Massimiliano David, Eternal Ravenna: from the Etruscans to the Venitians
Massimiliano David, Eternal Ravenna: from the Etruscans to the Venitians, Turnhout, Brepols, 2013.
Texte intégral
1Indiquons d’emblée qu’il s’agit ici de la version anglaise d’un livre d’abord paru en italien (Ravenna eterna. Dagli Etruschi ai Veneziani, Milan) et que le report à cette édition originelle ne manquera donc pas de se recommander.
2Dans un lot de publications assez abondant au cours de ces dernières décennies, et indépendamment de l’abondance et de la qualité de son illustration, l’ouvrage de Massimiliano David se distingue par son objectif d’envisager Ravenne sur un temps très long : soit, depuis les premières attestations d’une présence étrusque au vie s. avant notre ère jusqu’à la fin de la domination vénitienne marquée par le désastreux sac de la ville en 1512 et la réincorporation dans les États pontificaux. Ce parti offre incontestablement l’avantage d’une bonne vision des antécédents ayant – en parallèle, bien entendu, de circonstances historiques dans un contexte beaucoup plus large – conduit au choix de ce site pour l’implantation de la capitale de l’Empire d’Occident en 402 ; puis d’attirer l’attention sur les multiples vicissitudes ayant déterminé le devenir d’un patrimoine monumental constitué, pour l’essentiel, lors d’une phase de moins de deux siècles. Mais dans cette seconde perspective, il faut reconnaître que l’on est très sensiblement en retrait de ce que fournit l’ouvrage de Mariëtte Verhoeven (The Early Christian Monuments of Ravenna. Transformations and Memory, Turnhout, Brepols [Architectural crossroads, 1], 2011), qui étend l’investigation jusqu’à nos jours et, surtout, rassemble minutieusement l’ensemble des données relatives aux nombreuses interventions sur ces édifices en s’attachant, en outre, aux diverses perceptions que l’on en a eues tour à tour et qui en conditionnent encore notre propre approche.
3Sept chapitres articulent ce livre. Dans le premier d’entre eux, l’A. renvoie brièvement aux séductions que la ville a exercées sur d’illustres auteurs, de Byron à Marguerite Yourcenar. Puis il déploie un aperçu historiographique assez nourri, depuis la chronique d’Agnellus au ixe s. jusqu’aux résultats des prospections archéologiques des années 1990/2000 ; si les apports – et les personnalités – de Ricci, Gerola et Bovini trouvent là leur juste place, on s’étonne que quelque dix lignes seulement évoquent l’œuvre fondamentale de Deichmann ; mais nous reviendrons in fine, justement, sur ce dernier. Ce même chapitre, plutôt composite, se poursuit par des considérations au demeurant fort utiles sur la géographie de la région et sur les importantes mutations qu’elle a subies depuis l’Antiquité, en particulier dans son réseau hydrographique et sa relation avec la mer ; et l’A. souligne à bon droit les problèmes que pose encore, notamment, l’interprétation des nombreuses églises rurales des environs quant à leur lien initial avec d’éventuels noyaux d’habitat.
4Le deuxième chapitre, beaucoup plus homogène dans sa progression chronologique strictement linéaire, retrace le développement de Ravenne depuis les anciennes implantations étrusques jusqu’à l’époque théodosienne. Les temps forts en apparaissent bien marqués, avec accents justement portés sur la pleine intégration dans la Romanitas entre le iiie et ier s. avant notre ère, promotion au statut de municipe et établissement de la flotte de l’Adriatique au port de Classe sous Auguste ; puis, sur ces fondements, essor édilitaire déjà notable, et caractère profondément mêlé de la population. L’A. s’appuie efficacement, à ces égards, sur une documentation archéologique et épigraphique non pléthorique certes, mais assez significative.
5Les troisième et quatrième chapitres, de loin les plus développés ainsi qu’on l’attendait, sont respectivement consacrés au temps de l’Empire romain d’Occident puis à celui de la royauté ostrogothique suivie de la reconquête justinienne et de ses premiers prolongements. Indépendamment de la trame événementielle évoquée dans ses grandes lignes, c’est aux réalisations matérielles de ces moments d’exceptionnelle floraison que l’A. accorde l’essentiel de son attention. Leur présentation est, eu égard à la perspective délibérément synthétique de l’ouvrage, tout de même relativement détaillée, et informée de manière satisfaisante : en témoignent les notes, qui renvoient à l’assez riche bibliographie rassemblée en fin de volume. On peut cependant revenir sur certains points. Ainsi quant à la mosaïque (disparue depuis le xvie s.) qui ornait la partie basse de l’abside de Saint-Jean-l’Évangéliste, il eût fallu au moins prendre en compte, fût-ce pour la discuter, la proposition de Vincenza Zangara (Antiquité tardive, 8, 2000, p. 265-304) tendant à identifier non pas l’évêque Pierre Chrysologue, mais Melchisédech officiant à l’autel. Pour la thématique du baptistère des orthodoxes, il n’aurait pas non plus été superflu de mentionner l’hypothèse d’Annabel Wharton (The Art Bulletin, 69, 1987, p. 357-375), privilégiant une adresse au baptisé lui-même du geste des apôtres stéphanophores. En ce qui concerne les mosaïques de la nef de Saint-Apollinaire-le-Neuf, l’interprétation structurelle de l’image du palais requiert toujours le renvoi (avec éventuelle discussion, à nouveau) à la méticuleuse analyse de Noël Duval (Corsi Ravenna, 1978, p. 93-122) ; par ailleurs, on pourra peut-être aussi envisager – cas certes bien isolé – une connotation spécifiquement arienne du « confinement » du Christ (c’est-à-dire du Fils) et de la Vierge en position latérale, l’abside ayant pu être réservée à une allusion au Père (cf. ma propre suggestion dans G. Bühl, A. Cutler et A. Effenberger [éd.], Spätantike und byzantinische Elfenbeinbildwerke im Diskurs, Wiesbaden, Reichert, 2008, en part. p. 20-21). Quant aux réalisations majeures du plein vie s., et si l’essentiel est dit à propos de Saint-Vital (dont, notamment, le plan à double octogone et chevet proéminent est opportunément rapproché de celui de Saint-Jean-Baptiste de l’Hebdomon à Constantinople), on peut regretter que l’originalité du programme absidal de Saint-Apollinaire-in-Classe n’ait guère été soulignée (avec une iconographie de la Transfiguration pourtant très singulière à l’égard de celle, quasi contemporaine, de Sainte-Catherine du Sinaï, promise quant à elle à une longue descendance). Il est dommage, également, qu’aucun sous-chapitre spécifique n’ait été consacré aux sarcophages sculptés, dont le groupe des spécimens attribuables aux ve-vie s. est particulièrement remarquable ; c’eût été l’occasion d’aborder la question, trop souvent esquivée, du lieu de leur production (Ravenne même, comme on l’admet presque systématiquement ? ou Constantinople, à l’instar alors de bien des éléments de sculpture architecturale et de mobilier liturgique utilisés dans les églises de la ville ?).
6Le cinquième chapitre balaie la période comprise entre l’implantation des Lombards en Italie et le règne de Charles le Chauve (deux données, à vrai dire, sans grande incidence sur Ravenne). Le discours met pertinemment en relief des tentatives d’affirmations d’autonomie, dont au premier chef l’accession à l’autocéphalie de l’Église locale à l’égard de Rome, obtenue de l’empereur Constant II en 666. Mais l’A. ne manque pas non plus de relever les signes d’un déclin, dont témoignent en particulier plusieurs noyaux d’inhumation intra muros, ainsi que la ruine d’une église aussi importante que la Basilique Pétrinienne – et d’ailleurs celle d’autres structures – à Classe. Il note cependant à juste titre que certaines constructions nouvelles furent alors entreprises, comme quelques églises (surtout Saint-Sauveur ad Chalchi, longtemps identifiée à tort comme le palais de l’exarque), ainsi que la magnification de la résidence épiscopale ; en revanche, les restaurations et compléments opérés à l’initiative du pape Léon III à Saint-Apollinaire-in-Classe (dès cette époque monastère) sont ici regrettablement passés sous silence.
7Le sixième chapitre mène jusqu’au temps de la quatrième croisade. Il donne à l’A. l’occasion de mettre d’abord en valeur le fort ascendant de la dynastie ottonienne sur l’histoire locale, et une nouvelle – bien que relative – floraison architecturale, avec l’érection d’une série de tours campanaires cylindriques qui rehaussèrent sensiblement l’aspect de plusieurs anciennes églises. Le passage dans l’aire d’influence de Venise, qui s’ensuivit rapidement pour Ravenne comme pour nombre d’autres cités de l’Adriatique, eut aussi des retombées sur le patrimoine monumental local. L’A. attire ici à bon droit l’attention sur ce qui subsiste de la nouvelle décoration à mosaïque de la cathédrale, entreprise au début du xiie s. Mais il souligne aussi pertinemment un autre trait de l’évolution du paysage urbain local à cette même époque : à savoir, comme dans d’autres cités d’Italie septentrionale et centrale, l’émergence de maisons-tours, en relation avec la montée d’une oligarchie marchande et artisanale. Quant à l’implication de certains ressortissants ravennates dans la croisade de 1204, il en relève justement aussi un écho direct dans la thématique du nouveau pavement de mosaïque donc fut pourvue Saint-Jean-l’Évangéliste dès les années suivantes.
8Le septième et dernier chapitre s’ouvre avec l’évocation du conflit entre Guelfes et Gibelins, et les conséquences négatives de l’adhésion de Ravenne au premier de ces partis du temps de Frédéric II. L’A. souligne aussi l’important impact de l’émergence des Ordres Mendiants, avec entre autres l’établissement d’un couvent Saint-François dans l’ancienne Basilica Apostolorum, diverses autres « appropriations », ainsi que des fondations. Le moment du séjour de Dante, auquel se voit accordée sa juste place, fut d’autre part celui d’un nouvel intérêt pour le passé de la ville : l’A. le relève dans l’iconographie du nouveau portail de Saint-Jean-l’Évangéliste. À peu près simultanément, la prééminence locale de la famille des Polentani devait déterminer la venue, depuis Rimini sans doute, de peintres de mouvance giottesque pour la décoration de plusieurs églises auxquels des membres de la famille en question étaient attachés. Mais ceux-ci allaient en 1441 se voir évincés du contrôle de la ville, dès lors directement assumé par Venise ; en résulta une remise en état du port et des murailles, l’établissement de la forteresse adjacente dite Rocca Brandaleone, ainsi que la reconfiguration du centre urbain avec nouveau forum (l’actuelle Piazza del Popolo) sur lequel donnait un palais communal ; de nombreuses autres demeures d’apparat voyaient simultanément le jour, principalement à l’usage des fonctionnaires vénitiens en poste dans la cité.
9On aura sans doute relevé que le découpage chronologique de ces trois derniers chapitres est quelque peu arbitraire. Quant à leur teneur globale, où l’évocation des transformations monumentales s’imbrique efficacement dans la trame historique, elle impliquait évidemment moins de démarches interprétatives ; et l’exposé qui est offert constitue donc une synthèse tout à fait bien venue. En revanche, les quelques remarques formulées à propos de ce qui précède pourront dénoter que, quant à ce qui demeure l’apogée de l’essor de Ravenne et la source d’intérêt absolument majeur du site, le présent ouvrage ne répond pas pleinement à toutes les attentes d’une perspective scientifique. À cet égard, on trouvera incontestablement davantage de substance dans le livre paru peu auparavant de Deborah Mauskopf Deliyannis (Ravenna in Late Antiquity, Cambridge, Cambrige University Press, 2010), qui incorpore aussi les récents acquis : en particulier celui du colloque édité par Claudio Spadoni et Linda Kniffitz (San Michele in Africisco e l’età giustinianea a Ravenna, Cinisello Balsamo, Silvana [Biblioteca d’arte, 12], 2007) et les divers résultats des recherches d’Andrea Augenti, à Classe notamment. Achevons enfin en soulignant qu’en dépit de ces diverses avancées, le retour aux trois denses volumes de Kommentar produits par Friedrich Wilhelm Deichmann en 1974, 1976 et 1989 demeure absolument incontournable pour toute investigation complémentaire à venir dans ce domaine.
Pour citer cet article
Référence papier
Jean-Pierre Caillet, « Massimiliano David, Eternal Ravenna: from the Etruscans to the Venitians », Cahiers de civilisation médiévale, 240 | 2017, 394-396.
Référence électronique
Jean-Pierre Caillet, « Massimiliano David, Eternal Ravenna: from the Etruscans to the Venitians », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 240 | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 17 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5654 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5654
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