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Comptes rendus

Peter Verbist, Duelling with the Past, Medieval Authors and the Problem of the Christian Era, c. 990-1135

Anna Dorothée Von den Brincken
Traduction de Lucile Rousseau
p. 105-106
Référence(s) :

Peter Verbist, Duelling with the Past, Medieval Authors and the Problem of the Christian Era, c. 990-1135, Turnhout, Brepols (Studies in the Middle Ages, 21), 2010.

Texte intégral

1Avec une conformité qui paraît presque étonnante pour notre monde séculaire, on suit encore aujourd’hui l’ère chrétienne pour la datation dans les relations internationales. Son créateur, l’abbé et canoniste scythe Denys le Petit, qui officiait à Rome en 525, révisa la table pascale de Victorius d’Aquitaine qu’il incorpora dès lors fermement dans un grand cycle de 532 ans. La création des tables pascales requérait une identification explicite, notamment des années à venir qu’on ne pouvait naturellement pas désigner à l’avance comme « énième année de règne de tel souverain ». En outre, Denys remit en question l’ère de l’empereur Dioclétien, persécuteur des chrétiens, et la remplaça de façon réfléchie par l’ère de l’Incarnation du Christ. Il fit correspondre la 248e année de Dioclétien à la dernière année du premier grand cycle. L’Ère chrétienne fut importée en Angleterre grâce au Pape Grégoire et fut diffusée au viiie s. par Bède le Vénérable, autorité parmi les chroniqueurs de cette époque. Cependant, il fallut plusieurs siècles pour que son usage soit généralisé, surtout dans la vie quotidienne où l’on datait de préférence selon les règnes des différents souverains. Il faut attendre la réforme ecclésiastique grégorienne du xie s. pour voir la percée de l’ère de l’Incarnation se pérenniser.

2Le travail dont il est question ici se concentre précisément sur l’époque où les grands chronographes se penchèrent sur l’écart qui avait déjà été soulevé par Bède dans le 47e chapitre de son De temporum ratione : le calcul du jour de la Passion du Christ selon les tables pascales de Denys ne correspondrait pas au jour retenu dans l’historiographie générale. La résurrection du Christ eut lieu le 25 mars selon la tradition grecque, le 27 mars selon la tradition occidentale, de l’an 33 après J.-C. d’après les synoptiques et de l’an 34 après J.-C. d’après Saint Jean l’Évangéliste. Dans les Évangiles, il n’y a qu’une seule date relative à l’histoire romaine, dans le 3e chapitre de Luc : le Christ avait environ 30 ans, lorsqu’il fut baptisé par Jean le Baptiste durant la quinzième année de règne de l’empereur Tibère et commença aux environs du deuxième millénaire (autour de 1064), quand le second cycle dionysien prit fin, et qu’il fut nécessaire de préparer des nouvelles tables pascales, cette problématique se heurta à l’intérêt particulier des computistes et des chronographes. Les recherches présentées sont dédiées à cette période précisément, qui court de 990 à 1135.

3Peter Verbist qualifie cette période de protoscolastique concernant les disputes opposant les Fides et autoritas aux ratio.

4Il cite dans un premier temps une lettre de l’abbé Hériger de Lobbes († 1007) avec sa lettre destinée à son élève Hugo. Celui-ci choisit le 25 mars comme date de Pâques en s’appuyant sur la tradition grecque et situe à l’an 42 au lieu de l’an 34 l’année de la Rédemption du Christ.

5L’abbé Abbon de Fleury († 1004) eut bien plus d’impact en abordant l’ère de Denys à partir de 988, comme le montrent la préface de sa table pascale et deux lettres de 1003 et 1004. Il choisit l’an 12 de notre ère plutôt que 33 comme année de la Passion du Christ et ajouta 21 années simplement dans l’habituelle chronographie de notre ère.

6Probablement le critique le plus connu, le pèlerin irlandais Marianus Scotus (1028-1082) vécut sur le continent de 1028 à 1082 et en reclus à Saint-Martin de Mayence à partir de 1069. Sa chronique universelle traite en trois volumes d’abord des principes computistes et de l’ère préchrétienne, puis du temps de la vie du Christ d’après les Évangiles, en particulier d’après celui de Luc, et enfin des siècles de notre ère. À cette dernière période il ajoute 22 ans, 230 ans à la période préchrétienne, du fait qu’il incorpore également la création dans les tables pascales. Avec la création du Soleil et de la Lune, l’équinoxe eut lieu au quatrième jour de la Création, qui commence donc selon les chronologues et computistes le 18 mars de l’an 1 de l’Anno Mundi. Sur le plan chronographique, Marianus se trouva devant la difficulté de devoir greffer des années qui avaient été le théâtre d’événements certifiés par l’historiographie. Marianus suscita beaucoup d’intérêt, même si ses calculs furent acceptés avec réticence.

7Aux alentours de l’an 1100, Gerland de Besançon propage de nouveau l’idée selon laquelle la date de la Pâques grecque avait lieu le 25 mars et fixa la Passion du Christ en l’an 42, comme Hériger l’avait déjà proposé en son temps.

8Sigebert de Gembloux (1026-1112), un des plus importants historiens du monde au Moyen Âge, se consacre à son Liber Decennalis en 1092, qu’il dédie à la datation de la Passion du Christ. Il la situe en l’Anno Mundi 3992, mais se voit placer l’Incarnation en l’année 3960 et arrive à la conclusion que le jour de la résurrection du Christ est le 28 mars, qu’il situe en l’an 12 d’après Denys. Il connaissait vraisemblablement Marianus, mais pas Abbon. La chronique de Sigebert, dans laquelle il poursuivit le travail Jérôme, il ne situe pas l’an 0 de la façon universellement adoptée par les historiens, celle-ci fut beaucoup lue. Sa critique de Denys dans son Liber Decennalis n’eut pas de répercussions notables.

9Hezelot de Cluny, l’architecte en chef de son monastère († 1123), désigna l’année 13 comme étant celle de la Passion du Christ, ajoutant ainsi 22 ans à notre ère comme l’avait fait Marianus.

10L’Anonyme de Limoges qui vivait Saint-Martial v. 1100, décida lui aussi d’ajouter 22 ans à notre ère, peut-être sous l’influence de Hezelot.

11Enfin, P. Verbist cite Heimo, canoniste de Saint-Jacob à Bamberg († 1139), en activité en 1135, soit à l’époque où Bamberg était un centre de chronographie et de computs. Heimo ne semble pas s’être appuyé sur Marianus. Sa chronique De decursu temporum fournit d’abondantes connaissances historiographiques à partir de la Création, son œuvre étant ainsi autrement plus poussée que celle de Marianus. Heimo se penche également sur les empires des quatre mondes ainsi que les six aetates et les soixante-dix semaines prophétiques de Daniel. Il plaça la passion, point central de son travail, en 4026, Anno Mundi, ce qui signifie que la Création doit être datée en 3992 avant Jésus-Christ. Il ajoute 33 ans après l’ère préchrétienne, dont il plaça le début au vie s.

12La comparaison de ces huit auteurs révèle qu’alors que Hériger et Gerland se prononcent pour la Pâques grecque du 25 mars, situent la Passion du Christ non pas en 33 ou 34 après J.-C. mais en 42, et Heimo en l’an Un de notre ère, les autres s’étant décidé en faveur de l’an 12. Ainsi, l’année de naissance du Christ fut déplacée à 21 ou 22 avant J.-C. pour la majorité – selon que l’on considère les synoptiques ou Saint-Jean l’Évangéliste –, de l’an 8 ou 9 avant J.-C. pour Hériger et Gerland, et en 33 avant J.-C. pour Heimo. Abbon et Marianus pensent offrir de bonnes alternatives au modèle présenté par Denys. Marianus et Heimo utilisent les tables pascales depuis la Création. Marianus identifiait l’année de la Création comme étant la 54e d’un grand cycle, et opérait ainsi avec des années avant la Création.

13En définitive, P. Verbist est contraint de répondre par la négative à la question du succès durable de ces différentes corrections car celles-ci ne parvinrent pas à supplanter la tradition, qui s’avérait alors plus tenace. Cependant elles permirent une percée dans la liberté intellectuelle du Moyen Âge.

14P. Verbist présente une étude minutieuse de la chronographie universelle dans son opposition à la chronologie, dont le raisonnement, fondé sur des recherches de grande ampleur et illustré par nombreux tableaux (66 au total !) est facile à suivre. On peut lui souhaiter qu’il puisse se livrer à son projet de délivrer une nouvelle édition critique de la chronique de Marianus, elle-même la plus célèbre des critiques de Denys le Petit.

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Pour citer cet article

Référence papier

Anna Dorothée Von den Brincken, « Peter Verbist, Duelling with the Past, Medieval Authors and the Problem of the Christian Era, c. 990-1135 »Cahiers de civilisation médiévale, 241 | 2018, 105-106.

Référence électronique

Anna Dorothée Von den Brincken, « Peter Verbist, Duelling with the Past, Medieval Authors and the Problem of the Christian Era, c. 990-1135 »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 241 | 2018, mis en ligne le 01 mars 2018, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/ccm/5311 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/ccm.5311

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