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Comptes rendus

Brigitte Boissavit-Camus (dir.), Le Baptistère Saint-Jean de Poitiers. De l’édifice à l’histoire urbaine

Claude Andrault-Schmitt
p. 288-290
Référence(s) :

Brigitte Boissavit-Camus (dir.), Le Baptistère Saint-Jean de Poitiers. De l’édifice à l’histoire urbaine, Turnhout, Brepols (Bibliothèque de L’Antiquité tardive, 26), 2014.

Texte intégral

1Cet ouvrage est issu d’un faisceau de conjonctures : les études menées par sa directrice sur le quartier épiscopal de Poitiers, sujet de sa thèse ; un projet collectif de recherches sur « Les édifices du haut Moyen Âge en Aquitaine » (1995-2000) ayant associé un examen critique des dossiers anciens et des opérations de terrain ; le nettoyage et la mise en valeur des parois extérieures du monument qui ont permis de prolonger l’intervention des archéologues (analyses techniques, relevés pierre à pierre grâce aux échafaudages) ; des échanges issus de relations scientifiques plus pérennes que circonstancielles. Il a bénéficié du soutien de la Drac Poitou-Charentes, soit en général, soit par ses services ou ses acteurs. Ces collaborations multiples étaient d’autant plus indispensables que, pour un édifice à valeur d’enjeu pour l’histoire de l’art chrétien, les interrogations sur la chronologie ne pouvaient être satisfaites par des arguments univoques. Aussi le livre répond-il heureusement aux attentes exprimées depuis les prémices posées en 1989 par les XIIIe journées de l’Association française d’archéologie mérovingienne. Il est articulé en six gros chapitres, dont le premier est un bilan historiographique et le suivant un état des lieux aux « premiers temps chrétiens ». C’est dans le troisième, aussi long que les deux premiers réunis (140 p.), qu’on trouvera l’histoire du bâti du vs. à nos jours, et donc les propositions les plus nouvelles autant que les plus sûres, grâce au croisement des données : canevas qui devra se substituer à celui des discours antérieurs, ce qui n’est jamais ni facile ni immédiat.

2L’histoire des recherches commence en 1703, lorsqu’on démolit une structure élevée au milieu du monument et aussi lorsqu’on découvre la plaque de marbre antique portant l’épitaphe de Claudia Varenilla (voir, récemment, Jean Hiernard, « L’épitaphe de Claudia Varenilla définitivement datée », Revue historique du Centre-Ouest, 13, 2014, p. 305-314). Elle se poursuit avec une controverse majeure – la première d’une longue série. Temple avec un trou en rapport avec des sacrifices païens (Bobinet), mausolée (Dreux du Radier), baptistère (dom Martène), ou baptistère et cathédrale à la fois (dom Fonteneau) ? Les réponses dépendent alors déjà largement de l’interprétation de l’architecture telle qu’elle se présentait aux érudits, qui avaient des préoccupations se rapprochant de ce que nous appelons l’étude d’authenticité, si bien que leurs notes et dessins sont précieux. Les datations des parties les plus anciennes, quant à elles, variaient entre le ier et le ve s. La piscine fut exhumée en 1803. Dans l’ouvrage, l’ensemble de la documentation iconographique illustre et prolonge cette histoire, non sans tenir compte du rôle de la Société des antiquaires de l’Ouest, qui accompagna un achat par l’État, puis des restaurations et restitutions. Le père Camille de la Croix fut « le premier savant à restituer une chronologie qui tienne compte de l’ensemble des vestiges » lorsqu’il procéda à des fouilles (1895-1900) avant de transformer l’espace en musée mérovingien géré par la Société dont il était le « questeur » et conservateur. Il restituait, pour le ive s., un ensemble formé de deux salles rectangulaires entouré d’annexes qui auraient été détruites à la fin du viie s. lors de l’édification de l’abside orientale et des absides latérales (alors quadrangulaires, pensait-il) : chronologie reposant en partie sur un recoupement douteux entre comparaisons formelles et contexte historique mais qui fit date. Les recherches n’ont repris qu’au milieu du xxe s., grâce à Jean Hubert et François Eygun ou plutôt, devrait-on dire, à leur opposition scientifique. Le second effectua des fouilles dont l’interprétation nourrit une nouvelle vulgate, renouvelée pour la chronologie mais pas très différente de la précédente en ce qui concerne l’évolution du plan : une domus atteinte par un incendie en 276, un baptistère du ive s. à chevet plat repris et complété au vie… Ont ensuite progressé les études sur le marbre des chapiteaux (Jean Cabanot), grâce à des analyses techniques, car, à vrai dire, les raisonnements précédents étaient sur ce point très circulaires. Signalons que des paragraphes particulièrement intéressants mettent les hypothèses des uns et des autres en perspective avec leur temps et les mentalités de leurs auteurs.

3Dans l’Antiquité, le quartier du baptistère s’inscrit dans le cadre d’une occupation relativement dense de l’éperon de confluence, site naturel de la ville de Poitiers extrêmement vaste comme on le sait. Relativement éloigné du faîte du plateau qui regroupait davantage de bâtiments publics, c’est un secteur à vocation économique et résidentielle. Les structures observées sous l’édifice indiquent une densification de plus en plus grande : on est passé de l’état d’enclos et/ou cours à la construction de maisons (période 2, phase 3, Haut-Empire), puis à l’amélioration de cet habitat avec enduits et chauffage par hypocauste. C’est à une « restructuration parcellaire » que sont dues une installation balnéaire privée et une citerne (période 3, phase 5, tournant des iiie-ive s. ?). Les vestiges du complexe épiscopal permettent ensuite d’évoquer le cœur du problème, c’est-à-dire la christianisation. Malheureusement, ils ne sont représentés que par des fragments découverts au hasard des travaux (souterrain conduisant au Musée), à peine complétés par des sondages. Mais l’hypothèse est solide, car elle est appuyée sur une migration topographique qui concerne le quartier entier sur plusieurs siècles, comme un jeu de dominos. En bref : l’important bâtiment tardo-antique quadrangulaire qui faisait face à la domus, à l’ouest, devrait être l’ecclesia, c’est-à-dire la cathédrale primitive, qui a dû être déplacée (au début du xie s. ?) de quelque 55 m vers le nord, à l’emplacement de la cathédrale actuelle. Peut-être identifiable à l’origine à un édifice public, car attribuée dans ses formes premières au troisième quart du ive s., cette construction n’a été qu’ensuite complétée par une galerie et modifiée dans ses accès, son chevet restant une énigme. Parallèlement, la domus ayant été étendue vers l’ouest, avec des fonctions baptismales (fin du ive-début du ve s. ?). Mais on manque de preuves, y compris pour la forme originelle de la piscine.

4Nous sommes là déjà au numéro 7 d’une « chronologie relative bien établie » qui fait état à la fois de phases et de périodes. Abordons le gros chap. 3 et résumons la suite de l’histoire pour les lecteurs peu habitués à cette identification spécifique aux archéologues, qui reflète les précautions d’usage mais peut déconcerter lors d’une lecture rapide fondée sur la recherche des conclusions d’étape. Désormais, il est question de l’édifice baptismal proprement dit, pour lequel sont énumérés des états commençant au numéro 1. Au ve s., on démolit les structures précédemment décrites pour préparer le terrain, afin d’élever un baptistère de plan simple mais enfin adéquat à sa fonction. Il est essentiellement formé d’une salle rectangulaire s’étendant vers l’est jusqu’au milieu de l’abside actuelle et dont la terminaison occidentale est inconnue : cette longueur constitue l’une des différences avec les hypothèses émises jusque-là ; d’autre part, des études plus pertinentes sur le ou plutôt les systèmes successifs de fonctionnement de la piscine démentent les théories antérieures. Dans le cours du vie s., cet édifice est agrandi et réorganisé, la salle principale étant subdivisée en deux et augmentée d’un porche (états 2 et 3). Peu après cependant (état 4), une reconstruction a fundamenta de la partie orientale donne une articulation que nous connaissons encore, mais dont nombre de détails resteront toujours d’approche difficile en raison des restaurations : une abside polygonale inscrite dans un chevet carré et deux absidioles latérales. À la description de chaque étape sont jointes des conclusions ou hypothèses sur la configuration du quartier et sur la vitalité de la cité entière, voire, dans certains cas, sur la caractérisation du Poitou.

5Insistons sur la campagne suivante. C’est au viie s., sur les mêmes fondations, qu’intervient « une monumentalisation », encore en grande partie lisible actuellement (sauf à l’ouest) : parois au décor architectural soigné, frontons et corniches, remploi d’éléments sculptés et de spolia, abside voûtée. La « gestion du chantier » peut être approchée, mais la datation 14C ne peut être précisée. Ce surgissement d’un monument resté emblématique révèle l’ambition d’un évêque souhaitant disposer d’une « architecture de représentation », d’ordre symbolique et idéologique, au sein d’une ville dynamique : celle de Dijon, v. 628-673, et/ou Ansoald, v. 675-v. 697 ? L’œuvre, à ce stade, mérite une analyse poussée, qui développée amplement dans le chap. 4 sous le titre « L’art de bâtir » et dans le chap. 5 sous le titre « Le décor installé dans le baptistère au viie s. ». Si les études des appareils, élévations ou sols et les résultats d’analyse (pétrographie, mortiers) intègrent les états antérieurs et proposent une suite chronologique longue, celle du décor (Anne Flammin) est réservée à cette période faste. La description approfondie des différentes plaques sculptées et pilastres extérieurs permet de conclure à une autre hétérogénéité : certaines pièces, légèrement retaillées et probablement issues de l’état antérieur du même monument, sont en remploi, d’autres pas. Des motifs d’origine antique, souvent comparables à ceux de la structure hispano-wisigothique, auraient été choisis pour leur valeur iconographique. Dans ce contexte, l’usage complémentaire de terres cuites n’est guère étonnant. Les chapiteaux du rez-de-chaussée, taillés dans un marbre de Saint-Béat (Pyrénées) ont des dimensions et des motifs assez divers ; « véritables joyaux de l’Antiquité tardive », ils sont tous réemployés. Ceux de l’étage, en calcaire, présentent au contraire une belle unité, et s’adaptent parfaitement à leurs colonnes ; ils ont été exécutés pour ce chantier-ci, et on ne peut que regretter la rareté des éléments de comparaison qui permettraient d’en dire davantage sur cette production qui honore ses ateliers.

6Divers travaux moins importants jalonnent l’époque carolingienne : construction sous une première forme de la cloison ouverte de trois arcs entre les deux salles, destruction du porche, abandon du système d’alimentation d’eau courante – pas nécessairement lié à la fin du baptême par immersion, difficile à cerner dans l’Occident chrétien en général. L’incendie de 1018, bien connu pour une grande partie de la ville, qui a dû entraîner la démolition et le déplacement de la cathédrale primitive et dont les traces ont pu être repérées sur l’épiderme des parois supérieures du baptistère, est le point de départ de reprises structurelles. Outre de petites modifications comme la transformation des baies en oculus, il faut envisager différents projets avortés occupant le second quart du xie s. On s’est finalement prononcé pour une reprise de la triple arcade de séparation et pour l’érection de son contremur, et ensuite pour une nouvelle présentation de la salle occidentale, refaite à neuf : avant 1070, en utilisant des matériaux en partie récupérés, avec une structure à pans coupés et un décor de modillons sculptés. Les superbes peintures murales ont donné enfin à ces campagnes romanes une valeur supérieure, qui pose la question du statut de l’édifice. Dans cette église Saint-Jean Baptiste devenue en partie paroissiale, ont été bien longtemps commémorées les anciennes fonctions baptismales de l’évêque, ce qui en fait un véritable « lieu de mémoire » – terme galvaudé qui convient pourtant ici, notamment à la lumière de l’histoire de la conservation de l’édifice jusqu’à nos jours.

7Compensant l’aspect un peu triste de l’illustration d’accompagnement, un album couleur complète l’ouvrage ; il était nécessaire tant pour les peintures murales que pour les jeux d’appareil ou les phasages. Cependant, étape après étape, des plans très clairs et surtout des axonométries parfaitement lisibles ont accompagné le lecteur. Le livre se termine par l’état de la question de l’architecture baptismale. Place justifiée, qui répond à la mise en cause des raisonnements comparatistes, dénoncés plus haut comme étant responsables de l’élaboration de nombre de fausses pistes. C’est en considérant désormais l’ensemble du dossier que Jean-François Reynaud parcourt les sites les mieux compris des archéologues. Son corpus est à la fois ouvert et réduit par les nouvelles conclusions sur Poitiers : « quelques rares sites d’Europe occidentale présentent une situation analogue. » Les parallèles concernent soit la réutilisation d’un habitat antique, soit la place occupée par un baptistère dans le quartier épiscopal, soit les installations liturgiques et baptismales (sans oublier un ciborium magnifiant la piscine, probablement présent à Poitiers), soit la transformation en église, certaines de ces pistes se recoupant (Genève, Grenoble, Le Puy…). En bref, les médiévistes trouveront dans l’ensemble du livre non seulement les analyses exhaustives d’un monument « mérovingien » en élévation, mais aussi et surtout des arguments pour s’intéresser à un temps long ; celui-ci intègre des créations « romanes » et même « gothiques », et fournit des preuves assez exceptionnelles de l’attachement pérenne à la valeur symbolique d’un bâtiment qui n’a pas attendu l’émergence du concept de patrimoine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Claude Andrault-Schmitt, « Brigitte Boissavit-Camus (dir.), Le Baptistère Saint-Jean de Poitiers. De l’édifice à l’histoire urbaine »Cahiers de civilisation médiévale, 239 | 2017, 288-290.

Référence électronique

Claude Andrault-Schmitt, « Brigitte Boissavit-Camus (dir.), Le Baptistère Saint-Jean de Poitiers. De l’édifice à l’histoire urbaine »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 239 | 2017, mis en ligne le 01 septembre 2017, consulté le 17 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5868 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5868

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