Collectif, Merveilleux et marges dans le livre profane à la fin du Moyen Âge (xiie-xve siècle)
Collectif, Merveilleux et marges dans le livre profane à la fin du Moyen Âge (xiie-xve siècle), Adeline Latimier-Ionoff, Joanna Pavlevski-Malingre et Alicia Servier (éd.), Turnhout, Brepols (Répertoire iconographique de la littérature du Moyen Âge. Les études du Rilma, 8), 2017.
Texte intégral
1Ce huitième volume des Études du Rilma, une collection fondée en 2010 par Christian Heck, contient, comme la plupart des autres titres de cette série, les actes d’un colloque. Dans le présent cas, il s’agit de deux journées intitulées Merveilleux, marges et marginalités dans la littérature et l’enluminure profanes en France et dans les régions septentrionales (xiie-xve siècle), qui ont eu lieu à Lille 3 (Institut de recherches historiques du Septentrion) et à Rennes 2 (Centre d’études des littératures et des langues anciennes et modernes) en 2014. L’approche retenue dans cette publication, éditée par Adeline Latimier-Ionoff, Joanna Pavlevski-Malingre et Alicia Servier, est légèrement plus large (aucune limite géographique n’est donnée), mais la publication laisse de côté cinq communications, notamment les travaux d’étudiants de Master. L’enjeu est de répondre à la question suivante, rappelée sur la quatrième de couverture : « Comment le merveilleux peut-il […] encore, à la fin du Moyen Âge, être perçu comme étrange, extraordinaire, et susciter, grâce aux textes et aux enluminures des manuscrits, l’émerveillement du lecteur ? ». Les contributions envisagent la notion de marge au sens propre et au sens figuré, très étudiée depuis plusieurs années, mais peu dans son rapport avec les merveilles ; elles réinterrogent donc également le merveilleux, qui a fait l’objet de nombreuses études, mais reste difficile à aborder. Elles se limitent au domaine du profane, qui est justement celui du merveilleux. L’approche se veut résolument pluridisciplinaire : des littéraires, comme des historiens et des historiens de l’art, ont été réunis.
2Cet ouvrage propose un découpage qui ne suit en rien celui des deux journées d’étude. Dans « Le merveilleux : définitions contrastées », Jeff Rider montre que le merveilleux, qui surgit lorsque l’on ne peut pas comprendre, n’existe pas dans les arts et dans la littérature ; il faut plutôt parler de pseudo-merveilleux (dans le fictif déjà vu comme tel) ou d’énigme, ou « allégorie dont la signification reste obscure ». Pour Martina Di Febo, dans son étude des enluminures des trois manuscrits de l’Ovide moralisé, les enlumineurs, par leurs choix esthétiques, gomment ou accentuent le merveilleux comme altérité.
3Dans « Marges du monde, marges de l’humanité », Jacqueline Leclercq-Marx propose une passionnante enquête sur la diffusion des chevaliers marins et des poissons-chevaliers : à l’origine contreparties marines de ce qui existe sur terre, ils s’imposent d’abord dans le nord de l’Europe, dans la littérature, avant de toucher toutes les formes d’art. Pierre-Olivier Dittmar et Maud Pérez-Simon offrent une édition et une traduction d’une partie du BnF, Fr. 15106, les Monstres des hommes, un texte méconnu, un unicum, se servant de l’Orient pour porter un regard très critique sur l’Occident et ses nantis, tout en présentant une réflexion sur la monstruosité. Florent Pouvreau présente l’évolution chronologique du corps velu dans les représentations de l’Orient. Au xve s., trop répétée, cette iconographie perd sa dimension merveilleuse. Quant à Quentin Vincenot, dans une démonstration très convaincante, il explique que le cynocéphale et le loup-garou ne se confondent pas ; le monstrueux, le merveilleux et la marginalité sont du côté de celui qui est flou, bien que proche, le loup-garou.
4Ensuite, dans « Merveilles arthuriennes : ambiguïté, indicibilité », Irène Fabry-Theranchi étudie, pour les métamorphoses de Merlin du BnF Fr. 95, les relations entre les marges, le texte et les miniatures : les interrogations autour de l’illusion et de l’apparence doivent être analysées à l’échelle de l’ensemble de l’ouvrage. Puis Christine Ferlamper-Archer présente une étude sur le rôle du noir dans les merveilles d’Artus de Bretagne, que ce soit dans le texte ou dans les images. Cette couleur participe au jeu du merveilleux autour de la « vue empêchée », mais rend la mise en lumière (étymologique) de l’enluminure difficile. Alicia Servier a analysé, dans les manuscrits du Lancelot en prose, l’iconographie de la Dame du lac, un personnage complexe et mouvant, jusque-là peu étudié dans les images, alors qu’il l’a été dans les textes. Elle propose des explications intéressantes au rapprochement entre la Vierge et la Dame. Enfin, Alison Stones a enquêté sur le cerf accompagné de quatre lions dans le Lancelot-Graal : cet épisode merveilleux est vu tantôt de manière positive, tantôt de manière négative.
5Enfin « Repenser la marge » réunit deux communications. Celle de Sonia Maura Barillari s’arrête sur les arbres à vits : on les trouve non seulement sur des fresques, mais aussi sur d’autres supports, comme les manuscrits. Ses origines remontent à l’Antiquité et son sens change selon le contexte. Myriam White-Le Goff, enfin, présente les images contrastées des légendes autour d’Alexandre. Elle montre que la reprise de modèles iconographiques, qui permet l’identification, affadit le merveilleux par la répétition. Les choses changent toutefois au xve s.
6L’ouvrage se clôt sur une présentation des auteurs des articles et des éditrices, tout à fait bienvenue, et sur un index général (noms de personnes, d’aujourd’hui comme du Moyen Âge, lieux, œuvres, thèmes et même manuscrits).
7On relève quelques emplois imprécis dans la terminologie. On regrettera également, dans ce volume de grand format, le choix de disposer le texte sur une unique colonne (ce qui rend la lecture pénible) et l’absence d’illustrations pour certains articles (même si, dans un cas, des liens sont proposés vers les enluminures) et de couleur pour les images en général. Il est également dommage qu’il n’ait pas été ajouté, pour chaque article, un résumé en français et en anglais.
8Malgré ces quelques remarques, la lecture de cet ouvrage, dont les articles sont intéressants pour eux-mêmes et par l’écho qu’ils trouvent chez les autres, sera incontestablement utile au lecteur intéressé par le merveilleux comme par la marginalité.
Pour citer cet article
Référence papier
Anne-Sophie Traineau-Durozoy, « Collectif, Merveilleux et marges dans le livre profane à la fin du Moyen Âge (xiie-xve siècle) », Cahiers de civilisation médiévale, 240 bis | 2017, 511-512.
Référence électronique
Anne-Sophie Traineau-Durozoy, « Collectif, Merveilleux et marges dans le livre profane à la fin du Moyen Âge (xiie-xve siècle) », Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 240 bis | 2017, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 07 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5535 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5535
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