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Comptes rendus

Tjamke Snijders, Manuscript Communication. Visual and Textual Mechanics of Communication in Hagiographical Texts from the Southern Low Countries, 900-1200

Vincent Debiais
p. 435-436
Référence(s) :

Tjamke Snijders, Manuscript Communication. Visual and Textual Mechanics of Communication in Hagiographical Texts from the Southern Low Countries, 900-1200, Turnhout, Brepols (Utrecht Studies in Medieval Literacy, 32), 2015.

Texte intégral

1Tjamke Snijders propose dans le remaniement de sa thèse une véritable somme consacrée à la production et à l’usage des manuscrits hagiographiques dans le nord de l’Europe entre 900 et 1200. Sur près de 500 p., l’A. étudie avec une immense érudition les conditions culturelles et politiques qui ont permis la copie de plusieurs centaines de manuscrits contenant des vies de saints, ainsi que la forme, la disposition et l’écriture de ces textes.

2L’ouvrage ne se présente pas du tout comme un catalogue des manuscrits à contenu hagiographique produits dans les monastères bénédictins du sud des Pays-Bas, c’est-à-dire dans les anciens diocèses d’Arras/Cambrai, Tournai, Thérouanne et Liège. S’ils sont bien le cœur de la recherche de l’A., du point de vue codicologique, paléographique, de l’histoire des textes et de la liturgie, ils sont surtout l’occasion de placer « l’objet livre » au cœur des pratiques religieuses, de sa fabrication à son usage dans la vie monastique. L’A. considère en effet qu’un jeu subtil d’influence s’opère entre le contexte de production du manuscrit et le produit livre lui-même, de la même façon que le contenu des manuscrits et des bibliothèques influencent la vie liturgique du monastère et ses relations avec d’autres institutions. C’est là une grande originalité de l’étude de T. Snijders que de proposer un modèle de circulation intellectuelle et religieuse basée sur le manuscrit hagiographique qui n’apparaît plus seulement comme le produit d’ambitions politiques ou économiques ou comme l’instrument de réformes disciplinaires, mais davantage comme un élément essentiel – central, en ce sens – dans la vie des communautés religieuses. Le titre de l’ouvrage insiste sur le terme de « communication » pour décrire ce système et pose d’emblée que le manuscrit hagiographique, dans sa forme et dans son contenu, est un moyen (un médium) utilisé par les monastères pour communiquer, pour diffuser des idées à l’intérieur et à l’extérieur du cadre de la vie cénobitique ; et le postulat de l’A. est que l’ensemble des éléments constituant le manuscrit, de sa mise en page au type d’écriture retenu, participent de cette entreprise de communication. Les neuf chapitres du livre, divisés en trois parties, s’attachent à faire la démonstration de ce postulat.

3Il ne pouvait en être autrement, l’ouvrage débute par une description très fine de l’implantation bénédictine dans le sud des Pays-Bas actuels que l’A. choisit de présenter par « vagues » : vagues de fondation ou d’installation, vagues de réforme et de refonte. Parfaitement documentée et appuyée sur une riche bibliographie, cette partie propose un panorama remarquable d’histoire monastique. Bien plus encore, elle discute la notion même de « réforme » dans le contexte bénédictin (p. 34-36) et invite à lire l’histoire des grands monastères comme une tension entre une volonté de status quo et une aspiration à la remise en ordre des coutumes, ce qui, du point de vue de la psychologie des groupes, est parfaitement recevable. Dans le chapitre 3 intitulé « Research Parameters for Manuscripts Analysis », l’A. fournit les clés de lecture de la méthode employée pour l’analyse des manuscrits conservés, produits ou utilisés dans ces institutions bénédictines. S’appuyant sur les travaux de Brian Street, elle nous invite à considérer l’objet livre dans toutes ses implications, comme un système dans lequel entrent en jeu des éléments de structure (le contenu, l’usage, la langue du texte) et des éléments relevant du contexte d’écriture et d’utilisation tels que la personnalité du scribe, les conditions de copie, l’usage dans une liturgie spécifique, etc. Cette présentation est remarquable de clarté et constitue un modèle pour l’étude d’autres ensembles manuscrits.

4Les p. 81-127, qui ouvrent la deuxième partie de l’ouvrage, sont consacrées à l’étude des caractères formels des manuscrits, leur mise en page, leur décoration, les choix graphiques, les jeux de couleur… Se dessinent alors, parmi les quelque 300 manuscrits hagiographiques retenus par l’A., de grands ensembles caractérisés par leur qualité visuelle, la quantité de textes inscrits, la présence ou non d’images. Mais c’est bien la diversité qui domine, et il semble difficile d’établir un « type » à l’échelle de cette documentation, que ce soit dans la forme générale du livre ou dans les détails de sa mise en œuvre sur le parchemin. Une chose paraît claire à la lecture de cet excellent chapitre : l’échelle du scriptorium, y compris ceux de grandes abbayes comme Marchiennes ou Anchin, ne permet pas de repérer des tendances absolues dans la production des manuscrits hagiographiques. C’est là, p. 83-96, un apport fondamental du livre de T. Snijders qui nous invite à dépasser l’hypothétique influence structurelle du lieu de production sur la forme du manuscrit. Partant, il faut également revenir sur la distinction entre ce qui est « normal » et ce qui est « exceptionnel » (p. 81). L’A. se livre donc, dans ces belles pages, à un véritable exercice d’épistémologie première et on ne peut qu’en souligner le mérite. Ces bases originales l’invitent ensuite à analyser la composition des manuscrits hagiographiques et à revenir sur les éléments, de contenu ou de contexte, permettant d’attribuer l’épithète « hagiographique » à un livre ou à l’une de ses unités codicologiques. Du libellus du saint patron d’un monastère au légendier, c’est bien la présence et la mise en valeur d’un ou de saint(s) qui fait d’un manuscrit un objet hagiographique, et qui déterminent dans le même temps le public du texte et de sa mise en forme. Les p. 164-175 interrogent avec pertinence le pourquoi de la production de ces manuscrits et refusent en ce sens toute tentative de systématisation. Si « communication » il y a, c’est parce que chaque unité hagiographique (que T. Snijders appelle scriptum) répond à une ambition institutionnelle et spirituelle précise, à un instant T dans la vie du monastère. Pour parvenir à une telle analyse, toujours prudente et fine, l’A. combine des approches macroscopiques, à l’échelle de l’ensemble des manuscrits et à l’aide de résultats statistiques fort bien présentés dans le cours du développement, et des réflexions micro-historiques prenant en compte les circonstances propres à chaque monastère (le chapitre 8, p. 285-341, est exemplaire à ce titre).

5La partie la plus novatrice de l’ouvrage est sans doute le chapitre 6 intitulé « Rewriting ». Il nous invite en effet à porter sur l’objet manuscrit, défini et figé aujourd’hui dans une cote de bibliothèque, un regard tout à fait dynamique – c’est une idée qui traverse l’ouvrage. Avant d’être une pièce de musée, difficile d’accès, rendu immobile par les nécessités de sa conservation, le manuscrit hagiographique en usage dans les monastères bénédictins est un être vivant que l’on compose et décompose, augmente et réduit, prolonge et divise. Les cahiers sont autant de pièces dans l’assemblage de cet outil fonctionnel de la vie de l’abbaye, de ses célébrations mais aussi de sa représentation. Dans les murs du monastère ou à l’extérieur, les livres circulent et participent à l’établissement de « réseaux » d’une institution à l’autre, d’un territoire à l’autre, mais aussi d’une personne à l’autre. T. Snijders fait ainsi grand cas de la « vie » du manuscrit qui reproduit dans sa structure la tension qu’elle a déjà signalé dans la « vie » des monastères, entre statu quo et réforme. C’est dans cette même perspective dynamique qu’elle analyse les liens éventuels entre la liturgie des saints et le contenu des manuscrits hagiographiques (voir en particulier les p. 347-358). Les différences et les similitudes entre les manuscrits sont ainsi analysées au-delà de la notion de « variante » mais davantage dans une « mouvance » : mouvance réelle des formes et des graphies ; mouvement et circulations des hommes et des livres ; mouvance plus insaisissable des relations spirituelles entre les institutions au cœur des territoires qu’elles occupent. La notion de « réseau » est donc centrale dans cet ouvrage et l’A. invite constamment son lecteur à l’étendre à toutes les facettes de la production et de l’usage des livres.

6Au terme de la lecture de cet ouvrage, il apparaît donc que c’est le manuscrit en tant qu’objet intellectuel qui se trouve au cœur de la recherche de T. Snijders. Le nombre très réduit des figures reproduisant des pages de manuscrits dans le livre en est le signe. Si les considérations paléographiques et codicologiques ne sont jamais passées sous silence, elles sont cependant au service d’une réflexion plus générale sur la place du manuscrit dans la création des réseaux monastiques et dans l’affirmation des saints et de leur culte dans l’espace du sud des Pays-Bas. Le livre est donc un moyen de « communication » au sens large, un objet de représentation pour des communautés en permanente redéfinition. C’est le sens de la conclusion proposée par l’A. (p. 390-395), qui invite ainsi à relire un certain nombre de grands dossiers manuscrits à la lumière d’une telle approche globale, systémique et dynamique, de la production des livres hagiographiques au Moyen Âge central. Parmi les appendices livrés à la fin du livre, je retiens l’intérêt de l’excellente bibliographie (p. 435-470) et du glossaire, très court mais fort utile (p. 427-433). L’ensemble de la démonstration est appuyée par de nombreux tableaux, simples, clairs, parfois un peu austères, mais tout à fait indispensables à l’argumentation. T. Snijders livre donc là un ouvrage passionnant, remarquablement écrit, et dont la lecture ouvre des pistes de recherche innombrables pour une compréhension élargie de ce qu’est la communication médiévale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Vincent Debiais, « Tjamke Snijders, Manuscript Communication. Visual and Textual Mechanics of Communication in Hagiographical Texts from the Southern Low Countries, 900-1200 »Cahiers de civilisation médiévale, 240 | 2017, 435-436.

Référence électronique

Vincent Debiais, « Tjamke Snijders, Manuscript Communication. Visual and Textual Mechanics of Communication in Hagiographical Texts from the Southern Low Countries, 900-1200 »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 240 | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5726 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5726

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Auteur

Vincent Debiais

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CC-BY-NC-ND-4.0

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