Nikolaos G. Chrissis, Crusading in Frankish Greece, A Study of Byzantine-Western Relations and Attitudes, 1204-1282
Nikolaos G. Chrissis, Crusading in Frankish Greece, A Study of Byzantine-Western Relations and Attitudes, 1204-1282, Turnhout, Brepols (Medieval Church Studies, 22), 2012.
Texte intégral
1Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université de Londres sous la direction de Jonathan Harris en 2008, le livre de Nikolaos Chrissis, publié en 2012, renouvelle la question de la domination occidentale dans les territoires byzantins après la prise de Constantinople en 1204, redéfinit le concept de croisade dans l’Orient latin et s’intéresse à ses conséquences sur les relations gréco-latines au xiiie s.
2Ce travail bien documenté et illustré de cartes, s’appuie sur un important dépouillement de registres pontificaux, de sources littéraires et de documents d’archives édités. Après un bilan historiographique pointant l’ancienneté des études sur les croisades et Byzance, l’ouvrage s’attache à montrer que la présence de croisés occidentaux en Romanie latine après la conquête de Constantinople ne procède pas seulement d’ambitions personnelles, de quêtes de pouvoir et de convoitises territoriales. Elle résulte également du projet pontifical d’affirmer la présence latine dans les territoires de l’Église grecque par la défense de ses possessions, la résolution du schisme et la soumission des Grecs à l’obédience latine.
3En cinq chapitres respectant l’ordre chronologique des pontificats, l’A. met en évidence la construction de l’argumentation papale pour légitimer la croisade en Grèce franque et l’ancrer progressivement dans les consciences, comme une entreprise pieuse et méritante au sein de laquelle les Grecs occupent le rôle d’ennemis de la foi et de l’Église. Graduellement, l’Église latine introduit ainsi les mécanismes de la croisade (prédication, vente d’indulgences, collecte de fonds, commutation des vœux, taxation sur les biens ecclésiastiques, etc.) et l’accompagne d’une rhétorique justificative pertinente.
4Le pape Innocent III (1204-1216) légitime son action croisée par la nécessité de soutenir l’empire latin nouvellement créé (chap. 1), tandis qu’Honorius III (1216-1227) inscrit la croisade dans une perspective de consolidation de l’empire et de protection du royaume de Thessalonique (chap. 2). Si, durant ces deux premières décennies, la croisade en Grèce franque constitue un soutien à la Terre Sainte, qui demeure l’objectif principal des croisades, l’A. souligne l’évolution des discours pontificaux et l’apparition de nouveaux motifs croisés. Le devoir de défendre la Nova Francia de Romanie ou la nécessité de combattre les Grecs supplantent peu à peu l’invocation de la Terre Sainte pour justifier l’expédition croisée. L’apogée de ce mouvement se situe entre 1227 et 1241, période à laquelle le pape Grégoire IX mène consécutivement deux croisades contre l’empereur Jean II Vatatzes et son allié le souverain bulgare Jean Asen II (chap. 3). Il s’ensuit une période de retranchement (1241-1261), lors de laquelle les papes Innocent IV et Alexandre IV abandonnent progressivement l’empire latin de Constantinople et laissent les Grecs s’emparer de la capitale en 1261 (chap. 4). Le choc de la reconquête byzantine de Constantinople provoque alors la reprise des appels à la croisade par Urbain IV (1261-1264), mais il s’agit des derniers efforts croisés déployés en Grèce franque au xiiie s. Car, si Charles d’Anjou tente par la suite de rétablir l’empire latin avec le soutien des papes Clément IV (1265-1268) puis Martin IV (1281-1285), les mécanismes de croisade ne seront plus employés (chap. 5).
5L’A. s’interroge également sur la perception et la réception de la croisade en Grèce franque par les contemporains. Décriés ou loués, les appels répétés à la croisade, quelles que soient leurs causes et leurs légitimations, ont tous pour conséquence un durcissement des relations gréco-latines. D’abord marginale aux xie et xiie s. (bien que 1054 marque la date officielle de l’origine du schisme), la perception des Grecs comme schismatiques se généralise en Occident à partir de 1204 et devient un argument de base dans les sources pontificales et les œuvres littéraires pour justifier l’appel à la croisade. Le Grec passe du statut de coreligionnaire à celui de chrétien déviant, puis d’infidèle et d’ennemi de la foi. Pour l’A., conjointement aux négociations unionistes (dont il juge le rôle parfois exagéré par l’historiographie), la croisade se consacre donc à la résolution du schisme, devenue une des priorités de la politique papale en Romanie. De façon moindre, en raison du manque de sources, l’A. analyse également le point de vue byzantin. Le pouvoir impérial, conscient de la menace occidentale, engage des négociations unionistes qui, bien qu’impopulaires à Byzance, visent avant tout à éviter la menace d’une expédition contre Nicée ou l’empire reconstitué de Constantinople. Parallèlement, la rareté des références à la croisade occidentale chez les auteurs byzantins traduit la volonté de discréditer le projet latin. Les activités croisées en Romanie stoppent en 1282. Mais, face à la menace d’expansion turque, des projets de croisade continuent à voir le jour. Les objectifs des pouvoirs latins évoluent alors en faveur d’un rapprochement avec Byzance. Cependant, malgré quelques tentatives conjointes de croisade contre les Turcs, les efforts croisés répétés des Occidentaux à l’encontre des Byzantins (outre le souvenir de la conquête de 1204) avaient installé une telle méfiance mutuelle entre Grecs et Latins, qu’elle perdura jusqu’à 1453 et la prise de Constantinople par les Turcs et même au-delà.
6S’il est possible d’augmenter la bibliographie de quelques références françaises sur les travaux relatifs aux croisades et à l’Union des Églises, ce livre présente l’intérêt pour les spécialistes de l’Orient latin d’aborder le phénomène de l’expansion latine en Romanie du point de vue des croisades et de redéfinir la Grèce franque comme une terre de croisade légitime. Plus encore, cet ouvrage est novateur car l’A. replace à juste titre son étude dans le contexte plus large de l’évolution des guerres saintes et de l’expansion des fronts croisés en Europe médiévale (en Baltique, dans la péninsule ibérique ou contre les hérétiques), prenant ainsi en compte l’ensemble du contexte socio-politique, économique et religieux qui mena à l’expansion de la chrétienté latine.
Pour citer cet article
Référence papier
Marie Guérin, « Nikolaos G. Chrissis, Crusading in Frankish Greece, A Study of Byzantine-Western Relations and Attitudes, 1204-1282 », Cahiers de civilisation médiévale, 239 | 2017, 291-293.
Référence électronique
Marie Guérin, « Nikolaos G. Chrissis, Crusading in Frankish Greece, A Study of Byzantine-Western Relations and Attitudes, 1204-1282 », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 239 | 2017, mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 12 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5872 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5872
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