de son prestige économique. Le manuscrit islandais, beaucoup plus sobre dans son approche visuelle, appartenait à un système de communication plus tardif, plus accoutumé à l’écrit, et par conséquent plus enclin à subordonner la matérialité de la traduction par ses auteurs à son contenu.
5L’analyse des trois textes d’Elie aboutit surtout à une réflexion sur les rapports interlinguistiques (entre deux langues différentes, vieux francais/norrois) et intralinguistiques (au sein d’une même langue, Norvège/Islande). Elle permet d’opposer les processus de traduction à ceux de réécriture. G. Eriksen voit le passage du vieux français au norrois affecter plus grandement la matérialité des traductions. L’Elíss saga norvégienne contient ainsi de nombreux changements par rapport au texte en vieux français du ms fr. 25516, dans la mise en livre, mise en page et mise en texte. À l’inverse, le travail de réécriture des scribes islandais, bien qu’éloigné dans le temps se conforma davantage aux normes établies dans le texte norvégien cent ans plus tôt.
6Pour coller à la thématique de cette étude, nous apprécierons sa mise en livre, avec dans les premières pages, de belles et utiles photographies des manuscrits étudiés. Nous noterons pourtant l’absence d’index. Nous soulignerons enfin une certaine tendance à la répétition des mêmes faits et conclusions, même s’il demeure que Writing and Reading est avant tout une étude fort bien réalisée et d’une très grande clarté ; une clarté qu’elle semble bel et bien tirer d’une méthodologie qui s’avère être fructueuse et efficace. En considérant les traductions courtoises médiévales d’un point de vue matériel et textuel, l’étude pluridisciplinaire de l’A. a surtout le grand mérite d’élargir le champ de recherche des traductions norroises médiévales ; un champ déjà bien étudié, mais qui n’en finit pas de nous surprendre agréablement, à l’image du livre de S. Eriksen.
Pour citer cet article
Référence papier
David Brégaint, « Stefka G. Eriksen, Writing and Reading in Medieval Manuscript Culture. The Translation and Transmission of the Story of Elye in Old French and Old Norse Literary Contexts », Cahiers de civilisation médiévale, 239 | 2017, 294-295.
Référence électronique
David Brégaint, « Stefka G. Eriksen, Writing and Reading in Medieval Manuscript Culture. The Translation and Transmission of the Story of Elye in Old French and Old Norse Literary Contexts », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 239 | 2017, mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 04 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5879 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5879
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